Le quatrième congrès de l’Internationale Communiste et la section française

Les Français se firent encore remarquer, à leur habitude, lors du quatrième congrès de l’Internationale Communiste. Il y eut ainsi une violente polémique entre deux délégués à l’occasion du débat sur les coopératives, mais il était considéré comme normal de leur part de s’invectiver au congrès.

Le Parti français était effectivement divisé entre plusieurs tendances, qui ne cachaient nullement leur hostilité les unes pour les autres. On peut considérer qu’il y avait trois tendances majeures et deux secondaires.

À ce moment, l’Internationale Communiste les reconnaissait. Ainsi, Jean Varlet (en fait François Koral, d’origine polonaise) défendit ouvertement le point de vue de sa tendance, le congrès lui donnant trois quart d’heures pour s’exprimer. Il sera lui-même exclu du Parti en 1932, dont il restera cependant toujours proche à travers une importante action dans la CGT.

Il dit notamment la chose suivante : en France, il n’y a jamais eu de mouvement ouvrier de masse et de plus, ni les ouvriers ni même finalement les membres du Parti ne savent en quoi consistent des conseils ouvriers. Appliquer une ligne de masses, ce serait donc faire disparaître le Parti lui-même, le diluer, le dissoudre.

Ferdinand Faure tiendra pareillement un discours de remise en cause des remarques de l’Internationale Communiste au sujet du Parti français. S’il expliqua qu’il resterait toujours dans le Parti et dans l’Internationale Communiste, soulignant sa fidélité lors de sa prise de parole, il sera exclu peu après le quatrième congrès pour avoir dénoncé celui-ci dans la presse communiste et rejoindra dans la foulée les socialistes de la SFIO.

Alfred Rosmer fit remarquer au sujet de la critique de Ferdinand Faure qu’effectivement en France les interventions de l’Internationale Communiste étaient perçues comme des ingérences. Lui le regrettait et dénonça le refus du front unique, interprétant toutefois celui-ci dans un sens syndicaliste. Lui-même quittera le Parti par la suite pour prôner le syndicalisme.

Pareillement, le délégué français Émile Béron sera exclu du Parti en 1932, deviendra ensuite un député indépendant pro-Front populaire grâce au désistement du PCF, pour finalement voter les pleins pouvoirs à Pétain en 1940. Le délégué français Arthur Henriet sera lui mis de côté à la fin des années 1920.

C’est la base même du Parti qui est instable, à tous les niveaux, sa base étant trop peu formée, trop peu compréhensive, trop indisciplinée, trop ancrée dans le révolutionnarisme ou le réformisme. On l’aura aisément compris, les Français s’avéraient ingérables et ne suivaient pas les consignes.

Boukharine résuma cela de la manière suivante lors du congrès au sujet de la tendance centriste :

« Les tendances centristes françaises sont les reliquats de l’ancienne idéologie social-démocrate ; elles ont également un masque blanc.

Leur masque consiste en ce qu’elles acceptent tout ce qu’on leur propose. On peut les donner 21 conditions, ces 21 conditions vont être acceptées. On peut leur proposer de très bonnes résolutions sur l’activité du Parti ; ces bonnes résolutions sont tout de suite acceptées à l’unanimité.

Il en est toujours ainsi. On approuve tout ce que veut le prétendu diktat de Moscou. Puis, évidemment, on dénonce naturellement le diktat de Moscou avec toute l’énergie communiste, mais on signe tout ce qui est demandé.

C’est tout d’abord parfaitement loyal en apparence, mais le grand danger repose en ce que tout reste sur le papier. Après la prise de telles bonnes résolutions, strictement rien n’est fait.

Les déviations, les déviations tactiques qui existent matériellement, ne sont jamais formulées. »

Les problèmes étaient innombrables. Il y avait déjà les rapports à la franc-maçonnerie, cette structure bourgeoise apolitique à prétention humaniste. Il y avait, surtout, une soumission complète au syndicalisme révolutionnaire, ce qui était d’autant plus choquant que le Parti avait 80 000 membres, par rapport aux 300 000 membres dans la CGT Unifié où est actif le Parti.

Les syndicalistes révolutionnaires avaient en fait l’hégémonie idéologique et culturelle, au point que leurs conceptions se retrouvaient même dans la presse du Parti qui, de toutes façons, n’avait rien de véritablement communiste d’ailleurs.

Ce penchant syndicaliste connaissait un pendant opportuniste, avec un ancrage dans une tradition socialiste d’avant-guerre, ce qui se formalisait par l’existence d’un forte tendance au centrisme, avec à sa tête Daniel Renoult, qui deviendra par la suite la figure de proue du « communisme municipal ».

Zinoviev n’y alla d’ailleurs pas par quatre chemins : il expliqua que si la naissance d’un Parti Communiste était difficile, en ce qui concerne la France cela l’était encore plus que prévu.

La résolution sur la question française du quatrième congrès de l’Internationale Communiste est donc très claire : désormais, c’est l’Internationale qui prend les choses en main. On y lit :

« Le 4° Congrès de l’Internationale Communiste constate que l’évolution de notre Parti français depuis le socialisme parlementaire jusqu’au communisme révolutionnaire s’opère avec une extrême lenteur qui est loin de s’expliquer par les conditions uniquement objectives, par les traditions, par la psychologie nationale de la classe ouvrière, etc., mais qui est due, avant tout, à une résistance directe et parfois exceptionnellement opiniâtre des éléments non communistes qui sont encore très forts dans les sommets du Parti et particulièrement dans la fraction du centre qui, depuis Tours, a eu, pour la plus grande part, la direction du Parti.

La cause fondamentale de la crise aiguë que traverse actuellement le Parti se trouve dans la politique d’attente, indécise et hésitante, des éléments dirigeants du centre qui, devant les exigences urgentes de l’organisation du Parti, essaient de gagner du temps, couvrant ainsi une politique de sabotage direct dans les questions syndicale, du front unique, de l’organisation du Parti et autres. Le temps ainsi gagné par les éléments dirigeants du centre a été perdu pour le progrès révolutionnaire du prolétariat français.

Le Congrès fait au Comité Exécutif une obligation de suivre de toute son attention la vie intérieure du Parti Communiste français afin de pouvoir, en s’appuyant sur la majorité incontestablement prolétarienne et révolutionnaire, le libérer de l’influence des éléments qui ont engendré la crise et qui ne cessent de l’aggraver. »

Cette situation horrifiait d’autant plus l’Internationale Communiste que ce fractionnisme au sein du Parti français existait alors qu’aucune action de masse n’avait été même encore menée. Or, c’est justement les actions de masse qui avaient été le détonateur, en Allemagne, des divergences de vue.

Cette absence d’action de masse est liée au fait que le Front unique n’avait pas été réalisé en France non plus, alors qu’on était passé de 628 000 grévistes dans la première partie de 1920 à 57 000 pour la seconde partie de la même année et 9 000 seulement en 1921.

Le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste avait pourtant, à de très nombreuses reprises, en 1921 et 1922, cherché à modifier les positions du Parti français, mais l’absence de réponses fut une sorte de règle du côté français. La situation apparaissait comme intenable et c’est le sens de la résolution sur la section française, accompagnée même d’un programme d’action formulé pour elle au quatrième congrès.

De plus, l’Internationale Communiste réorganisa elle-même le Comité Central. Au Comité Central du Parti français furent nommés 10 membres de la tendance centriste, 9 de celle de gauche, 4 de celle de droite, 1 de la tendance de Jean Renaud, la grande figure « paysanne » du Parti français historiquement.

L’Internationale Communiste exigea également que les articles de l’Humanité présentant les points de vue du Parti ne soient plus signés, que ses journalistes ne travaillent plus pour la presse bourgeoise et il fut même procédé à une répartition des postes dirigeants de la presse, des différentes commissions du Parti selon les tendances.

On a cependant là une question de fond, qui allait se poser avec d’autant plus d’acuité dans tous les Partis de l’Internationale Communiste. Fallait-il accepter ce principe de tendances ? La réponse allait être négative, avec la mise en place de la « bolchevisation ».

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de l’Internationale Communiste