L’œuvre d’art est une représentation particulière, mais il y a de l’universel dans ce qui est représenté. L’œuvre d’art reflète non seulement ce particulier, mais également l’universel en lui. Sa valeur en tant que reflet est d’autant plus forte.
Voici une œuvre d’Anatoli Yurevich Nikich-Krilichevski de 1951, intitulée Nature morte avec les médailles de Maria Isakova. Surnommée la cendrillon de Vyatka, elle fut la première à triompher à trois championnats du monde de patinage de vitesse – les premiers auxquels participa l’URSS- en 1948, 1949, 1950, alors qu’elle fut également première aux championnats d’URSS de 1945, 1946, 1947, 1948, 1949, 1951, seconde en 1944 et 1950.
Les médailles présentées, dans un contexte bien précis et qu’on redécouvre tout au long des détails de l’œuvre – la ville, le grand bâtiment soviétique à l’arrière-plan, le symbole du club de sport du Dynamo de Moscou, les objets de valeur avec une belle esthétique, les fleurs savamment agencés, les rideaux, les lettres reçues, les coupes, etc. – accordent à ce tableau une très forte charge artistique.
C’est en tant que sportive émérite que Maria Isakova, dont voici un portrait en 1950, porte une dimension universelle. C’est cette dimension qui est montrée dans le tableau.
Il y a la femme, la femme sportive, la femme sportive qui atteint un haut niveau, la femme sportive qui atteint un haut niveau et qui est une composante de la société socialiste. Le particulier et l’universel sont ici bien montrés dans leur liaison interne.
Georg Lukacs, dans la période où il assuma le réalisme socialiste (il fut toute sa vie un intellectuel bourgeois oscillant), explique de la manière suivante, en 1951 dans Balzac et le réalisme français, l’importance de la richesse intérieure de la figure montrée dans une œuvre :
« La catégorie centrale et le critère de la conception réaliste de la littérature, à savoir le type par rapport au caractère et à la situation est une synthèse particulière qui lie organiquement le général et l’individuel.
Le type ne devient pas tel parce qu’il est moyen, pas plus que pour son caractère uniquement individuel, quelque prononcé qu’il soit, mais du fait que tous les moments d’une période historique qui, du point de vue humain et social, sont essentiels et déterminants, concourent en lui et s’y croisent, du fait que la création du type montre ces moments dans leur degré d’évolution le plus élevé et dans l’extrême déploiement de ses possibilités virtuelles, dans l’extrême représentation d’extrêmes qui concrétise en même temps le sommet et les limites de la totalité de l’homme et de l’époque. »
Georg Lukacs surestime certainement ici la question de la « totalité » qui serait à montrer, ce thème étant son obsession, par incapacité à saisir la dialectique, et donc le caractère à la fois relatif et « total » des phénomènes. Cependant, il a raison de montrer qu’il faut que soit clair le passage de l’histoire à travers la figure montrée, l’entrelacement des facteurs propres à une époque, le déploiement de ce qui est sous-jacent à une époque.
Nature morte avec les médailles de Maria Isakova n’est à ce titre pas un témoignage particulier sur une sportive, mais le reflet d’une réalité historique tout à fait caractérisée, avec sa tendance, ici l’URSS socialiste.