Le réalisme socialiste s’appuie sur la réalité du byt, de la vie quotidienne, mais cela ne prend son sens que de par la considération que l’art n’existe que dans le cadre de la narodnost, c’est-à-dire de la réalité populaire.
Il ne s’agit pas simplement d’une vie quotidienne concrète et non abstraite, il s’agit d’une vie quotidienne vécue par le peuple. Tout passe par le peuple, tout n’existe que par le peuple, tout part du peuple et doit retourner au peuple. Le réalisme socialiste implique que l’art n’existe que par le peuple et pour le peuple, de par un rapport dialectique entre l’artiste et lui.
Et ce peuple a connu des transformations, qui se reflète dans l’art ; Andreï Jdanov souligna ainsi au congrès des écrivains :
« Nous ne sommes plus les mêmes Russes qu’avant 1917, la Russie n’est plus la même et notre caractère n’est plus le même. »
Pour cette raison, le réalisme socialiste conjugue à la fois la mise en avant du plus haut niveau civilisationnel – avec comme références ouvertes à la fois l’Antiquité et la Renaissance – et l’expression du « sentiment nouveau », de la « signification intérieure. » Mais tout cela en liaison avec le caractère populaire de l’existence.
Le tableau Le grain de Tatiana Yablonskaya, de 1949, reflète cette exigence de l’art comme reflet du peuple, de la signification intérieure de sa réalité, du sentiment nouveau dans son rapport à l’existence.
Tatiana Yablonskaya expliquera en février 1950 dans la revue La culture et la vie, dans son article Le réalisme socialiste en peinture, que :
« Avant ma visite à la ferme collective, me faire le reproche de formalisme [ainsi que de soumission à l’impressionnisme] me faisait un peu mal. Maintenant, je suis d’accord avec cette critique…
Ma vision du monde a été renversée. J’ai abordé ma dernière peinture, « Le grain », différemment.
J’ai fait de mon mieux pour exprimer le sentiment qui m’a submergé lorsque j’étais à la ferme collective. Je me suis efforcé d’exprimer le joyeux travail communautaire de notre beau peuple, la richesse et le pouvoir de nos fermes collectives, ainsi que le triomphe des idées de Lénine et de Staline dans la reconstruction socialiste du village. »
Ce que Tatiana Yablonskaya pose ici, c’est que l’artiste ne peut se prétendre tel sans être capable de se mettre à l’école du peuple, de ressentir dans sa propre existence les facettes et la profondeur de la vie populaire.
Ce n’est qu’ainsi que l’artiste trouve une dynamique réelle et ne décroche pas de la culture pour sombrer dans le formalisme voire même le subjectivisme.
C’est le peuple qui fournit la matière de l’existence même de l’art, et par conséquent l’artiste ne peut exister qu’en s’impliquant dans la réalité populaire elle-même, en apportant sa contribution.
Pour réaliser Le grain, Tatiana Yablonskaya resta de juin à septembre 1948 à Letava, réalisant 300 dessins et études.
Les œuvres de Fedot Sychkov possèdent également en ce sens une haute charge artistique, tout à fait dans l’esprit des ambulants russes, lui-même ayant été un disciple d’Ilia Répine. On a ici un portrait de la vie populaire, sur les collines enneigées et au retour de l’école.
La vie populaire, de fait, porte en elle une vraie joie, une réelle allégresse, et cela de manière tout à fait nette et expressive dans le cadre d’une société socialiste. La vie populaire et sa réalité impose la célébration de la vie.