Le leitmotiv de Nikita Khrouchtchev quant à la question internationale, dans son très long rapport (faisant cent pages), c’est l’affirmation que la guerre n’est pas inéluctable. Nikita Khrouchtchev se fait ici le porte-parole assumé de la tendance représentée par Eugen Varga, qui avait fait vaciller le Parti dans l’immédiate après-guerre.
Cette tendance reprit la main, dans les failles du XIXe congrès, dès la mort de Staline.
Immédiatement, la presse soviétique abandonna toute dénonciation des États-Unis, y compris pour de récents incidents. La collaboration avec ce pays durant la Seconde Guerre mondiale fut mise en valeur. La presse américaine, ainsi que les radios, reçurent des visas le 25 mars 1953 pour une semaine de visite de Moscou.
Cette approche se généralisa à tous les niveaux diplomatiques, avec une véritable offensive de charme envers les diplomates et des communiqués officiels particulièrement mesurés.
À l’arrière-plan de la liquidation de l’appareil de sécurité d’État, on a toute une nouvelle mise en perspective, celle de l’URSS séparée du monde et acceptant un rapport pacifique-bourgeois avec les pays capitalistes, alors que les forces productives sont développées sans bataille idéologique.
C’est la rencontre de la faction portée par l’analyse d’Eugen Varga et des erreurs du XIXe congrès de 1952.
Voici la thèse fondamentale de Nikita Khrouchtchev dans son rapport, reprenant directement les arguments d’Eugen Varga et reflétant la capitulation devant l’impérialisme pour une clique bureaucratique aspirant à devenir bourgeoisie :
« Les marxistes doivent prendre en considération la possibilité de conjurer les guerres à notre époque, s’ils tiennent compte des changements de portée historique mondiale qui se sont produits au cours des dernières années (…).
A l’heure actuelle la situation a foncièrement changé. Le camp mondial du socialisme est né, et il est devenu un atout puissant. Les forces de la paix y trouvent non seulement des moyens moraux, mais également les possibilités matérielles de prévenir l’agression.
Au surplus, il existe actuellement un groupe d’États ayant une population s’élevant à des centaines de millions d’habitants qui luttent activement contre la guerre. Le mouvement ouvrier, dans les pays capitalistes, constitue de nos jours une force considérable. Le mouvement des partisans de la paix est né et est devenu un facteur puissant (…).
Les guerres ne sont pas inévitables, elles ne sont pas fatales. Pour empêcher les impérialistes de déclencher la guerre et, au cas où ils oseraient le faire, pour infliger une riposte foudroyante aux agresseurs et déjouer leurs plans, il faut que toutes les forces engagées, contre la guerre soient en alerte et qu’elles fassent front, unies, sans relâcher pourtant leurs efforts dans la lutte pour le maintien de la paix. »
On notera que, si l’on ne parvient pas à voir la thèse d’Eugen Varga au filigrane du propos de Nikita Khrouchtchev, alors cela peut très largement sonner comme les thèses du XIXe congrès, avec l’affirmation du camp de la paix (le XIX congrès considérant cependant que la guerre est inévitable car liée à la nature même du capitalisme).
Nikita Khrouchtchev présente toutefois un élément nouveau : la dimension subjectiviste dans le rapport à la guerre, conforme aux intérêts de la clique qu’il représente pour une « coexistence pacifique » avec l’impérialisme :
« D’ordinaire, souligne d’ailleurs M. Khrouchtchev, l’on n’envisage qu’un aspect de la question : l’infrastructure économique des guerres sous l’impérialisme. Mais cela est insuffisant.
La guerre n’est pas seulement un phénomène économique. Le rapport des forces de classe, des forces politiques, le degré d’organisation et la volonté consciente des hommes ont une grande importance pour déterminer si la guerre aura lieu ou non.
Bien plus, dans certaines conditions, la lutte des forces sociales et politiques d’avant-garde peut, à cet égard, jouer un rôle décisif. »
Cette thèse sera très largement développée par la suite par l’URSS et l’un de ses principaux fronts idéologiques, notamment dans les pays capitalistes.