Pourquoi Aristote a-t-il rompu avec Platon, son maître ? Et pourquoi surtout en est-il arrivé au point de dire le contraire de ce que celui-ci formulait ? Pourquoi l’idéalisme de Platon a-t-il connu, immédiatement historiquement, une réponse dialectique par le matérialisme d’Aristote ?
La raison en est la suivante. Platon avait formulé un système idéaliste où un monde parfait, toujours pareil, avec des choses « pures », surplombait un monde matériel où tout était imparfait, jamais pareil, toujours impur. En haut, c’était le monde des idées, en bas le monde matériel.
C’est le sens de l’allégorie de la caverne, qui n’est pas tant une opposition entre vérité et mensonge (comme on en fait un raccourci éducatif de nature « philosophique »), qu’entre un monde matériel illusoire qu’il faut abandonner et une lumière divine du monde d’en haut, seule véritable réalité. Le niveau intermédiaire, symbolisé par le jeu de marionnettes devant un feu, avec les ombres sur le mur que voient les esclaves enchaînés, représente les nombres qui viennent du « 1 » divin et qui ont amené la matière informe (la « multiplicité ») à avoir telle ou telle disposition.
Or, quoi qu’on pense de ce système, il a une faille, et de taille. En effet, les choses d’en bas ne sont pas que « imparfaites », jamais pareil, « impures ». Elles connaissent une évolution. Elles deviennent plus grandes, plus petites. Elles se déplacent. Elles interagissent. Il s’en passe donc bien des choses dans le monde d’en bas, pour quelque chose censé être sans intérêt, sans valeur.
Et, pour observer ces choses, il faut utiliser les catégories d’espace et de temps, de fini et d’infini, de mouvement et de repos, d’antérieur et de postérieur, d’ajout et de privation, de grand et de petit, de ligne composée unitairement et de points séparés. Comme on le voit ici, on a des oppositions dialectiques. Cela suffisait pour qu’émerge intellectuellement la démarche d’Aristote.
Il fallait par contre un détonateur matérialiste : la reconnaissance de la réalité, de la dignité du réel. On l’a ici, Aristote s’élançant dans une grande interprétation de la réalité matérielle du monde. C’est le document appelé « La physique ».
Il y a, cependant, évidemment un prix à payer. Étant donné que la physique matérialiste d’Aristote est une réponse historique à l’idéalisme de Platon, alors la focalisation va se situer sur la réalité matérielle, pas sur la matière elle-même.
Dans l’ouvrage appelé La physique, Aristote n’étudie en effet pas la matière elle-même, mais les modalités générales de son existence. Il s’intéressera concrètement aux principes de telle ou telle caractéristique matérielle dans d’autres ouvrages, telle L’histoire des animaux, La météorologie, Le traité du ciel, Le traité de la génération et de la corruption.
Il ressentira également le besoin de comprendre ce qui permet les modalités de l’existence matérielle. Les écrits à ce sujet forment l’ouvrage appelé La métaphysique. Dans La physique, Aristote parle de comment les choses existent ; dans La métaphysique, de comment elles sont amenés à exister.
Le point commun de la « physique » et de la « métaphysique » est que tout s’appuie sur le principe de la dynamique. Il y a une dynamique portant la matière, l’amenant à être en mouvement. Elle serait sinon statique.
Cette conception sera renversée par la suite, avec notamment trois auteurs ici fondamentaux : Galilée, Newton, Kant. Ces auteurs vont en effet affirmer l’espace et le temps. Cela correspond à l’affirmation de la bourgeoisie qui, transformant la réalité, en circonscrit les domaines concrets, tels l’optique, la gravité, la chimie, le magnétisme, l’électricité, etc.
Il n’y a alors plus de place pour une simple opposition statique/en mouvement. Tout est en mouvement tout le temps, ce qui est statique ne l’est que par une opposition de forces. Chez Aristote par contre, ce qui est en mouvement a été mu.
Avec le développement des forces productives de son époque, Aristote ne pouvait pas arriver à une telle perspective concrète. Il ne pouvait trouver le mouvement que comme impulsion extérieure, tout comme le maître ordonne à l’esclave d’avoir telle activité. Sa vision de la dynamique de la matière est ici le reflet de son époque, avec ses limites.
C’est cependant un moment clef de l’histoire du matérialisme.
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