Les scissionnistes avaient admirablement bien mené leur opération. Les partisans de l’Internationale Communiste pensaient en être débarrassés ; Ludovic-Oscar Frossard dit ainsi :
« Ne nous dissimulons pas que la scission qui est intervenue est une scission de chefs bien plus qu’une scission de troupes – je pourrais même dire qu’elle est surtout une scission d’élus. (Applaudissements.) »
C’était là une illusion totale, fondée sur une incompréhension d’un affrontement entre lignes. Les scissionnistes avaient formé un bloc et posé lors du congrès les bases de leur structuration. C’est tout à fait flagrant quand on voit les propos de Léon Blum au congrès de Tours quant à la défense nationale.
Feignant l’humilité, prétendant s’empresser de quitter la tribune, Léon Blum a donné des gages à la bourgeoisie pour la suite :
« Nous avons volontairement posé le problème dans notre motion. Nous avons affirmé quelque chose, et nous l’affirmons encore : il y a des circonstances où, même en régime capitaliste, le devoir de défense nationale existe pour les socialistes. (Mouvements divers).
Je ne veux pas entrer dans le fond du débat.
[Une voix : Précisez.]
Non. Je ne veux pas prendre corps à corps une pensée qui, au fond, est une pensée tolstoïenne ou néo-chrétienne plutôt qu’une pensée socialiste.
[Un délégué : Précisez les cas ; faites une hypothèse.]
C’est bien simple : l’hypothèse d’une agression caractérisée, l’attaque de quelque nation que ce soit. (Mouvements divers, bruits, cris : « À bas la guerre ! ». Les délégués entonnent L’Internationale. Tumulte)
[Le président : La parole est à Pressemane avec l’autorisation du camarade Blum.
Voix nombreuses : Non ! Non ! (Bruit)]
Je suis resté quelques minutes de trop à la tribune. Je vous remercie de l’attention que vous m’avez prêtée. Les derniers mots que j’ai prononcés ont fait apparaître chez vous des sentiments que vous exprimerez, j’espère, dans votre motion, car elle est encore muette sur ce point. (Applaudissement sur les bancs de droite, cris, tumulte)
Cela dit, je me hâte de conclure et de descendre de la tribune.
Sur les questions d’organisation, sur les questions de conception révolutionnaire, sur les rapports de l’organisation politique et de l’organisation corporative, sur la question de la dictature du prolétariat, sur la question de la défense nationale, je pourrais dire aussi sur ce résidu sentimental de la doctrine communiste, que nous ne pouvons pas plus accepter que sa forme théorique, sur tous ces points, il y a opposition et contradiction formelles entre ce qui a été jusqu’à présent le socialisme et ce qui sera demain le communisme. »
Léon Blum ne quitta évidemment pas la tribune, continuant son discours.
Daniel Renoult intervint dans la foulée pour le dénoncer vigoureusement, fort logiquement :
« Je déclare que, en effet, à l’heure actuelle, après le discours provocateur que vous venez d’entendre, il est impossible que des socialistes vraiment révolutionnaires cohabitent dans le même Parti avec Léon Blum ! »
Cela était juste, mais pour autant le congrès avait laissé un immense espace à Léon Blum qui, dans les faits, avaient bien plus que les tenants de la IIIe Internationale compris que le bolchevisme est une idéologie tout à fait complète :
« Le IIe congrès international de Moscou avait eu de toute évidence le caractère d’une sorte de Congrès constituant.
Sur tous les terrains, au point de vue doctrinal comme au point de vue tactique, il a énoncé un ensemble de résolutions qui se complètent les unes et les autres et dont l’ensemble forme une sorte d’édifice architectural, entièrement proportionné dans son plan, dont toutes les parties se tiennent les unes aux autres, dont il est impossible de nier le caractère de puissance et de majesté.
Vous êtes en présence d’un tout, d’un ensemble doctrinal. Dès lors, la question qui se pose à tous est la suivante : Acceptez-vous ou n’acceptez-vous pas cet ensemble de doctrines qui ont été formulées par le Congrès de l’Internationale communiste ?
Et accepter – j’espère qu’il n’y aura aucune divergence de pensée sur ce point – accepter, cela veut dire, accepter dans son intelligence, dans son cœur et dans sa volonté ; cela veut dire accepter avec la résolution de se conformer désormais d’une façon stricte dans sa pensée et dans son action, à la nouvelle doctrine qui a été formulée.
Toute autre adhésion serait une comédie et indigne du Parti français.
Vous êtes en présence d’un ensemble. Il n’y a même pas lieu d’ergoter sur tel ou tel point de détail. Il s’agit de voir la pensée d’ensemble, la pensée centrale.
Si vous acceptez avec telle ou telle réserve de détail, peu importe. On ne chicane pas avec une doctrine comme celle-là.
Mais si vous contestez des parties essentielles, alors vraiment vous n’avez pas le droit d’adhérer avec des réticences, avec des arrière-pensées ou avec des restrictions mentales.
Il ne s’agit pas de dire : « J’adhère, mais du bout des lèvres, avec la certitude que tout cela n’est qu’une plaisanterie, et demain, le parti continuera à vivre ou à agir comme il le faisait hier ».
Nous sommes tous d’accord pour rejeter de pareilles interprétations. (Applaudissements). »
Léon Blum n’hésita pas à dire qu’il avait mieux compris la IIIe Internationale que ses partisans, que d’ailleurs la IIIe Internationale reconnaît tout à fait qu’elle veut refonder entièrement les socialistes français, sur une nouvelle base.
En ce sens, il avait un coup d’avance sur les partisans de l’Internationale Communiste, qui de leur côté n’avaient pas saisi l’ampleur de la rupture.
Leur manifeste écrit par Paul Vaillant-Couturier se fonde d’ailleurs sur une sorte de combinaison du « socialisme français » avec l’Internationale Communiste.
Pour cette raison, la Section Française de l’Internationale Communiste naît aisément mais se précipite dans une liste sans fin de problèmes, alors que les scissionnistes naissent dans le chaos mais disposent d’une matrice déjà mise en place, leur permettant de se réactiver avec aisance, récupérant même le nom de Parti socialiste SFIO.