Le Sport à Paris d’Eugène Chapus

L’éducation physique, la gymnastique et le sport sont des produit du XIXe siècle, portés par la bourgeoisie ascendante. Ils reflétaient une exigence de modernité, dans le prolongement de la pensée humaniste et matérialiste faisant du corps une préoccupation primordiale.

L’éducation physique, la gymnastique et le sport sont cependant des phénomènes d’une grandes complexité, marqués par les contradictions de la société et profitants d’héritages multiples. C’est ainsi que l’aristocratie française a joué un grand rôle pour le sport, car elle tentait de maintenir ses positions en apparaissant elle-aussi comme moderne au XIXe siècle.

Le terme de sport est apparu en France dans Le sport à Paris d’Eugène Chapus en 1854. Il s’agit d’une sorte d’annuaire mondain écrit par un aristocrate dandy décrivant dans le détail un certain nombre d’activités se développant à Paris au XIXe siècle, sur le modèle anglais.

« Mais parmi ces plaisirs, le sport occupe aujourd’hui une spéciale et belle place. 

Depuis quelques années, le goût de la jeunesse parisienne se porte avec un entraînement de plus en plus vif vers ces divertissements aristocratiques, ces passe-temps de la belle existence, qui, éloignant l’homme des amusements qui n’intéressent que les sensations, qui abaissent et affaiblissent le caractère, mettent à l’épreuve ses aptitudes diverses, le courage, l’adresse, l’agilité, la souplesse, et le préparent plus qu’on ne le pense, en le grandissant et en le poétisant, aux carrières utiles et brillantes de la société. »

Nombre d’activités physiques, sous forme d’affrontements et de jeux, existaient en France avant l’apparition du sport. À part le jeu de paume, qui de toutes façons avait quasiment disparu en France, ces activités physiques n’avaient pas la dimension et la sophistication des sports. Ces derniers étaient développés et structurés via les clubs, d’inspiration anglaise, et souvent même d’importation anglaise.

Le sport est à cette époque surtout un divertissement mondain, volontairement distant des masses populaires. Les exploits, records et victoires, font partie inhérente du sport. C’est grâce à la presse qu’ils sont diffusés et valorisés.

Eugène Chapus

Dans Le sport à Paris, Eugène Chapus commence par décrire le turf. Il s’agit de courses de chevaux. C’est l’activité sportive la plus importante à Paris avec quatre hippodromes : le Champs de Mars, Chantilly, Versailles et le domaine de la Marche. D’autres plus prestigieux seront ensuite construits en réponse à cet engouement.

Est déjà constitué à cette époque un jockey-club qui organise les courses ; les paris y tiennent un rôle important, annonçant la place prépondérante qu’ils auront ensuite pour les courses hippiques.

Si le modèle anglais est copié, il y a en même temps la volonté de se démarquer, d’insister sur un art de vivre à la française, plus raffiné, plus posé et plus fin. On peut ainsi lire :

« La physionomie de nos réunions est plus calme : on voit que la passion hippique est chez nous dans sa phase naissante, mais on peut en même temps pressentir que, sous des influences favorables, elle pourrait grandir, devenir plus ardente et plus envahissante.

Ce que nous n’avons pas encore en cohue, en acclamations, en faste, nous l’avons en élégance et en gaieté : les places de l’enceinte du pesage sont généralement occupées, quand le temps est propice, par des dames qui, de loin ou de près, appartiennent à ce monde de sport, soit par le goût, soit par la fortune, soit par des ramifications de parenté et d’affection.

Du moins leur présence à ces places veut le dire. Elles y sont pour ainsi dire mêlées aux hommes du jockey-club et à la foule des sportmen qui vont et viennent sous leurs yeux, les abordent, les quittent pour revenir auprès d’elles, leur apporter la nouvelle qui circule, les détails de l’incident qui survient ou la chronique qui se débite à propos d’un personnage ou d’un équipage qu’on a vu. »

On a là cependant surtout un style aristocratique, l’auteur étant lui-même partisan de la restauration, assumant des divertissements féodaux. Ainsi la chasse à courre est décrite comme une grande activité mondaine parisienne, et considérée comme un sport :

« La sœur jumelle des courses de chevaux est la chasse à courre. »

Sur le modèle anglais sont repris le style et les codes de la vénerie, c’est-à-dire les chasses royales dans les bois et forêts où tout repose sur le travail des chiens. Les chasseurs étant censés montrer leur habilité à la conduite du cheval et leur capacité à suivre et diriger la meute de chiens.

Un des ouvrages écrits par Eugène Chapus

Cela donne lieu à un mélange baroque entre un effet de mode anglais moderne et l’affirmation d’une tradition française, de type aristocratique. L’aspect moderne, et donc sportif, est cependant très mis en avant, les récits de chasse étant l’occasion de montrer des exploits physiques, tant d’adresse et de vivacité d’esprit que d’endurance et de force.

Il est expliqué que les chasses anglaises sont

« plutôt des occasions de mouvement et des épreuves d’équitation que des chasses véritables »

et que :

« ces courses suffisent pour montrer un élégant costume de chasse, un bon et beau cheval de selle, et pour accroître l’énergie de l’estomac : c’est tout ce qu’il faut.»

Dans le même genre d’activité glauque et macabre, le tir au pigeon en plein Paris est mis en avant :

« Nulle part on ne trouve plus d’occasion de se familiariser avec le tir au fusil ; nos tirs sont très en vogue, et, parmi tous ceux que fréquente la jeunesse parisienne, le tir au pigeon occupe sans contredit la première place. »

Là aussi, la dimension sportive se veut primordiale, les qualités physiques sont promues. Un adversaire choisi une corde reliée à une trappe qu’il tire, après avoir feinté plusieurs fois :

« La trappe à laquelle elle correspond tombe, le pigeon sent l’air et s’enlève. Il ne vous a pas été possible de prévoir de quel côté le coup vous serait offert. Vous épaulez vite, car l’oiseau, dans son amour de la liberté, part d’instinct et d’un vol énergique. »

Le tir aux pigeons sera par ailleurs l’une des épreuves officielles des Jeux Olympiques de 1900.

Sont également mis en avant dans Le sport à Paris les salles d’armes et les maîtres d’escrime ainsi que la boxe française (qui est alors la nouvelle appellation de la savate), le bâton et la canne, mais aussi la lutte.

La savate ou boxe française

Le jeu de paume est présenté, tout en expliquant qu’il a alors pratiquement disparu. Il est valorisé, non pas dans sa forme populaire et réellement existante, mais d’une manière romantique, dans une forme aristocratique :

« Ce qui prouve combien nous sommes faits, nous autres Français, pour ce genre d’exercices, c’est qu’en dépit des préoccupations vénales qui pompent et dessèchent le sentiment de la grande existence, en dépit de la prétention à la gravité, maladie de notre génération, il se succède toujours parmi nous des hommes qui en maintiennent et perpétuent les traditions. »

De manière plus intéressante, l’engouement parisien pour la natation et les nombreuses piscines (bains) que comporte la ville de Paris est présenté de manière assez brillante, avec une description assez fine et précise de l’ambiance :

« À l’école de natation, la suprématie des rangs disparaît dans l’uniformité du peignoir et du caleçon exigé pour tous. Il n’y a plus de distinction que dans l’art de piquer les têtes, de faire la coupe ou les coulants, de remonter, sans faiblir, les eaux du fleuve. 

Les grands dignitaires de l’école de natation sont ceux qui risquent les têtes à la hussarde du haut du tremplin, ou qui se jettent crânement du sommet du perchoir dans le bassin ; c’est celui qui, comme M. Morissot par exemple, gagne cinq cents francs au prince de Stourdza en pariant, étant dans l’eau, de lire à haute voix pendant dix minutes, et en tenant le livre des deux mains sans l’exposer au contact d’une seule goutte d’eau.

C’est surtout Lireux, Meissonnier, Al. Karr, Tilmant de l’Opéra-Comique, qui remontent lestement le courant du fleuve, du pont Louis XVI au Pont-Royal. »

Le billard, le jeu de boule, l’équitation et les manèges, le patin à glace ou encore la danse, « qu’on peut appeler le sport des femmes », sont aussi présentés comme du sport.

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de la gymnastique et du sport en France