La définition du sport par Eugène Chapus

Eugène Chapus a fait plus qu’introduire le terme de sport en France, il est une figure incontournable ayant contribué à le définir. Il en a d’abord donné directement le sens dans son ouvrage de 1854 Le sport à Paris, puis l’a diffusé au fur et à mesure des articles du journal qu’il a fondé la même année, Le Sport, journal des gens du monde.

Il explique dès le début du Sport à Paris :

« Si nous n’avions adopté le mot sport, ce serait, par la vague et incomplète désignation de plaisir qu’il faudrait le traduire dans notre langue : car le sport c’est le plaisir, mais le plaisir défini, le plaisir qui, en mettant à contribution une ou plusieurs aptitudes de l’homme, lui devient une occasion d’exercice, de mouvement, de paris, de jeu, et exige toujours le concours d’un monde plus ou moins nombreux.

Tel est le sport dans sa vaste et moderne acceptation. »

L’importance du sport pour l’hygiène de vie est très bien saisi par Eugène Chapus, dans le prolongement des pensées humanistes au sujet de l’activité physique :

« Les plaisirs et les déduits qu’on désigne sous le nom de sport sont d’ailleurs une nécessité hygiénique et le complément de la vie des grandes métropoles. »

Le chapitre consacré au cirque est tout à fait intéressant pour la définition du sport, il est d’une grande valeur historique. Le cirque est d’abord présenté comme requérant de grandes qualités physiques, une grande connaissance des mouvements du corps.

Mais il est ensuite expliqué en quoi il y a pourtant une différence avec le sport :

« Mais ni le Cirque ni l’Hippodrome n’appartiennent au vrai sport. Il n’y a jamais sport, nous le répétons, sans l’idée accessoire d’incertitude, d’éventualité. Le sport implique rigoureusement trois choses, soit simultanées, soit séparées : le plein air, le pari et l’application d’une ou de plusieurs aptitudes du corps.

Au Cirque et à l’Hippodrome, tout est prévu, réglé d’avance : ce sont des théâtres qui ont des spectateurs, et qui fondent quelques-unes de leurs attractions des éléments du sport façonnés à leur gré ; c’est, si on veut, le sport éreinté, galvaudé, mis à la portée du vulgaire, et qui ne peut avoir d’autre effet que d’occuper les yeux.

Le reproche le plus mince qu’on puisse adresser au Cirque, c’est celui de la monotonie. Depuis cinquante ans nous assistons régulièrement aux mêmes exercices de voltige. Toutes ces scènes mimées sont les mêmes, quel que soit le nom dont on les décore. »

Ce qui est expliqué en substance, c’est le caractère compétitif du sport, qui relève du jeu, de l’affrontement codifié, et non d’une mise en scène comme pour l’art. De manière encore imparfaite, l’insistance sur les paris et le jeu non « réglé d’avance » annoncent en fait le sport du XXe siècle.

Le chapitre du livre consacré au canotage est tout à faire remarquable lui aussi à ce sujet. C’est là encore d’une grande valeur historique. Sont d’abord présentées et décrites de manière lyrique les ballades sur l’eau à Paris, très populaires.

Voici un extrait de cette présentation :

« Les uns remontent fièrement le courant, les autres suivent le fil de l’eau. Si le vent est contraire, ils louvoient et passent avec la rapidité de la flèche d’une rive à l’autre.

Les heures coulent comme le fleuve, heures de plaisir bien franc, bien naïf, qui laissent au cœur le repos et à l’esprit toutes les nonchalances de l’Orient. »

Est ensuite fait, et mis en opposition, un plaidoyer en faveur du sport :

« Cependant le canotage renfermé dans de pareilles limites n’est point à la véritable hauteur où il doit être placé parmi les exercices du sport. De tous ces exercices, il n’en est pas de plus utile et, sauf les courses, nul ne présente un spectacle plus grandiose.

A voir ce qui se passe à Paris, on ne s’en douterait guère.

Le canotage, dans sa véritable acception, est l’essence même du sport ; sa gymnastique a l’inappréciable avantage d’exercer le corps et le courage à un haut degré, et, tandis qu’il offre un plaisir très vif, des récréations très poétiques, une émulation d’amour-propre, il est la meilleure école à laquelle le marin puisse se former.

En France, on se complaît avec une certaine naïveté dans des préjugés nombreux et très-profondément enracinés contre le canotage ; on ne veut voir dans le canotage, même pour nos fils de prolétaires, que des occasions d’oisiveté bonnes tout au plus à façonner des flâneurs ; mais en revanche, on approuve on encourage chez eux le goût des arts, on leur ouvre des écoles de dessin et de musique, c’est-à-dire qu’au lieu de travailler à faire des hommes robustes, puissants de musculature, et par conséquent utiles de plus d’une manière, on fait des ambitieux qui se croient une valeur dès qu’ils savent barbouiller un toile ou chanter un rondeau.

L’Angleterre ne procède pas ainsi.

Elle sait trop bien quel parti on peut tirer des hommes courageux, adroits et forts ; elle sait trop de quel embarras et de quelle turbulence est l’artiste à la demi-vocation : au contraire de nous, son indifférence est pour ce dernier ; ses encouragements, ses sympathies sont pour les premiers.

Il existe dans toutes les villes d’Angleterre des sociétés de régates, des clubs de canotiers dont les membres se composent de jeunes hommes de bonnes et nobles familles. Cambridge et Oxford ont les leurs, et c’est quelque chose de remarquable l’émulation que ces deux universités déploient dans les luttes publiques, dans les régates qui doivent décider de leur préséance.

Le canotage en Angleterre n’est pas un jeu ; c’est une occupation sérieuse, un enseignement qui a ses disciples, ses centres, ses clubs, ses statuts, ses règlements, ses encouragements.

L’époque des régates est toujours précédée d’une période de temps consacrée à l’entraînement des jouteurs. Les Anglais, qui mettent une grande verve d’amour-propre dans tous ce qu’ils font, n’acceptent pas volontiers la défaite, et pour l’éviter ils ne reculent devant aucune épreuve.

Pendant deux mois celui qui doit figurer dans une joute vite de la manière la plus réglée. Il est tempérant et chaste, sa nourriture est riche sans être abondante ; il s’abstient complètement de spiritueux : c’est à cette condition qu’il peut espérer de vaincre son adversaire en résistance et en vigueur. »

Eugène Chapus insiste tellement sur le sport pour le valoriser qu’il en rejette de manière unilatérale les balades.

Le pavillon du Rowling-Club de Paris en 1898

Expliquant qu’une société de régate, The Paris amateur Rowing club, s’est monté à Paris, il précise alors :

« Cette assemblée, mi-partie anglaise et française, est destinée à opérer dans les exercices du canotage une révolution semblable à celle que le jockey-club a introduite sur le turf de France (…).

Par elle enfin le canotage deviendra une partie du beau sport pour cesser d’être un prétexte de flânerie aquatique ou de ballade, comme ils disent. »

=>Retour au dossier sur les origines de l’éducation physique,
de la gymnastique et du sport en France