Ce qui caractérise l’école de Francfort, c’est une désignation de l’industrialisme. La critique née chez des intellectuels juifs bourgeois sympathisant avec la cause communiste émergeant en octobre 1917, mais incapable de suivre le prolétariat.
Cela produisit une théorie critique, mêlant moralisme juif et allemand (avec Kant) à une lecture « industrialiste » de la société, par peur d’assumer le principe marxiste de mode de production.
Si au début il y a de grandes ambiguïtés dans la démarche dans son rapport avec le marxisme, l’intégration aux institutions américaines, puis ouest-allemandes éjecte tout rapport, de près ou de loin, avec le communisme, à part chez Herbert Marcuse qui développe une ligne pro-mouvement étudiant de type para-maoïste, au nom du caractère central de la culture dans une société industrielle.
Pour les intellectuels bourgeois d’ailleurs, l’école de Francfort est assimilée à une critique de l’industrie culturelle, et c’est la figure de Walter Benjamin qui est la plus appréciée.
Il y a toutefois une chose qu’il faut comprendre : l’école de Francfort apparaît avant tout historiquement comme une réaffirmation de la thèse réformiste de la fin du 19e siècle, mise en avant par Bernstein, selon laquelle il fallait remettre en question la thèse de Marx dans le capital d’une paupérisation devant inéluctablement se systématiser, en raison de la chute tendancielle du taux de profit.
Cette remise en cause de la thèse de Marx, à la différence d’au 19e siècle, se veut justifiée par la généralisation de la consommation de masse. C’est ainsi la thèse d’une nouvelle variante de capitalisme.
Le fond de cette thèse intellectuelle – critique tient alors en la thèse d’une super-production capitaliste se débordant elle-même en permanence afin de maintenir les gens dans leur aliénation.
C’est la thèse, également exposée par l’économiste français du PCF Paul Boccara dans les années 1960-1970, d’un capitalisme qui se survit à lui-même, en développant artificiellement une consommation, au moyen du « capitalisme monopoliste d’État ».
Cependant dans l’école de Francfort, la source du maintien du capitalisme n’est pas le rôle accru de l’État, mais la consommation. Dans son intervention à la 16e conférence de la sociologie allemande en 1968, intitulée Capitalisme tardif ou société industrielle ?,Theodor Adorno expose ainsi la question de son point de vue :
« On peut se fonder sur les convergences entre les pays les plus avancés technologiquement, les États-Unis et l’Union soviétique.
En termes de niveau de vie et de conscience, les différences de classe deviennent beaucoup moins visibles dans les États occidentaux d’importance que dans les décennies pendant et après la révolution industrielle.
Les prédictions de la théorie des classes, telles que celles de la paupérisation et de l’effondrement, ne se sont pas matérialisées aussi radicalement qu’il faut le comprendre si elles ne doivent pas être simplement ignorées ; on ne peut parler que de manière comique d’un appauvrissement relatif.
Même si la loi ambiguë de Marx sur la baisse du taux de profit comme immanent au système s’était avérée vraie, il faudrait admettre que le capitalisme a découvert en lui-même des ressources qui permettent de remettre l’effondrement aux calendes grecques – des ressources dont relèvent incontestablement l’immense augmentation du potentiel technique et donc aussi la quantité de biens de consommation dont bénéficient tous les membres des pays hautement industrialisés.
En même temps, compte tenu de ce développement technique, les rapports de production se sont avérés plus élastiques que Marx ne le croyait. »
Des jeunes intellectuels vont voir ici la possibilité de prolonger la lecture de l’école de Francfort. Si les rapports de production se sont montrés plus élastiques, si les luttes de classe ne donnent rien, c’est qu’en fait le prolétariat est une composante du capitalisme, et que le capitalisme se survit à lui-même au moyen d’un capital fictif faisant tourner la machine capitaliste à l’infini, telle une sorte de casino à crédit.
C’est la « critique de la valeur ».
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L’école de Francfort, la théorie critique et la critique de la valeur