L’économiste Eugen Varga et le 5e congrès de l’Internationale Communiste

Eugen Varga fut beaucoup plus présent lors du cinquième congrès. C’est lui qui fit le long exposé sur La situation économique mondiale, où il exposa la ligne de l’Internationale Communiste selon laquelle on est bien dans le déclin du capitalisme, mais que ce déclin a des cycles et que les gauchistes ont tort de voir les choses de manière unilatérale et de croire à un effondrement capitaliste à très court terme.

Il dut pour cela faire face à une critique de Radek :

« Camarades ! Nous avons ici écouté l’exposé du camarade Varga sur la situation économique mondiale, tous les camarades n’ont pas été en mesure de l’écouter mais sa conception est présentée dans la brochure Montée ou déclin du capitalisme.

Camarades, j’apprécie beaucoup les travaux du camarade Varga, tout comme le fait le camarade Zinoviev [qui est en accord avec Eugen Varga] ; il est pour nous comme le lait de Nestlé, il est pour nous « la vache dans la boîte », il nous fournit le matériel sur la situation de l’économie mondiale de tous les journaux bourgeois ; nous n’avons pas le temps de nous occuper cela nous-mêmes.

Le souci est que comme tous les gens diplômés le camarade Varga ne tend pas à la bagarre, c’est quelqu’un de très pacifique. Dans sa brochure, il écrit la chose suivante :

« La crise sociale aiguë du capitalisme, la rébellion instinctive, non organisée de la classe ouvrière à la fin de la guerre contre la société capitaliste apparaît grosso modo comme surmontée.

Par contre, les contradictions « normales » de la société capitalistes apparaissent comme très aggravées par la concentration et la centralisation continues d’un côté, par la formation de partis de masses avec une conscience révolutionnaire de l’autre. »

C’est une conception tout à fait juste. C’est la conception des 3e et 4e congrès et c’est la conception qui exprime le fait que la seconde vague de la révolution, la conscience des masses et leur volonté de lutter maintenant pour le pouvoir, a connu un reflux momentané.

Maintenant les forces de la révolution travaillent en rapport avec tout un nombre de nouvelles crises, qui vont nous amener la troisième vague.

Varga a exprimé dans son exposé et ses thèses de manière bien plus affaiblie le premier passage du texte cité. Chez Shakespeare, le lion roucoule comme un pigeon, et ici rugit comme un lion notre doux et appréciable pigeon, le camarade Varga. »

Ulmer, de la délégation allemande et reflétant le point de vue gauchiste de celle-ci, fera une longue déclaration allant dans le même sens et dénonçant le point de vue d’Eugen Varga considéré comme un grand recul dans l’affirmation de la crise générale du capitalisme et des possibilités de soulèvement.

Kreibich, de la délégation tchécoslovaque, ira dans un sens similaire, mais de manière bien moins agressive. Il dit à ce sujet :

« J’ai moi aussi étudié avec attention l’exposé et les thèses du camarade Varga et je trouve qu’il y a du vrai dans la critique faite ici par un camarade allemand.

Je ne peux pas m’empêcher d’avoir l’impression que le camarade Varga a façonné les prévisions pour la prochaine période d’une telle manière qu’il ne puisse en aucun cas être désavoué par le développement des choses.

Il y a tellement de d’un côté et de de l’autre côté, tellement de portes de sortie là-dedans, que finalement on peut considérer tout comme possible et rien comme exclu, et qu’à la fin on ne peut que dire : on ne sait rien de certain.

Je ne fais pas un reproche au camarade Varga pour cela, j’en aurai aucun droit, parce que je n’en sais pas plus que lui. Mais j’ai le soupçon avec ses formulations imprécises que ses perspectives sont plus pessimistes que cela est dit dans ses thèses, et qu’il n’a fait que s’adapter en un certain sens au cours allant à gauche. »

Kreibich souligne que de son point de vue, la situation du capitalisme est bien plus désespérée que ne le formule Eugen Varga, puisque six années après la fin de la guerre, il ne s’en sort toujours pas du marasme, tout en accentuant la pression sur la classe ouvrière, qui ne peut que renforcer la lutte de classes en réponse.

La perspective d’une consolidation, d’une période plus calme, pacifique, lui apparaît comme invraisemblable.

Eugen Varga se défendit dans son discours de conclusion des débats, rejetant les critiques et s’opposant à ce qu’il considère comme une déviation gauchiste. Zinoviev intervint lui-même à la fin des débats sur la situation économique mondiale pour le défendre Eugen Varga :

« On dit que Varga aurait exprimé des « déviations pacifistes ». Oui, quand on voit Varga, son apparence, alors on peut bien dire qu’il a des déviations « pacifistes » (rires). Varga vient par ailleurs de le prouver ; moi à sa place, je ne me serai pas opposé à Ulmer de manière si « pacifiste » (rires).

Malgré tout, je pense que le schéma que Varga nous a résumé scientifiquement est correct. Les travaux économiques qu’il fait pour l’Internationale Communiste, ses rapports trimestriels, forment un bon matériel.

Je n’en connais pas de meilleur dans les publications internationales. Je pense qu’en ce domaine on devrait tous apprendre de Varga. Je suis prêt à apprendre ici de Varga. Je pense que certains camarades, y compris K.S., en tirerait du bien en apprenant de Varga. »

Zinoviev souligna ensuite que ce n’est pas du pacifisme que de souligner l’existence d’une crise agraire mondiale, du début d’une crise industrielle aux États-Unis, qu’il existait un intermède. D’ailleurs :

« Que se serait-il passé si on avait décidé au troisième congrès : la situation mondiale est telle que le capitalisme connaît ses derniers jours – et ensuite vient le quatrième congrès, et le cinquième, et le capitalisme est toujours en force dans relativement beaucoup de pays ? »

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