L’économiste Eugen Varga et les 3e et 4e congrès de l’Internationale Communiste

Les trois brochures eurent des réceptions qu’il faut prendre en compte, sans les surestimer. Si La crise de l’économie mondiale capitaliste fut largement lu, il n’en fut cependant nullement question lors du troisième congrès, Eugen Varga lui-même n’intervenant pas.

Il y eut bien un débat sur la situation, mais il se lança à la suite de l’exposé, dès le début du congrès, sur La situation économique et les nouvelles tâches de l’Internationale Communiste, fait par Léon Trotsky, avec indubitablement l’appui d’Eugen Varga, et allant par ailleurs dans le même sens.

Délégués au 3e congrès de l’Internationale Communiste, en 1921. Tout à droite : la russe Alexandra Kollontaï. A sa gauche, Clara Zetkine.

Eugen Varga eut l’occasion d’intervenir au quatrième congrès, au début de celui-ci, pour se défendre de tout opportunisme, insistant que sa démarche appelant à une analyse de fond s’appuie sur le fait que la situation est complexe dans les pays capitalistes.

Il revint plus tard à ce sujet pendant le congrès, à l’occasion d’un long exposé très détaillé sur la situation agricole et les très différentes situations existantes, parfois au sein d’un même pays. La déléguée polonaise Korczewa salua cette exigence d’aborder les questions complexes de l’agriculture, dans le cadre de l’exigence léniniste de l’alliance ouvrier-paysan.

Eugen Varga reprit encore la parole par la suite, pour critiquer sévèrement les délégués français considérant que de toutes façons les paysans étaient des contre-révolutionnaires, leur reprochant d’avoir une démarche non dialectique. Il interviendra également au nom de la commission de rédaction du programme de l’Internationale Communiste pour les paysans, soulignant l’importance d’une lettre envoyée par Lénine à ce sujet concernant le nécessaire accord sans ambiguïtés d’un tel document dans son rapport avec les revendications jusque-là mises en avant.

Une anecdote au cours du congrès est que lors de son exposé, Eugen Varga avait mentionné que les délégués de Roumanie avaient répondu « nous ne savons pas » lorsque celui-ci avait demandé l’impact de la redistribution des terres.

Le délégué de Roumanie, Paukert, se vengea lors de son intervention, expliquant que ce n’est pas une honte de reconnaître qu’on ne sache pas, et que d’ailleurs Eugen Varga avait répondu « je ne sais pas » à une question posée sur la différente productivité entre une petite production paysanne et une grande entreprise agricole intensive.

Paukert expliquera par la suite que c’est la petite taille du Parti de Roumanie, en raison de la trahison et de la répression, qui était la source des faiblesses sur le plan de la connaissance, et non le mépris pour la question agraire, comme l’affirmait « la fausse déduction du camarade Varga ».

Bien plus rude fut l’attaque de Boukharine contre Eugen Varga, en qui il voyait un peureux ne cherchant à formuler des choses complexes sur l’analyse des différentes situations que pour éviter l’affirmation volontaire et engagée de la révolution. Boukharine exprimait là le point de vue de l’ensemble des gauchistes au sujet d’Eugen Varga.

Eugen Varga eut donc une réputation de droitier assez forte dans l’Internationale Communiste, et voici comment il répondit à cela, en mai 1925 :

« Il n’y a pas d’analyse « de gauche » ou « de droite » ; il n’y a pas de perspective « opportuniste » ou « révolutionnaire ». Il n’y a que des analyses « correctes » ou « erronées », une perspective correcte ou incorrecte.

Et il peut bien y avoir quelqu’un se voyant comme un si grand révolutionnaire parce qu’il voit tout le temps devant lui la perspective de victoire du prolétariat à court terme : une politique révolutionnaire qui ait du succès ne se laisse obtenir que sur la base d’une analyse correcte, correspondant aux faits, et d’une perspective se fondant là-dessus.

« L’impatience révolutionnaire » ne représente pas une garantie que quelqu’un soit vraiment révolutionnaire de gauche dans le bon sens du mot, comme le prouve le tournant à droite de certains camarades qui revendiquaient de raccourcir les délais lors du IIIe congrès.

Un de ses plus chaleureux partisans, Ernst Friesland, signe aujourd’hui de son véritable nom Ernst Reuter, en tant que rédacteur en chef du [journal social-démocrate] Vorwärts ! »

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