L’écrasement des minoritaires de la CGT en 1921

La majorité avait très bien joué, profitant de la naïveté d’une opposition d’esprit syndicaliste révolutionnaire surtout. D’ailleurs, les syndicalistes révolutionnaires tentèrent de faire face à l’exclusion en tentant la carte de l’unité et non pas de la lutte de deux lignes, tout en assumant la scission et en la réfutant !

Le communiqué des « Comités syndicalistes révolutionnaires » en réponse à la décision du Comité Confédéral National est d’une incohérence complète :

« En dernière analyse, un congrès de la minorité déterminera définitivement la position à prendre en face d’une scission en voie d’accomplissement certain.

Dans cette période difficile, la Comité Central [des C.S.R.] compte sur la discipline librement consentie de tous les adhérents aux C.S.R. (individus et organisations) pour maintenir intacte l’unité de vue et d’action de la minorité syndicaliste révolutionnaire et surmonter la pénible situation que crée une scission qu’il a toujours combattue et qu’il repousse encore de toutes ses forces. »

Les minoritaires proposèrent que les syndicats de la Seine récusent leur rapport avec les « Comités syndicalistes révolutionnaires », mais bien sûr la majorité n’en eut rien à faire.

Quatorze Unions départementales et dix Fédérations appelèrent alors, au nom de la minorité et après une réunion à Paris les 31 octobre et 1er novembre, à ce que les syndicats de la CGT se réunissent à Paris du 22 au 24 décembre 1921, afin de montrer qu’ils étaient pour l’unité et qu’ils n’avaient pas le choix des exclusions comme il était prétendu par rapport à la motion majoritaire du congrès de Lille.

C’était abstraitement certainement juste : la majorité des votants n’avait pas saisi réellement le poids des lignes finales de la motion majoritaire, alors que de toutes façon c’était surtout les minoritaires qui menaçaient de scissionner.

Mais la direction de la CGT mit tout son poids pour empêcher tout ralliement aux opposants, en accusant une opération conjointe du gouvernement, du Parti Communiste et des « Comités syndicalistes révolutionnaires » pour briser la CGT.

Comme, de plus, les minoritaires appelaient à un « congrès » – et non à une conférence – cela pouvait être aisément être présenté comme une tentative de putsch. L’erreur politique est ici absolument complète.

On lit dans le « Suprême appel aux Fédérations nationales, aux Unions départementales, aux Syndicats et aux Syndicats confédérés » effectué par la majorité :

« Camarades,

Les heures que nous vivons sont graves ; le péril est immense ; l’abîme au bord duquel nous sommes placés est large et profond. Un acte malheureux, une intention misérable, une décision criminelle risquent de nous y engloutir et avec nous, une part considérable de civilisation, de progrès social et humain.

La guerre criminelle, des expériences politiques lointaines, et périlleuses ont créé un état de décomposition morale, de famine et de misère à travers le monde.

Les illusions et les chimères aperçues à travers les discours des politiciens ambitieux ont désabusé les classes ouvrières des pays où le capitalisme devait être vaincu par la puissance d’organisation du syndicalisme (…).

En France, c’est la C. G. T. qui est visée.

C’est elle qui sert de cible à toutes les attaques parce que c’est la C. G. T. qui a symbolisé et ennobli toutes ces revendications; parce que c’est elle qui veut reconstruire le secteur de Chaulnes [dans la Somme qui avait été particulièrement détruite par l’armée allemande] en étranglant les appétits particuliers des profiteurs des régions dévastées ; parce que c’est elle qui a lancé l’idée de nationalisation des services publics; parce que c’est la C. G. T. qui représente la force essentielle qui peut mettre le régime capitaliste en péril et assurer son remplacement par l’organisation de la production (…).

L’extrémisme de droite ne craint pas l’extrémisme de gauche. Les extrêmes se justifient l’un par l’autre et se rencontrent souvent dans les mêmes critiques et dans la même haine.

C’est pourquoi une véritable coalition s’est formée contre la Confédération Générale du Travail.

Il est venu d’en haut lors des événements de mai 1920. Il a abouti au tribunal correctionnel où la C. G. T. a été condamnée à la dissolution, condamnation qui pèse encore sur elle aujourd’hui.

Il est venu d’en bas par une campagne immonde et basse alimentée par une presse stipendiée, s’acharnant sur les militants du Bureau Confédéral et de la majorité du mouvement syndical.

Il est venu de Moscou, d’où l’Exécutif de la IIIe Internationale a ordonné de détruire l’Internationale d’Amsterdam par tous les moyens, y compris le mensonge.

Il est venu du Parti communiste français, exécuteur servile et véhicule domestique des ordres de destruction lancés par l’Exécutif de la IIIe Internationale.

Comment la C. G. T. pouvait-elle résister à l’ensemble d’une attaque ainsi caractérisée et aussi puissamment armée ? Comment la C. G. T., issue de l’unité ouvrière, seul groupement ayant réalisé l’unité du prolétariat, pouvait-elle faire pour échapper à la destruction et sauver cette unité ?

PAR LA DISCIPLINE, PAR LE RESPECT DES DÉCISIONS DES CONGRES.

Aux pratiques des C. S. R., aux manœuvres des politiciens, aux menaces des dictateurs et des réactionnaires, il fallait opposer la discipline la plus solide dans l’union la plus complète.

Ceux que l’on a accablés d’injures revendiquent l’honneur d’avoir accompli une partie de cette tâche.

Les résolutions des Congrès d’Orléans et de Lille; les résolutions des Comités nationaux de novembre 1920, février et septembre 1921 n’ont jamais eu d’autre but que de sauvegarder l’unité ouvrière en l’appuyant sur la discipline.

Les destructeurs qui attribuent un objet de scission à ces résolutions sont des menteurs et des hypocrites. Exclure des syndicats indisciplinés n’est pas faire acte de scission, c’est faire courageusement acte d’autorité pour sauvegarder l’unité menacée par le désordre; c’est vouloir débarrasser le mouvement syndical des éléments qui paralysent son action et menacent sa vie (…).

TRAVAILLEURS CONFÉDÉRÉS !

Vous vous trouvez aujourd’hui devant un acte beaucoup plus grave. Au moment où le syndicalisme pouvait espérer entreprendre une action progressive et vaincre le péril réactionnaire, voici que le désordre et l’indiscipline lui plantent un poignard dans le dos.

Après une campagne de diffamation hospitalisée par le quotidien du Parti communiste, voici que ]es dirigeants de quelques Unions départementales et Fédérations nationales prennent la responsabilité de convoquer un Congrès confédéral extraordinaire.

C’est un acte criminel et insensé; un acte de scission caractérisé que, le mouvement ouvrier est appelé à juger.

Jamais la C. G. T. n’a, toléré un tel abus de confiance. Violer les statuts, méconnaître le Comité National, la Commission Administrative et le Bureau Confédéral, jamais des groupements de tendance n’avaient atteint un tel degré d’aberration dans la destruction.

L’acte de convocation, nous le frappons d’interdit. Le Congrès lui-même, nous le déclarons nul : nul dans sa représentation irrégulière, nul dans ses résolutions et motions qui pourront en sortir (…).

SYNDICALISTES !

Nous vous adressons ce suprême appel. Nous vous avertissons que ce Congrès irrégulier, organisé par des dissidents, s’abrite jésuitiquement derrière des prétextes faux.

La vérité, c’est qu’il, est le couronnement d’une campagne de destruction entreprise depuis deux ans et dirigée contre la classe ouvrière.

La vérité, c’est qu’il fait partie du programme offensif imposé par les conditions de Moscou et repris par les thèses du Parti communiste français.

Avertis de vos responsabilités, vous prendrez une décision. Nous prenons, nous, nos responsabilités en vous disant de ne pas participer à ce Congrès.

Nous faisons notre devoir ; à vous de connaître le vôtre.

Songez à l’importance d’un acte semblable d’indiscipline dont les conséquences peuvent être mortelles pour la C. G. T. et nous vous adjurons, cama-rades, d’entendre notre suprême appel.

Vous condamnerez avec nous le Congrès de manœuvre, d’indiscipline et de bluff.

LA COMMISSION ADMINISTRATIVE DE LA C. G. T. »

Le communiqué du 7 décembre 1921 souligne l’exclusion :

« La Commission Administrative de la C. G. T. considère que les organisations qui ont convoqué un semblable Congrès sont en état de rébellion à l’égard des organismes réguliers de la Confédération Générale du Travail.

Elle déclare que si le Congrès projeté a lieu, les organisations qui en ont pris l’initiative se sont d’elles-mêmes placées en dehors de la Confédération Générale du Travail. »

Cela impliquait l’exclusion des 1519 syndicats qui furent présents à leur congrès « unitaire ».

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