La question paysanne, largement incomprise ou refusée, malgré une bonne analyse de la situation, devait ôter au Parti Socialiste SFIO la lecture d’une large pan de la réalité. Mais ce ne sont pas seulement les paysans qui manquent à l’appel : il y a également les femmes.
Au congrès de 1907, l’extension du suffrage universel aux femmes est considérée comme « légitime et urgente ». Cependant, il n’y eut pas de campagne massive en ce sens, le Parti étant réticent à lutter pour le droit de vote à des personnes considérées comme prisonnières de la réaction sur le plan culturel et intellectuel.
Le Parti capitulait devant ce qui le dérangeait, déléguant au syndicat l’organisation des ouvriers, espérant que par les élections il y aurait des vagues d’adhérents, mettant de côté les questions éminemment politiques. La seule politique qui existait, c’est celle de l’attente de quelque chose produisant un écho puissant.
Le second congrès exprime bien cette attente, dans sa salutation aux révolutionnaires russes, au-delà de la dimension internationaliste :
« Le Congrès de Chalon envoie son salut fraternel à l’héroïque prolétariat de la Russie et de la Pologne qui, au prix de sacrifices douloureux et sans nombre, use et brise les forces d’oppression de l’autocratie.
Il envoie également son salut fraternel aux partis socialistes et révolutionnaires qui, depuis des années, supportent, avec une vaillance sans pareille, les fureurs sanguinaires du despotisme et qui, traqués, persécutés, martyrisés, mais jamais vaincus, se battent dans les rangs de la classe ouvrière.
Il acclame avec enthousiasme le prochain triomphe de la révolution qui, en abattant le tsarisme, cette formidable forteresse de la réaction européenne et qui, en nationalisant la propriété capitaliste, émancipera, en Russie, les travailleurs, et déchaînera en Europe la révolution sociale.
Vive le prolétariat de la Russie et de la Pologne !
Vivent les socialistes et les révolutionnaires de la Russie et de la Pologne !
Vive la révolution internationale ! »
En dehors de cette attente, de ce grand soir ne venant pas, et dans la reconnaissance en 1914 avec la crise du déclenchement de la guerre mondiale d’une situation minoritaire, sans perspective, la capitulation ne pouvait que se produire en cas de coup de pression de la société et de l’État. La mobilisation ne pouvait que balayer ce qui était une forme sans réel contenu.
Le manifeste de la « section française » de l’Internationale, publié dans l’Humanité du 28 juillet 1914, se met ainsi à la remorque du gouvernement, en qui il faudrait faire confiance dans la situation de crise :
« CITOYENS,
L’anarchie fondamentale du système social, les compétitions des groupes capitalistes, les convoitises coloniales, les intrigues et les violences de l’impérialisme, la politique de rapine des uns, la politique d’orgueil et de prestige des autres, ont créé depuis dix ans dans toute l’Europe une tension permanente, un, risque constant et croissant de guerre.
Le péril a été subitement accru par la démarche agressive de la diplomatie austro-hongroise. Quels que puissent Etre les griefs de l’État austro-hongrois contre la Serbie, quels qu’aient pu être les excès du nationalisme panserbe, l’Autriche, comme l’ont dit bien haut nos camarades autrichiens, pouvait obtenir les garanties nécessaires sans recourir à une note comminatoire et brutale qui a fait surgir soudain la menace de la plus révoltante et de la plus effroyable des guerres.
Contre la politique de violence, contre les méthodes de brutalité qui peuvent à tout instant déchaîner sur l’Europe une catastrophe sans précédent, les prolétariats de tous les pays se lèvent et protestent. Ils signifient leur horreur de la guerre et leur volonté de la prévenir.
Les socialistes, les travailleurs de France font appel au pays tout entier pour qu’il contribue de toutes ses forces au maintien de la paix. Ils savent que le gouvernement français dans la crise présente a le souci très net et très sincère d’écarter ou d’atténuer les risques de conflit.
Ce qu’ils lui demandent, c’est de s’employer à faire prévaloir une procédure de conciliation et de médiation rendue plus facile par l’empressement de la Serbie à accorder une grande partie des demandes de l’Autriche. Ce qu’ils lui demandent, c’est d’agir sur son alliée, la Russie, afin qu’elle ne soit pas entraînée à chercher dans la défense des intérêts slaves un prétexte à opérations agressives.
Leur effort correspond ainsi à celui des socialistes allemands demandant à l’Allemagne d’exercer auprès de l’Autriche son alliée une action modératrice. Les uns et les autres à leur poste d’action, font la même œuvre, vont vers le même but.
C’est cette forte, c’est cette impérieuse volonté de paix que vous affirmerez, citoyens, dans les réunions que nous vous invitons à multiplier. C’est pour affirmer avec plus de vigueur et d’ensemble la commune volonté de paix du prolétariat européen, c’est pour concerter une vigoureuse action commune que l’Internationale se réunit demain à Bruxelles.
En elle et avec elle, nous lutterons de toute notre énergie contre l’abominable crime dont le monde est menacé. La seule possibilité de ce crime est la condamnation et la honte de tout un régime.
A bas la guerre !
Vive la République sociale !
Vive le Socialisme international !
BEUCHAHD, BRAEMER, BRACKE, CAMÉLINAT, COMPÈRE-MOREL, DORMOY, DUBREUILH, DUCOS DE LA HAILLE, GÉRARD, GRANVALLET, GROUSSIER, GUESDE, HELIES, HERVE, JAURES, MAILLET, PEDRON, POISSON, RENAUDEL, ROLAND, ROLDES, SEMBAT, VAILLANT, UHRY »
L’assassinat de Jean Jaurès finira de faire capituler le Parti. Le 4 août 1914, l’Humanité racontait les obsèques de Jean Jaurès en décrivant celui-ci comme « un pur Français de la pure France » qui a servi à « maintenir intact, au cœur des prolétaires meurtris, la confiance dans la République », lui qui a été « assassiné par un soi-disant patriote ».
Deux jours auparavant, le groupe parlementaire, la commission administrative permanente du Parti et le conseil d’administration de l’Humanité acceptaient l’Union Sacrée, Marcel Sembat devenant ministre des Travaux Publics, Jules Guesde ministre d’État sans portefeuille, et par la suite, en mai 1915, Albert Thomas sous-secrétaire d’État aux munitions.