Pout Pravdy n°48, 28 mars 1914
Camarades,
La Fraction ouvrière social-démocrate de Russie a décidé de déposer à la IVe Douma d’Etat le projet de loi que vous trouverez ci-après et qui tend à abroger les restrictions aux droits des Juifs et des autres « allogènes».
Ce projet de loi est consacré à l’abrogation de toutes les restrictions de caractère national frappant toutes les nations: Juifs, Polonais, etc. Mais il s’arrête plus particulièrement sur les restrictions imposées aux Juifs. Cela se conçoit : aucune nationalité de Russie n’est aussi opprimée et persécutée que la nation juive. L’antisémitisme pousse de racines toujours plus profondes parmi les couches possédantes.
Les ouvriers juifs gémissent sous le poids d’un double joug, qui les frappe en tant qu’ouvriers et en tant que juifs. Les persécutions contre les Juifs ont pris, dans les dernières années, des proportions absolument invraisemblables. Il suffit de rappeler les pogromes antisémites et l’affaire Beylis [1].
Ceci étant, les marxistes organisés doivent accorder à la question juive toute l’attention qu’elle mérite.
Il va de soi que cette question ne peut être résolue de façon valable que conjointement avec les questions fondamentales qui attendent leur solution en Russie. On conçoit que nous n’attendons pas de la IVe Douma influencée par les nationalistes à la Pourichkévitch qu’elle abroge les restrictions à l’encontre des Juifs et des autres «allogènes». Mais la classe ouvrière se doit d’élever la voix. Et l’oppression nationale doit être résolument condamnée par la voix de l’ouvrier russe.
En publiant notre projet de loi, nous espérons que les ouvriers juifs, polonais et les ouvriers des autres nationalités opprimées feront savoir ce qu’ils en pensent et qu’ils proposeront des amendements, s’ils le jugent nécessaire.
Et nous espérons, en même temps, que les ouvriers russes soutiendront notre projet de loi avec la plus grande énergie par des déclarations, etc.
Nous joindrons à ce projet de loi, conformément à l’article 4, une liste rédigée à part, des règlements et des dispositions à abroger. Ce supplément comportera environ 100 dispositions légales concernant les seuls juifs.
Projet de loi sur l’abrogation de toutes les restrictions aux droits des Juifs et, d’une façon générale, de toutes les restrictions liées à l’origine ou à l’appartenance à quelque nationalité que ce soit
1. Les citoyens de toutes les nationalités qui peuplent la Russie sont égaux devant la loi.
2. Aucun citoyen de Russie, sans distinction de sexe ni de religion, ne peut être lésé dans ses droits politiques et, d’une façon générale, dans aucun de ses droits, du fait de son origine ou de son appartenance à quelque nationalité que ce soit.
3. Sont abrogés toutes les lois, tous les règlements temporaires, tous les additifs aux lois, etc., limitant les droits des Juifs dans tous les domaines de la vie sociale et publique. Est abrogé l’article 767 t. IX stipulant que «les Juifs relèvent des lois générales dans tous les cas où il n’a pas été établi de règlements particuliers à leur sujet».
Sont abrogées les restrictions de toutes sortes imposées aux Juifs en ce qui concerne le droit de résidence et de déplacement, le droit à l’instruction, le droit d’être employé dans les services d’Etat et les services publics, le droit de vote, l’obligation militaire ; le droit d’acquérir et de prendre en location des biens immobiliers dans les villes, les villages, etc. ; sont abrogées toutes les restrictions imposées aux juifs dans l’exercice de professions libérales, etc., etc.
4. Ci-joint la liste des lois, dispositions, règlements temporaires, etc., ayant pour objet la limitation des droits des Juifs et qui sont à abroger.
Notes
Les notes rajoutées par l’éditeur sont signalées par [N.E.]
[1] Affaire Beylis, procès provocateur monté en 1913 à Kiev par le gouvernement tsariste contre le juif Beylis faussement accusé l’assassinat rituel d’un jeune garçon chrétien nommé Youchtchinski ( en réalité le crime fut perpétré par les Cent-Noires). En inspirant ce procès, le gouvernement tsariste cherchait à attiser l’antisémitisme et à provoquer des pogromes antijuifs pour détourner les masses du mouvement révolutionnaire qui montait dans le pays. Le procès suscita une vive réaction de la part de l’opinion. Dans plusieurs villes furent organisées des manifestations ouvrières de protestation. Beylis fut acquitté.