La « révolution des Asturies » marqua très profondément les masses populaires espagnoles et posa un lourd problème à la CNT. La CNT avait, en effet, participé comme observateur à la réunion secrète à Saint-Sébastien qui avait mis en place le principe de renversement du régime.
Si elle avait soutenu indirectement l’initiative, elle avait par contre ouvertement appelé à l’abstention aux élections de 1933, contribuant clairement à la victoire électorale des forces conservatrices, qui avaient mené une répression importante, notamment contre la CNT.
L’union générale populaire aux Asturies contrariait également la ligne de la CNT qui était de se poser comme seule organisation générale des masses. Une rectification semblait alors clairement nécessaire, la CNT ne pouvant plus faire cavalier seul.
La question républicaine heurtait, en fait, de plein fouet la nature même de la CNT. L’objectif de la CNT était de parvenir à combiner la revendication sociale et une organisation immédiatement conforme au projet de société appelé « communisme libertaire », consistant en un collectivisme décentralisé et fédéraliste.
La CNT est donc plus qu’un syndicat, du moins à ses propres yeux : elle est la structure organisationnelle de la société future, présente dès aujourd’hui. Elle a d’autant plus cette considération qu’elle est née en Catalogne, région la plus industrialisée du pays, et que son essor semble inexorable.
Née en 1910, en tant que syndicat appelé Solidaridad Obrera (« Solidarité Ouvrière ») avec un noyau dur de 26 571 personnes dès le départ, l’organisation devient, à son congrès de 1911 la Confederación Nacional del Trabajo, Confédération Nationale du Travail, membre de l’AIT (association internationale des travailleurs, regroupant des structures anarcho-syndicalistes).
Appelant immédiatement à la grève générale, ce qui lui vaut une interdiction jusqu’en 1914, cela ne l’empêche pas d’organiser une grève générale avec l’UGT en 1917. Au congrès de Madrid, en 1919, la CNT dispose de 705 512 adhérents, dont 424 578 en Catalogne.
Cela lui permet de traverser avec succès les années de plomb allant de 1919 à 1923, où aux pistoleros exécutant des dirigeants, notamment de la CNT, répondent des actions armées anarchistes. La dictature établie en 1923 paralyse cependant profondément la CNT, qui a fait le choix de l’anarchisme dans une approche uniquement syndicaliste et rejette par conséquent la politique.
L’illégalité nuit profondément à l’organisation et l’instauration de la Seconde République ne fit que prolonger la crise, qui s’exprime par un conflit entre deux tendances proposant des solutions différentes.
La première, celle qui prédomine, s’appuie sur une minorité ayant formé une structure semi-clandestine à l’intérieur de la CNT, la Federación Anarquista Ibérica (FAI), qui prit ce nom afin d’être organisée tant en Espagne qu’au Portugal.
La FAI entendait donner à la CNT un tournant politique, sur une base strictement anarchiste cependant, c’est-à-dire rompant avec le syndicalisme économique et social pour une ligne ouvertement insurrectionnelle, fondé sur l’action directe.
La CNT tenta alors plusieurs fois de lancer un processus insurrectionnel, comme en janvier 1932, en janvier et en décembre 1933, avec à chaque fois de très violents échecs.
Cela est prétexte à une critique virulente, menée de la part de militants souvent plus âgés et ayant exercé de lourdes responsabilités dans la CNT.
Organisés autour d’Ángel Pestaña et de Joan Peiró, et ayant été notamment responsables du journal de la CNT, Solidaridad Obrera, un groupe de trente personnes signent un manifeste, en août 1931, appelant à une participation à la vie sociale générale, afin de s’imposer au fur et à mesure comme la principale force, également à travers les revendications minimales.
Durant la dictature, Ángel Pestaña appelait déjà à participer aux élections des comités paritaires afin de parvenir à exister légalement, cette ligne fut qualifiée de « possibiliste ».
La ligne des « trentistes » renouvelait simplement cette approche, considérant que le nouveau régime n’était pas encore considéré par les masses comme entièrement pourri, que la crise économique était extrême, la situation précaire, qu’il ne fallait donc pas avoir une conception abstraite de la révolution, attaquant très violemment la FAI pour ses initiatives insurrectionnelles utilisant pratiquement la CNT comme levier.
On lit dans le manifeste :
« La confédération est une organisation révolutionnaire, pas une organisation qui cultive le spectacle, la mutinerie, qui utilise la violence pour la violence, la révolution pour la révolution.
C’est pourquoi nous nous adressons à tous les militants. Nous leur rappelons que la situation est sérieuse est que chacun porte la responsabilité de ses actions et de ses lacunes.
Quand on participe aujourd’hui, demain ou après-demain à des mouvements révolutionnaires, on ne doit pas oublier qu’on a une responsabilité par rapport à la C.N.T. ; une organisation, qui a le droit de se contrôler elle-même, de surveiller ses propres activités, d’agir de sa propre initiative et selon sa propre volonté.
La confédération décide, quand et sous quelles conditions elle agit. Elle les personnes et les moyens pour imposer ce qu’elle doit faire. »
Une tension extrême existait donc entre une minorité agissante, prônant l’insurrection, et une autre minorité s’affirmant comme démocratique à la base et ouverte aux revendications mêmes minimales.
Le conflit s’exprima ouvertement dès la fin de la dictature : les « trentistes » furent expulsés, Ángel Pestaña fonda en 1932 un Parti Syndicaliste.
La question au sein de la CNT restait pourtant irrésolue dans la première partie des années 1930 : fallait-il mener une ligne à la fois contre les conservateurs et la gauche, ou bien considérer les conservateurs comme la priorité ? La CNT sera alors amené très vite à devoir faire ses choix.