Contrairement à la Bulgarie et la Tchécoslovaquie, trois pays partaient de relativement loin dans la nouvelle situation : la Hongrie, la Roumanie et la Pologne. Dans ces pays, en effet, les communistes disposaient de moins d’ancrage et de traditions.
La Hongrie avait été un État fasciste puissamment agressif durant la seconde guerre mondiale, alors que les communistes ne s’étaient jamais remis de l’écrasement de la révolution hongroise de 1919.
Le Parti Communiste était en Pologne littéralement un désastre lors de toute son histoire, au point que l’Internationale Communiste procéda même à dissolution en avril 1938. Il se reconstitua avec peine à partir de 1942, dans un pays écrasé sans pitié par l’Allemagne nazie.
La Roumanie présentait une situation relativement meilleure, mais relativement seulement, puisque le pays était passé dans l’orbite nazie et hébergeait de puissants mouvements fascistes. La monarchie tenta également de sauver son existence au dernier moment en renversant le gouvernement pro-allemand alors que l’armée intervenait.
Les Fronts nationaux-démocratiques furent donc des entreprises malaisées, traversant d’importantes vicissitudes.
Le Front fut formé en Hongrie en mars 1944, mais son poids était faible, comme en témoignent les élections de novembre 1945, alors que les communistes n’obtiennent que 17 % des voix, autant que le reste de la gauche, alors que le parti des petits propriétaires et bourgeois indépendants obtient 59 % des voix.
Les communistes avaient cependant, de par le prestige de la victoire, su faire en sorte que 150 000 personnes rejoignent le rang.
Aux élections d’août 1947, les résultats furent de 22 % pour les communistes, contre 15 % aux sociaux-démocrates, 15 % au parti des petits propriétaires, 9 % au parti national paysan, alors que font une quinzaine de pourcents le parti de l’indépendance, ainsi que la démocratie chrétienne.
La droite du Parti Socialiste mobilisa au même moment dans la rue contre le régime, cependant cela amena l’aile gauche à la rupture, et en juin 1948 eut lieu la fusion avec les communistes. C’était un cap essentiel, qui s’ajoutait aux mesures prises dans le cadre du gouvernement du nouveau régime.
Avait ainsi eu lieu la nationalisation des grandes banques en décembre 1947, puis de la production de charbon, des centrales électriques, des mines de bauxite et de la production d’aluminium en février 1948.
Le 28 avril 1948, toutes les entreprises de plus de 100 personnes furent nationalisées, ainsi que toutes les entreprises complémentaires au secteur étatisé.
En Pologne, le Front était par contre paralysé par la constitution d’un gouvernement d’union nationale des communistes et des conservateurs, ces derniers ayant formé un gouvernement à Londres.
Néanmoins, les grandes industries et les entreprises de plus de cinquante salariés sont nationalisées en juin 1946, avec une réforme agraire distribuant pratiquement six millions d’hectares de terres aux paysans.
En Roumanie le Front patriotique restait faible, malgré une insurrection armée le 23 août 1944, alors que se constituait un Front national démocratique des forces libérales, conservatrices et communistes.
Aux élections de novembre 1945, le parti national paysan d’opposition obtint 878 000 voix, contre 4,7 millions de voix au bloc gouvernemental (les communistes obtenant 68 sièges, les socialistes 81, et le front des laboureurs 70).
Cependant, la grande majorité du secteur industriel était étatisé en juin 1948.
La situation était totalement différente en Allemagne. Les communistes avaient une très grande expérience, ils avaient connu le fascisme très tôt dans les années 1930 et avaient eu le temps de se préparer à la ligne national-démocratique.
Le 6 février 1944, une commission de travail avait été organisée par le bureau politique du Parti Communiste d’Allemagne, avec comme tâche d’avoir une vue générale de l’histoire allemande, en prévision de l’après-guerre.
Or, à part plusieurs écrits de Friedrich Engels et certains de Franz Mehring qui avait effectué un véritable effort de saisie de l’évolution de la culture allemande, il y avait somme toute peu de matière. Il est évident que le contraste était d’autant plus saisissant avec l’arrière-plan de l’écrasement du mouvement ouvrier par le nazisme.
C’était toute la question allemande qui explosait à la figure des communistes alors, avec une ampleur terrible de par le soutien massif du peuple allemand à Hitler.
Une initiative parallèle fut menée par le NKFD, le Comité National Allemagne Libre, qui disposait de locaux consistant en un centre de repos du syndicat des cheminots, à Lunjowo, à un peu plus de trente kilomètres de Moscou.
Il visait à rassembler tous les oppositionnels au national-socialisme, y compris les conservateurs, les nationalistes ; bien entendu, les soldats étant passés dans le camp de l’armée rouge pendant la guerre y jouèrent un rôle essentiel en tant que cadres.
Le journal du NKDF, Freies Deutschland, avait même en bas et en haut des bandes noire, rouge et blanche, c’est-à-dire les couleurs impériales, visant clairement à ébranler les officiers de la Wehrmacht, ce qui fonctionna en partie, intégrant des gens éduqués et diplômés dans le camp démocratique, voire même parfois dans le camp communiste.
C’était une politique du pas à pas, rendu nécessaire par une vérité vite comprise : la population voyait la défaite de l’Allemagne nazie comme sa propre défaite. La situation était idéologiquement catastrophique.
Il y avait toutefois un autre facteur essentiel. Le pays était occupé, divisé en quatre zones, la seule réellement détruite étant la partie orientale sous contrôle soviétique.
Le démarrage concret du Front va avoir ainsi deux aspects. Le premier, c’est qu’en raison de la défaite allemande, l’administration soviétique a les mains entièrement libres et soutient les exigences démocratiques.
Les expropriations des grands propriétaires terriens et des propriétaires nazis se firent sous l’égide de 10 000 commissions de réforme agraire à l’échelle communale (avec des membres à 56,8 % de sans parti, 23,9 % du KPD, 17,5 % du SPD, 1,8 % des libéraux du LPD et de la démocratie-chrétienne du CDU).
Les machines, les outillages, etc. furent intégrés dans des stations de prêts, alors que l’ensemble des terres fut alors géré par un fonds agraire, qui remit à l’État 0,61 millions d’hectares de forêts et 0,498 millions d’hectares de surfaces agricoles, à des particuliers 0,433 millions d’hectares de forêt et 1,757 million d’hectares de surfaces agricoles.
210 000 propriétés agricoles furent de ce fait créés (surtout au profit de réfugiés ou de paysans sans terre), alors que 122 000 déjà existantes voyaient leur surface s’agrandir. La distribution de terres de 1946 se divise comme suit : 41,3 % pour les paysans sans terre et les journaliers, 22 % pour les paysans pauvres, 31,6 % pour les déplacés, 2,3 % pour les petits métayers.
A cela s’ajoute que 460 000 paysans âgés reçurent un apport de forêt et plus de 183 000 un jardin.
Cet élan transformateur favorisait le front, qui était composé des communistes, des sociaux-démocrates, des démocrates-chrétiens du CDU, des libéraux du LDPD, puis du parti paysan démocratique et du parti national-démocrate.
Surtout, l’unité communiste et socialiste fonctionnait réellement.
Or, cela ne pouvait évidemment pas être du goût des impérialistes américains, britanniques et français. Ceux-ci exercèrent une pression gigantesque sur les sociaux-démocrates alors que se formait une lutte de lignes entre Kurt Schumacher et Otto Grotewohl.
La question de la victoire de l’un ou de l’autre déciderait de la suite.
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