Les illuminations d’Arthur Rimbaud – 4e partie : la décadence

Henri Fantin-Latour , Coin de table, 1872
Henri Fantin-Latour , Coin de table, 1872
Paul Verlaine et Arthur Rimbaud sont tout à gauche.

Arthur Rimbaud ne cessa nullement de vouloir fuir, considérant que son individualité dépendait d’un départ. Aussi décida-t-il alors de chercher des contacts à Paris, où il séjourne du 25 février au 10 mars 1871 et certains pensent qu’il a pu y retourner pour participer à la Commune.

Il parvient à ses fins en obtenant le soutien de Paul Verlaine, qui fait en sorte qu’il soit accueilli à Paris, où il assiste immédiatement au dîner des « Vilains Bonshommes » du 30 septembre 1871, regroupant les poètes parnassiens.

Arthur Rimbaud avait écrit un poème, le Bateau ivre, une sorte de boursouflure parnassienne, afin de se faire coopter par son allégeance. Celle-ci eut bien lieu et il participa aux autres dîners, cependant il ne sut pas se tenir et finit par se faire exclure à la suite de celui du 2 mars 1876.

Il n’avait cessé d’interrompre par des « merde ! » une récitation de poésie d’Auguste Creissels, frappant Etienne Carjat qui l’avait insulté avec la canne-épée d’Alber Mérat.

Une scission s’était de toutes façons produites au sein du dîner, marquant l’émergence du Cercle des poètes zutiques, qui s’éloignait du Parnasse et de son « art pour l’art » pour basculer dans l’expérimentation, à quoi s’ajoutait une consommation d’opium, de haschich et d’alcool.

Voici un extrait de la contribution d’Arthur Rimbaud à un « Album zutique ».

I. Jeune goinfre

Casquette
De moire,
Quéquette
D’ivoire,
Toilette
Très noire,
Paul guette
L’armoire,
Projette
Languette
Sur poire,
S’apprête,
Baguette,
Et foire.

A.R.

En voici un autre, un « Sonnet du trou du cul » pastichant un autre poète.

Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet.

Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
À travers de petits caillots de marne rousse
Pour s’aller perdre où la pente les appelait.

Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.

C’est l’olive pâmée, et la flûte caline ;
C’est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !

Albert Mérat.
P. V. ─ A. R.

On passe ici du Parnasse à une forme décadente d’expression poétique ; aux prétentions de l’art pour l’art suivent les délires subjectivistes érigées en formes « subversives ».

Arthur Rimbaud a adopté ce style de bout en bout : vivant sans argent au crochet de ses amis poètes, il se comportait de manière incorrecte, se faisant rabrouer et accueilli ailleurs. Il est protégé en fait par Paul Verlaine (né en 1844), de qui il est l’amant, sauf que celui-ci bascule dans l’alcoolisme, manque de tuer sa femme en l’étranglant ce qui provoque une crise obligeant Arthur Rimbaud à devoir retourner temporairement à Charleville.

Une fois revenu, la situation décadente se prolonge : dans un café de Pigalle, le Rat-mort, il entaille au canif les poignets et les cuisses de Paul Verlaine, tandis que par la suite ce dernier menace sa femme d’un couteau dans un restaurant.

Voici la fin d’une lettre écrite par Arthur Rimbaud à Ernest Delahaye, en juin 1872, célébrant l’absinthe et décrivant le style de vie adopté : celui de la bohème en fait improductive mais s’imaginant authentique, car à la marge.

« Maintenant, c’est la nuit que je travaince. De minuit à cinq heures du matin. Le mois passé, ma chambre, rue Monsieur-le-Prince, donnait sur un jardin du lycée Saint-Louis. Il y avait des arbres énormes sous ma fenêtre étroite. A trois heures du matin, la bougie pâlit; tous les oiseaux crient à la fois dans les arbres: c’est fini.

Plus de travail. Il me fallait regarder les arbres, le ciel, saisis par cette heure indicible, première du matin. Je voyais les dortoirs du lycée, absolument sourds.

Et déjà le bruit saccadé, sonore, délicieux des tombereaux sur les boulevards. – je fumais ma pipe-marteau, en crachant sur les tuiles, car c’était une mansarde, ma chambre. A cinq heures, je descendais à l’achat de quelque pain; c’est l’heure. Les ouvriers sont en marche partout.

C’est l’heure de se soûler chez les marchands de vin, pour moi. je rentrais manger, et me couchais à sept heures du matin, quand le soleil faisait sortir les cloportes de dessous les tuiles. Le premier matin en été, et les soirs de décembre, voilà ce qui m’a ravi toujours ici.

Mais en ce moment, j’ai une chambre jolie, sur une cour sans fond, mais de trois mètres carrés. – La rue Victor-Cousin fait coin sur la place de la Sorbonne par le café du Bas-Rhin et donne sur la rue Soufflot, à l’autre extrémité. – Là, je bois de l’eau toute la nuit, je ne vois pas le matin, je ne dors pas, j’étouffe. Et voilà.

Il sera certes fait droit à ta réclamation! N’oublie pas de chier sur La Renaissance, journal littéraire et artistique, si tu le rencontres. J’ai évité jusqu’ici les pestes d’émigrés caropolmerdis. Et merde aux saisons et colrage. »

Paul Verlaine et Arthur Rimbaud décident alors en juillet 1872 de partir ensemble en Belgique. Ils passent au préalable par Arras, où ils sont un temps amenés au poste de police pour leur comportement, ainsi que Charleville.

La femme de Paul Verlaine arrivant à Bruxelles, celui-ci décide de repartir, mais Arthur Rimbaud prend secrètement le même train et le convainc de repartir avec lui. Ils vont alors aux Pays-Bas, à Ostende, puis à Londres, où ils fréquentent le milieu contestataire issu de la Commune de Paris, les « zutistes » exprimant une sympathie pour celle-ci.

Paul Verlaine, malgré sa passion pour Arthur Rimbaud, essaiera pourtant toujours de maintenir son mariage. Il amènera la mère d’Arthur Rimbaud à aller voir sa femme en ce sens, puis ira lui-même en France faire une tentative.

Le duo Paul Verlaine-Arthur Rimbaud repart ensuite à Londres, vivant de l’argent de la mère du premier et de cours de français. Las des scènes d’Arthur Rimbaud, Paul Verlaine s’enfuit à Bruxelles où il demande à sa femme de revenir sans quoi il se suicidera.

Arthur Rimbaud lui écrit alors notamment ceci :

« Reviens, reviens, cher ami, seul ami, reviens. Je te jure que je serai bon. Si j’étais maussade avec toi, c’est une plaisanterie où je me suis entêté, je m’ en repens plus qu’on ne peut dire.

Reviens, ce sera bien oublié. Quel malheur que tu aies cru à cette plaisanterie. Voilà deux jours que je ne cesse de pleurer. Reviens. Sois courageux, cher ami. Rien n’est perdu.

Tu n’as qu’à refaire le voyage. Nous revivrons ici bien courageusement, patiemment. Ah ! je t’en supplie (…). Si tu ne veux pas revenir ici, veux-tu que j’aille te trouver où tu es ?

Oui c’est moi qui ai eu tort. Oh ! tu ne m’oublies pas, dis ? Non, tu ne peux pas m’oublier.? Moi, je t’ai toujours là. Dis, réponds à ton ami, est-ce que nous ne devons plus vivre ensemble ?? Sois courageux. Réponds-moi vite. Je ne puis rester ici plus longtemps.? N’écoute que ton bon cœur. Vite, dis si je dois te rejoindre. À toi toute la vie. »

Arthur Rimbaud vient alors à Bruxelles et Paul Verlaine, pris de boisson, tire sur lui, le blessant à l’avant-bras. Le premier dénonce le second, Paul Verlaine terminant en prison pour deux ans, malgré que la plainte soit retirée.

C’était là le point culminant d’une fuite en avant subjectiviste.

>Cinquième partie du dossier
>Sommaire du dossier des Illuminations d’Arthur Rimbaud