Il est courant d’assimiler le naturalisme à un simple prolongement du réalisme, un prolongement de type photographique. Rien n’est plus faux, car le naturalisme est un réalisme décadent. Le réalisme prend les personnages typiques, dans les situations typiques, tandis que le naturalisme dresse un état des lieux d’une situation comprise comme une accumulation de données sociales.
Là où le réalisme fait une synthèse, le naturalisme montre le tableau d’une expérience sociale. On voit aisément cette différence avec les deux tableaux suivants de Jean Geoffroy (1853-1924), le « peintre des enfants et des humbles » comme le précise l’épitaphe sur sa tombe au cimetière de Pantin, en banlieue parisienne.
Ce peintre va être proche de l’éditeur Pierre-Jules Hetzel, ce qui va l’amener à mener une grande carrière dans l’illustration et la gravure d’ouvrages du ministère de l’instruction publique, comme les manuels scolaires, les planches éducatives, etc.
Si l’on prend son tableau de 1889 intitulé Le Jour de la visite à l’hôpital, on a un bon exemple de réalisme. Il est vrai que la luminosité trop forte de l’œuvre est très clairement une concession à l’impressionnisme ; on est censé être marqué par le caractère clair de l’hôpital, sous la forme d’une impression.
Ce n’est pas conforme au réalisme. Cependant, la construction de l’oeuvre est résolument réaliste. Un homme, aux habits en couleurs, aux habits de pauvre, se tient avec toute la chaleur populaire auprès d’un enfant blafard.
A l’arrière-plan, on a une étreinte, plus au fond un enfant qui dort, un groupe qui se parle. La fragilité humaine dans un hôpital est bien présente, tout à fait bien orchestrée.
Il manque il est vrai un certain dynamisme dialectique, tant par la luminosité qui asservit la pensée et les sens à l’impression que par le détail des choses sur la table de chevet, censé témoigner de la qualité du service républicain au peuple.
Si l’on regarde par contre Qui casse les verres les paie, on a par contre une scène clairement reconstruite, qui se veut d’esprit portraitiste mais où on voit bien l’assemblage subjectif d’éléments censés être marquants.
L’ensemble est forcé, avec une tonalité pittoresque ; c’est une scène, coupée de l’ensemble de la société, vivant pour elle-même, telle une expérimentation : c’est du naturalisme.
Jean Geoffroy a largement sombré dans la décadence des imageries qui sont en quelque sorte des portraits impressionnistes, comme ici Le partage difficile.
Mentionnons quelques autres tableaux notables de ce peintre, comme ici L’asile de nuit, de 1891, ainsi que En classe, le travail des petits, de 1889.
La faiblesse de Jean Geoffroy est patente dans Une leçon de dessin, de 1895, ainsi que Dans l’école, d’autour de 1900. Cela se veut un portrait, mais c’est une vision hagiographique de l’instruction dans les écoles de la république.
Il y manque la vie, la multiplicité, l’interaction dialectique, la dignité du réel.
Il en va de même pour des œuvres comme École professionnelle à Dellys, travail du fer, Une classe franco-arabe à Tlemcen… Qui vaudront à Jean Geoffroy d’être le seul peintre dont les œuvres seront placées dans le pavillon de l’instruction publique pour vanter ses actions, lors de l’Exposition universelle de 1900, le pavillon étant placé par ailleurs au niveau de la tour Eiffel.
Notons toutefois La Goutte de lait à Belleville, ainsi que Les affamés et Les résignés. La « Goutte de lait » désigne une institution de surveillance médicale des nourrissons, avec distribution de lait de vache stérilisé pour tenter de pallier au manque de lait maternel dû au travail des femmes.
Au centre du tableau qui est un triptyque, on a le docteur Gaston Variot, qui contribuera à la puériculture et travaillant dans un tel dispensaire dans le quartier de Belleville à Paris.
Si Les affamés est davantage pathétique dans la veine naturaliste, Les résignés se tournent tendanciellement davantage vers le réalisme.
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