Les 1600 gravures d’Abraham Bosse n’ont cessé, depuis leur réalisation au XVIIe siècle, d’être appréciés dans notre pays. La raison en est qu’Abraham Bosse est un portraitiste de très haut niveau, profitant de la vague de réalisme apporté par la bourgeoisie alors.
Son père est en effet un tailleur protestant venant d’Allemagne, tandis que son apprentissage se fait chez Melchior II Tavernier, originaire d’Anvers. Lui-même était calviniste, et cet esprit pratique se retrouve dans son œuvre Traité des manieres de graver en taille douce sur l’airain par le moyen des eaux fortes et des vernix durs et mols, qui est pas moins que le premier manuel technique de gravure.
La Bibliothèque Nationale de France, qui lui a consacré une exposition, est de fait obligé de constater que « Ce sont les sujets représentant des scènes des métiers et de la vie quotidienne qui rendent le mieux compte de l’originalité de son talent. »
Abraham Bosse est un portraitiste, une figure qu’il faut placer dans la lignée de Jean Racine et Honoré de Balzac, des frères Le Nain. Il a d’ailleurs combattu la position du peintre et décorateur Charles Le Brun et du dessinateur et graveur Grégoire Huret, qui revendiquaient la quête d’un « beau idéal » par ailleurs totalement inféodé à la religion catholique et son esthétique baroque.
La bataille d’Abraham Bosse contre Charles Le Brun et Grégoire Huret fut celle du réalisme contre le formalisme, et il en paiera le prix, le régime privilégiant naturellement Charles Le Brun, Abraham Bosse étant exclu en 1661 de l’Académie royale de peinture et de sculpture fondée en 1651 par Mazarin, qu’il avait rejoint à l’initial.
Les polémiques furent nombreuses dans ce cas (accusations de plagiat, etc.), et en 1665 Abraham Bosse publia le Traité des pratiques géométrales et perspectives enseignées dans l’Académie royale de la peinture et sculpture ; cependant, il est évident qu’il y a ici un formidable arrière-plan consistant en une bataille idéologique de gigantesque importance, que les commentateurs bourgeois n’ont jamais pu être en mesure de voir.
Par souci de réalisme, Abraham Bosse ne cessa de perfectionner ses techniques, profitant notamment des travaux et de l’architecte et géomètre Girard Desargues (1591-1661) ; il publia d’ailleurs des ouvrages concernant la technique qui eurent un important retentissement, bien plus que ses oeuvres mises de côté par l’idéologie dominante :
– La manière universelle de M. des Argues Lyonnois pour poser l’essieu & placer les heures & autres choses aux cadrans au Soleil (1643),
– La pratique du trait à preuve de M. des Argues Lyonnois pour la coupe des pierres en Architecture (1643),
– De la manière de graver à l’eaux-forte et au burin (1645),
– Traité des manières de graver en taille douce sur l’airin par le moyen des eaux-fortes (1645),
– Manière universelle de M. des Argues pour pratiquer la perspective par petit-pied comme le géométral (1648).
Abraham Bosse est un immense artiste dont la valeur, encore une fois, ne peut être comprise en tant que tel qu’à la lumière du matérialisme dialectique. Son réalisme sera, du point de vue des commentateurs bourgeois, considéré comme efficace mais finalement anecdotique, et ses thèmes seront résumés à du pittoresque.
En réalité, avec Abraham Bosse, on a une figure titanesque du réalisme, dans ses représentations de la vie quotidienne, du peuple travailleur, de l’esprit propre à une époque.
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