La réaction avait dû accorder en 1869 une constitution libérale ; avec l’échec de la République, la constitution de 1876 qui la remplace rétablit un ordre particulièrement autoritaire.
C’est l’armée qui a rétabli la dynastie des Bourbons et placé Alphonse XII sur le trône ; à côté de la chambre des députés, avec élections au suffrage universel pour les hommes, on a un sénat résolument féodal, composé de la famille royale, des grandes familles aristocratiques, des plus hauts responsables ecclésiastiques, des dirigeants de l’armée, des plus hauts membres de l’administration, ainsi que de personnes nommés à vie par le roi et de membres élus au suffrage indirect par les grands corps d’État et les plus riches contribuables.
On a ainsi un système féodal renouvelé, où prédominent les « caciques », des figures féodales locales ayant pratiquement tout pouvoir décisionnaire.
Le pays n’était ainsi pas unifié culturellement et économiquement, maintenant une sorte de localisme et d’éloge du particularisme, alors que de toutes manières l’État central, tout à fait arriéré, apparaissait uniquement comme une force bureaucratique.
Le régime est logiquement particulièrement faible ; il ne peut pas maintenir ses colonies, perdant les dernières qu’il possédait en 1889 (Cuba, Puerto Rico et les Philippines), échouant dans sa tentative de colonisation du Nord du Maroc (1909-1925).
Sa tentative de pressuriser la bourgeoisie amène à un affrontement avec sa partie catalane, zone où le capitalisme est le plus dynamique ; en 1898, 150 corporations de Catalogne pratiquent pendant trois mois une fermeture des caisses, refusant de payer les impôts.
Cet affrontement fait de la Catalogne la région-phare de l’affrontement avec le féodalisme ; les œuvres de l’architecte Antoni Gaudí (1852-1926) témoigne de cet esprit national.
Le « modernisme » de la bourgeoisie catalane, associé au rejet du centralisme d’un État considéré comme parasitaire (car en fait féodal), donna un vigoureux élan à l’anarchisme, idéologie prônant l’autogestion et l’anticléricalisme, dans un esprit individualiste.
L’anarchisme catalan développa même une telle dynamique qu’il put canaliser l’ensemble des révoltes s’étant développées dans la seconde partie du XIXe siècle. Les révoltes paysannes avaient pris un élan spontané, exigeant l’indépendance sociale et basculant ainsi déjà facilement dans les thèses anarchistes.
Les paysans sans terre d’Andalousie, notamment, affrontaient vigoureusement les propriétaires terriens ; un exemple connu fut la révolte de Jerez en 1892, 4 000 paysans prenant en armes la ville en revendiquant l’anarchie, alors qu’après la répression qui s’ensuivit, une tentative d’attaque à la bombe fut faite contre le général Martinez Campos.
La Confederación Nacional del Trabajo (Confédération Nationale du Travail) fut le prolongement de cette intense activité anarchiste commençant dans les années 1870 et connaissant donc toutes les variantes : pacifistes, partisans de la propagande armée, syndicalistes. La CNT fut en tant que tel le produit du courant anarcho-syndicaliste ; fondée en 1911, elle se développa dès la seconde moitié des années 1910, avec pas moins de 700 000 adhérents.
Une des grandes raisons fut que la CNT ne s’organisa pas uniquement en métiers, en branches, comme son concurrent social-démocrate l’UGT, mais comme syndicat unique. Une autre raison est que l’anarchisme transportait avec lui une violence qui permettait de se confronter aux traditions féodales que, en pratique, la social-démocratie évitait par incompréhension de la situation du pays.
La CNT était un syndicat combatif ; sa grève de quatre jours, dite La Canadiense, à l’entreprise électrique Barcelona Traction, Light and Power Company limited, appartenant à une banque canadienne, paralysa l’économie et fut un acte majeur pour obtenir la journée de huit heures de travail.
Le mouvement anarchiste disposait même de pistoleros, rendant coup pour coup aux assassins payés par la bourgeoisie industrielle et ceux des « Syndicats Libres » liées aux forces catholiques et monarchistes, avec en arrière-plan pas moins de 300 assassinats politiques durant ce qui fut appelé les « anos del pistolerismo ». Les premiers ministres Eduardo Dato Iradier, en 1921, Canalejas, en 1912 et Antonio Cánovas del Castillo, en 1898, périrent sous des balles anarchistes.
Parallèlement eurent lieu des soulèvement paysans violents, inspirés par la révolution bolchevique dans le Sud du pays, du printemps 1918 au printemps 1920 et appelés « Trienio Bolchevique ».
Le mouvement était pourtant bien éloigné de la social-démocratie. A certains égards, le mouvement ouvrier était, malgré l’arriération économique du pays, assez conscient et puissant pour fonder un Partido Socialista Obrero Español (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) en 1879, ainsi que, neuf ans plus tard, un syndicat, l’Unión General de Trabajadores – Union Générale des Travailleurs. Le PSOE fit même partie des membres fondateurs de la seconde Internationale, regroupant les membres internationaux de la social-démocratie.
A la différence cependant de l’Allemagne, de l’Autriche et de la France, la classe ouvrière espagnole n’était pas aussi développée, et par conséquent faible numériquement. L’UGT n’avait que 35.000 affiliés en 1908, 127.000 en 1914 ; le dirigeant du PSOE, Pablo Iglesias, n’arriva au parlement qu’en 1910.
Ce fut la révolution de 1917 qui bouleversa la donne. Les bolcheviks avaient fait un appel aux révolutionnaires d’Espagne, principalement à la gauche du PSOE et ce dernier tenta, à la suite de son congrès de décembre 1920, de maintenir une ligne d’appartenance à la seconde Internationale et de soutien à la troisième, appelant à l’unité.
De son côté, la Fédération de la Jeunesse Socialiste (FJS) appela de son côté à rejoindre la troisième Internationale.
Finalement, en février 1920, 1000 des 5000 membres de la FJS fondèrent le Parti Communiste d’Espagne, qui resta cependant insignifiant, tant numériquement que de par son influence idéologique et culturelle.
Le PSOE, qui était passé la même années à 53 000 membres, contre 16 000 l’année précédente, envoya alors un délégué à Moscou, à une réunion de l’Internationale Communiste, ce que firent également la CNT et le PCE. Seul le PCE reconnut les règles de la IIIe Internationale, le PSOE et la CNT les rejetant.
Pourtant, ni la CNT, ni le PSOE et l’UGT, ni le PCE n’étaient en mesure de faire face à la crise de régime aboutissant à une dictature militaire.