L’opportunisme du Parti Ouvrier Belge et la grève politique de masse

L’une des principales formations à soutenir le centrisme de Karl Kautsky fut le Parti Ouvrier Belge (POB). En même temps, le POB qui, comme son nom l’indique, ne relève pas de la tradition social-démocrate au sens strict, a développé des initiatives marquant le mouvement ouvrier et posant le problème de la grève de masse avec une revendication politique.

Il se posa la question de savoir dans quelle mesure la grève politique de masse était le pendant social-démocrate de la « grève générale » proposée par les syndicalistes révolutionnaires, les anarchistes.

Le POB est né en 1885, à partir de multiples structures ouvrières (les ligues politiques, les syndicats, les importantes coopératives, les mutualités, ainsi que le Parti Ouvrier Socialiste de Belgique).

Il n’y a alors pas de suffrage universel, seulement 2 % de gens ont le droit de voter en raison de leurs hauts revenus, et le POB va être en première ligne pour sa conquête. Les grèves vont être massives en 1886, 1887 et 1888, 1893, 1902 et 1913.

Les grèves de 1886, conséquence directe d’une chute des salaires de 25 % en raison de la crise économique, partirent de la région de Liège pour s’étendre à la région du Hainaut, puis relativement ailleurs dans le pays également.

Elles acquirent une dimension de révolte particulièrement intense, aboutissant à l’intervention meurtrière de l’armée. Elle n’avait toutefois pas de dimension politique assumée, contrairement à la séquence de 1887 et 1888, par contre spécifique au Hainaut.

Leur interprétation est rendue difficile, en raison du rôle important du Parti Socialiste Républicain d’Alfred Defuisseaux, tout juste sorti du Parti Ouvrier Belge et se dissolvant dès 1889 en raison de l’affaire du « grand complot ». Il avait en effet été massivement infiltré par des agents provocateurs.

La grève de 1893 fut très différente, étant directement structuré par le POB en vue du suffrage universel. Elle répondait directement au refus de ce dernier par le parlement, par 115 voix contre 26, en avril 1893, après des débats commencés en février.

Eugène Laermans, Un Soir de Grève, 1893

Lancée depuis Bruxelles, elle s’étendit à toute la Wallonie, et même en partie en Flandre, partie du pays bien moins développé sur le plan industriel. La répression armée fut sévère là encore, mais le régime céda un suffrage modifié, avec une voix par personne, les plus riches en disposant de plusieurs.

Une grève réprimée à Mons montrée dans Le petit journal parisien en 1893

Le suffrage universel fut finalement annoncé et c’est pour protester contre son report que se lança la grève de 1902, dans le Hainaut. La répression violente et sanglante amena le POB à mettre en place la grève générale, pour finalement capituler devant la vigueur de la répression, provoquant une réelle cassure dans le mouvement ouvrier.

Le POB organisa enfin, par en haut, de manière préparée pendant plusieurs mois, une grève pour le suffrage universel, de manière parfaitement encadrée et pacifique, en 1913. L’atmosphère était très différente des autres grèves qui avaient été marquées, par endroit, d’initiatives armées (destruction d’un château possédé par un patron, d’une brasserie appartenant à un maire, de maisons de directeurs, de la maison d’un député catholique, etc.). Durant huit jours,ses effets furent très relatifs.

Cela montrait cependant tout une perspective de lutte, pour une séquence qui fut très attentivement scrutée par la social-démocratie, soucieuse de comprendre la question de la possibilité d’une nature politique d’une grève de masse.

La contradiction est ici puissante entre la tentative social-démocrate, notamment avec Rosa Luxembourg, de conceptualiser la grève politique de masse, et le pragmatisme complet du Parti Ouvrier Belge. C’est que sa base était idéaliste-moraliste.

Le mouvement ouvrier belge puise loin ses racines, car dès la première Internationale, il était déjà constitué, avec notamment César De Paepe (1841-1890). Toutefois, sa dynamique est « ouvrière » et pas social-démocrate ; le Parti Ouvrier Belge est non pas tant un parti qu’une sorte de rassemblement fédérant les structures, et on lit dans les statuts :

« Peuvent adhérer au Parti ouvrier : les syndicats professionnels, sociétés de secours mutuels, sociétés coopératives, cercles d’études et de propagande et généralement tous les groupes ouvriers, ainsi que les personnes des deux sexes qui habitent une localité où il n’existe pas d’association ouvrière ou socialiste affiliée. »

C’est une sorte de Parti syndicaliste, entièrement fédéraliste, avec une auto-intoxication typique.

Louis Bertrand (1856-1943), qui dirigea Le peuple de 1900 à 1907 le quotidien du POB, expliquait en 1886 dans Le Parti Ouvrier Belge et son programme, que les Belges auraient eu la « prédominance théorique » dans la première Internationale… Il prétend que, un an après la fondation du POB, on pourrait constater que :

« Jamais, à aucune époque et dans aucun coin du monde, nous pouvons le dire avec fierté, le mouvement ouvrier socialiste n’a été aussi grand que celui qui existe actuellement en Belgique.

Et les conservateurs, bêtes et criminels, ne se doutent de rien ! »

C’est là une terrible surestimation, s’appuyant sur le fait qu’en réalité le Parti Ouvrier Belge se faisait satelliser par les forces libérales ayant toute une dynamique historique, dans un pays dominé par le parti catholique, où il n’y avait ni suffrage universel, ni reconnaissances des syndicats.

Il n’y a pas de matérialisme historique dans l’approche du POB ; dans ses programmes et statuts, adoptés aux congrès de Bruxelles de 1893 et de Quaregnon de 1894, on lit comme premier point de la « déclaration de principes » :

« Les richesses, en général, et spécialement les moyens de production, sont ou des agents naturels ou le fruit du travail – manuel et cérébral – des générations antérieures, aussi bien que de la génération actuelle ; elles doivent, par conséquent, être considérées comme le patrimoine commun de l’humanité. »

Le niveau revendicatif bascule ainsi parfois dans une sorte de démocratisme sans contenu démocratique, comme ici :

« Réforme de la loi sur la chasse.

a) suppression du port d’armes [c’est-à-dire du permis de port d’armes] ;

b) suppression des chasses gardées ;

c) droit pour les cultivateurs de détruire en toute saison les animaux nuisibles aux récoltes.

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