L’UNEF se transforme en 1946

L’Union nationale des étudiants de France (UNEF) n’a pas été pendant la seconde guerre mondiale un foyer de rébellion antifasciste, se contentant de vivoter de manière corporatiste, tout en étant mise de côté pendant l’Occupation, le régime de Pétain lui coupant les vivres en transformant les Œuvres en Service national des Étudiants.

Ses AGE penchaient d’un côté ou de l’autre, mais évitaient de prendre parti ouvertement et les pro-Résistance étaient minoritaires et souvent isolés, tel le chrétien Gilbert Dru, fusillé le 27 juillet 1944, membre de l’AGE de Lyon alors pro-Pétain (et dissoute à la Libération). Seule l’AGE de Grenoble était partie prenante de la Résistance, avec des liaisons avec le maquis du Vercors.

Gilbert Dru

Sa situation en 1945 est donc précaire, d’autant plus que le nombre d’étudiants a augmenté et que la tendance ne fait que commencer. Il y a 50 000 étudiants en 1920, 97 000 en 1945, ils seront 136 000 en 1950 et 157 000 en 1956.

À cela s’ajoute la présence désormais d’une nouvelle force : l’Union des Étudiants patriotes. C’est une composante du Front uni de la Jeunesse patriotique, mis en place en 1943 par le Parti Communiste Français. Ce Front uni rejoindra d’ailleurs en 1945 l’Union de la jeunesse républicaine de France, qui existera jusqu’en 1956 dans le cadre de la tentative du PCF de se proposer comme la véritable force républicaine.

Une refonte complète est nécessaire et cela va donner la Charte de Grenoble, écrite et mise en avant par Jacques Miguet, Paul Bouchet et Jean Bergeret, qui viennent de l’AGE de Lyon refondée avec succès en 1945 (7200 membres des 18 000 de l’UNEF en sont membres).

Cette Charte exprime le point de vue des étudiants ayant participé à la Résistance, qui obtiennent la majorité au 35e Congrès de l’UNEF en 1946. Elle représente un mélange des conceptions chrétiennes de gauche et communistes d’alors, avec une mise en perspective existentialiste.

L’UNEF est censée rester le centre des activités culturelles des étudiants pour leur vie quotidienne, mais elle doit rentrer dans le jeu revendicatif et assumer d’être une force gestionnaire des intérêts matériels des étudiants.

Plus encore, elle représente un esprit qu’elle doit perpétuer. Cet aspect est fondamental et sera décisif pour toute l’histoire de l’UNEF, jusqu’au début du 21e siècle. L’UNEF c’est une approche particulière, une sensibilité, un mode particulier d’exiger les choses, sur une base existentialiste.

« La Charte de Grenoble

Préambule

Les représentants des étudiants français, légalement réunis en congrès national à Grenoble le 24 avril 1946, conscients de la valeur historique de l’époque,

Où l’Union Française élabore la nouvelle déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen;
Où s’édifie le Statut pacifique des Nations;
Où le monde du travail et de la jeunesse dégage les bases d’une révolution économique et sociale au service de l’homme;

Affirment leur volonté de participer à l’effort unanime de reconstruction,
Fidèles aux buts traditionnels poursuivis par la jeunesse étudiante française lorsqu’elle était à la plus haute conscience de sa mission,

Fidèles à l’exemple des meilleurs d’entre eux, morts dans la lutte du peuple français pour sa liberté,
Constatant le caractère périmé des institutions qui les régissent,

Déclarent vouloir se placer, comme ils l’ont fait si souvent au cours de notre Histoire, à l’avant-garde de la jeunesse française, en définissant librement comme bases de leurs tâches et de leurs revendications, les principes suivants :

Art. 1. L’étudiant est un jeune travailleur intellectuel.

Droits et devoirs de l’étudiant en tant que jeune

Art. 2. En tant que jeune, l’étudiant a droit à une prévoyance sociale particulière, dans les domaines physique, intellectuel et moral.

Art. 3. En tant que jeune, l’étudiant a le devoir de s’intégrer à l’ensemble de la jeunesse mondiale et nationale.

Droits et devoirs de l’étudiant en tant que travailleur

Art. 4. En tant que travailleur, l’étudiant a droit au travail et au repos dans les meilleures conditions et dans l’indépendance matérielle, tant personnelle que sociale, garanties par le libre exercice des droits syndicaux.

Art. 5. En tant que travailleur, l’étudiant a le devoir d’acquérir la meilleure compétence technique.

Droits et devoirs de l’étudiant en tant qu’intellectuel

Art. 6. En tant qu’intellectuel, l’étudiant a droit à la recherche de la vérité et à la liberté qui en est la condition première.

Art. 7. En tant qu’intellectuel, l’étudiant a le devoir:
– De définir, propager et défendre la vérité, ce qui implique le devoir de faire partager et progresser la culture et de dégager le sens de l’Histoire.
– De défendre la liberté contre toute oppression, ce qui, pour l’intellectuel, constitue la mission la plus sacrée. »

L’adoption de la Charte au congrès de Grenoble va avec une double exigence : d’un côté, il y a les revendications, mais de l’autre, il y a également l’esprit de la Charte, qui implique des tâches restant à définir. On est tout à fait dans l’opposition la lettre/l’esprit des Catholiques de gauche, avec une insistance sur les conséquences morales et mêmes politiques qui découlent des principes.

Les initiateurs de la Charte proposent d’ailleurs comme moyen d’action :

a) Pétitions et Lettre ouvertes

b) Manifestations d’ensemble

c) Monômes spectaculaires

d) Monômes revendicateurs

e) Grèves d’abstention

f) Grèves d’occupation

g) Monômes dévastateurs.

Et ils précisent :

« Si non seulement les droits de l’Étudiant, mais encore les droits essentiels du Citoyen venaient à être violés, participation à l’insurrection populaire nationale. »

L’UNEF se veut ainsi en 1946 une expression de la Résistance, sa réalisation dans le domaine étudiant. Mais les étudiants vont renverser la mise en perspective, ne servant plus l’esprit de la Résistance mais faisant en sorte que celle-ci la suive dans ses propres orientations.

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