Mars 1933 : Maurice Thorez devient réellement le dirigeant du Parti Communiste Français

Jusqu’au début de l’année 1933, Maurice Thorez avait été l’artisan de la rectification au sein du Parti Communiste Français, qui était passé sous la coupe d’une direction secrète de type ultra-gauchiste, le groupe Barbé-Celor.

Avec la question de l’unité antifasciste de mars 1933, il est désormais le porteur d’une ligne. C’est un moment absolument historique sans quoi on ne saurait comprendre l’histoire du Parti Communiste Français.

La raison en est la suivante. Jusqu’en janvier-février 1933, la ligne pour chaque Parti Communiste est fixée par l’Internationale Communiste lors de congrès et par le Comité Exécutif de l’Internationale Communiste entre les congrès.

Or, l’appel antifasciste de l’Internationale Communiste a bien souligné que c’était désormais à chaque Parti Communiste d’entamer des discussions avec les socialistes, selon les conditions concrètes. Cela laisse une marge politique aux Partis Communistes de chaque pays.

Maurice Thorez, en tant que principale figure du Parti Communiste Français, n’est alors plus seulement le représentant en France de la ligne de l’Internationale Communiste pour la France : il devient également, voire surtout et en tout cas alors de plus en plus ; le « transcripteur » français de la ligne générale de l’Internationale Communiste.

Maurice Thorez

Or, qui est Maurice Thorez ? C’est un jeune ouvrier acquis à un Parti Communiste Français qui s’affirme de manière gauchiste et syndicaliste dans les années 1920, lui-même comprenant que cela ne va pas et œuvrant à rectifier le tir.

En février-mars 1933, Maurice Thorez fait donc avec ce qu’il a. Et ce qu’il a, dans la mesure où il s’est affirmé historiquement ainsi, c’est le maintien de l’unité du Parti Communiste Français, par le refus du sectarisme et de la bureaucratie. Il reprend donc ce positionnement, cette fois pour l’unité avec les socialistes, et cela va toujours plus monter en puissance, jusqu’à une ligne opportuniste de droite.

Dans son article pour L’Humanité du 11 mars 1933 – « Unité d’action L’ennemi est dans notre propre pays »– il souligne que les conditions sont différentes selon les pays. Et par conséquent :

« La question qui se pose aux prolétaires de toute tendance est donc bien simple.

Pouvons-nous et voulons-nous nous unir pour résister à la moindre attaque contre nos conditions matérielles d’existence ?

Pouvons-nous et voulons-nous nous unir pour riposter à la moindre tentative de propagande et d’action de caractère fasciste ?

Pouvons-nous et voulons-nous opposer à la concentration des forces de la bourgeoisie avec ses Tardieu et ses Daladier, avec ses Boncour et ses Weygand la concentration de toutes les forces du prolétariat, luttant à la tête des exploités de toutes conditions ?

Bref, pouvons-nous et voulons-nous nous tenir, pour combattre, résister et vaincre ?

OUI, disent de toutes leurs forces, de tout leur cœur les ouvriers communistes. OUI, pensent et disent avec eux de nombreux ouvriers socialistes.

NON, estime le Populaire dans ses articles, embrouillés, avant même la réponse de la C. A. P. à la lettre ouverte que nous avons adressée à la direction du parti socialiste, ainsi qu’à tous les ouvriers socialistes.

Cependant, nous répétons sans nous lasser le front unique est possible tout de suite. Il est possible et il est nécessaire. Il est indispensable. Et notre voix sera entendue.

La crainte de l’action féconde oblige les dirigeants socialistes à rechercher mille prétextes pour tenter de repousser nos propositions et contrecarrer la réalisation du FRONT UNIQUE. Les faits montrent, toutefois, que nous avons des amis, des frères parmi les ouvriers socialistes.

Ensemble, nous parviendrons à nous unir pour la défense de nos revendications et pour l’aide au peuple allemand.

Ensemble, nous parviendrons à combattre et à vaincre la bourgeoisie capitaliste et la réaction fasciste. »

Ce rôle prédominant de Maurice Thorez va d’autant plus être facilité que les événements en Allemagne se précipitent : mars 1933 est marqué par une gigantesque répression menée par les nazis, broyant les socialistes et les communistes allemands.

Profitant de l’impact du mouvement anti-guerre, le Parti Communiste Français utilise alors cet aspect pour pousser à l’unité, avec l’appel du 25 mars 1933 :

« Aux travailleurs socialistes !

A la C.A.P. du Parti socialiste

Pour faire face aux graves événements et aux menaces qui pèsent sur la classe ouvrière, le Parti communiste vous a adressé le 6 mars dernier des propositions pour la réalisation d’une action commune entre les travailleurs socialistes, communistes et inorganisés.

Nous vous avions proposé notamment l’organisation d’une journée de manifestations dans tout le pays. La C. A. P. ne nous a pas répondu.

Or, voici que le Comité National de lutte contre la guerre, organise à la date du 9 avril, une grande démonstration contre le fascisme et la guerre. Il est évident que nous, communistes, nous allons travailler de toutes nos forces au succès de cette démonstration.

Nous vous proposons dès lors d’organiser en commun, ouvriers socialistes et ouvriers communistes, notre participation à la manifestation du 9 avril, dont l’ampleur et la répercussion peuvent être considérables et aider utile ment nos frères d’Allemagne.

Aucun obstacle ne doit s’opposer au rassemblement pour la lutte de tous les travailleurs, ce qui est nous en sommes convaincus le sentiment des ouvriers socialistes comme il est celui des ouvriers communistes, et nous insistons vivement pour qu’une réponse précise soit faite à nos propositions.

Le Comité Central du P.C.F. »

Or, il s’agit là d’une approche pragmatique, car il ne s’agit pas de conquérir la base ouvrière socialiste en la convainquant, de réaliser une unité réelle provoquant un entraînement, mais de la conduire comme malgré elle dans le bon sens, en profitant de bons leviers. On doit qualifier cette ligne de pragmatique-machiavélique.

Tendanciellement, cependant, il y a également un mouvement dans le sens de l’unité. C’est ce qui explique que le mois de mars 1933 est marqué par plus d’une cinquantaine de réunions contre la guerre, avec parfois des manifestations, comme à Nice avec 7 000 manifestants et 1500 personnes au meeting, 2 000 personnes au meeting à Hautmont, 1 200 à Metz, 1 500 à La Rochelle, etc.

Maurice Thorez

De manière beaucoup plus intelligente, il y a un congrès antifasciste (devant initialement se tenir à Prague les 16 et 17 avril 1933) par les oppositions syndicales allemande, italienne, polonaise, trois pays ayant un régime fasciste. 60 000 personnes manifestent le 9 avril 1933 à Bagnolet, en banlieue parisienne, en soutien au congrès.

L’appel de la CGTU du 24 avril est également très concret, calibré pour avoir un écho efficace (ce qui témoigne d’ailleurs du maintien du syndicalisme révolutionnaire comme matrice) :

« Il y a trop de produits et des millions d’êtres humains souffrent de la faim et réclament du pain et du travail. Dans les administrations publiques comme dans l’industrie privée, les salaires sont diminués et les conditions de travail aggravées criminellement.

Le fascisme fait rage. Hitler s’est installé au pouvoir par le fer et par le ̃feu. En France, la bourgeoisie, [André] Tardieu en tête, multiplie ses provocations chauvines et réactionnaires.

La guerre impérialiste se prépare fébrilement dans tous les pays. Elle tue déjà en Chine, en Amérique du Sud, aux colonies. Contre la formidable réaction du prolétariat au pouvoir en URSS, le capitalisme croulant dresse ses batteries guerrières et destructrices.

Mais dans tous les pays, les masses laborieuses s’élèvent avec vigueur contre ta misère, la réaction, le fascisme et la guerre impérialiste. Le Premier Mai sera une journée de lutte ardente pour les revendications de tous les travailleurs, sans distinction de nationalité.

UNITE D’ACTION !

UN SEUL MEETING UNE SEULE DEMONSTRATION !

C’est le désir de tous les travailleurs. C’est l’appel de la C.G.T.U. auquel la C.G.T. vient de répondre par une fin de non-recevoir, mais auquel les OUVRIERS CONFEDERES répondront favorablement et avec enthousiasme.

Constituez vos comités d’action et du Premier Mai dans chaque entreprise, dans chaque localité. Élaborez et déposez en commun vos cahiers de revendications. Préparez de vastes protestations collectives, de puissantes démonstrations de rues, préparez la grève.

Contre toute diminution de salaires et pour leur relèvement. Pour des contrats collectifs garantissant les avantages arrachés par les travailleurs.

Pour la semaine de quarante heures sans diminution de salaire.

Contre toute atteinte aux avantages de la loi des assurances sociales, pour son amélioration, pour l’assurance-chômage et l’augmentation immédiate des indemnités. Allocation de l’indemnité aux chômeurs partiels pour chaque journée perdue.

Pour la défense du droit syndical et du droit de manifestation. Contre toutes les méthodes de coercition envers les Syndicats et syndiqués. Pour l’amnistie.

Contre la réaction et le fascisme, pour le soutien des travailleurs d’Allemagne.
Contre la guerre impérialiste, pour la défense de l’U.R.S.S.

Le Premier Mai, tous ensembles répondez à l’appel des syndicats unitaires ! Désertez les entreprises ! Manifestez en faveur de vos revendications !

Vive l’unité d’action de tous les travailleurs !

Vive l’unité syndicale dans une C.G.T. unique lutte de classe !

EN AVANT POUR UN PREMIER MAI PUISSANT D’ACTION
DIRECTE ! »

Le choix de l’expression « action directe » en dit long sur l’esprit syndicaliste-révolutionnaire prédominant en France ; on la retrouve même en grands caractères pour un appel de la CGTU dans L’Humanité du 30 avril 1933 ! De fait, pour les communistes français, le Parti Communiste est en quelque sorte le « Parti » du syndicalisme révolutionnaire.

C’est là un aspect essentiel, car le pendant du gauchisme politique est une ligne droitière économiste de type syndicaliste révolutionnaire, apparaissant très radical en apparence, mais « unitaire » réformiste (et substitutiste) dans les faits.

C’est ce que représente Maurice Thorez, qui débarrasse le Parti Communiste Français d’une bolchevisation mal comprise et d’une approche sectaire, pour faire basculer la ligne vers une ligne de masses syndicaliste révolutionnaire « partidaire ».

Le 2 mai 1933, L’Humanité titre ainsi : « A Vincennes, 70 000 prolétaires répondent à l’appel de la CGTU ! ».

Au moment clef où il faut faire de la politique, le Parti Communiste Français reste confondu avec la CGTU.

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