Le conflit avec Rome étant ouvert, quelle force allait diriger l’affrontement lancé par Martin Luther ? Il est intéressant de voir comment lui-même envisageait les choses.
En avril 1518, il tient tête au point de vue catholique romain lors d’une « disputatio » à Heidelberg, ce qui lui vaut un grand prestige dans le sud-ouest des pays allemands.
Puis, en juillet 1518, lorsque Martin Luther est alors cité à comparaître à Rome dans les deux mois, l’inculpation est appuyée par une consultation, In praesumptuosas Martin Lutheri conclusiones de potestate papae dialogus, rédigé à la demande du pape par Silvestro Mazzolini, également appelé Prierias car natif de Priero dans le Piémont.
Martin Luther répondit alors par une Responsio ad Sylvestri Prieratis dialogum, où on lit la formule suivante :
« Si les romanistes persistent dans leur furie, il n’y aura d’autre remède que l’empereur, les rois et les Princes, rassemblant leurs forces et leurs armes (…). Si nous punissons les voleurs par la potence et les hérétiques par le feu, pourquoi ne nous jetons-nous pas avec toutes nos forces contre ces maîtres de la perdition, ces cardinaux, ces papes, ce cloaque de sodomie romaine qui corrompt l’Église de Dieu ? »
Martin Luther table donc, à ce moment-là, sur ce qu’il pense représenter la nation allemande : l’empereur, les rois et les princes ».
Cependant, la situation va s’avérer fort différente lorsqu’il se rend à la convocation – à Augsbourg, car refusant d’aller à Rome – faite en octobre 1518 faite par le cardinal Jacques de Vico, dont le prénom est devenu Thomas à son entrée en religion et connu sous le nom de Cajétan, car originaire de Gaète.
La discussion ne fait que marquer les différences et Martin Luther s’enfuit dans la nuit du 20 octobre 1518. Le 11 décembre, Martin Luther parle dans une lettre du pape comme « véritable Antéchrist » et il tient de nouveau tête au point de vue catholique romain lors de la disputatio de Leipzig en juillet 1519 entre Jean Eck et Martin Luther, qui remplaça Andreas Bodenstein dit Carlstadt ayant le dessous dans la première phase.
Jean Eck accusa Martin Luther de hussitisme, ce qui surprit celui-ci découvrant alors son illustre prédécesseur de Bohême, affirmant alors :
« Nous sommes tous hussites sans l’avoir su. Saint Paul et saint Augustin sont aussi de parfaits hussites. »
Après l’excommunication de Martin Luther qui survint ensuite, la position de l’empereur était donc attendue. Martin Luther fut alors convoqué par une lettre du 6 mars 1521 à la Diète de Worms, assemblée extraordinaire des prince-électeurs, des conseiller privés et du conseil des villes d’Empire.
Arrivé le 16, sa comparution commença le lendemain et il tint tête au jeune empereur Charles-Quint, concluant notamment avec ces paroles connues :
« A moins d’être convaincu par l témoignage de l’Écriture et par des raisons évidentes – car je ne crois ni en l’infaillibilité du pape ni en celle des conciles – il est manifeste qu’ils se sont souvent trompés et contredits – je suis lié par les textes bibliques que j’ai apportés, et ma conscience est prisonnière de la Parole de Dieu.
Je ne puis ni ne veux me rétracter, car il n’est ni sûr ni salutaire d’agir contre sa conscience. Que Dieu me soit en aide ! Amen. »
L’empereur le mit alors au ban du Saint-Empire romain germanique.
Ce choix signifiait maintenir, par conséquent, la collaboration étroite avec l’Église catholique romaine, conformément à la politique cosmopolite de sa famille, les Habsbourg, dominant une importante partie de l’Europe d’alors.
C’était là une rupture très claire entre la ligne nationale allemande, représentée par Martin Luther, et la vision impériale de Charles-Quint.
C’est alors le prince électeur Frédéric III le Sage, duc de Saxe, qui organise un faux enlèvement de Martin Luther, qui vit alors sous une identité secrète au château de la Wartbourg, à Eisenach.
C’est ici un moment clef ; dépendant d’un prince électeur, Martin Luther se soumettait par conséquent aux princes électeurs, à la haute noblesse, dans le cadre de l’affirmation de la nation allemande.
Les autres forces favorables à Martin Luther n’avaient alors pas d’autres choix que de suivre. En effet, ni les princes électeurs, ni la chevalerie, ni le patriciat des villes ne voulait faire plaisir aux intentions de l’empereur, car cela aurait renforcé son pouvoir.
Et comme l’empereur ne disposait que d’une superstructure sans implantation locale administrative, ses décisions ne pouvaient être appliqués en tant que tel, de toutes façons.
Il fallait trouver un terrain d’entente avec les princes électeurs favorables à Martin Luther ; il était de toutes façons tout à fait dans l’intérêt des États allemands de disposer d’une Reformatio ecclesiae in capite ac membris, c’est-à-dire d’une réforme de la tête et des membres de l’Église. Cela allait dans un sens national unanimement soutenu par les partisans de la nation allemande.
Cela est d’autant plus vrai que les princes électeurs voyaient tout intérêt à s’approprier les richesses de l’Église, tout comme la bourgeoisie naissante voyait d’un bon œil l’effondrement de l’Église, cette force féodale.
Quelle que soit la manière souhaitée pour cela, il était d’ailleurs trop tard ; fermer la porte à Martin Luther, c’était peut-être définitivement refermer cette perspective en général.
A cela s’ajoutait une autre considération stratégique : l’absence de répression contre Martin Luther aboutissait immanquablement à une profonde tension entre l’empereur et le pape. Cela empêchait leur union écrasante pour les pays allemands et c’était donc autant de gagné.
Pour autant, était-il possible d’accepter l’hégémonie des Princes électeurs ?
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