Le discours du 6 février 1934
Le moment clef pour Maurice Thorez et le PCF se déroule le 6 février 1934, lorsqu’a eu lieu une grande manifestation d’extrême-droite à Paris, devant la Chambre des députés.
Or, Maurice Thorez devait y prononcer un discours, intitulé « Sous le drapeau rouge du Parti Communiste », sauf que le chef du gouvernement Edouard Daladier l’en empêcha.
A l’époque, Daladier était surnommé « Daladier-le-fusilleur » par le PCF, ce qui ne l’empêchera pas de devenir ministre de la Défense nationale durant le gouvernement du Front populaire de 1936 à 1937 – c’est dire si la situation changea alors rapidement.
Portons donc un regard sur le discours que Maurice Thorez aurait dû tenir, lors d’une journée qui exprima une crise très profonde, à la limite du coup d’État fasciste.
Soulignant l’importance de que révèle l’affaire Stavisky, à savoir la corruption généralisée et l’accaparement des richesses par une minorité financière, il constate de manière juste :
« Vous ne pouvez contrôler ceux qui spéculent et qui raflent les millions, mais vous pouvez découvrir et faire radier arbitrairement des fonds de chômage les malheureux qui n’avaient que les dix francs de secours pour tous moyens (…).
Le scandale Stavisky fait apparaître le mal incurable qui ronge votre société corrompue. Il est un des symptômes de la crise profonde qui secoue le monde capitaliste, qui ébranle la France bourgeoise et impérialiste (…).
La crise économique, entre autres conséquences, dresse violemment, les uns contre les autres, les capitalismes rivaux. De nouveau, la lutte pour les sources de matières premières, pour les marchés de plus en plus restreints, la guerre pour le partage du monde est à l’ordre du jour. »
Maurice Thorez exprime dans ce discours une compréhension tout à fait juste de la nature de la crise générale du capitalisme, et du rôle de la social-démocratie qui alimente le fascisme de par ses reniements et ses politiques laissant libre les fascistes et les capitalistes.
Il constate qu’au sein même du Parti Socialiste éclosent des tendances ouvertement fascistes, allant dans le sens de l’État corporatiste prétendument au-dessus des classes.
Cependant, à aucun moment Maurice Thorez n’affirme que le Parti Communiste est prêt à prendre les commandes de la société. Il propose des revendications économiques, il affirme le caractère nécessaire de la révolution socialiste.
Mais il est évident que Maurice Thorez voit la révolution socialiste comme une sorte de crise momentanée, telle une grève générale qui « forcerait » le destin ; il n’y a aucune proposition idéologique et culturelle.
Il est parlé de décadence, mais jamais il n’est opposé de valeurs positives à la décadence : on en reste à l’économisme, au syndicalisme révolutionnaire prôné « d’en haut ».
L’impact du 6 février 1934
Le 6 février 1934 a eu comme conséquence l’intervention immédiate de la classe ouvrière, y compris par la lutte armée. Le PCF en profite pour s’engouffrer dans la ligne qui va être au fur et à mesure celle du Front populaire.
Il y a une ligne droite entre la position « classe contre classe » du début des années 1930 et le Front populaire qui prône l’union avec le Parti Socialiste : c’est la quête absolue de l’unité du prolétariat. Chose nécessaire en soi, à condition de bien gérer les paramètres idéologiques et culturels.
Au début des années 1930, Maurice Thorez soulignait toujours que l’arme décisive de la révolution socialiste, c’était l’unité de la classe ouvrière, comme suffisante en soi. Avec le mouvement populaire qui a suivi le 6 février 1934, Maurice Thorez ne fait qu’adapter, de manière pragmatique-machiavélique, la ligne initiale.
Aussi, au lendemain du 6 février 1934, le PCF se met en avant comme la force dirigeante de l’antifascisme, comme l’organisation qui a jeté tout son poids dans la bataille antifasciste, qui répond physiquement présent face aux initiatives fascistes.
Il n’y a toutefois pas de contenu idéologique et culturel ; la position reste défensive syndicale, avec la révolution présentée comme un « grand soir » souhaitable et nécessaire. Dans l’article « Contre la passivité, contre l’opportunisme, accélérons la cadence », Maurice Thorez explique ainsi :
« Dans la lutte contre le fascisme, nous assurons à la fois la défense des revendications immédiates contre le patronat et l’Etat, la défense des libertés ouvrières réduites par la démocratie en voie de fascisation et la défense contre les attaques des bandes fascistes.
En outre, nous exposons le programme que réalisera notre Parti lorsqu’il aura été placé par la révolution prolétarienne à la direction de la vie économique et sociale du pays. »
Le Parti a un programme « économique et social » qu’il réalisera une fois que l’unité syndicale aura porté la révolution : c’est une vision anarcho-syndicaliste, avec le syndicat éclairé par une avant-garde anarchiste ; c’est une déviation qui est finalement très proche de celle de type syndicaliste qui a existé au début de la révolution russe, et qui sera dénoncé en 1921 (l’Opposition ouvrière avec Alexandre Chliapnikov, ou encore dans un même type la ligne du Proletkult d’Alexandre Bogdanov).