Qui dit droit et compassion dit en même temps dignité. Moïse, Jésus et Mahomet représentent une étape de civilisation, d’affirmation de l’humanité par rapport à elle-même, au moyen de Dieu servant de miroir.
C’est là le problème le plus épineux de la religion, qui s’est accaparé toute une vision du monde où l’être humain gagne en dignité grâce à Dieu, par l’intermédiaire du prophète.
Sans Dieu, sans la figure du prophète, il n’y a selon les religions monothéistes plus de dignité humaine. Il n’y a que l’infamie, l’ignorance, le paganisme. Le Coran utilise par exemple le terme de jâhilîya, qui vient du verbe jahala, signifiant être ignorant, agir stupidement.
On y trouve également une expression très poétique de la dignité de la condition humaine, même si bien entendu c’est au moyen d’une terrible contorsion :
70. Ô vous qui croyez! Craignez Allah et parlez avec droiture.
Sourate 33, Al-Ahzab – Les coalisés
71. afin qu’Il améliore vos actions et vous pardonne vos péchés. Quiconque obéit à Allah et à Son messager obtient certes une grande réussite.
72. Nous avions proposé aux cieux, à la terre et aux montagnes la responsabilité (de porter les charges de faire le bien et d’éviter le mal). Ils ont refusé de la porter et en ont eu peur, alors que l’homme s’en est chargé; car il est très injuste [envers lui-même] et très ignorant.
73. [Il en est ainsi] afin qu’Allah châtie les hypocrites, hommes et femmes, et les associateurs et les associatrices, et Allah accueille le repentir des croyants et des croyantes. Allah est Pardonneur et Miséricordieux.
L’humanité a un statut à part, tout en étant « mauvaise » en partie. C’est ici l’humanité qui a conscience de ses limites historiques, qui devront être dépassées. Le paradis, ici, n’est que l’expression du besoin de communisme ; c’est une anticipation naturelle déformée car socialement encore inapte.
Voici ce qu’on trouve dans la Bible chrétienne : Jésus rend la vue à Bartimée. Dans l’extrait que nous avons ici, Luc ne donne pas de nom à la personne guérie, mais Marc le nomme, et dans la Bible chrétienne c’est même la seule personne guérie qui est nommée en tant que tel.
Or, Bartimée signifie fils de Timée, Bar voulant dire « fils de » en araméen, alors que Timée signifie « honneur » en grec. Jésus rend la vue au fils de l’honneur : l’humanité elle-même, qui gagne sa dignité.
46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l’aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier.
Marc, 10:46-52
47 Apprenant que c’était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : « Fils de David, Jésus, aie pitié de moi ! »
48 Beaucoup le rabrouaient pour qu’il se taise, mais lui criait de plus belle : « Fils de David, aie pitié de moi ! »
49 Jésus s’arrêta et dit : « Appelez-le. » On appelle l’aveugle, on lui dit : « Confiance, lève-toi, il t’appelle.
50 Rejetant son manteau, il se leva d’un bond et il vint vers Jésus.
51 S’adressant à lui, Jésus dit : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » L’aveugle lui répondit : « Rabbouni, que je retrouve la vue ! »
52 Jésus dit : « Va, ta foi t’a sauvé. » Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.
La bataille pour la dignité est, bien sûr, au coeur de la figure de Moïse, qui fait selon la Bible juive sortir les Hébreux d’Egypte. L’épisode du buisson ardent est le plus connu, car il est la grande affirmation par Dieu que la dignité va être affirmée contre l’oppression.
C’est un épisode idéologique dont la dimension universelle est facile à saisir. Voici ce qu’on lit dans la Bible juive ;
1 Or, Moïse faisait paître les brebis de Jéthro son beau-père, prêtre de Madian. Il avait conduit le bétail au fond du désert et était parvenu à la montagne divine, au mont Horeb.
Exode, 3:1-10
2 Un ange du Seigneur lui apparut dans un jet de flamme au milieu d’un buisson. Il remarqua que le buisson était en feu et cependant ne se consumait point.
3 Moïse se dit : « Je veux m’approcher, je veux examiner ce grand phénomène: pourquoi le buisson ne se consume pas. »
4 L’Éternel vit qu’il s’approchait pour regarder ; alors Dieu l’appela du sein du buisson, disant: « Moïse ! Moïse ! » Et il répondit : « Me voici. »
5 Il reprit : « N’approche point d’ici ! Ote ta chaussure, car l’endroit que tu foules est un sol sacré ! »
6 Il ajouta : « Je suis la Divinité de ton père, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob… » Moïse se couvrit le visage, craignant de regarder le Seigneur.
7 L’Éternel poursuivit : « J’ai vu, j’ai vu l’humiliation de mon peuple qui est en Égypte ; j’ai accueilli sa plainte contre ses oppresseurs, car je connais ses souffrances.
8 Je suis donc intervenu pour le délivrer de la puissance égyptienne et pour le faire passer de cette contrée-là dans une contrée fertile et spacieuse, dans une terre ruisselante de lait et de miel, où habitent le Cananéen, le Héthéen, l’Amorréen, le Phérézéen, le Hévéen et le Jébuséen.
9 Oui, la plainte des enfants d’Israël est venue jusqu’à moi ; oui, j’ai vu la tyrannie dont les Égyptiens les accablent.
10 Et maintenant va, je te délègue vers Pharaon ; et fais que mon peuple, les enfants d’Israël, sortent de l’Égypte. »
Moïse, Jésus et Mahomet sont ainsi les vecteurs de la dignité ; ils la permettent, car ils permettent à l’humanité de s’auto-exiger, par l’intermédiaire de Dieu comme moyen, un niveau plus élevé de civilisation.
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