Moïse, Jésus et Mahomet ont affirmé des valeurs : celle d’un Dieu éternel montrant sa toute puissance en montrant son contrôle du temps dans l’espace terrestre où vivent les humains profitant de la nature pour vivre.
La question est alors : pourquoi le rapport est-il posé ainsi entre Dieu et la nature ? Tout simplement parce que Dieu représente l’affirmation de la domination de la nature permettant un saut dans la production de biens, notamment alimentaires.
Jusqu’à présent, au sujet de Moïse, on a considéré qu’il représentait l’allégorie d’un cheminement spatial, avec les Hébreux fuyant l’Egypte pour trouver la terre promise. En réalité, il faut s’intéresser à la dimension temporelle : le mouvement n’est pas tant dans l’espace que dans le temps.
Voilà la raison pour laquelle on n’a pas de traces archéologiques de la fuite des Hébreux, chose de toutes manières secondaire par rapport à l’allégorie que représente Moïse comme saut dans la production.
Regardons par exemple ce que dit Dieu à Moïse sur le mont Sinaï en plein épisode de l’exode. Dieu parle de l’esclavage, expliquant grosso modo qu’il faut une réforme et son abolition. Puis il donne toute une série de principes concernant des rapports humains touchant à la production.
Voici comment Moïse relate les propos de Dieu dans la Bible juive, et ce qui doit frapper, c’est qu’il y a ici des explications détaillées… alors que les Hébreux sont censés survivre dans le désert, et non pas déjà disposer de meules de blé, de moissons, de vignobles, etc.
– 21:
1 Et voici les statuts que tu leur exposeras.
2 Si tu achètes un esclave hébreu, il restera six années esclave et à la septième il sera remis en liberté sans rançon.
3 S’il est venu seul, seul il sortira ; s’il était marié, sa femme sortira avec lui.
(…)
15 Celui qui frappera son père ou sa mère sera mis à mort.
16 Celui qui aura enlevé un homme et l’aura vendu, si on l’a pris sur le fait, sera mis à mort.
(…)
26 « Si un homme blesse l’œil de son esclave ou de sa servante de manière à lui en ôter l’usage, il le renverra libre à cause de son œil
27 et s’il fait tomber une dent à son esclave ou à sa servante, il lui rendra la liberté à cause de sa dent.
28 « Si un boeuf heurte un homme ou une femme et qu’ils en meurent, ce boeuf doit être lapidé et il ne sera point permis d’en manger la chair ; mais le propriétaire du boeuf sera absous.
(…)
– 22:
1 Si quelqu’un dérobe un bœuf ou une brebis, puis égorge ou vend l’animal, il donnera cinq pièces de gros bétail en paiement du boeuf, quatre de menu bétail pour la brebis.
2 Si un voleur est pris sur le fait d’effraction, si on le frappe et qu’il meure, son sang ne sera point vengé.
3 Si le soleil a éclairé son délit, son sang serait vengé. Lui cependant doit réparer ; et s’il ne le peut, il sera vendu pour son vol.
4 Si le corps du délit est trouvé entre ses mains, intact, soit boeuf, soit âne ou brebis, il paiera le double.
5 Si un homme fourrage un champ ou un vignoble en faisant pâturer son bétail sur les terres d’autrui, il paiera le dégât du meilleur de son champ ou de sa vigne.
6 Si le feu, en s’étendant, gagne des buissons et dévore une meule de blé, ou la moisson ou le champ d’autrui, l’auteur de l’incendie sera tenu de payer.
(Exode, 21:1 – 22:6)
On voit ici très bien que Moïse exprime des besoins juridiques propres à une époque nouvelle dans la production, le passage de l’esclavage à l’abondance étant simplement une allégorie, c’est-à-dire le reflet de type religieux, fantasmagorique, de la modification de la situation dans l’esprit humain.
Mahomet, lui, s’adresse à des tribus pastorales, et le Coran – censé pourtant être intemporel – décrit précisément leur situation :
5. Et les bestiaux, Il les a créés pour vous ; vous en retirez des [vêtements] chauds ainsi que d’autres profits. Et vous en mangez aussi.
6. Ils vous paraissent beaux quand vous les ramenez, le soir, et aussi le matin quand vous les lâchez pour le pâturage.
7. Et ils portent vos fardeaux vers un pays que vous n’atteindriez qu’avec peine. Vraiment, votre Seigneur est Compatissant et Miséricordieux.
8. Et les chevaux, les mulets et les ânes, pour que vous les montiez, et pour l’apparat. Et Il crée ce que vous ne savez pas.
9. Il appartient à Allah [par Sa grâce, de montrer] le droit chemin car il en est qui s’en détachent. Or, s’Il voulait, Il vous guiderait tous.
10. C’est Lui qui, du ciel, a fait descendre de l’eau qui vous sert de boisson et grâce à la quelle poussent des plantes dont vous nourrissez vos troupeaux.
11. D’elle, Il fait pousser pour vous, les cultures, les oliviers, les palmiers, les vignes et aussi toutes sortes de fruits. Voilà bien là une preuve pour des gens qui réfléchissent.
12. Pour vous, Il a assujetti la nuit et le jour; le soleil et la lune. Et à Son ordre sont assujetties les étoiles. Voilà bien là des preuves pour des gens qui raisonnent.
(Sourate 16 – An-Nahl – Les abeilles)
En ce qui concerne Jésus, le passage le plus important concernant la question de la production est celui raconté par Jean : c’est le fameux épisode où les marchands du temple sont chassés.
Jésus va, en fait, à Jérusalem, dans le grand temple construit par Hérode le grand, et il s’affronte aux commerçants, dont les principaux représentants sont liés au grand prêtre. Sous l’occupation romaine, le haut clergé juif est un allié des forces étrangères, il fait office de force bureaucratique local reconnaissant la domination romaine que Jésus, lui, compte renverser.
L’action de Jésus est un coup d’éclat politique touchant à la production : le clergé gère les sacrifices en toute continuité, paralysant le peuple qui selon Jésus doit se révolter contre Rome, et cette gestion passe par une corruption que Jésus appelle à remettre en cause.
Au temple matériel qui participe à la soumission des Juifs face aux romains, Jésus oppose la cause révolutionnaire, dont il est le symbole, symbole comptant plus qu’un sanctuaire inféodé à l’occupation romaine.
Voici comment Jean raconte l’action de Jésus :
13 La Pâque juive était proche et Jésus monta à Jérusalem.
14 Il trouva dans le temple les marchands de bœufs, de brebis et de colombes ainsi que les changeurs qui s’y étaient installés.
15 Alors, s’étant fait un fouet avec des cordes, il les chassa tous du temple, et les brebis et les bœufs ; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa leurs tables ;
16 et il dit aux marchands de colombes : « Otez tout cela d’ici et ne faites pas de la maison de mon Père une maison de trafic. »
17 Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : Le zèle de ta maison me dévorera.
18 Mais les autorités juives prirent la parole et lui dirent : « Quel signe nous montreras-tu, pour agir de la sorte ? »
19 Jésus leur répondit : « Détruisez ce temple et, en trois jours, je le relèverai. »
20 Alors ces Juifs lui dirent : « Il a fallu quarante-six ans pour construire ce temple et toi, tu le relèverais en trois jours ? »
21 Mais lui parlait du temple de son corps.
(Jean, 2:13-21)
Luc précise de la manière suivante comment en réalité Jésus fait du sanctuaire un bastion politique nouveau, en confrontation avec les forces s’étant soumises aux Romains :
45 Puis Jésus entra dans le temple et se mit à chasser ceux qui vendaient.
46 Il leur disait : « Il est écrit : Ma maison sera une maison de prière ; mais vous, vous en avez fait une caverne de bandits. »
47 Il était chaque jour à enseigner dans le temple. Les grands prêtres et les scribes cherchaient à le faire périr, et aussi les chefs du peuple ;
48 mais ils ne trouvaient pas ce qu’ils pourraient faire, car tout le peuple, suspendu à ses lèvres, l’écoutait.
(Luc, 19:45-48)
Les choses sont ici très claires. Les religions ont gommé ces aspects, en contradiction formelle avec l’universalisme supposé des messages de Moïse, Jésus et Mahomet. Et il y a bien une dimension universelle : elle consiste en un aspect, celui qui exprime une révolution par l’unification face à une adversité.
Mais dans les faits, Mahomet s’adresse à des bergers, Jésus à une nation opprimée par les Romains, Moïse à un peuple à un tournant économique et de la politique.
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