L’échec, en raison de la répression, des pièces ayant comme personnages « principaux » Tartuffe et Dom Juan – avec en leur cœur la dénonciation anti-féodale de la religion catholique – n’a pas déçu le roi.
Celui-ci fait de la troupe de Molière pas moins que la « Troupe du Roy », en 1665. La nouvelle pièce, appelée L’Amour médecin et consistant de nouveau en une comédie-ballet, est jouée à Versailles.
Elle a été écrite rapidement, et son portrait vise surtout à se moquer des médecins, à la science improbable masquée par un jargon élaboré pour mystifier. Il y a même une servante qui vient se moquer des médecins en disant que quelqu’un marche sur leurs plate-bandes, en ayant tué quelqu’un à l’épée, concurrençant les médecins qui justement envoient plus au cimetière qu’ils ne guérissent…
« Lisette
Quoi, Messieurs, vous voilà, et vous ne songez pas à réparer le tort qu’on vient de faire à la médecine ?
M. Tomès
Comment, Qu’est-ce ?
Lisette
Un insolent, qui a eu l’effronterie d’entreprendre sur votre métier : et qui sans votre ordonnance, vient de tuer un homme d’un grand coup d’épée au travers du corps »
Bien entendu, il y a une charge anti-religieuse, car les naïfs croyant les médecins sont aussi ceux qui sont superstitieux, qui ont été façonnés par l’obscurantisme religieux… Le jeune homme qui veut parler secrètement à la femme qu’il aime se fait passer pour un médecin auprès du père de celle-ci, et son discours joue là-dessus :
« Clitandre
Monsieur, mes remèdes sont différents de ceux des autres : ils ont l’émétique, les saignées, les médecines et les lavements : mais moi, je guéris par des paroles, par des sons, par des lettres, par des talismans, et par des anneaux constellés.
Lisette
Que vous ai-je dit ?
Sganarelle
Voilà un grand homme ! »
Si le scénario est grossier, Molière réussit par le portrait à ne pas limiter cela à la farce. Il y a la révolte contre l’obscurantisme, comme lorsque le jeune homme dit la vérité, mais que père mystifié croit que c’est un discours visant à tromper sa fille devenue « folle ».
« Clitandre
N’en doutez point, Madame, ce n’est pas d’aujourd’hui que je vous aime, et que je brûle de me voir votre mari, je ne suis venu ici que pour cela : et si vous voulez que je vous dise nettement les choses comme elles sont, cet habit n’est qu’un pur prétexte inventé, et je n’ai fait le médecin que pour m’approcher de vous, et obtenir ce que je souhaite.
Lucinde
C’est me donner des marques d’un amour bien tendre, et j’y suis sensible autant que je puis.
Sganarelle
Oh ! la folle ! Oh ! la folle ! Oh ! la folle ! »
Comme il s’agit d’une comédie-ballet, on comprend que l’appel est à la joie, et qu’il faut savoir se passer des médecins, dans la mesure où ce sont des charlatans…
« La Comédie, Le Ballet et La Musique, tous trois ensemble.
Sans nous tous les hommes
Deviendraient mal sains :
Et c’est nous qui sommes
Leurs grands médecins.La Comédie.
Veut-on qu’on rabatte
Par des moyens doux,
Les vapeurs de rate
Qui vous minent tous,
Qu’on laisse Hippocrate,
Et qu’on vienne à nous.Tout trois, ensemble.
Sans nous… »
On retrouve la même chose dans Le Médecin malgré lui, où là encore on a une servante qui exprime les choses simples de la vie.
« Jacqueline
on n’a que son plaisir en ce monde ; et j’aimerais mieux bailler à ma fille eun bon mari qui li fût agriable, que toutes les rentes de la Biausse. »
Le Médecin malgré lui se moque d’ailleurs fondamentalement de la médecine, puisqu’un coupeur de bois se fait passer brillamment pour un médecin. Il y a là une critique approfondie de la mystification obscurantiste de la caste des médecins, dans une œuvre fameuse et savoureuse.
On a le même principe dans la pièce montée entre les deux précédentes, Le Misanthrope ou l’Atrabilaire amoureux. Si elle est bien moins réussie, elle se veut un portrait également, mais le public n’a pas réellement apprécié, et pour cause : le personnage du misanthrope est attachant dans son isolement face à ceux et celles pour qui ne comptent que le paraître.
Voici ce que dit le misanthrope :
« Non, je ne puis souffrir cette lâche méthode
Qu’affectent la plupart de vos gens à la mode ;
Et je ne hais rien tant que les contorsions
De tous ces grands faiseurs de protestations,
Ces affables donneurs d’embrassades frivoles,
Ces obligeants diseurs d’inutiles paroles,
Qui de civilités avec tous font combat,
Et traitent du même air l’honnête homme et le fat.
Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse,
Vous jure amitié, foi, zèle, estime, tendresse,
Et vous fasse de vous un éloge éclatant,
Lorsque au premier faquin il court en faire autant ?(…)
Le ciel ne m’a point fait, en me donnant le jour,
Une âme compatible avec l’air de la cour.
Je ne me trouve point les vertus nécessaires
Pour y bien réussir, et faire mes affaires.
Être franc et sincère est mon plus grand talent ;
Je ne sais point jouer les hommes en parlant ;
Et qui n’a pas le don de cacher ce qu’il pense
Doit faire en ce pays fort peu de résidence.
Hors de la cour sans doute on n’a pas cet appui
Et ces titres d’honneur qu’elle donne aujourd’hui ;
Mais on n’a pas aussi, perdant ces avantages,
Le chagrin de jouer de fort sots personnages »
Faut-il alors comprendre que l’hypocrisie de la cour est intenable ? Ou bien inversement que le « misanthrope » est un aristocrate lié à la féodalité et incapable de suivre l’exigence culturelle nouvelle ? Ou encore, comme ce misanthrope haïssant l’humanité manie à perfection le langage exigé par son époque, n’est-il pas finalement un égocentrique refusant faussement les manières délicates ?
En pratique, c’est en fait la contradiction villes-campagnes qui permet de comprendre que ce personnage du misanthrope est réactionnaire : il est contre le développement des mœurs, il est débordé par le développement culturel. Il est donc condamné historiquement.