Le grand saut vers le syndicalisme catholique organisé n’a pas été tant décidé par en haut du côté catholique qu’il n’a été le produit logique d’une structuration par en bas, même si de manière corporatiste.
C’est ainsi la Fédération des syndicats féminins de Paris qui est à l’origine de la demande de la mise en place d’une structure de dimension officiellement nationale de la part du Syndicat des employés de commerce et d’industrie (SECI).
Naturellement, à l’arrière-plan, il s’agit d’un plan de conquête de la part de l’Église catholique, qui ne voulait pas se faire déborder alors que les forces productives sont massivement en expansion.
La preuve est qu’incapable de s’implanter dans la classe ouvrière, le syndicalisme catholique a utilisé les employés et les femmes pour asseoir une base, tout en restant fondamentalement hostile au mouvement ouvrier en tant que tel.
Cependant, le processus est parallèle à l’Église, il a son moteur du côté des travailleurs catholiques chapeautés par du personnel religieux qui lui-même agit de manière relativement autonome par rapport au Vatican.
L’établissement d’un syndicat de dimension nationale pour les catholiques est donc artificiel dans ses fondements, mais reste lié à la dignité du réel de par la pseudo-autonomie des associations de travailleurs.
Un bon exemple est l’Union Catholique du Personnel des Chemins de Fer qui devient en 1918 la Fédération des Syndicats Professionnels de Cheminots de France et des Colonies ; farouchement opposé à la lutte de classe et uniquement tourné vers les catholiques, la Fédération rentre avec difficultés à la CFTC paradoxalement en raison de la dimension directement confessionnelle.
Il y a de vraies contradictions intérieures, dans le rapport entre confession et définition professionnelle du travail. Toutefois, la stabilité est obtenue de par le prestige de l’Église. Cela explique que, par la suite, les syndicalistes catholiques défendront le principe d’un « syndicalisme libre », refusant la soumission « du social à l’économique », y compris dans des régimes pro-catholiques comme l’austro-fascisme.
La naissance de la Confédération française des travailleurs chrétiens se déroule en 1919, alors que l’Église a largement profité de la première guerre mondiale pour renforcer son influence, à la fois par l’échec et l’écrasement du mouvement ouvrier organisé, et par sa ligne sociale dans un contexte de misère.
Les 1er et 2 novembre 1919, les 200 délégués catholiques représentent ainsi pas moins de 350 syndicats, et le chiffre monte à 578 lors du premier congrès à la Pentecôte 1920. Il y a alors 156 000 membres.
En voici la répartition sociale.
Employés (en fait employés, techniciens et agents de maîtrise) | 43 000 |
Cheminots | 35 000 |
Ouvriers du textile | 14 500 |
Mineurs | 10 000 |
Métallos | 8 000 |
Ouvriers du bâtiment | 7 000 |
C’est Jules Zirnheld qui est le président de la CFTC ; lui-même eut préféré que le dernier terme soit « catholique » et non « chrétien ».
Il céda en raison de l’option prise par l’Église en ce domaine ; d’ailleurs, la Confédération internationale des syndicats chrétiens fondée en 1919 et dont est membre la CFTC penche du côté de l’inter-confessionnalisme (les autres sections à part la France étant l’Allemagne, l’Autriche, l’Espagne, la Hongrie, l’Italie, les Pays-Bas, la Suisse, la Tchécoslovaquie).
Il s’agissait en effet d’élargir au maximum l’influence catholique, et donc d’être capable d’aspirer les courants chrétiens non catholiques, notamment en Alsace-Lorraine, et c’était d’autant plus vrai pour la section allemande, étant donné que l’Allemagne était divisée pour moitié-moitié entre catholiques et luthériens.
Cette dimension tactique ressort d’autant plus alors que le premier article des statuts de la CFTC affirmait que :
« La confédération entend s’inspirer dans son action de la doctrine sociale définie dans l’encyclique Rerum novarum. »
La ligne est tout à fait simple : sur le plan professionnel, la CFTC agit librement ; par contre sur le plan des idées, l’arrière-plan est le catholicisme.
Et, de toutes façons, pour rejoindre la CFTC, il faut passer par un organisme généré par l’Église catholique, que ce soit une paroisse ou une association rentrant dans le cadre catholique. La CFTC n’agit qu’au sein de ce cadre ; elle se pose de manière indépendante à l’Église… mais son existence y est intégrée.
Un aumônier du travail épaulait en ce sens chaque organisation, comme « consultant », ce que les statuts justifiaient par ailleurs en affirmant que :
« La confédération entend faire appel aux concours des forces religieuses, morales et intellectuelles susceptibles d’aider à la formation professionnelle et sociale des travailleurs et capables de développer en eux les qualités de discipline, de dévouement et de loyauté indispensables pour assurer le plein épanouissement de l’organisation professionnelle. »
La Conférence internationale des syndicats chrétiens de 1919 souligne bien que :
« Notre idéal syndical chrétien, fait de fraternité, notre conception économique réclamant la collaboration des classes et la coopération pour la production, nous empêcheront toujours de nous rallier à une doctrine basée sur la lutte des classes. »
La CFTC n’est de fait rien d’autre que la section française des syndicats montés dans différents pays par l’Église catholique, dans le sens du corporatisme et de l’union dans des syndicats « mixtes » des patrons et des ouvriers.
L’objectif, comme le dit le congrès de 1920, c’est la généralisation du corporatisme.
« Les commissions mixtes [des travailleurs et des employeurs] pourront, du reste, devenir, par leur généralisation et l’extension de leur zone d’influence, les véritables organismes représentatifs de la profession organisée, dans la localité, dans la région, dans la nation. »
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