Le congrès de Strasbourg de la SFIO s’est tenu du 25 au 29 février 1920 ; par définition, de par l’importance du mouvement ouvrier français historiquement, il attira fortement l’attention. Comment les socialistes français allaient-ils se comporter dans leur réaffirmation de l’après-guerre ?
Les invités étrangers consistaient en les suivants :
– de Grande-Bretagne, le Labour Party, clairement droitier, mais également l’Independent Labour Party et le British Socialist Party, qui ont été anti-guerre et se rapprocheront des communistes russes, la seconde organisation formant par la suite la base du Parti Communiste ;
– le Parti Ouvrier Belge, clairement droitier ;
– le Parti Social-démocrate de Suède, clairement droitier également ;
– des Pays-Bas, Henriette Roland Holst du Parti Communiste de Hollande, déjà affilié à la IIIe Internationale, ainsi que le très droitier Parti Ouvrier Social-démocrate des Pays-Bas.
Le dirigeant de ce dernier, Willem Vliegen, prenant la parole, souligna la chose suivante :
« Personnellement, je vous félicite, vous socialistes français, d’avoir tenu votre Congrès national à Strasbourg que rien n’a pu guérir d’être si longtemps éloigné de vous. »
Effectivement, le choix de la ville de Strasbourg était, par définition même, une provocation nationaliste ; cela n’a jamais été remarqué historiquement, ce qui est un comble.
Strasbourg avait en effet été allemande de la guerre de 1870-1871 jusqu’à 1918 ; elle n’était auparavant française que depuis la fin du 17e siècle. Elle est donc une ville avec un parcours historique complexe, demandant pour le saisir un haut niveau d’internationalisme prolétarien, que la SFIO n’a nullement.
Ainsi, si le nombre de mandats dépend du nombre de « timbres » cotisés de manière régulière par les membres, celui-ci a été réduit « pour l’attribution des mandats aux Fédérations des régions libérées », allusion à l’Alsace et la Lorraine. La présidence du congrès est confiée d’ailleurs à un Alsacien, Michel Heysch, épaulé pour son travail de plusieurs membres d’Alsace et de Lorraine. Il n’y a strictement aucune opposition à ce sujet lors du congrès.
Même si Michel Heysch avait pris part au mouvement des Conseils d’ouvriers et de soldats en 1918 en Alsace, il s’inséra totalement dans la démarche nationaliste ; premier à prendre la parole, il ouvrit le congrès en disant :
« Camarades, à vous tous accourus de tous les coins de France pour assister à ce premier Congrès tenu sur la terre libérée du joug du militarisme prussien, salut, fraternité et cordiale bienvenue.
Vous n’ignorez pas quelle fut l’attitude du Parti socialiste d’Alsace et de Lorraine lorsque l’Allemagne déchaîna la plus formidable des guerres que l’univers ait jamais connue.
Trahis par les compagnons d’Outre-Rhin (….), vous savez tous, citoyens, combien grande fut notre joie lorsque nous pûmes rejoindre la grande famille des prolétaires français. »
Pierre Renaudel, principale figure du courant ayant précipité le Parti socialiste SFIO dans « l’Union sacrée » en 1914, pouvait s’exprimer totalement librement, jusqu’à revendiquer la participation gouvernementale et le soutien au régime de 1914 à 1918, quitte à quelques protestations lors de ses interventions :
« Nous avons fait ce qu’il était possible de faire à ce moment-là. L’Internationale a subi une secousse, c’est vrai.
Ce qui a tué l’Internationale, c’est le silence de la Social-démocratie allemande ; de même que ce qui rend à l’heure actuelle l’Internationale impuissante, c’est la faiblesse du socialisme français dont l’échec aux dernières élections a diminué – bien plus que ses mandats, – son unité et son autorité politiques. (Bruit et protestations.). »
Le Parti Socialiste Indépendant d’Allemagne envoya un long message solidaire, qui fut lu à la tribune, mais il ne fut pas applaudi, à l’inverse du très court message de soutien norvégien.
Ce chauvinisme étalé sans honte aucune reflète tout à fait un parti qui, somme toute, n’est qu’un assemblage hétéroclite et qui a repris entièrement sa forme et ses traditions d’avant 1914, sans se soucier en rien de la question de la guerre impérialiste. Son objectif est de repartir comme avant, de se relancer en profitant de la révolution russe.
De toutes manières, alors qu’avant 1914 l’amitié franco-allemande était sans cesse soulignée, alors que la révolution allemande de 1918 a été d’une immense portée, il n’y a au congrès de Strasbourg de février 1920 aucun délégué allemand.
Cyrille Spinetta pouvait par contre faire au congrès de Strasbourg un long éloge de la défense nationale, la France ayant été attaquée et n’ayant aucune part dans le déclenchement de la guerre, etc., avec quelques protestations, mais sans condamnation aucune.
De la même manière, la question de la IIIe Internationale est reléguée loin dans les débats : après les rapports de la trésorerie, du groupe parlementaire, sur l’Humanité, après la question de la politique du Parti, etc. etc.
Et cela, alors que c’est la majorité pro-paix née à la fin de la guerre qui est à la tête du Parti !
Le secrétaire du Parti socialiste SFIO depuis 1918, Louis-Oscar Frossard, également directeur de l’Humanité, chef de file du courant pro-défense nationale tout de même partisan d’une reprise des relations internationales pendant la guerre, constata alors au congrès que :
« Camarades, permettez-moi de le dire, je n’ai pas l’impression que le Congrès se rende compte de la gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons placés à cet instant même.
Camarades, au moment où nous discutons avec tant de passion de savoir si nous aurions dû ou non, pendant la guerre, pratiquer une politique de Défense nationale, des mouvements ouvriers de la plus haute importance sont en train de se développer. (Applaudissements)
[Suit une très rapide présentation des grèves des cheminots, des mineurs, des imprimeurs, etc.]
Camarades, nous délibérons au milieu de ces événements, et il me paraît que le Congrès, lorsqu’il s’évertue à réveiller les vieilles querelles, ressemble à ces docteurs en théologie du Moyen-Âge qui discutaient sur la couleur des cheveux du Christ (…).
Camarades, je vais conclure [les débats sur la politique du Parti] en insistant sur ces mots : besogne d’éducation, besogne de recrutement !
Le Parti socialiste, devant les événements d’une gravité exceptionnelle qui se produisent ne doit pas oublier qu’il est appelé à prendre les responsabilités les plus lourdes.
Que demain, la grève des cheminots devienne générale ; que la grève des mineurs éclate ; que d’autres corporations entrent dans le mouvement, il faut que le Parti socialiste soit capable d’apporter aux prolétaires en grève autre chose, vous m’entendez, que des satisfactions verbales ; il faut qu’il puisse leur apporter un concours actif, une aide efficace, et, si nous voulons servir utilement des mouvements de grève générale, qui sont à la vérité les prodromes du mouvement révolutionnaire par nous espéré, il faut que notre unité nécessaire soit maintenue et fortifiée, – unité entre les organisations politiques et les organisations économiques… (Vifs applaudissements) unité nationale, unité internationale : le triomphe du socialisme est à ce prix. (Applaudissements prolongés) »
Louis-Oscar Frossard défendit même les tenants de « l’Union sacrée » :
« Quand des parlementaires ou des militants, dans l’état présent des choses, affirment que, s’ils avaient à recommencer ce qu’ils ont fait le 4 août 1914, ils recommenceraient, c’est leur droit absolu au regard de toutes les décisions du Parti. (Très bien !) »
Et c’est ce même Frossard qui, au congrès suivant, à la fin de l’année, prônera l’adhésion à la IIIe Internationale, devenant le premier dirigeant de la Section Française de l’Internationale Communiste !
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au lendemain de la première guerre mondiale