Tout au long de sa vie, et de manière encore plus accentuée après 1989, Paul Boccara souligna qu’il ne fallait pas être dogmatique, que le marxisme demandait des analyses toujours nouvelles, car rien ne serait fixé sur le plan des concepts, etc.
Cette thématique fut régulièrement mise en avant, au détour des analyses, dans une vraie optique d’éducation « anti-stalinienne », évidemment.
En janvier 1966, Paul Boccara prononça par exemple deux conférences dans le cadre de « l’Université nouvelle », au sujet de l’ouvrage de Karl Marx Le capital. Après avoir présenté la situation historique et les conceptions de Karl Marx sous un certain angle, Paul Boccara en arriva alors au point où il affirma :
« Certains peuvent penser que ces précisions érudites n’ont pas une grande importance pour avoir une juste idée d’ensemble du Capital.
Mais songez que longtemps, sous l’influence du dogmatisme [c’est-à-dire le marxisme-léninisme défini par Staline], on a tendu à croire que « Le Capital » contenait toute la théorie du capitalisme, au moins pour l’époque de Marx. Alors qu’au contraire Marx, en décidant d’écrire « Le Capital », veut élaborer une œuvre volontairement relative et à dépasser.
Cependant n’exagérons pas, ce « Capital en général », qui contient déjà la quintessence de la théorie du capitalisme, va voir son contenu enrichi avant devenir l’ouvrage que nous connaissons avec des emprunts importants faits aux autres parties sans doute et notamment aux livres 2 et 3 de la « Contribution » prévus sur la propriété foncière et sur le travail salarié (…).
Le « Capital » est doublement daté et limité, en tant qu’ouvrage d’une époque historique bornée par la vie de Marx, daté et limité en tant que moment d’une recherche interrompue par la mort de Marx.
Certes, toute œuvre est datée et relative. Mais le caractère profondément scientifique du « Capital » résulte du fait qu’il se sait et se veut daté, limité, relatif (…).
Il faut souligner ce caractère antidogmatique du « Capital » qui se veut un moment de la recherche et non une somme définitive, comme on l’a cru parfois.
Loin de barrer la route à la recherche ultérieure, il appelle explicitement à le dépasser. »
Le propos est démagogique et sous couvert de science ne vise qu’une seule chose : nier que Karl Marx aurait affirmé des lois – chez Paul Boccara, Karl Marx n’est qu’un indicateur de tendances.
On a avec cette approche un style véritablement révisionniste – même si Paul Boccara n’a jamais connu que le révisionnisme, n’ayant même pas lui-même à modifier ses propres considérations.
Sa carrière commença directement avec cette approche « antidogmatique », avec ce bricolage intellectuel sur différentes thèses de Karl Marx, masquées au départ derrière de multiples résumés théoriques ou historiques de certains points marxistes.
Voici ce qu’il dit en 1961, dans Quelques hypothèses sur le développement du « Capital » :
« On est frappé par les ressemblances de forme évidentes entre le stade manufacturier et le stade monopoliste suprême du capitalisme.
Concurrence niée et modifiée par les monopoles, importance décisive du commerce extérieur et colonial, du rôle économique de l’État (législation ouvrière, politique douanière, finances).
Évidemment, ce sont des ressemblances formelles abstraites qui recouvrent des réalités extrêmement différentes.
Mais n’y a-t-il pas quelque chose de plus profond derrière ces analogies, et indépendamment de la nécessité générale d’utiliser l’État, étant donné l’antagonisme entre le mode de production et les conditions générales dans lesquelles il fonctionne, à une époque de transition? »
Ce rapport d’analogie – l’analogie étant par définition opposé à l’esprit de synthèse comme approche des phénomènes – en dit long sur l’éclectisme de Paul Boccara, qui n’en expliquait pas moins en long et en large au début de sa carrière qu’il fallait le matérialisme dialectique, etc.
Le passage suivant, du même document de 1961, témoigne pourtant clairement de son refus du déterminisme, du matérialisme dialectique dans sa substance :
« Le lien indispensable entre nécessité sociale et liberté historique fait que cette nécessité exclut le fatalisme.
Non seulement l’action des hommes permet à la nécessité de changer de forme, mais surtout la complexité du déterminisme historique permet véritablement aux hommes de faire leur histoire.
De même, plus l’intelligence de la nécessité progresse et plus croît la possibilité de liberté réelle.
Ainsi le passage nécessaire d’un mode de production à un autre n’est pas fatal.
La classe déclinante, profitant de conditions favorables, peut, au prix de grandes souffrances pour les masses et de tentatives de régression, prolonger son agonie et faire pourrir le plus longtemps possible le mode où elle domine.
Mais aussi le passage, devenu inéluctable, peut ne pas se faire, car les sociétés sont mortelles et ainsi la Rome antique disparaît en tant que telle de la scène de l’histoire.
Il faudrait étudier la particularité des conditions concrètes (géographie, influence historique extérieure, etc.) qui rendent compte des réalités phénoménales, si différentes suivant les pays, exprimant le même mouvement économique essentiel et permettant une action subjective différente. »