Paul Boccara et la conférence internationale de Choisy-le-Roi

Les implications politiques de la conception de Paul Boccara étaient très importantes. Aussi, sa mise en place rentre-t-elle toujours dans contexte, un cadre, toujours très encadré.

Un moment-clef de l’affirmation du dispositif idéologique boccariste fut la conférence internationale sur le capitalisme monopoliste d’État de Choisy-le-Roi, qui se tint du 26 au 29 mai 1966.

Paul Boccara intervint au début de celle-ci, témoignant de sa propre importance dans la mise en avant du concept, avec donc la reconnaissance ouverte de l’URSS. L’intervention qu’il fit est liée à cela, puisqu’il s’agit d’un petit rapport mettant en lien la question du capitalisme monopoliste d’État avec celle du programme politique.

C’est qu’il faut bien voir à l’arrière-plan qu’on a ici du vargisme. L’URSS apprécie le vargisme, et ses variantes comme le boccarisme, à partir du moment où cela satisfait ses exigences en tant que puissance social-impérialiste.

Paul Boccara dut donc dès le départ montrer patte blanche et montrer en quoi il y avait convergence entre les analyses du capitalisme monopoliste d’État et un programme politique en adéquation avec les intérêts soviétiques.

Il fit donc référence à Eugen Varga, montrant que c’est chez lui que le concept de « capitalisme monopoliste d’Etat » a été mis en place, et cela dès les années 1930. Il ne pouvait pas faire autrement que de le préciser, les participants sachant bien cela.

Il ne reparlera plus cependant d’Eugen Varga, à part de manière extrêmement anecdotique, comme dans son article Aperçu sur la question du capitalisme monopoliste d’État, dans la revue Économie et politique (janvier-mai 1966), où il était dit qu’Eugen Varga n’avait pas examiné assez profondément les possibilités d’une utilisation « démocratique » du processus propre au capitalisme monopoliste d’État pour la « victoire » de la classe ouvrière.

Lors de la conférence, la mention d’Eugen Varga suivait bien entendu une référence à Lénine, présenté comme celui qui aurait vu le même processus, au moyen d’une déformation de son propos dans par ailleurs seulement deux citations.

Paul Boccara dénonça ensuite Staline, comme de rigueur, pour affirmer dans la foulée qu’il n’y avait actuellement pas encore de théorie marxiste du capitalisme monopoliste d’État. Il dit ainsi :

« Peut-on dire qu’il y ait actuellement une théorie marxiste admise du capitalisme monopoliste d’État ? Non.

Si certaines formules sont généralement admises, elles ne constituent pas une théorie, mais des délimitations de la question, des premières tentatives de généralisation de phénomènes connus, qui n’expliquent pas rigoureusement leur nécessité, qui ne fournissent pas les lois nécessaires de leur apparition et de leur développement, de leurs mouvements divers.

Il serait grave de se méprendre sur la portée de ces formules dont la grande utilité est incontestable mais provisoire et relative.

Cette utilité ne saurait masquer la nécessité impérieuse de l’élaboration d’une théorie scientifique du capitalisme monopoliste d’État. »

C’était là parfaitement en phase avec les besoins de l’URSS : pas de dogmatisme et donc une grande marge de manœuvre pour l’opportunisme, et des partis à l’extérieur de l’URSS comme appendices jouant en sa faveur.

Paul Boccara s’empressa par ailleurs d’ajouter qu’il existait trois définitions valables du capitalisme monopoliste d’État.

Il mentionna comme sources de celle-ci le manuel [soviétique] d’économie politique de 1955 (soit après la liquidation des positions de Staline), la Nouvelle revue internationale [des « partis communistes et ouvriers » inféodés à l’URSS] d’octobre 1958 (soit une fois que les positions de Staline furent liquidées à l’international), ainsi que la « conférence des 81 Partis communistes et ouvriers » de 1960 (soit après la rupture sino-soviétique et donc une fois l’anti-révisionnisme rejeté).

De manière subtile, Paul Boccara en profita pour préciser qu’il ne fallait pas parler de fusion de l’appareil d’État et des monopoles, car cela serait « anti-dialectique », les deux pôles continuant à exister.

C’est que Paul Boccara avait une tâche : justifier la possibilité de la conquête institutionnelle du pouvoir. Une fusion – conception non marxiste par ailleurs – obligerait à détruire l’État.

Or, on a ici une convergence entre l’aristocratie ouvrière, organisée dans le PCF et la CGT, et l’URSS. Les deux veulent peser sur l’État français ; leurs intérêts convergeaient ouvertement.

Et pour bien asseoir cette alliance d’intérêts, Paul Boccara alla même plus loin : il affirma que Lénine n’avait pas donné une définition parfaitement claire de l’impérialisme. C’était là ouvertement du révisionnisme, mais cela ne posa aucun problème.

Il est à noter par ailleurs que du côté des forces anti-révisionnistes françaises, cet aspect ne fut pas analysé non plus, ou dénoncé. Il ne fut sans doute tout simplement pas vu.

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