Lorsque l’URSS de Khrouchtchev balança par-dessus bord les principes et valeurs de Staline, elle pouvait s’appuyer déjà sur l’intense travail mené en amont par Eugen Varga, qui avait provoqué une polémique immense dans l’URSS de l’après-guerre.
L’un des points principaux modifiés fut la notion d’impérialisme, remplacé par celui de capitalisme monopoliste d’État. Il y aurait ainsi le capitalisme, grosso modo à l’époque de Karl Marx, l’impérialisme, correspondant dans les très grandes lignes à celle de Lénine, et enfin le capitalisme monopoliste d’État.
Il va de soi que l’affirmation d’un tel concept nouveau et encore non défini au sens strict permettait de louvoyer, de prétendre que beaucoup de situations différentes existaient, que tout « dogmatisme » était néfaste, etc. Cela formait également un appel d’air pour des intellectuels opportunistes qui pouvaient voir ici une véritable possibilité d’apparaître comme des théoriciens d’importance.
Cela fut particulièrement le cas dans un Parti ayant toujours été une catastrophe sur le plan de la théorie et de l’idéologie : le Parti Communiste Français. Il y avait là un boulevard et il fut pris par Paul Boccara, dont l’arrivée fut météorique.
En quelques années seulement, Paul Boccara passa à la direction de la section économique de la direction centrale du PCF, prenant la tête d’une conférence internationale, en France même, sur le concept de « capitalisme monopoliste d’État ».
Il devint alors une figure internationale ; lors de discussions économiques organisées par Fidel Castro à Cuba, il prit même la parole sans se la voir accorder et, debout, lança : « Vous l’Amérique du Sud, je vous ai appris l’économie ! »
A intervalles réguliers, il parla de tournants, de moments sans précédents, d’urgence de la situation, etc., justifiant par là tous les appels opportunistes à participer le plus possible aux institutions pour prétendument se les approprier.
Paul Boccara, dont le niveau intellectuel était indéniablement très élevé, s’était entièrement pris au jeu ; il fit de la section économique du PCF un organisme intellectuellement brillant, hyper actif, développant de multiples thèses et travaux.
Tant l’URSS que le PCF et la CGT appréciaient cela, car cela correspondait totalement à leurs intérêts. Il leur fournissait une théorie économique clef en main. Le PCF pouvait viser un programme commun de gouvernement avec les socialistes, la CGT participer aux comités d’entreprise, aux institutions économiques en général ; l’URSS trouvait un moyen de faire des « partis communistes » lui étant inféodés des leviers pour influencer les autres pays.
Quant à Paul Boccara, il se présentait comme le nouveau Karl Marx et successeur de Lénine sur le plan des idées économiques. Naturellement, après 1989, il cessa de se revendiquer de Lénine.
A vrai dire, il n’en avait plus besoin de toutes façons, ayant déjà prôné l’autogestion et fait en sorte que le PCF assume cette conception dès les années 1970. Cette dynamique rendit d’ailleurs le PCF indépendant intellectuellement du bloc de l’Est et c’est cela qui explique son maintien après 1989.
Il existe une véritable idéologie « boccariste », prônant une mixité de l’économie, un mélange État – entreprises, avec une prise en main de la gestion par les travailleurs, pour orienter le pays vers le communisme, le capitalisme étant considéré comme périmé depuis les années 1950.
Paul Boccara a, afin de justifier cela, développé, dès les années 1960, toute une théorie de la « suraccumulation – dévalorisation » du capital, avec comme conclusion la participation résolue aux institutions.
Ce qui est par contre intellectuellement véritablement honteux, c’est que Paul Boccara, dans toute sa démarche, s’appuie directement sur Eugen Varga, et ce sans jamais l’assumer. Le boccarisme est une variante du vargisme, ni plus ni moins, et pourtant Paul Boccara, connu pour son tempérament d’ailleurs odieux, ne l’a jamais dit.