La contribution de Pierre de Coubertin au sport en France a commencé en 1888 avec la publication de L’Éducation en Angleterre. Il y expose ses conceptions modernisatrices, opposées à la rigidité prédominant alors en France en matière d’éducation.
Dans le chapitre À propos de l’indiscipline et de l’immoralité, il explique ainsi de manière tranchante :
« Ce n’est pas impunément que pendant des années et des années les adolescents ont été privés, je ne dis pas de gâteries, de luxe, d’inutilités, mais du simple confort qu’il est raisonnable de leur donner ; ce n’est pas impunément qu’on les a épiés, soupçonnés, qu’on a étouffé leur besoin de bruit et de mouvement. La réaction doit se produire : elle est une conséquence logique de ce régime ; elle vient en effet et présente un côté sensuel parfaitement caractérisé ; le corps se venge du mépris avec lequel il a été traité.
Ainsi la corruption atteint à leur sortie de l’école ceux qui lui ont échappé jusque-là, et ses ravages, pour avoir moins de portée, n’en sont pas moins bien regrettables.
Des remèdes ?… ils résultent de l’ensemble des faits que j’ai amassés dans ce volume. Pour balayer complètement cette pourriture scolaire il faut persuader d’abord l’opinion publique qu’elle existe : c’est laborieux, car les gens prévenus ne veulent croire ni les yeux des autres ni même quelquefois leurs propres yeux. Mais le mal peut dès à présent être combattu efficacement d’abord par la pratique de l’expulsion, seul moyen de maintenir à une hauteur satisfaisante le niveau moral d’une maison d’éducation ; et ensuite par le développement des exercices du corps.
Il faut absolument tailler dans l’éducation française une place au sport ; voilà ma conclusion principale ; elle peut paraître étrange. Je prie ceux dont elle excitera l’incrédulité de ne point se former là-dessus un jugement définitif ; il est impossible d’étudier même superficiellement les écoles anglaises sans reconnaître l’immense et je dirai presque l’incompréhensible histoire du sport sur l’éducation. »
Sa conception du sport, comme celle de Paschal Grousset, était opposée à la gymnastique liée aux milieux conservateurs et anti-républicains, à l’Armée. C’est pour cela qu’il précisait :
« A une condition toutefois ! C’est qu’il ne verse pas dans le militarisme ; c’est là un écueil vers lequel nous voguons et qu’il faudra éviter. Le génie unitaire de Napoléon Ier créa l’internat tel qu’il subsiste encore aujourd’hui ; l’empereur avait besoin de soldats et se souciait médiocrement d’avoir des citoyens.
Or, aujourd’hui, sous l’influence d’une idée noble à coup sûr mais très spéciale, il y a une tendance à militariser de plus en plus l’éducation. La revanche que l’on prépare ne sera, si elle a lieu, qu’un épisode de notre histoire. Qu’elle la prenne ou qu’elle y renonce, la France n’en restera pas moins une très grande nation, rayonnant au-dehors, occupant une place d’honneur dans l’avant-garde de la civilisation ; et c’est de citoyens plus que de soldats qu’elle a besoin.
Ce qu’on peut appeler le sport militaire, par opposition au sport tout court, ne produira pas de bons citoyens. Les nombreuses sociétés de tir et de gymnastique qui ont été fondées depuis la guerre forment, on ne saurait le nier, une grande école de discipline et de patriotisme, mais d’autre part l’appareil militaire dont elles s’entourent n’est propre qu’à engendrer des vues étroites et à éteindre l’initiative individuelle qu’elles auraient dû avoir pour but de développer.Bien plus utiles à cet égard sont les 2 ou 3 sociétés nautiques existantes à Paris que les 33 sociétés de gymnastique qui comptent 3041 membres dans les 20 arrondissements de notre capitale.
Ce n’est pas le militarisme qu’il faut à notre éducation, c’est la liberté ; ce n’est sont point des administrés et des subordonnés, mais des hommes libres que nos maîtres doivent former ; et ce serait une singulière introduction à la pratique de cette liberté que d’apprendre aux enfants la seule obéissance du soldat. »
Ces propos relèvent d’un positionnement bourgeois libéral, pour la République.
Cependant, Pierre de Coubertin n’était pas une figure progressiste s’opposant à la réaction. C’était un modernisateur qui développait des conceptions conformes à la vision du monde de la bourgeoisie en pleine essor et à son esprit d’entreprise qui ne voulait pas être freinée par des conceptions anciennes.
Cela apparaît clairement dans son ouvrage Une Campagne de vingt-et-un ans où il explique :
« Parmi les grands groupements auxquels j’aurais pu m’adresser, il y avait avant tout les sociétés de gymnastique multipliées au sortir des épreuves nationales de 1870 ; elles se recommandaient à la fois par leur origine patriotique et par le zèle qui continuait de les animer. Jouaient-elles un rôle politique ?
On l’a toujours dit et cela n’était pas vrai de toutes celles avec lesquelles j’ai été en relations, ce qui m’a rendu un peu sceptique sur la portée d’une pareille accusation.
Leur grand tort à mes yeux, c’est que, beaucoup plus militaires d’allures et de tendances qu’elles ne le sont devenues par la suite, elles visaient alors à cultiver un disciplinage intensif et que j’avais précisément en vue de soustraire, par le moyen des sports, la jeunesse française aux excès de la discipline trouvant qu’on l’en écrasait et qu’on empêchait l’initiative individuelle si féconde de se développer normalement. »
Pierre de Coubertin ne s’intéressait pas aux masses populaires, mais seulement aux élites, notamment aux établissements scolaires prestigieux de Paris (Monge, Lakanal, Louis le Grand, Buffon, etc.).
Profondément influencé par Hippolyte Taine dans sa jeunesse, sa vision du monde était réactionnaire et marqué par le social-darwinisme :
« Le type [d’éducation] que j’esquisse en ce moment est un type d’élite (…). Il y a deux races distinctes : celle des hommes au regard franc, aux muscles forts, à la démarche assurée, et celle des maladifs à la mine résignée et humble, à l’air vaincu.
Et c’est dans les collèges comme dans le monde : les faibles sont écartés, le bénéfice de cette éducation n’est applicable qu’aux forts. »
Sa préférence pour le modèle anglais (le Royaume-Unis était à ce moment la plus grande puissance du monde) relevait de cette conception :
« On ne peut mieux résumer les besoins de la démocratie, mais on ne peut non plus en distinguer avec plus de franchise ce nivellement égalitaire qui, poussé à l’extrême, ne fait en réalité que porter au sommet tant de médiocrités.
Dans l’éducation aussi – et même là plus qu’ailleurs – il y a des « inégalités nécessaires ».
Renonçons donc à cette dangereuse chimère d’une éducation égale pour tous et prenons modèle sur un peuple qui comprend si bien la différence entre la démocratie et l’égalité. »
De la même manière, contrairement à Paschal Grousset, il considérait de manière misogyne que :
« Le seul véritable héros olympique est le mâle individuel. Les olympiades femelles sont impensables. Elles seraient inintéressantes, inesthétiques et incorrectes. Aux Jeux olympiques, leur rôle devrait être surtout, comme aux anciens tournois, de couronner les vainqueurs. »
Il avait également des conceptions racistes, propres à la bourgeoisie de son époque. La citation la plus connue est la suivante :
« Les races sont de valeur différente et à la race blanche, d’essence supérieure, toutes les autres doivent faire allégeance. »
Pierre de Coubertin avait aussi des positions antisémites virulentes. Il expliquait dans L’évolution française sous la Troisième République que :
«la haute finance israélite a pris, à Paris, une influence beaucoup trop forte pour ne pas être dangereuse et qu’elle a amené, par l’absence de scrupule qui la caractérise, un abaissement du sens moral et une diffusion de pratiques corrompues »
De manière plus connue, il a ouvertement soutenu les Jeux Olympiques de Berlin en 1936 et salué le régime nazi pour son organisation. Le président du Comité International Olympiques était alors le Vicomte Henri de Baillet-Latour, un antisémite notoire.
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de la gymnastique et du sport en France