La quête romantique de la fusion ultime passe nécessairement, chez Pierre Drieu La Rochelle comme tous les romantiques, par la question du corps. Le recueil de poésie Interrogation aborde déjà cet aspect, comme le poème Restauration du corps, dont le titre est un programme en soi.
On a là, si l’on veut, la base même du programme qui sera celui de ce qu’il appellera le Socialisme fasciste.
« Tous les hommes, tous les êtres qui sont dans le règne humain qu’ils sachent : Qu’une rude loi fut récemment édictée.
Voici que sur la planète humaine, l’esprit n’est point seul.
Un double événement le destitue de la prééminence.
Le corps est restauré dans la puissance et la majesté.
Double événement qui marquera le vestige de notre génération, qui tracera l’initiale de notre chapitre dans les annales du monde :
Restauration du corps par le sport et la guerre.
Sport, élan qui enlève l’homme.
Bond soudain irrépressible qui enchaîne des bonds inconnus (…).
Ah ! quand le ballon entre les deux paumes, un joueur s’élance parmi les poursuivants, alors je perçois l’essentiel mouvement du monde.
On voit la foule féminine bienheureuse de louer un vainqueur qui la viole. Et l’élite se satisfait dans ce symbole offert à sa nécessité.
Mais dans l’enflure autour des gestes des athlètes de la louange sonore, un événement s’enfante. De nouveau l’esprit de lutte se lève parmi les hommes.
La force est désirée, la force est exaltée.
Après le signe, le fait se signifie.
Il ne se fit pas attendre.
Et le premier obus s’essora dans la ciel d’Europe, comme au début de la partie, le ballon neuf gonflé de jeunesse et vibrant d’un coup de pied passionné.
La foule s’étonna de ce qui était né en elle.
La loi de la Force étend son règne.
Maintenant il est honteux d’être faible et de ne pouvoir offrir à l’ennemi une digne proie (…).
Aujourd’hui gare.
Car les hommes à cette heure, pâlissent à la guerre à cause de leur force. Demain ils reviendront. Saufs, ils laisseront là-bas, dans le pays où les autres n’auront pas été voir, leur peur et le désespoir qui les possédait d’être les plus forts voués à la douleur.
Allégés, ils se vanteront et seront féroces.
Au jour de la paix, les temps inquiets ne seront pas finis.
Car peut-être la vie, fatiguée d’avoir tant pensé dans ces derniers temps, va-t-elle maintenant demander la jouvence au bain de sueur et de sang, dans un délassement séculaire de Sport et de Guerre. »
On a là le thème nietzschéen et sorelien de la guerre comme vecteur du progrès humain, comme grand révélateur de l’existence, mais ici avec l’élément corporel présenté comme essentiel, comme le fera le fascisme.
La poésie de Pierre Drieu La Rochelle est donc un éloge de la Part du feu :
« La jeune et haletante histoire humaine nous apprend une maxime dont nous supporterons allègrement la dure économie.
« Il faut faire la part du Feu ».
La mort est un masque sous quoi le ver ronge prestement ce qui est empreint de la risible sénilité.
Les grands actes humains sont durs, cassants et incendiaires.
Le Génie est dévastateur, homicide puis fécond et dorloteur.
Le matin c’est un massacreur qui enjambe jusqu’à l’horizon les cadavres alignés.
Le soir c’est un tendre père qui enveloppe de langes délicats une jeune humanité qu’il accoucha de chairs sanglantes.
France, mère ardente et asséchée, tâte ton ventre et ton cerveau. »
Seulement, on aboutit alors à un paradoxe, car Pierre Drieu La Rochelle va en arriver à deux choses. Tout d’abord, remercier les Allemands pour avoir permis cette expression du corps, ensuite dénoncer les guerres mécaniques futures qui ne permettent justement pas l’expression du corps dans et par la guerre.
Dans Caserne haïe, il salue ainsi les Allemands :
« A grands coups de canons les Allemands nous ont appris à vivre, à revivre (…).
Le soldat neuf sera un athlète et un spécialiste de quelque mécanique, et non pas un domestique ignorant et craintif.
Ou il sera le vaincu.
Ainsi sera notre paix, bouleversée de fond en comble par l’énergique méditation de cette guerre.
Guerre, révolution du sang,
puissant flux au cerveau, guerre, progrès, fatalité du moderne
nettoiement et remise à neuf de notre maison. »
Dans A vous, Allemands, il exprime la même chose :
« A vous Allemands – par ma bouche enfin descellée de la taciturnité militaire – je parle.
Je ne vous ai jamais haïs.
Je vous ai combattus à mort, avec le vouloir roidement dégaîné de tuer beaucoup d’entre vous. Ma joie a germé dans votre sang.
Mais vous êtes forts. Et je n’ai pu haïr en vous la Force, mère des choses.
Je me suis réjoui de votre force.
Hommes, par toute la terre, réjouissons-nous de la force des Allemands. »
On lit aussi des sentences comme :
« Que soit bénie la foi des hommes qui osent renouveler la figure du monde selon l’idéal qu’ils chérissent. »
« cette nouvelle invasion du grandiose dans le monde »
« Dans la pittoresque imperfection de la vie, notre mutuelle méconnaissance est une passionnante aventure. »
« Je connais une vanité de mon cri. J’exalte la guerre parce qu’elle est liée à la grandeur.
La guerre fait éclater comme une virginité de la grandeur d’une jeune peuple, ou elle pousse à outrance le raidissement d’un peuple qui culmine.
Mais tout est signe de mort à qui marche vers la mort. La guerre tue les peuples moribonds.
Qu’une race meure dans un charnier de chairs encore vives plutôt qu’au lit sénile.
Tel est le sort que je choisirais pour la France si de la combler la fortune était lasse.
Et au-delà de la France, il y a l’aventure humaine, l’histoire, ce délicat équilibre entre la barbarie et la civilisation.
Entre la pitié, triomphe mortel et la cruauté servile et féconde.
La vie sera toujours une bête prête à crever. »
Cette remise en cause de la France, au nom d’une mentalité de légionnaire, témoigne d’une lecture nationaliste supra-nationale qui est une grande caractéristique du romantisme de Pierre Drieu La Rochelle.
Son romantisme n’a pas pu, malgré son nietzschéisme, lui faire manquer l’absurdité de la première guerre mondiale et aussi va-t-il se faire le grand partisan de l’unité européenne, d’un projet romantique d’une jeune Europe, d’un refus de la guerre au nom justement du vitalisme nécessaire au corps.