Augustin, né en 354, émerge comme figure historique dans la continuité du tournant de Constantin.
De fait, à la mort de Théodose, en 395, l’Empire se divisa avec ses fils en Empire romain d’occident et Empire romain d’orient, et cela définitivement contrairement aux apparences alors. Le processus d’effondrement continua, et en 410 les Goths pillèrent Rome.
Augustin, qui avait déjà fait la louange, le panégyrique, de Valentinien II dans les années 380, prit donc l’occasion de la chute de la ville de Rome pour rédiger, de 413 à 427, les 22 livres de La Cité de Dieu contre les païens. On y trouve une conception qui rejoint ce qui sera qualifiée bien plus tard de « césaro-papisme ».
Augustin formule la nécessité, pour un régime nouveau, de puiser dans une source idéologique fondamentalement différente, adaptée à son époque. Le régime est appelé par la religion à la soutenir, à la porter.
Il y a une convergence historique entre les intérêts d’un empire moribond cherchant à se reformuler et une religion portée par les masses en attente d’un progrès de civilisation, mais formulée de manière mystique et conçue par des fanatiques.
Voici comment Augustin fait l’éloge de la soumission sociale de reconnaissance de l’empereur et même d’acceptation de l’esclavage comme une conséquence de la nature pécheresse de l’être humain :
« Si nous appelons heureux quelques empereurs chrétiens, ce n’est pas pour avoir régné longtemps, pour être morts paisiblement en laissant leur couronne à leurs enfants, ni pour avoir vaincu leurs ennemis du dehors ou réprimé ceux du dedans.
Ces biens ou ces consolations d’une misérable vie ont été aussi le partage de plusieurs princes qui adoraient les démons, et qui n’appartenaient pas au royaume de Dieu, et il en a été ainsi par un conseil particulier de la Providence, afin que ceux qui croiraient en elle ne désirassent pas ces biens temporels comme l’objet suprême de la félicité.
Nous appelons les princes heureux quand ils font régner la justice, quand, au milieu des louanges qu’on leur prodigue ou des respects qu’on leur rend, ils ne s’enorgueillissent pas, mais se souviennent qu’ils sont hommes;
quand ils soumettent leur puissance à la puissance souveraine de Dieu ou la font servir à la propagation du vrai culte, craignant Dieu, l’aimant, l’adorant et préférant à leur royaume celui où ils ne craignent pas d’avoir des égaux; quand ils sont lents à punir et prompts à pardonner, ne punissant que dans l’intérêt de l’Etat et non dans celui de leur vengeance, ne pardonnant qu’avec l’espoir que les coupables se corrigeront, et non pour assurer l’impunité aux crimes, tempérant leur sévérité par des actes de clémence et par des bienfaits, quand des actes de rigueur sont nécessaires;
d’autant plus retenus dans leurs plaisirs qu’ils sont plus libres de s’y abandonner à leur gré; aimant mieux commander à leurs passions qu’à tous les peuples de la terre; faisant tout cela, non pour la vaine gloire, mais pour la félicité éternelle, et offrant enfin au vrai Dieu pour leurs péchés le sacrifice de l’humilité, de la miséricorde et de la prière.
Voilà les princes chrétiens que nous appelons heureux, heureux par l’espérance dès ce monde, heureux en réalité quand ce que nous espérons sera accompli (…).
Ainsi la paix du corps réside dans le juste tempérament de ses parties, et celle de l’âme sensible dans le calme régulier de ses appétits satisfaits.
La paix de, l’âme raisonnable, c’est en elle le parfait accord de la connaissance et de l’action ; et celle du corps et de l’âme, c’est la vie bien ordonnée et la santé de l’animal.
La paix entre l’homme mortel et Dieu est une obéissance réglée par la foi et soumise à la loi éternelle ; celle des hommes entre eux, une concorde raisonnable. La paix d’une maison, c’est une juste correspondance entre ceux qui y commandent et ceux qui y obéissent.
La paix d’une cité, c’est la même correspondance entre ses membres (…).
Tout l’usage des choses temporelles se rapporte dans la cité de la terre à la paix terrestre, dans la cité de Dieu à la paix éternelle (…).
Or, tant qu’il habite dans ce corps mortel, il est en quelque sorte étranger à l’égard de Dieu, et marche par la foi, comme dit l’Apôtre, et non par la claire vision il faut donc qu’il rapporte et la paix du corps et celle de l’âme, et celle enfin des deux ensemble, à cette paix supérieure qui est entre l’homme mortel et Dieu immortel, afin que son obéissance soit réglée par la foi et soumise à la loi éternelle.
Et puisque ce divin maître enseigne deux choses principales, d’abord l’amour de Dieu, et puis l’amour du prochain où est renfermé l’amour de soi-même (lequel ne peut jamais égarer celui qui aime Dieu), il s’ensuit que chacun doit porter son prochain à aimer Dieu, pour obéir au précepte qui lui commande de l’aimer comme il s’aime lui-même.
Il doit donc rendre cet office de charité à sa femme, à ses enfants, à ses domestiques et à tous les hommes, autant que possible, comme il doit vouloir que les autres le lui rendent, s’il en est besoin ; et ainsi il aura la paix avec tous, autant que cela dépendra de lui : j’entends une paix humaine, c’est-à-dire cette concorde bien réglée, dont la première loi est de ne faire tort à personne, et la seconde de faire du bien à qui l’on peut.
En conséquence, l’homme commencera par prendre soin des siens ; car la nature et la société lui donnent auprès de ceux-là un accès plus facile et des moyens de secours plus opportuns. C’est ce qui fait dire à l’Apôtre, que « quiconque n’a pas soin des siens, et particulièrement de ceux de sa maison , est apostat et pire qu’un infidèle ».
Voilà aussi d’où naît la paix domestique, c’est-à-dire la bonne intelligence entre ceux qui commandent et ceux qui obéissent dans une maison.
Ceux-là y commandent qui ont soin des autres, comme le mari commande à la femme, le père et la mère aux enfants, et les maîtres aux serviteurs; et les autres obéissent, comme les femmes à leurs maris; les enfants à leurs pères et à leurs mères, et les serviteurs à leurs maîtres.
Mais dans la maison d’un homme de bien qui vit de la foi et qui est étranger ici-bas, ceux qui commandent servent ceux à qui ils semblent commander ; car ils commandent, non par un esprit de domination, mais par un esprit de charité ; ils ne veulent pas donner avec orgueil des ordres, mais avec bonté des secours (…).
Notre-Seigneur dit: « Quiconque pèche est esclave du péché »; et ainsi il y a beaucoup de mauvais maîtres qui ont des hommes pieux pour esclaves et qui n’en sont pas plus libres pour cela.
Car il est écrit: « L’homme est adjugé comme esclave à celui qui l’a vaincu ».
Et certes il vaut mieux être l’esclave d’un homme que d’une passion ; car est-il une passion, par exemple, qui exerce une domination plus cruelle sur le coeur des hommes que la passion de dominer?
Aussi bien, dans cet ordre de choses qui soumet quelques hommes à d’autres hommes, l’humilité est aussi avantageuse à l’esclave que l’orgueil est funeste au maître.
Mais dans l’ordre naturel où Dieu a créé l’homme, nul n’est esclave de l’homme ni du péché ; l’esclavage est donc une peine, et elle a été imposée par cette loi qui commande de conserver l’ordre naturel et qui défend de le troubler, puisque, si l’on n’avait rien fait contre cette loi, l’esclavage n’aurait rien à punir.
C’est pourquoi l’Apôtre avertit les esclaves d’être soumis à leurs maîtres, et de les servir de bon cœur et de bonne volonté, afin que, s’ils ne peuvent être affranchis de leur servitude, ils sachent y trouver la liberté, en ne servant point par crainte, mais par amour, jusqu’à ce que l’iniquité passe et que toute domination humaine soit anéantie, au jour où Dieu sera tout en tous. »
Ce point de vue va avoir une conséquence capitale. En effet, cette acceptation de la reconnaissance du régime social, phase de transition entre le mode de production esclavagiste et le mode de production féodal, implique une passivité face à l’existence.
Augustin va donc devenir le grand ennemi du pélagianisme qui prône la liberté complète face au bien et au mal, en s’appuyant sur la notion de péché originel, de nature mauvaise de l’être humain à la base même.