Augustin est l’une des plus grandes figures du christianisme ; aux côtés d’Ambroise de Milan, Jérôme de Stridon et Grégoire le Grand, il est l’un des quatre Pères de l’Église catholique romaine ; avec Thomas d’Aquin, il forme le binôme suprême de l’idéologie catholique.
Né en 354 et mort en 430 en Algérie actuelle, vivant dans une société prolongeant directement les conquêtes romaines et lui-même étant d’origine berbère, latine et phénicienne, Augustin a suivi les modes intellectuelles propre à la culture romaine d’alors.
Il s’est d’abord rapproché des philosophes (c’est-à-dire du platonisme), puis des manichéens, avant d’embrasser le christianisme, dont il est devenu par la suite l’idéologie.
Car Augustin est un fanatique ayant pour obsession les démons, commentant les textes, définissant la manière de les comprendre et de les expliquer, explicitant les concepts les plus difficiles, tentant de trouver des justificatifs aux contradictions des textes, menant des combats incessants contre toutes les déviations nombreuses existant par rapport à ce qu’il considère être la vraie foi.
Parmi ces déviations, il y a la science : Augustin est pour la soumission complète de la raison, son effacement devant le culte de Dieu.
Ses reproches à l’humanité sont continus, son ton acerbe, son cynisme par conséquent justifié à ses yeux, comme par exemple dans sa Réfutation d’un écrit de Parménien, où il justifie les punitions, la mise à mort d’ennemis de ce qu’il considère être la vraie religion :
« Du reste, tout ce bruit que l’on fait autour des châtiments qu’ils subissent, ne vient-il pas uniquement de ce que la multitude des hommes place son cœur, non pas dans son cœur, mais dans ses yeux?
Que du sang humain vienne à couler, on frémit à cet aspect. Et si un hérétique ou un schismatique meurt dans le schisme et le sacrilège, privé de la paix de Jésus-Christ et séparé de sa communion, parce que rien ne frappe les yeux, personne ne pleure; il y a plus, car c’est à peine si, en vertu de l’habitude, on ne répond pas par un sourire à cette mort qui est de toutes la plus triste et la plus déplorable dans son horrible vérité.
Et les auteurs de tant de morts de cette espèce nous insultent publiquement, sans daigner se réunir en conférence avec nous pour y mettre la vérité dans tout son jour.
D’un autre côté, en admettant que des peines temporelles leur soient infligées par l’usage légitime que les princes de la terre font de leur puissance, que sont donc ces peines en comparaison des maux de toute sorte qu’ils sèment chaque jour de tous côtés contrairement à toutes les lois civiles et ecclésiastiques?
Ils nous appellent les persécuteurs du corps : pourquoi ne s’appellent-ils pas les bourreaux des âmes, qu’ils immolent sans pour cela épargner davantage les corps?
Mais tel est l’effet de la mansuétude chrétienne sur les mœurs, qu’on juge plus sévèrement un oeil arraché dans la lutte, qu’une intelligence aveuglée dans le schisme : voilà ce qui explique pourquoi ils parlent contre nous, et parlent avec nous; et quand la vérité les condamne au silence le plus absolu, l’iniquité ne leur permet pas de se taire. »
C’est que la pensée d’Augustin n’est nullement un dépassement du platonisme et du manichéisme, pour aboutir au christianisme. Du point de vue matérialiste dialectique, Augustin synthétise justement le platonisme et le manichéisme, ce qui lui permet de s’insérer dans le christianisme et de le révolutionner, au point d’en être le principal théoricien pendant plusieurs siècles.
L’expression la plus nette de cela se lit dans sa théorie de la « Cité de Dieu », qu’il oppose à la « Cité des méchants », les deux coexistant et s’opposant jusqu’à la fin des temps. Il s’agit là ni plus ni moins que de la reprise de la conception manichéenne comme quoi le bien et le mal, Dieu et Satan, s’opposent, le monde existant de par leur opposition.
Voici ce que dit Augustin dans sa Méthode pour enseigner aux catéchumènes les éléments du christianisme:
« N’allons pas nous troubler en voyant le grand nombre suivre les inspirations de Satan, tandis que le petit nombre obéit au Seigneur : entre la quantité du grain et celle de la paille, il y a toujours une disproportion considérable; et, si un gros tas de paille n’est point un embarras pour le laboureur, le nombre des coupables n’est rien aux yeux de Celui qui connaît les moyens d’en faire justice et d’empêcher le désordre de s’introduire dans son royaume et d’en troubler l’harmonie.
Qu’on ne se figure pas que Satan triomphe, parce que le nombre de ses vainqueurs est inférieur à celui de ses victimes.
Il existe deux cités, établies à l’origine du monde et qui dureront jusqu’à la fin des siècles, celle des méchants et celle des justes : elles ne se distinguent aujourd’hui que par l’esprit qui les anime; mais, au jour du jugement, elles seront séparées de corps comme d’esprit.
Les hommes enivrés d’orgueil, que travaille l’ambition de régner sur le monde avec tout le faste et toute la pompe des vanités humaines, forment une société étroite avec les démons qui sont animés des mêmes passions et mettent également leur gloire à soumettre les hommes à leur empire; quoique les biens du monde excitent souvent des luttes entre eux, ils n’en éprouvent pas moins une égale ambition dont le poids les entraîne tous dans le même abîme, où ils se trouvent associés par la ressemblance des caractères et des crimes.
Au contraire, les hommes et les purs esprits qui oublient leur gloire pour ne chercher que celle de Dieu et qui s’attachent humblement à lui, ne sont tous non plus qu’une seule société. Et cependant, Dieu est plein de miséricorde et de patience pour les impies : il leur ménage l’occasion de se repentir et de se corriger (…).
Nous avons déjà parlé de ces deux cités qui doivent subsister ensemble à travers les vicissitudes des âges, depuis l’origine du monde jusqu’à la fin des siècles, et au jour du jugement où elles seront à jamais séparées. »
La Cité de Dieu contre les païens est, à ce titre, l’une des œuvres les plus connues d’Augustin ; elle forme la base même de son approche. Voici comment il y différencie les deux cités :
« Deux amours ont donc bâti deux cités : l’amour de soi-même jusqu’au mépris de Dieu, celle de la terre, et l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi-même, celle du ciel.
L’une se glorifie en soi, et l’autre dans le Seigneur; l’une brigue la gloire des hommes, et l’autre ne veut pour toute gloire que le témoignage de sa conscience; l’une marche la tête levée, toute bouffie d’orgueil, et l’autre dit-à Dieu : « Vous êtes ma gloire, et c’est vous qui me faites marcher la tête levée » (Ps. III, 4 .) ; en l’une, les princes sont dominés par la passion de dominer sur leurs sujets, et en l’autre, les princes et les sujets s’assistent mutuellement, ceux-là par leur bon gouvernement, et ceux-ci par leur obéissance; l’une aime sa propre force en la personne de ses souverains, et l’autre dit à Dieu : « Seigneur, qui êtes ma vertu, je vous aimerai » (Ps. XVII, 2.).
Aussi les sages de l’une, vivant selon l’homme, n’ont cherché que les biens du corps ou de l’âme, ou de tous les deux ensemble; et si quelques-uns ont connu Dieu, ils ne lui ont point rendu l’homme et l’hommage qui lui sont dus, mais ils se sont perdus dans la vanité de leurs pensées et sont tombés dans l’erreur et l’aveuglement.
En se disant sages, c’est-à-dire en se glorifiant de leur sagesse, ils sont devenus fous et ont rendu l’honneur qui n’appartient qu’au Dieu incorruptible à l’image de l’homme corruptible et à des figures d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents; car, ou bien ils ont porté les peuples à adorer les idoles, ou bien ils les ont suivis, aimant mieux rendre le culte souverain à la créature qu’au Créateur, qui est béni dans tous les siècles (Rom.. I, 21-25.).
Dans l’autre cité, au contraire, il n’y a de sagesse que la piété, qui fonde le culte légitime du vrai Dieu et attend pour récompense dans la société des saints, c’est-à-dire des hommes et des anges, l’accomplissement de cette parole : « Dieu tout en tous » (Cor. V, 28.). »
Pourquoi cette conception de deux cités ? Pour la simple raison que nous sommes au IVe et au Ve siècles. Le Christ a fourni son message il y a plusieurs centaines d’années et la fin des temps n’apparaît pas comme immédiate, alors qu’en même temps l’Empire romain s’effondre littéralement.
Avec cet effondrement, le mode de production esclavagiste cède la place au mode de production féodal et justement le christianisme accompagne ce processus.