Sergueï Prokofiev, le titan russe

Sergueï Prokofiev (1891-1953) est une figure largement secondaire dans la musique classique aux yeux des critiques bourgeois ; c’est en réalité une de ses figures majeures, faisant d’ailleurs partie des compositeurs les plus joués au monde. Son influence est massive, son importance fondamentale.

Sergueï Prokofiev est en fait inacceptable aux yeux de la bourgeoisie de par son parcours ; sa particularité est d’avoir quitté son pays en 1918, pour y revenir en 1936, s’insérant ouvertement dans le cadre du réalisme socialiste en abandonnant son propre formalisme, sa propre tendance à se séparer des masses.

Il conserva d’ailleurs de bonnes relations avec son pays même lors de son exil ; il fait simplement partie de ces musiciens préoccupés par la poursuite de leurs activités avant tout. L’opéra L’Amour des trois oranges, de 1920, fut un important succès (notamment pour sa marche) et fut joué à Moscou et Leningrad en 1927, lui-même étant présent.

Son ballet Roméo et Juliette, de 1935, juste avant sa venue en URSS, est également très célèbre, notamment la magistrale danse des chevaliers ; il écrira par la suite les ballets Cendrillon en 1946 et La fleur de pierre en 1950.

Son œuvre la plus célèbre mondialement, notamment en France, est le conte musical pour enfants Pierre et le Loup, datant de 1936. Pierre est donc un jeune soviétique, un « pionnier ».

Un travail d’importance fut la musique du film. Il réalisa celle de Lieutenant Kijé, film soviétique d’Alexandre Feinzimmer de 1934, puis celle du classique Alexandre Nevski, de Sergueï Eisenstein, sorti en 1938 ; son oeuvre jouera un rôle majeur dans l’histoire de la musique de films. Par la suite, il y a aura plusieurs collaborations filmiques avec Sergueï Eisenstein.

On voit bien la dimension populaire de son approche pour la romance de Lieutenant Kijé, un morceau magnifique, tout à fait en phase avec l’idéal de simplicité soviétique sur la base d’un haut niveau culturel. Il s’agit en effet d’une chanson populaire, La colombe grise gémit.

Russians, la chanson anti-guerre atomique américano-soviétique de Sting en 1985, s’appuie directement dessus (« il n’y a pas une chose telle qu’une guerre dont on peut être victorieux »). Un ami à lui avait piraté une antenne télé et capté des chaînes soviétiques ; Sting avait été particulièrement marqué par la qualité des dessins animés pour enfants, ce qui l’a inspiré pour un appel à la paix.

L’une de ses œuvres majeures est la Symphonie nº5, produite en 1945 et pour laquelle il remporta un prix Staline. Il présenta son œuvre comme un « hymne à l’Homme libre et joyeux, à ses puissants pouvoirs, son esprit pur et noble ».

La première symphonie, surnommée Symphonie classique, et datant de 1916-1917, est également extrêmement célèbre ; cette œuvre magistrale s’appuie sur Haydn.

Il faut également noter l’opéra de 1940, Semyon Kotko, d’après le roman de Kataïev Je suis le fils de la classe ouvrière, et celui de 1942, Guerre et Paix.

À cela s’ajoute, dans l’esprit marqué par la guerre, les sonates pour piano 6, 7 et 8 ; la septième, joué en 1943 et dite « Stalingrad », eut un succès retentissant (les deux autres datent de 1940 et 1944 et ont une partie critiquable). Elle est d’autant plus intéressante qu’elle n’hésite pas à s’ouvrir à de nouvelles voies, permettant d’avoir une incroyable intensité.

La cantate pour le 20e anniversaire de la révolution d’Octobre, de 1937, est par contre emblématique des problèmes formalistes naissant du côté des compositeurs soviétiques.

Prokofiev travailla dès 1935 pour la réalisation de la cantate, qui s’appelait initialement la cantate de Lénine. En janvier 1936, il annonça déjà qu’il travaillait à une cantate s’appuyant sur les textes de Lénine.

La démarche semblait musicalement toutefois malaisée, et d’autant plus que le compositeur prévoyait d’utiliser de multiple chœurs, des hauts-parleurs pour les appuyer (avec la voix de Lénine), une fanfare, une équipe d’accordéonistes, une autre de balalaikas, une encore de percussions, etc.

L’œuvre ne fut pas jouée, pas plus que son opéra L’histoire d’un homme réel de 1948. On a ici un développement inégal marqué. Zdravitsa apparaît ici comme la réalisation de sa bataille personnelle contre le formalisme et au service du peuple, par le peuple lui-même.

Sergueï Prokofiev était par ailleurs connu pour son sens extrême de l’exigence, envers les autres mais également vers lui-même, avec une discipline de travail absolu, où le jeu d’échecs prenait une place importante («Les échecs sont la musique de la pensée»).

Il est le titan de la troisième vague de la musique russe du XXe siècle.

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