Les années suivant le premier congrès ouvriers socialiste internationale furent marquées par l’élan provoqué et profitèrent du modèle de la social-démocratie en Allemagne.
Friedrich Engels y menait par ailleurs une intense correspondance avec les principaux dirigeants ouvriers, alors que le vecteur intellectuel du mouvement était constitué principalement du Français Paul Lafargue, du Russe Georgi Plekhanov, de l’Italien Antonion Labriola, de l’Allemand Franz Mehring et du Tchèque Karl Kautsky.
C’est ce dernier qui allait devenir le grand idéologue de la social-démocratie allemande – et donc internationale – à la mort de Friedrich Engels en 1895.
Le modèle se répandait dans toute l’Europe. Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Suède se fonda en 1889, alors que l’Union social-démocrate du Danemark date déjà de 1878. Le Parti Ouvrier Social-Démocrate de Roumanie naquit en mars 1893, le Parti Ouvrier Social-Démocrate bulgare en février 1894. Aux Pays-Bas l’opportunisme anarchisant prédominait mais une rupture donna naissance à un Parti Ouvrier Social-Démocrate des Pays-Bas en août 1894.
En 1893 était également né la Social-démocratie du royaume de Pologne, avec notamment Rosa Luxembourg. Ce mouvement devint en 1899, à la suite d’une fusion, la Social-démocratie du royaume de Pologne et de Lituanie.
Le Parti ouvrier social-démocrate de Russie se fonde lui en 1898. Le Parti social-démocrate de Hongrie existe quant à lui depuis 1890, le Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Autriche depuis 1889.
Le Parti autrichien profitait d’une tradition déjà solide ; dans une lettre du 17 juillet 1894, Engels dit aux ouvriers d’Autriche :
« Vous êtes dans un mouvement politique ascendant… Vous êtes à l’offensive, et une à qui sans aucun doute la victoire est assurée.
A l’opposé, nos gens ne sont en France, en Allemagne, en Italie, même pas dans une défensive pleine d’espoir… Vous attaquez, gagnez pas à pas du terrain, chaque partie de terrain obtenue et occupée renforce non seulement votre position, mais amènent des renforts à vos masses…
Déjà maintenant, le fait qu’en Autriche sera donné une réforme électorale de quelque type que ce soit a assuré le droit de vote général en Allemagne.
Vous avez ainsi en ce moment une mission très importante. Vous devez former l’avant-garde du prolétariat européen, initier l’offensive générale. »
Le Parti Ouvrier Social-Démocrate d’Autriche vit ses effectifs passer de 15 000 à 45 000 en l’espace de deux ans, parvenant à faire du premier mai 1890 une affirmation de grande force, amenant Friedrich Engels à être impressionné :
« La fête de masse du prolétariat a fait époque non seulement par son caractère absolument général, en faisant le premier acte international de la classe ouvrière en lutte.
Cela a également permis d’enregistrer des progrès des plus satisfaisants dans les différentes parties du pays.
Ennemi et ami s’accordent pour dire que, dans toute l’Autriche en tant que telle et à Vienne, la fête du prolétariat a été célébrée de la manière la plus brillante et la plus digne, et que la classe ouvrière autrichienne, surtout viennoise, a conquis une position tout à fait différente dans le mouvement [ouvrier international].
Il y a quelques années, le mouvement autrichien était presque tombé à zéro, les ouvriers des terres allemandes et slaves étaient divisés en partis hostiles, leurs forces s’épuisant dans le combat interne.
On se serait moqué de quiconque aurait affirmé il y a seulement trois ans que le premier mai 1890, Vienne et l’ensemble de l’Autriche montreraient à tous les autres un exemple de la manière de célébrer une fête de classe prolétarienne.
On rendra justice à ce fait en n’oubliant pas cela lorsqu’on jugera les querelles des luttes internes dans lesquelles les travailleurs d’autres pays amenuisent encore aujourd’hui leurs forces, par exemple en France. Qui veut affirmer que Paris ne pourrait pas faire ce que Vienne a fait?
Vienne, cependant, a été réduite à néant le 4 mai par Londres. »
C’est qu’en Grande-Bretagne se produisait la période dite du New Unionism, où les syndicats étaient désormais rejoint en masse et non plus le rassemblement d’une minorité d’ouvriers qualifiés, alors que le pays perdait du terrain à l’arrière-plan dans le capitalisme mondial.
La grève très partagée de 1889 provoqua notamment un afflux, les membres des syndicats passant de 860 000 à presque 1,5 million. En 1893 se forma alors un Parti travailliste indépendant.
C’était là une nuance importante dans le choix du nom, car il y avait d’un côté la tradition social-démocrate, de l’autre différentes variantes. Parmi ces dernières, on a le Parti Ouvrier Norvégien, fondé en 1887, ou encore le Parti Ouvrier de Finlande, né en 1887 mais prenant en 1903 le nom de Parti Social-Démocrate, reflétant le changement de perspective.
Il y a, en quelque sorte, d’un côté ceux qui combinent « social » et « démocrate », avec un arrière-plan marxiste assumé même si plus ou moins développé, et de l’autre ceux qui veulent un parti « ouvrier », ou bien « socialiste ». On a ici bien entendu le Parti ouvrier belge, fondé en avril 1885, et le Parti Ouvrier Français de Jules Guesde.
Né en 1882, il se développait également relativement, malgré une base idéologique très faible compensée par le volontarisme mais affrontant une répression sanglante, comme l’écrasement par l’armée du premier mai 1891 à Fourmies dans le Nord, faisant neuf morts, 35 blessés, avec neuf ouvriers condamnés à plusieurs mois de prison.
L’agitation sociale traversait tout le pays, comme dans le Sud à Carmaux avec les grèves des mineurs en 1892 et celle des ouvriers de la verrerie en 1895. C’est en fait seulement dans le Nord, avec une base ouvrière de masse, que le courant marxiste s’imposait parmi les socialistes, la ville de Paris étant inversement un bastion anarchisant de par la prédominance de l’artisanat et de la petite industrie.
Les brillants succès électoraux de 1893, dans le contexte du scandale de la corruption pour la construction du canal de Panama, avec 250 000 voix pour le Parti Ouvrier Français, autant pour les autres courants socialistes, amenèrent toutefois l’irruption d’un profond opportunisme. Jules Guesde, élu député à Roubaix, présenta son élection comme une « révolution », le socialisme entrant selon lui au Palais Bourbon. Le Parti Ouvrier Français appuya même les députés réformistes d’Alexandre Millerand.
Un autre exemple de variante non social-démocrate était le Parti Socialiste Italien, qui se fonda lors de son congrès de Gênes en 1892, mais dont le programme ne contenait aucune référence ni à la lutte des classes, ni à la dictature du prolétariat. Le Parti socialiste ouvrier espagnol, né en 1879, progressait quant à lui difficilement dans un pays fortement marqué par l’anarchisme.
Le Parti du Travail Socialiste d’Amérique (Socialist Labor Party of America) possédait quant à lui une orientation sectaire, d’esprit syndicaliste révolutionnaire, sous l’influence de Daniel De Leon.
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