légalité populaire et légalité bourgeoise
Au siècle dernier et dans les débuts du XXème siècle, l’exploitation de la classe ouvrière se résumait principalement par la vente de la force de travail au prix le plus bas. Le salaire de l’ouvrier lui permettait tout juste de quoi manger et dormir enfin de pouvoir récupérer ses forces. Au fil des années, les luttes ouvrières ont arraché à la bourgeoisie un surplus de plus en plus grand de la simple force de travail.
En termes clairs, cela signifie qu’au siècle dernier : Nourriture + logement + vêtements = salaire ; reste 0. Aujourd’hui : nourriture + logement + vêtements = salaire + une certaine somme du salaire utilisée pour un minimum de confort (T.V., frigo, voitures, loisirs, etc.).
Simplement ce qui est donné en plus dans l’usine pour le travail fourni est récupéré en dehors par les loyers, les supermarchés, etc. Le meilleur exemple en serait un ouvrier de Renault achetant une voiture Renault.
La Régie lui donne un salaire, et en achetant une voiture à la Régie, l’ouvrier lui rend une partie de son salaire. On voit très bien que mener la lutte contre la vie chère, ce n’est pas seulement réclamer une augmentation de salaire ou une échelle mobile. C’est aussi mener la lutte pour faire baisser les prix.
Les révisionnistes maintiennent dans la classe ouvrière une division entre les luttes dans l’usine (revendicatives) et les luttes à l’extérieur(politiques). En bref, dans l’usine, la politique, ça n’existe pas ; on revendique alors qu’à l’extérieur, on vote, et c’est ça la politique. Une politique de bulletin de vote pour des places à l’Assemblée, au Sénat, pour la gestion des municipalités. Là encore, l’esprit légaliste se manifeste en demandant.
On demande des crédits pour une piscine, pour une école, etc. Dans les usines, face à la production, face à la maîtrise, l’instinct de classe est très aigu et se développe spontanément une très forte solidarité. Même si les heurts entre ouvriers sont très fréquents, en particulier entre français et immigrés, ce qui l’emporte avant tout, c’est la solidarité de classe.
Dans l’usine, il existe avant tout un comportement franc, « pas gêné ». On se tutoie d’emblée, on n’hésite pas à se demander une cigarette, on discute facilement même si on ne se connaît pas. Dans l’usine ,on sent concrètement qu’il y a un fossé entre l’ouvrier et le patron, et rien qu’une différence entre le français et l’immigré.
Ainsi un ouvrier français ayant trouvé le portefeuille d’un marocain ira le lui rapporter en disant : « Je ne pouvais pas le garder, c’est un ouvrier». Le côté : «C’est un ouvrier» l’emporte toujours sur celui : « C’est un étranger. » L’idéologie bourgeoise tente de faire croire que dans l’usine, d’accord, on est ouvrier, mais qu’une fois passé la porte, on est citoyen, avec les mêmes droits pour tout le monde. La preuve, il n’y a pas d’endroits interdits aux ouvriers, la priorité à droite est valable pour tous, la loi aussi.
De plus en plus, les journaux sont faits pour tout le monde ; on vulgarise à souhait : l’art, le cinéma, la littérature, l’allemand pour tous, le yoga pour tous, la psychanalyse à la portée de tous. Concentrés dans l’usine, les ouvriers se retrouvent souvent dispersés en dehors. On pourrait dire noyautés, même, par toutes les autres couches de la population.
Là, le comportement change. Demander une cigarette? On a l’impression de mendier. Discuter? on ne se connaît pas, etc. De plus en plus, on assiste à une multiplication de journaux poussant à la consommation et à l’effacement de l’antagonisme de classe.
Des journaux tels que LUI ou l’utilisation du rasoir électrique X ou du papier hygiénique Y permettent tous les succès (travail, femmes…). Il est bien connu que tous les P.D.G., tous les hommes modernes, ouvriers ou patrons, lisent LUI. Les différences entre ouvriers et patrons, ça n’existe pas, la seule existante, c’est entre les hommes modernes et les autres.
Cependant dans les grandes cités ouvrières, on retrouve l’usine dans la vie. C’est plus net dans les foyers comme à Flins où on a l’impression de quitter l’usine pour l’usine (foyer). Dans ces grandes cités, les perspectives de travail s’offrent d’elles-mêmes. Tout ce qui est fait à l’extérieur est récupérable à l’intérieur. Le rapport entre les luttes à l’intérieur et à l’extérieur est éminemment dialectique.
ouvrier partout
On est ouvrier, et on le sent très bien. L’accès aux merveilles publicitaires est irrémédiablement fermé. Comment croire à l’égalité quand 100 F d’amende pour un salaire de 1 000 F, cela fait 10 % et que 100 F pour un salaire de 10000 F, cela ne fait que 1 %. Comment y croire quand pour un ouvrier, 250 F de loyer mensuel, cela fait 1/4 du salaire et que pour d’autres, ça ne représente qu’un dixième.
Dans l’usine, on est réprimé par les chefs, la maîtrise, le règlement intérieur ; à l’extérieur, c’est l’appareil judiciaire et policier, l’administration répressive. Quoi de plus humiliant que de faire la queue devant un guichet de sécurité sociale. On en sort avec l’impression d’être tributaire. Mais à l’extérieur de l’usine , comme à l’intérieur, se développent des formes de luttes individuelles exprimant la révolte des masses.
On vole dans les supermarchés, on ne paie pas les impôts, les amendes. Il n’existe pas deux esprits d’oser lutter, un pour l’usine, un en dehors. Il n’en existe qu’un qui consiste à combattre le capitalisme sous tous ses aspects. Développer l’esprit d’oser lutter parmi les masses, c’est opposer à la légalité bourgeoise la légalité populaire. Là non plus, on ne demande pas ; on impose ou on prend. Cela consiste à changer la vie, c’estàdire à développer actuellement tout ce qui est sauvage (crèche, loisirs, etc.), à instaurer un embryon de pouvoir populaire.
Cela consiste à expliquer à l’ouvrier qu’il est normal de couler les cadences et de saboter la production, à dire à la ménagère qu’il est normal de voler dans les supermarchés, que des crèches, ça ne se réclame pas, cela se fait; que devant la grève des loyers, les grandes sociétés foncières sont impuissantes, etc. Mais avec toujours en tête que c’est une lutte continue jusqu’à la révolution armée. Déjà l’alpha sauvage est presque reconnue par la bourgeoisie. Les crèches sauvages le seront certainement aussi.
Mais elles ne le seront pas si elles n’existent pas, c’est évident. la lutte continue, ne rien laisser intégrer La seule chose qui n’est pas digérable par la bourgeoisie, c’est la révolution préparée par une lutte prolongée. Créer des crèches sauvages et s’en tenir là, ce n’est pas mener une lutte prolongée.
Mais créer des crèches sauvages avec pour but qu’une fois admises par la bourgeoisie, il faudra continuer la lutte, continuer à développer l’esprit d’oser lutter des masses, c’est préparer effectivement l’insurrection armée. Mais cela ne peut se faire qu’avec un point de vue dominant qui est celui de l’usine. On unira un employé et une ménagère sur le système des prix, pas sur le problème des cadences. Le seul moyen de ne pas faire la révolution qu’à moitié, c’est de partir des usines. A travers les usines se posent tous les problèmes de la Révolution.
Unir le peuple sous la direction du prolétariat, c’est partir de la solidarité qui règne dans les usines pour l’étendre à toutes les couches de la population.
Socialiser les luttes avec le point de vue dominant des usines, c’est mettre en application le mot d’ordre. La classe ouvrière doit diriger en tout ; c’est-à-dire qu’en se libérant, la classe ouvrière libérera toute l’humanité, qu’elle ne peut se libérer qu’en libérant toute l’humanité. Depuis mai, l’appareil d’Etat s’est considérablement renforcé, surtout en ce qui concerne la justice et la police. Elle est désormais loin, l’image du gardien de la paix tranquille qui va à la bagarre uniquement parce qu’il y est obligé.
La police est maintenant devenue un appareil à réprimer du jeune, du combatif ; l’appareil judiciaire et policier et omniprésent. A Mantes, les flics qui descendent dans les cafés s’adressent directement aux cheveux longs.
A l’issue d’une bagarre dans un foyer des Mureaux ou les C.R.S. ont chargé à la matraque, les inspecteurs reviendront avec trois cents photos de jeunes de la région prises à leur insu et dans les positions les plus insolites. Le moindre gardien de la paix, même en réglementant la circulation, observe les individus.
On cherche, on traque les jeunes, les cheveux longs. C’est qu’il existe un vaste mouvement de la jeunesse qui lui conteste l’ensemble de la société capitaliste. Il y a moins de différence entre un lycéen et un jeune ouvrier qu’entre un jeune ouvrier et un vieux réviso ; tout comme il y a moins de différence entre un étudiant et un jeune ouvrier qu’entre un ouvrier âgé et un intellectuel si progressiste soit-il.
Ce qui unit le mouvement de la jeunesse, c’est l’oppression, c’est sa révolte contre l’idéologie bourgeoise, c’est un véritable ciment pour l’unité populaire. Le jeune ouvrier, le lycéen et l’étudiant, le jeune immigré et la jeune fille touchent toutes les couches de la population, car ils font partie de toutes ces couches, et sont unis par l’oppression idéologique commune.
Orienter le mouvement de la jeunesse intellectuelle vers la lutte dans les usines et les quartiers, dans la lutte sous touts les aspects de la vie, c’est se donner les moyens d’une unité populaire véritable. Il nous faut ici ouvrir une parenthèse sur le problème spécifique des immigrés.
Il semble que jusqu’à présent, le mouvement révolutionnaire ait tellement spécifié le problème des immigrés que dans certains endroits, il s’est transformé en organisation de défense des immigrés. De telle façon, le mouvement révolutionnaire n’a au mieux pas fait progresser l’unité des Français et des immigrés, et au pire accentué la division. Le racisme en France est issu d’un certain chauvinisme datant de l’époque coloniale. Dans les livres de géographie pour enfants, on peut lire textuellement : « L’homme blanc a civilisé les pays africains. »
Le racisme en France ne s’exprime pas tant entre les couleurs (supérieurs ou inférieurs), mais en terme de : « On leur a tout fait et ils nous ont chassés », « ils nous prennent notre travail, ils ont plus de droits que nous. » Ce qu’il faut avoir en tête, c’est que l’on est ouvrier avant d’être immigré, et non pas l’inverse, en tenant compte simplement du problème spécifique.
Les travailleurs immigrés sont coupés, isolés de la vie sociale. Hors de l’usine, ils sont maintenant dans les foyers ou dans de véritables ghettos tels que Barbes ou Belleville à Paris, quartiers quadrillés 24 heures sur 24 par la police ; où s’est tissé un véritable réseau de mouchards et de résidus de pègre chargés de dénoncer et de surexploiter les travailleurs immigrés.
Le problème des immigrés se pose principalement en fonction de leur isolement par rapport au reste de la population. Isolement voulu et entretenu par la bourgeoisie. Rompre cet isolement en libérant les ghettos parisiens, permettre la liaison effective des immigrés avec le reste de la population, c’est renforcer l’unité des travailleurs français et immigrés.
Il existe toute une série de moyens permettant « d’intégrer », si l’on peut dire, les travailleurs immigrés à la vie sociale en France. Le terme « intégrer » est mauvais mais il n’en existe pas d’autre. En maintenant les immigrés dans leur isolement, comment renforcer leur unité avec tout le peuple ? Comment faire pour qu’ils sentent qu’ils font partie de la classe ouvrière de France au lieu d’être une fraction de leur pays d’origine en France ?
Vers un nouvel internationalisme
Ces moyens, cela va de l’alpha dans le seul but d’apprendre à lire, à déchiffrer une fiche de paie ou les papiers de Sécurité sociale, à la lutte progressiste pour leurs droits démocratiques qui consistent à les protéger de la répression administrative (bureaux de mains d’œuvre, cartes de travail…) Cependant, il faut tenir compte que la très grande majorité des travailleurs immigrés n’est que de passage.
Qu’ils gardent malgré tout la nostalgie de leur pays d’origine et de ses traditions. Par rapport à cela, l’internationalisme prolétarien ne doit pas être un vain mot. Appliquer le schéma Palestine pour les arabes, grève des Asturies pour les Espagnols, ce n’est pas développer cet internationalisme.
Ce qu’il faut démontrer, c’est que les luttes qui se mènent en France, en Espagne, en Palestine, servent les intérêts du prolétariat mondial et les concernent directement. Parler de Palestine aux Arabes ne suffit pas ; mais parler de la Palestine dans le but de développer la lutte des classes en France, en parler aussi aux travailleurs français en leur démontrant que cette lutte, c’est aussi la leur, c’est développer effectivement l’internationalisme prolétarien.
La presse bourgeoise parle de tout mais elle le fait de telle manière que les luttes du Vietnam et de la Palestine sont des choses différentes, qu’il n’y a aucun rapport entre les grèves en France et celles aux États-Unis, en Suède ou en Belgique.
Ce qu’il faut démontrer concrètement, c’est que le capitalisme dans son stade suprême, l’impérialisme, ne peut plus se développer ; que les peuples opprimés du monde portent des coups terribles à l’impérialisme hors de chez lui ; que les classes ouvrières des métropoles impérialistes les attaquent du dedans.
Attaque de partout, l’impérialisme s’écroule petit à petit. L’union des travailleurs français et immigrés passe par la lutte commune là où ils sont concentrés, dans une même usine ou une même cité ; mais elle passe aussi par un soutien mutuel des luttes dans leurs pays propres.
l’avenir nous appartient, organisonsnous !
Mai 68, dix millions de grévistes, toutes les usines occupées. A Citroën, à Flins, à Sochaux, les ouvriers se battent contre les jaunes ou les C.R.S. pour défendre leur usine. En mai, des milliers, des dizaines de milliers de travailleurs ont posé la question du pouvoir, ont voulu faire la révolution. Après la trahison de juin 68 et la reprise du travail, la classe ouvrière n’a pas cessé de lutter.
On a pu assister à une foule de grèves sauvages, illégales, rompant avec l’esprit syndical. Après mai, ce n’est plus comme avant, des dizaines de milliers de travailleurs qui en mai ont voulu faire la révolution, ont senti concrètement ce que pourrait être le socialisme, la dictature du prolétariat. Ces dizaines de milliers de travailleurs n’ont pas disparu. Il existe actuellement une avant-garde ouvrière qui s’exprime par ce qu’on appelle le mouvement ouvrier spontané.
Mais cette avant-garde ne s’est jamais stabilisée ; elle est toujours épisodique et inconsciente. Le mouvement ouvrier ne s’est jamais concrétisé dans une forme organisationnelle quelle qu’elle soit. Les seules formes organisées dans les usines, ce sont encore les syndicats. Il n’existe pas encore d’exemple où les gauchistes soient apparus comme alternative aux syndicats. La raison en est simple ; l’organisation de la classe ouvrière ne peut venir que de la classe ouvrière elle-même.
Et ce ne sont pas les groupuscules qui peuvent se substituer à cette organisation. Parler d’autonomie ouvrière sans chercher la réponse organisationnelle à cette autonomie, c’est passer à côté de la plaque.
Le mouvement ouvrier spontané s’exprime politiquement de façon indépendante ; mais pour qu’il soit capable de porter la lutte de l’ensemble des travailleurs de façon continue, il doit prendre corps dans une forme organisationnelle. Une forme organisationnelle qui rompt avec les divisions économie / politique, intérieur à l’usine / extérieur.
On est ouvrier partout, et partout, on doit combattre le capitalisme dans toutes ses formes. Partout on doit opposer à la légalité bourgeoise ou syndicale, la légalité populaire.
Rompre avec l’esprit légaliste, cela se fait dans et en dehors de l’usine, cela peut se faire dans et hors des syndicats. Vouloir militer dans les syndicats n’est pas faux en soit (suivant des conditions objectives), ce qui est faux, c’est de vouloir faire des syndicats « légaux » capables de discuter avec les patrons et le gouvernement.
Car toute une ligne politique, quand elle est fausse comporte un point de non retour et au fur et à mesure de son application dans la pratique, elle peut très bien devenir une voie bourgeoise.
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Nouvelle Cause du Peuple, NAPAP, Action Directe