La Proletariatis Brdzola [la Lutte du Prolétariat], n°7, 1er
septembre 1904.
Article non signé.
Traduit
du géorgien.
I
Tout change… La vie sociale et, avec elle, la « question nationale ». Aux différentes époques, des classes diverses entrent en lice, dont chacune comprend la « question nationale » à sa façon. Par conséquent, aux différentes époques la « question nationale » sert des intérêts divers, prend des nuances différentes suivant le moment et suivant la classe qui la pose.
C’est ainsi qu’il a existé chez nous ce qu’on a appelé la « question nationale » de la noblesse géorgienne sentit ce qu’elle avait perdu en ayant été dépossédée des anciens privilèges et de la puissance dont elle jouissait sous les rois géorgiens ; l’état de « simples sujets » leur paraissant une atteinte à leur dignité, les nobles souhaitèrent « l’affranchissement de la Géorgie ».
Il s’agissait par là de mettre à la tête de la « Géorgie » les rois et les nobles géorgiens, et de leur confier ainsi les destinées du peuple géorgien !
Ce fut le « nationalisme » monarchiste et féodale. Ce « mouvement » n’a laissé aucune trace notable dans la vie des Géorgiens ; il ne s’est signalé par aucun fait glorieux, à moins de considérer comme tels quelques complots de nobles géorgiens contre les gouvernants russes du Caucase.
Il a suffi que les évènements de la vie sociale effleurent ce « mouvement », déjà faible par lui-même, pour le détruire de fond en comble.
En effet, le développement de la production marchande, l’abolition du servage, la fondation d’une banque de la noblesse, l’aggravation de l’antagonisme des classes à la ville et, à la campagne, le renforcement du mouvement de la paysannerie pauvre etc., tout cela a porté un coup mortel à la noblesse géorgienne et, avec elle, au « nationalisme monarchiste et féodal« .
La noblesse géorgienne s’est scindée en deux groupes. Le premier a abjuré tout « nationalisme », il a tendu la main à l’autocratie russe afin d’obtenir des sinécures, des crédits à bon marché, du matériel agricole, et de s’assurer la protection du gouvernement contre les « émeutiers » des campagnes, etc… L’autre groupe de la noblesse géorgienne, plus faible, s’est lié d’amitié avec les évêques et les archimandrites géorgiens; il a, de cette façon, abrité sous l’aile du cléricalisme un « nationalisme » condamné par la vie.
Ce groupe s’occupe, avec beaucoup de zèle, de reconstruire les églises géorgiennes détruites (c’est là le principal article de son « programme » !), — « ces monuments de la grandeur d’antan », — et il attend pieusement le miracle qui réalisera ses « voeux » monarchistes et féodaux.
Ainsi, le nationalisme monarchiste et féodal a revêtu, à ses derniers moments, une forme cléricale.
D’autre part, la vie sociale contemporaine a posé chez nous la question nationale de la bourgeoisie. Quand la jeune bourgeoisie a connu toutes les difficultés d’une libre concurrence avec les capitalistes « étrangers », elle s’est mise, par la bouche des national-démocrates géorgiens, à parler timidement d’une Géorgie indépendante.
La bourgeoisie géorgienne voulait élever une barrière douanière autour du marché géorgien, en chasser de force la bourgeoisie « étrangère », faire monter artificiellement le prix des marchandises et s’enrichir par ces manœuvres « patriotiques ».
Tel fut et tel demeure, le but du nationalisme de la bourgeoisie géorgienne. Inutile d’ajouter que pour atteindre ce but, il fallait être fort ; or, la force réside dans le prolétariat. Seul le prolétariat pouvait insuffler la vie au « patriotisme » creux de la bourgeoisie. Il lui était indispensable de gagner le prolétariat, et c’est alors qu’entrent en scène les « national-démocrates ».
Ils se sont donnés bien du mal pour réfuter le socialisme scientifique ; ils ont violemment dénigré les social-démocrates et conseillé aux prolétaires géorgiens, l’exhortant, « dans l’intérêt des ouvriers eux-mêmes », à renforcer, d’une manière ou d’une autre, la bourgeoisie géorgienne. Ils ont adjuré les prolétaires géorgiens : Ne menez pas à sa perte la « Géorgie » (ou la bourgeoisie géorgienne ?), oubliez les « divergences intérieures », liez-vous d’amitié avec la bourgeoisie géorgienne, etc.
Mais en vain ! Les contes doucereux des publicistes bourgeois n’ont pu endormir le prolétariat géorgien !
Les attaques impitoyables des marxistes géorgiens, et surtout les puissantes actions de classe qui ont soudé en un même détachement socialiste les prolétaires russes, arméniens, géorgiens et autres, ont porté un coup terrible à nos nationalistes bourgeois et les ont chassés du champ de bataille.
« Pour redorer leur blason déshonoré », nos patriotes en déroute devaient « au moins en changer la couleur », au moins s’affubler d’un habit socialiste, s’ils ne pouvaient s’assimiler les idées socialistes. Effectivement, un organe illégal… nationaliste bourgeois, « socialiste » s’il vous plaît, le Sakartvélo1
Le parti fédéraliste géorgien (constitué à Genève en avril 1904) comprenait, outre le groupe du Sakartvélo, des anarchistes, des socialistes-révolutionnaires, des national-démocrates.
Les fédéralistes présentaient comme principale revendication l’autonomie nationale de la Géorgie dans le cadre de l’Etat des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie de Russie. Durant les années de réaction, ils devinrent des adversaires déclarés de la révolution. , fit tout à coup son apparition. On voulait par là gagner les ouvriers géorgiens ! Mais il était trop tard !
Les ouvriers géorgien sont appris à distinguer le noir du blanc ; ils ont deviné sans peine que les nationalistes bourgeois « s’étaient bornés à changer la couleur » de leurs idées sans rien y changer pour l’essentiel, et que le Sakartvélo n’avait de socialiste que le nom. Ils l’ont compris et ont tourné en ridicule les « sauveurs » de la Géorgie ! Les espoirs des Don Quichotte du Sakartvélo ont été déçus !
D’autre part, notre développement économique jette peu à peu un pont entre les milieux avancés de la bourgeoisie géorgienne et « la Russie » ; il lie économiquement et politiquement ces milieux à « la Russie », ébranlant ainsi les bases déjà chancelantes du nationalisme bourgeois. Et voilà un deuxième coup porté au nationalisme bourgeois.
Une nouvelle classe, le prolétariat est entrée en lice, et dés lors une nouvelle « question nationale » a surgi, la « question nationale » du prolétariat. Autant le prolétariat se distingue de la noblesse et de la bourgeoisie, autant la « question nationale » telle que la pose le prolétariat se distingue de la « question nationale » de la noblesse et de la bourgeoisie.
Voyons maintenant ce qu’est ce « nationalisme ».
Comment la social-démocratie comprend-elle la « question nationale » ?
Il y a longtemps que le prolétariat de Russie a commencé à parler de lutte. Comme on sait, le but de toute lutte, c’est la victoire. Mais pour que le prolétariat soit victorieux, il faut que tous les ouvriers s’unissent, sans distinction de nationalité.
Il est évident que la victoire du prolétariat de Russie a pour condition indispensable la destruction des barrières nationales et l’union étroite des prolétaires russes, géorgiens, arméniens, polonais, juifs et autres.
Tels sont les intérêts du prolétariat de Russie.
Mais l’autocratie russe, ce pire ennemi du prolétariat de Russie, ne cesse de s’opposer à l’union des prolétaires. Par des procédés de forban, elle persécute la culture nationale, la langue , les coutumes et les institutions des nationalités « allogènes » de Russie.
L’autocratie les prive des droits civiques indispensables, les opprime dans tous les domaines, sème hypocritement entre elles la méfiance et l’inimitié, les pousse à des conflits sanglants, montrant ainsi qu’elle n’a d’autre but que de brouiller entre elles les nations qui peuplent la Russie, d’envenimer les animosités nationales, de consolider les barrières nationales pour diviser plus sûrement les prolétaires, morceler plus sûrement tout le prolétariat de Russie en petits groupements nationaux et porter de cette façon un coup mortel à la conscience de classe des ouvriers, à leur union de classe.
Tels sont les intérêts de la réaction russe, telle est la politique de l’autocratie russe.
Il est évident que, tôt ou tard, les intérêts du prolétariat de Russie devaient nécessairement se heurter à la politique réactionnaire de l’autocratie tsariste. C’est ce qui est arrivé, et c’est sur ce terrain que la « question nationale », s’est posée au sein de la social-démocratie.
Comment abattre les barrières nationales dressées entre les nations, comment mettre fin au particularisme national, afin de rapprocher davantage les uns aux autres, de grouper plus étroitement les prolétaires de Russie ?
Tel est le contenu de la « question nationale » pour la social-démocratie.
Il faut se scinder en partis nationaux distincts et créer une « fédération libre » de ces partis, répondent les social-démocrates fédéralistes.
C’est aussi ce que répète « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie »2.
Comme on le voit, on nous conseille non pas de nous grouper en un seul parti de toute la Russie, ayant à sa tête un centre unique, mais de nous diviser en plusieurs partis ayant plusieurs centres de direction, et tout cela pour renforcer l’unité de classe !
Nous voulons rapprocher les uns des autres les prolétaires des différentes nations. Que devons-nous faire ? Eloignez les prolétaires les uns des autres et vous atteindrez votre but ! répondent les social-démocrates fédéralistes.
Nous voulons rassembler les prolétaires dans un même parti. Que devons-nous faire ? Morcelez le prolétariat de Russie en partis distincts, et vous atteindrez votre but ! répondent les social-démocrates fédéralistes.
Nous voulons abattre les barrières nationales. Quelles sont les mesures à prendre ? renforcez les barrières nationales par des barrières d’organisation, et vous atteindrez votre but ! répondent-ils. Voilà ce qu’on nous conseille, à nous prolétaires de Russie, contre un seul et même ennemi commun. En un mot, on nous dit : agissez pour la joie de vos ennemis et de vos propres mains enterrez votre but commun !
Mais admettons pour un instant que les social-démocrates fédéralistes aient raison et suivons-les pour voir où ils nous mènent. Ne dit-on pas en effet : poursuis le menteur jusqu’au seuil du mensonge.
Supposons que nous ayons écouté nos fédéralistes et fondé des partis nationaux distincts. Qu’en résulterait-il ?
Il est facile de le prévoir. Si, jusqu’à présent, tant que nous étions des centralistes, nous prêtions principalement attention aux conditions communes de la situation des prolétaires, à l’identité de leurs intérêts ; si nous ne parlions de leurs « différences nationales » que dans la mesure où cela ne contredisait pas leurs intérêts communs ; si jusqu’à présent, la question primordiale était pour nous de savoir sur quoi s’accordent les prolétaires des nationalités de Russie, ce qu’ils ont de commun, afin de bâtir en tenant compte de ces intérêts communs un parti unique, centralisé, des ouvriers de toute la Russie, — maintenant que « nous » sommes devenus des fédéralistes, une nouvelle question des plus importantes retient notre attention : par quoi se distinguent entre eux les prolétaires des diverses nationalités de Russie, par quoi diffèrent-ils entre eux, afin de fonder, en tenant compte des « différences nationales », des partis nationaux distincts.
Ainsi, les « différences nationales », dont l’importance est secondaire pour le centraliste, deviennent pour le fédéraliste le fondement même des partis nationaux.
Si nous persévérons dans cette voie, nous serons, tôt ou tard, forcés de conclure que les « différences nationales » et autres qui caractérisent le prolétariat arménien, par exemple, sont aussi celles qui caractérisent la bourgeoisie arménienne ; que le prolétariat et le bourgeois arménien ont des coutumes et un caractère identiques ; qu’ils constituent un seul peuple, une « nation » unique3
Tout d’abord, on ne comprend pas pourquoi « on ne saurait séparer le prolétariat arménien de la société arménienne », puisque cette séparation s’opère à tout moment ?
Le prolétariat arménien unifié ne s’est-il pas « séparé » de la société arménienne quand, en 1900, (à Tiflis) il a déclaré la guerre à la bourgeoisie arménienne et aux Arméniens d’esprit bourgeois ?
Qu’est-ce donc que « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie », sinon une organisation de classe des prolétaires arméniens qui se sont « séparés » des autres classes de la société arménienne ?
Ou bien peut-être « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » est-elle une organisation de toutes les classes ?
Mais le prolétariat arménien en lutte peut-il se contenter de « déterminer la pensée sociale arménienne » ; n’est-il pas tenu d’aller de l’avant, de déclarer la guerre à cette « pensée sociale » bourgeoise jusqu’à la moelle des os, et de lui insuffler un esprit révolutionnaire ? Les faits attestent qu’il y est tenu.
Mais alors, il va de soi que le « Manifeste » aurait dû attirer l’attention du lecteur sur la « détermination de la pensée sociale », mais sur la lutte contre cette pensée, sur la nécessité de la rendre révolutionnaire : il aurait ainsi mieux défini les devoirs du « prolétariat socialiste ».
Et, enfin, le prolétariat arménien peut-il être « le fils de sa race » quand une partie de cette race, — la bourgeoisie arménienne, — suce son sang comme un vampire, et qu’une autre partie, — le clergé arménien, — non contente de sucer le sang des ouvriers, corrompt systématiquement sa conscience ? Questions très simples et qui se posent inévitablement si l’on envisage les choses du point de vue de la lutte des classes.
Mais ces questions, les auteurs du « Manifeste » ne les voient pas, parce qu’ils envisagent tout du point de vue nationaliste et fédéraliste qu’ils ont emprunté au Bund (Union ouvrière juive)*. D’une façon générale, il semble que les auteurs du « Manifeste » se sont fixés pour but d’imiter en tous points le Bund.
Ils ont de même introduit dans leur « Manifeste » l’article 2 de la résolution du Ve congrès du Bund « sur la situation du Bund dans le parti ». Ils déclarent que « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » est l’unique défenseur des intérêts du prolétariat arménien (voir l’article 3 dudit « Manifeste »).
Il ont oublié que depuis plusieurs années déjà, les Comités de notre parti au Caucase** sont considérés comme les représentants des prolétaires arméniens (et autres) du Caucase ; qu’ils développent en eux la conscience de classe par la propagande et l’agitation orales et écrites en langue arménienne ; qu’ils les dirigent pendant leur lutte, etc., alors que « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » ne date que d’avant-hier.
Tout cela, ils l’ont oublié, et il faut s’attendre à ce qu’ils oublient encore bien des choses, pour peu qu’ils copient fidèlement les conceptions du Bund en matière d’organisation et de politique. (J.S.).
De là il n’y a pas loin au « terrain unique d’action conjointe » sur lequel doivent se placer bourgeois et prolétaires, en se tendant amicalement la main comme membres d’une seule et même « nation ».
Ainsi, la politique pharisaïque du tsar autocrate peut sembler une « nouvelle » preuve de cette amitié, alors que parler d’antagonisme des classes apparaîtra comme la marque d’un « esprit doctrinaire déplacé ». Là dessus, quelque main poétique touchera « plus hardiment » les cordes étroitement nationales qui existent encore chez les prolétaires des nationalités de Russie, et les fera vibrer sur le ton voulu.
On fera crédit (confiance) au charlatanisme chauvin, les amis apparaîtront comme des ennemis, les ennemis comme des amis ; ce sera la confusion, et la conscience de classe du prolétariat de Russie s’amenuisera.
Ainsi, au lieu d’abattre les barrières nationales, nous allons par la grâce des fédéralistes, les renforcer par des barrières d’organisation ; au lieu de faire progresser la conscience de classe du prolétariat, nous la ferons reculer et la soumettrons à des épreuves périlleuses. Et le cœur du tsar autocrate « tressaillira d’allégresse », car jamais il n’aurait pu s’assurer le concours d’auxiliaires bénévoles tels que nous.
Est-ce là ce que nous voulions ?
Enfin, alors que nous avons besoin d’un parti unique, souple et centralisé, dont le Comité central pourrait instantanément mobiliser les ouvriers de toute la Russie et les conduire à l’assaut décisif contre l’autocratie et la bourgeoisie, on nous fourre dans la main « une union fédérale » informe, morcelée en partis distincts ! Au lieu d’une arme acérée, on nous en donne une toute rouillée et l’on nous assure : ainsi, vous en finirez plus vite avec vos ennemis jurés !
Voilà où nous mènent les social-démocrates fédéralistes !
Mais comme nous travaillons non à « consolider les barrières nationales », mais à les abattre ; comme nous avons besoin non d’une arme rouillée, mais d’une arme acérée pour extirper l’injustice actuelle ; comme nous voulons non pas réjouir l’ennemi, mais l’accabler d’amertume et l’anéantir, il est clair que nous avons le devoir de tourner le dos aux fédéralistes et de trouver une meilleure solution de la « question nationale ».
II
Jusqu’ici nous avons montré comment il ne fallait pas résoudre la « question nationale ». Voyons maintenant comment on doit la résoudre, c’est-à-dire comment l’a résolue le Parti ouvrier social-démocrate4.
Avant tout, nous devons nous rappeler que le Parti social-démocrate qui lutte s’est appelé Parti ouvrier social-démocrate de Russie (et non pas russe). il a voulu évidemment nous montrer par là qu’il se proposait de grouper sous son drapeau non seulement les prolétaires russes, mais aussi ceux de toutes les nationalités de le Russie, et qu’il prendrait par conséquent toutes les mesures nécessaires pour abolir les barrières nationales dressées entre eux.
Ensuite, notre parti a dégagé la « question nationale » des brouillards qui l’enveloppaient et lui donnaient un aspect mystérieux ; il a décomposé cette question en ses éléments, donné à chacun d’eux le caractère d’une revendication de classe et les a exposés dans son programme sous forme d’articles distincts.
Il nous a montré clairement par là que, considérés en eux-mêmes, les « intérêts nationaux » et les « revendications nationales » n’ont pas de valeur particulière, que ces « intérêts » et « revendications » ne méritent de retenir l’attention que dans la mesure où ils font ou peuvent faire progresser la conscience de classe du prolétariat, son développement comme classe.
De la sorte, le parti ouvrier social-démocrate de Russie a nettement indiqué la voie dans laquelle il s’engageait et la position qu’il adoptait pour résoudre la « question nationale ».
De quels éléments se compose la « question nationale » ?
Que demandent messieurs les social-démocrates fédéralistes ?
1° « L’égalité civique des nationalités de Russie » ?
Vous êtes émus par l’inégalité civique qui règne en Russie ? Vous voulez restituer aux nationalités de Russie les droits civiques dont le gouvernement les a dépouillés, et c’est pour cette raison que vous revendiquez pour elles l’égalité civique ?
Mais sommes-nous contre cette revendication ? Nous comprenons parfaitement toute l’importance des droits civiques pour les prolétaires. Les droits civiques sont une arme de lutte ; leur enlever ces droits, c’est leur enlever une arme ; et qui donc ignore que sans armes, les prolétaires ne peuvent lutter efficacement ?
Or, il est nécessaire pour le prolétariat de Russie que les prolétaires de toutes les nationalités du pays se battent bien, car mieux ces prolétaires se battront, et plus grande sera leur conscience de classe ; plus grande sera leur conscience de classe, et plus étroite deviendra l’unité de classe du prolétariat de Russie. Oui, nous savons tout cela, et c’est pourquoi nous luttons de toutes nos forces pour l’égalité civique des nationalités de Russie !
Lisez l’article 7 du programme de notre parti, où l’on parle de « la complète égalité en droits de tous les citoyens, sans distinction de sexe, de race et de nationalité« , et vous verrez que le Parti ouvrier social-démocrate de Russie se charge de faire aboutir ces revendications.
Que demandent encore les social-démocrates fédéralistes ?
2° « La liberté de la langue pour les nationalités de Russie » ?
Vous êtes émus par le fait qu’il est à peu près interdit aux prolétaires des nationalités « allogènes » de Russie d’étudier dans leur langue maternelle, de la parler dans les établissements publics, administratifs et autres ? En effet, il y a de quoi s’émouvoir ! La langue est un moyen de se développer et de lutter.
Les langues diffèrent avec les nations. les intérêts du prolétariat de Russie exigent que les prolétaires de nationalités de ce pays aient le droit absolu de se servir de la langue dans laquelle ils peuvent s’instruire avec le plus de facilité, combattre le mieux leurs ennemis dans les réunions, les établissements publics, administratifs et autres. Il est reconnu que cette langue, c’est la langue maternelle.
On prive de leur langue maternelle les prolétaires des nationalités « allogènes », et nous garderions le silence ? disent-ils. Mais voyons ce que répond au prolétariat de Russie, sur ce sujet, le programme de notre parti.
Lisez l’article 8, dans lequel notre parti revendique « le droit pour la population de recevoir l’instruction dans sa langue maternelle, droit garanti par la création, aux frais des écoles nécessaires à cet effet ; le droit pour chaque citoyen de s’expliquer dans sa langue maternelle aux réunions ; l’usage de la langue maternelle, à l’égal la langue d’Etat, dans tous les établissements publics et administratifs locaux ».
Lisez tout cela, et vous vous convaincrez que le Parti ouvrier social-démocrate de Russie se charge de faire aboutir cette revendication également.
Que demandent encore les social-démocrates fédéralistes ?
3° « L’autonomie administrative pour les nationalités de la Russie » ?
Vous voulez dire par là qu’on ne peut appliquer de façon identique les mêmes lois aux différentes parties de l’Etat russe, qui se distinguent les unes des autres par leurs conditions d’existence particulières et la composition de leur population ? Vous voulez qu’on donne à chacune de ces régions le droit d’adapter les lois générales de l’Etat à ses conditions particulières ?
S’il en est ainsi, si tel est bien le fond de votre revendication, il faut lui donner une forme appropriée, il faut la débarrasser du brouillard, de la confusion nationaliste, il faut appeler les choses par leur nom.
Et si vous suivez ce conseil, vous vous convaincrez que nous ne sommes nullement opposés à cette revendication.
Nous ne doutons nullement que les différentes parties de l’Etat russe, qui se distinguent les unes des autres par leurs conditions d’existence particulières et la composition de leur population, ne sauraient appliquer de la même manière la constitution de l’Etat, et qu’il est nécessaire de leur donner le droit d’appliquer la constitution générale de l’Etat sous la forme dont elles tireront le plus d’avantages, qui leur permettra de développer au maximum les forces politiques existantes dans le peuple.
C’est ce qu’exigent les intérêts de classe du prolétariat de Russie. Et si vous relisez l’article 3 du programme de notre parti, où celui-ci revendique « une large autonomie administrative locale, autonomie régionale pour les contrées qui se distinguent par des conditions d’existence particulières et la composition de leur population », vous verrez que le Parti ouvrier social-démocrate de Russie a dégagé d’emblée cette revendication du brouillard nationaliste et ensuite qu’il s’est chargé de la faire aboutir.
4°Vous nous montrez l’autocratie tsariste qui persécute férocement « la culture nationale » des nationalités « allogènes » de Russie ; qui s’immisce comme un bandit dans leur vie intérieure et les opprime de toutes les manières ; qui a détruit (et continue de détruire) d’une façon barbare les institutions culturelles des Finlandais ; qui s’est comportée pirate des biens nationaux arméniens, etc. ?
Vous demandez des garanties contre les brigandages de l’autocratie ? mais ne voyons-nous pas les violences de l’autocratie tsariste et ne les avons-nous pas toujours combattues ?
Chacun peut aujourd’hui constater à quel point l’actuel gouvernement de la Russie opprime et étouffe les nationalités « allogènes ».
Il est également hors de doute que, jour après jour, cette politique du gouvernement corrompt et soumet à une dangereuse épreuve la conscience de classe du prolétariat de Russie. par conséquent, nous combattrons toujours et partout la politique corruptrice du gouvernement tsariste.
Par conséquent, nous défendrons toujours et partout, contre les violences policières de l’autocratie, les institutions utiles et mêmes inutiles de ces nationalités, car les intérêts du prolétariat de Russie nous enseignent que seules les nationalités elles-mêmes ont le droit de supprimer ou de développer tels ou tels éléments de leur culture nationale.
Lisez l’article 9 de notre programme. n’est-ce pas de cela qu’il s’agit dans l’article 9 du programme de notre parti, qui du reste a suscité bien des commentaires parmi nos ennemis comme parmi nos amis ?
Mais ici on nous interrompt et l’on nous conseille de ne plus parler de l’article 9. Pourquoi ? demandons-nous. « Parce que », nous dit-on, cet article de notre programme « contredit foncièrement » les articles 3,7 et 8 de ce même programme : si l’on accorde aux nationalités le droit de régler à leur gré toutes leurs affaires nationales (voir l’article 9), doit en être évidemment retranché.
C’est sans nul doute, ce que dit à peu près le Sakartvélo5) quand il demande avec la légèreté dont il est coutumier : « La belle logique que de dire à une nation : je t’accorde l’autonomie administrative régionale, et de lui rappeler en même temps qu’elle a le droit de régler à son gré toutes ses affaires nationales ? » (Voir le Sakartvélo, n°9).
« De toute évidence », une contradiction logique s’est glissée dans le programme ; « de toute évidence », pour éliminer cette contradiction, on doit retrancher du programme un ou plusieurs articles ! Oui, il faut « absolument » les retrancher, car, vous le voyez bien, la logique elle-même proteste par la bouche de l’illogique Sakartvélo.
Il me souvient d’une vieille histoire. Il y avait une fois un sage « anatomiste ». Il possédait « tout ce qui est indispensable » à un « véritable » anatomiste : diplôme, local, instruments, prétentions excessives. Il ne lui manquait que peu de choses : la connaissance de l’anatomie.
Un jour, on lui demanda d’expliquer la liaison qui existe entre les différentes parties du squelette qu’il avait dispersées sur sa table. C’était pour notre « illustre sage » une occasion de se distinguer. Il se mit pompeusement et solennellement « à l’oeuvre ». Mais le malheur, c’est qu’il ne connaissait pas le premier mot de l’anatomie, il ne savait pas à quoi il fallait rattacher telle ou telle partie pour reconstituer le squelette entier !
Le pauvre homme se donna beaucoup de mal, sua sang et eau, mais ce fut peine perdue ! Enfin, quand il eut tout embrouillé et que rien n’alla plus, il saisit quelques parties du squelette et les jeta loin de lui en vitupérant philosophiquement les personnes « mal intentionnées » qui avaient, affirmait-il, mis sur sa table de faux morceaux de squelette. Quant aux spectateurs, ils se moquèrent naturellement du « sage anatomiste ».
Pareille « mésaventure » est arrivée au Sakartvélo. L’idée lui est venue d’analyser le programme de notre parti ; mais il s’est trouvé qu’il ignorait ce que représentait notre programme et comment il fallait l’analyser ; sans savoir compris ni le lien qui existait entre les différents articles de ce programme, ni ce que représentait chaque article en particulier, il nous donne « philosophiquement » ce conseil : je n’ai pu comprendre tels ou tels articles de votre programme, il faut donc (?!) les en retrancher.
Mais je ne tiens pas à ridiculiser le Sakartvélo, déjà bien assez ridicule ; on ne frappe pas, dit-on, un homme à terre.
Au contraire, je suis même prêt à lui venir en aide pour l’éclairer sur notre programme, mais à la condition : 1° qu’il reconnaisse lui-même son ignorance ; 2° qu’il m’écoute attentivement et 3° qu’il respecte la logique6.
Voici de quoi il s’agit. Les articles 3, 7 et 8 de notre programme procèdent du centralisme politique. quand le Parti ouvrier social-démocrate de Russie a inscrit ces articles dans son programme , il considérait que d’une façon générale la solution dite « définitive » de la « question nationale » — c’est-à-dire l’ « affranchissement » des nationalités « allogènes » de la Russie — est impossible tant que la domination politique est exercée par la bourgeoisie.
Et cela pour deux raisons : tout d’abord le développement économique actuel établit progressivement un pont entre « les nationalités allogènes » et « la Russie » ; il crée entre elles un lien de plus en plus étroit et fait naître ainsi des sentiments amicaux dans les cercles dirigeants de la bourgeoisie de ces nationalités, ce qui enlève toute base à leurs aspirations d’ « affranchissement national » ; en second lieu, le prolétariat, en thèse générale, ne soutiendra pas le mouvement dit d’ « affranchissement national », puisque, jusqu’à présent, tout mouvement de cette nature s’est opéré au profit de la bourgeoisie, corrompant et viciant la conscience de classe du prolétariat. telles sont les considérations qui ont fait naître l’idée du centralisme politique et les articles 3, 7 et 8 du programme de notre parti, qui en découlent.
Mais c’est là, nous l’avons dit plus haut, un point de vue général.
Il n’est pas exclu, malgré cela, que puissent apparaître des conditions économiques et politiques telles que les milieux avancés de la bourgeoisie des nationalités « allogènes » en viennent à souhaiter l’ « affranchissement national ».
Il peut arriver aussi que ce mouvement favorise le développement de la conscience de classe du prolétariat.
Que doit faire alors notre parti ?
C’est pour de telles éventualités que l’article 9 a été inscrit dans notre programme ; c’est en prévision de ces circonstances que le droit est accordé aux nationalités de régler leurs affaires nationales conformément à leurs désirs (par exemple) de « s’affranchir » complètement, de se séparer.
Notre parti, qui s’assigne pour but d’être le dirigeant du prolétariat en lutte de toute la Russie, doit se tenir prêt à faire face à de telles éventualités dans la vie du prolétariat , et c’est pour cette raison qu’il lui fallait inscrire un article semblable dans son programme.
Ainsi doit agir tout parti prévoyant et perspicace.
Il se trouve cependant que ce sens de l’article 9 ne satisfait pas les « sages » du Sakartvélo ni certains social-démocrates fédéralistes. Ils exigent une réponse « catégorique », « directe » à la question : « l’indépendance nationale » est elle ou non avantageuse au prolétariat ?7)
Je me souviens des métaphysiciens russes de 1850 à 1860, qui importunaient les dialecticiens d’alors pour savoir si la pluie est utile ou nuisible aux récoltes et exigeaient d’eux un réponse « catégorique ».
Les dialecticiens n’eurent aucune peine à démontrer que cette façon de poser le problème n’avait rien de scientifique ; que la réponse à faire variait avec les conditions ; que pendant la sécheresse la pluie est utile, mais qu’elle est inutile et même nuisible par temps humide, et que par conséquent exiger une réponse « catégorique à cette question est pure sottise.
Mais ces exemples n’ont pas profité au Sakartvélo.
Les disciples de Bernstein exigeaient des marxistes une réponse « catégorique » du même genre à la question que voici : les coopératives (c’est-à-dire les sociétés de consommation et de production) sont-elles utiles ou nuisibles au prolétariat ? les marxistes n’eurent pas de peine à démontrer que cette façon de poser le problème était dénuée de sens.
Ils expliquèrent an termes très simples que tout dépendait du moment et du lieu ; que la où la conscience de classe du prolétariat a atteint le niveau de développement voulu, où les prolétaires sont groupés en un parti politique solide, les coopératives peuvent être très utiles au prolétariat, si c’est le parti lui-même qui se charge de les fonder et de les diriger ; que là, au contraire, où ces conditions font défaut, les coopératives sont nuisibles au prolétariat, car elles font naître chez les ouvriers des tendances mercantiles et un particularisme corporatif, et altèrent ainsi leur conscience de classe.
Mais cet exemple non plus n’a pas profité aux « sakartvélistes ». Ils demandent avec encore plus d’insistance : l’indépendance nationale est-elle nuisible au prolétariat ? Donnez une réponse catégorique !
Or, nous voyons que les circonstances susceptibles de provoquer et de développer un mouvement d’ « affranchissement national » dans la bourgeoisie des nationalités « allogènes » ne sont pas encore réalisées et qu’elles ne sont pas absolument inéluctables pour l’avenir ; nous ne les admettons que comme des éventualités.
D’autre part, on ne saurait dire pour le moment quel degré de développement aura alors atteint la conscience de classe du prolétariat, ni dans quelle mesure ce mouvement lui sera utile ou nuisible ! On se demande sur quoi se fonder8 pour donner une réponse « catégorique » ?
Il est évident qu’il faut laisser aux nationalités « allogènes » elles-mêmes le soin de résoudre cette question : à nous de conquérir pour elles le droit de la résoudre. Aux nationalités elles-mêmes de décider, le moment venu, si « l’indépendance nationale » leur est utile ou nuisible ; et si elle leur est utile, sous quelle forme il convient de la réaliser ? Elles seules peuvent trancher cette question !
Ainsi, l’article 9 confère aux nationalités « allogènes » le droit de régler leurs affaires nationales conformément à leurs voeux. Et, en vertu du même article, nous devons faire en sorte que les voeux de ces nationalités soient véritablement social-démocrates, qu’ils s’inspirent des intérêts de classe du prolétariat.
D’où la nécessité d’éduquer dans l’esprit social-démocrate les prolétaires de ces nationalités, de soumettre à une critique social-démocrate sévère certaines moeurs, coutumes et institutions « nationales » réactionnaires, ce qui ne nous empêchera nullement de défendre ces mêmes moeurs, coutumes et institutions contre les violences policières.
Telle est l’idée fondamentale de l’article 9.
Il est aisé de voir quel lien logique rattache intimement cet article de notre programme aux principes de la lutte de classe prolétarienne. Et comme tout notre programme repose sur ce principe, le lien logique apparaît de lui-même entre l’article 9 et tous les autres articles du programme de notre parti.
Si le stupide Sakartvélo est qualifié de « sage » organe de presse, c’est justement parce qu’il n’arrive pas à digérer des idées aussi simples.
Que reste-t-il encore de la « question nationale » ?
5° « La sauvegarde de l’esprit national et de ses particularités » ?
Mais qu’est-ce que cet « esprit national et ses particularités » ? Par la voix du matérialisme dialectique, la science a depuis longtemps démontré qu’il n’existe point et ne peut exister d’ « esprit national ». Quelqu’un a-t-il jamais réfuté cette manière de voir du matérialisme dialectique ? L’histoire nous enseigne que non.
Par conséquent, nous sommes tenus d’accepter cette manière de voir de la science, nous sommes tenus de répéter avec la science qu’il n’existe point, et qu’il ne peut exister d’ « esprit national ».
Or s’il en est ainsi, s’il n’existe point d’ « esprit national », il va de soi que toute défense de ce qui n’existe pas est une absurdité logique, qui entraînera nécessairement certaines conséquences historiques (fâcheuses). Il n’y a que le Sakartvélo, « organe du parti révolutionnaire des social-fédéralistes géorgiens » pour avancer de pareilles absurdités « philosophiques » (voir le Sakartvélo n°9)9
*A noter que certains « individus » anormaux ont cru voir dans l’action concertée des différents éléments de notre parti une « soumission servile ». Faiblesse des nerfs, affirmeront les médecins. (J.S.).
*
Voilà comment se présente la question nationale.
Comme on le constate, notre parti l’a décomposée en ses éléments ; il en a extrait le suc vital pour l’infuser dans les veines de son programme, et ce faisant, il a montré comment la social-démocratie doit résoudre la « question nationale » afin d’abattre entièrement les barrières nationales, sans s’écarter un seul instant de ses principes.
A quoi peuvent servir, se demandent-on, des partis nationaux distincts ?
Ou bien : qu’on nous montre la « base » social-démocrate sur laquelle doivent s’édifier les conceptions politiques et les principes d’organisation des social-démocrates fédéralistes restent suspendus en l’air.
Ils peuvent se tirer de cette position incommode de deux façons.
Ou bien définitivement au point de vue du prolétariat révolutionnaire et adopter le principe du renforcement des barrières nationales (opportunisme sous la forme fédéraliste) ; ou bien renoncer à tout fédéralisme dans l’organisation du parti, proclamer hardiment la nécessité d’abattre les barrières nationales et se grouper dans un même camp, celui du Parti ouvrier social-démocrate de Russie.
Notes
Le Sakartvélo [la Géorgie], journal d’un groupe de nationalistes géorgiens à l’étranger, qui devint le noyau du parti nationaliste bourgeois des social-fédéralistes, parut à Paris en géorgien et en français de 1903 à 1905.
Le parti fédéraliste géorgien (constitué à Genève en avril 1904) comprenait, outre le groupe du Sakartvélo, des anarchistes, des socialistes-révolutionnaires, des national-démocrates. Les fédéralistes présentaient comme principale revendication l’autonomie nationale de la Géorgie dans le cadre de l’Etat des propriétaires fonciers et de la bourgeoisie de Russie.
Durant les années de réaction, ils devinrent des adversaires déclarés de la révolution.
« L’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » fut fondée par des éléments national-fédéralistes arméniens peu après le IIe congrès du Parti ouvrier social-démocrate de Russie. Lénine a souligné la liaison étroite de cette organisation avec le Bund.
« C’est une création du Bund, rien de plus, spécialement imaginée pour alimenter le bundisme caucasien… Les camarades caucasiens sont tous contre cette bande de littérateurs-désorganisateurs », écrivait Lénine aux membres du Comité central le 7 septembre (nouveau style) 1905 (voir Lénine : Oeuvres, tome XXXIV, p 290, 4e édit. russe).
« L’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » vient de le faire, ce [qui n’est] pas digne d’éloge. Dans son « Manifeste », elle déclare catégoriquement qu’ « on ne saurait séparer le prolétariat (arménien) de la société (arménienne) : le prolétariat (arménien) unifié doit être l’organe le plus raisonnable et le plus fort du plus fort du peuple arménien » ; « le prolétariat arménien, groupé dans le parti socialiste, doit viser à déterminer la pensée sociale arménienne » ; « le prolétariat arménien sera le fils de sa race », etc… (Voir l’article 3 du « Manifeste » de « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie »).
Tout d’abord, on ne comprend pas pourquoi « on ne saurait séparer le prolétariat arménien de la société arménienne », puisque cette séparation s’opère à tout moment ? Le prolétariat arménien unifié ne s’est-il pas « séparé » de la société arménienne quand, en 1900, (à Tiflis) il a déclaré la guerre à la bourgeoisie arménienne et aux Arméniens d’esprit bourgeois ?
Qu’est-ce donc que « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie », sinon une organisation de classe des prolétaires arméniens qui se sont « séparés » des autres classes de la société arménienne ?
Ou bien peut-être « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » est-elle une organisation de toutes les classes ?
Mais le prolétariat arménien en lutte peut-il se contenter de « déterminer la pensée sociale arménienne » ; n’est-il pas tenu d’aller de l’avant, de déclarer la guerre à cette « pensée sociale » bourgeoise jusqu’à la moelle des os, et de lui insuffler un esprit révolutionnaire ? Les faits attestent qu’il y est tenu.
Mais alors, il va de soi que le « Manifeste » aurait dû attirer l’attention du lecteur sur la « détermination de la pensée sociale », mais sur la lutte contre cette pensée, sur la nécessité de la rendre révolutionnaire : il aurait ainsi mieux défini les devoirs du « prolétariat socialiste ».
Et, enfin, le prolétariat arménien peut-il être « le fils de sa race » quand une partie de cette race, — la bourgeoisie arménienne, — suce son sang comme un vampire, et qu’une autre partie, — le clergé arménien, — non contente de sucer le sang des ouvriers, corrompt systématiquement sa conscience ?
Questions très simples et qui se posent inévitablement si l’on envisage les choses du point de vue de la lutte des classes. Mais ces questions, les auteurs du « Manifeste » ne les voient pas, parce qu’ils envisagent tout du point de vue nationaliste et fédéraliste qu’ils ont emprunté au Bund (Union ouvrière juive)*.
D’une façon générale, il semble que les auteurs du « Manifeste » se sont fixés pour but d’imiter en tous points le Bund. Ils ont de même introduit dans leur « Manifeste » l’article 2 de la résolution du Ve congrès du Bund « sur la situation du Bund dans le parti ». Ils déclarent que « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » est l’unique défenseur des intérêts du prolétariat arménien (voir l’article 3 dudit « Manifeste »).
Il ont oublié que depuis plusieurs années déjà, les Comités de notre parti au Caucase** sont considérés comme les représentants des prolétaires arméniens (et autres) du Caucase ; qu’ils développent en eux la conscience de classe par la propagande et l’agitation orales et écrites en langue arménienne ; qu’ils les dirigent pendant leur lutte, etc., alors que « l’Organisation ouvrière social-démocrate d’Arménie » ne date que d’avant-hier. Tout cela, ils l’ont oublié, et il faut s’attendre à ce qu’ils oublient encore bien des choses, pour peu qu’ils copient fidèlement les conceptions du Bund en matière d’organisation et de politique. (J.S.
Il ne sera pas superflu de noter que ce qui suit est un commentaire des articles du programme de notre parti relatifs à la question nationale. (J.S.).
Nous ne parlons ici du Sakartvélo que pour mieux faire ressortir le contenu de l’article 9. l’objet du présent article est de faire la critique des social-démocrates fédéralistes et non des « sakartvélistes », qui s’en distinguent fortement (voir chapitre I). (J.S.
Je crois devoir informer le lecteur que, dés les premiers numéros le Sakartvélo a déclaré la guerre à la logique, qu’il considère comme une entrave à briser. Si le Sakartvélo parle souvent au nom de la logique, n’y faisons pas attention ; c’est par suite du manque de réflexion et de mémoire dont il est coutumier. (J.S.).
Voir l’article d’un « Vieux révolutionnaire » (c’est-à-dire d’un révolutionnaire vieilli !) dans le numéro 9 du Sakartvélo. (J.S.
Messieurs les « sakartvélistes » bâtissent toujours leurs revendications sur le sable et n’imaginent pas qu’il puisse exister d’autres gens capables de trouver pour leurs revendications un terrain plus solide ! (J.S.).
Que représente donc ce « parti » qui se donne un nom si étrange ?
Le Sakartvélo rapporte (voir l’annexe 1 à son numéro 10) qu’ « au printemps dernier les révolutionnaires géorgiens : anarchistes géorgiens, partisans du Sakartvélo, social-révolutionnaires géorgiens, se sont réunis à l’étranger et… se sont groupés… en un « parti » des social-fédéralistes géorgiens ». …
Oui, des anarchistes, qui méprisent toute politique du fond du coeur et de l’âme, des social-révolutionnaires qui adorent la politique, des « sakartvélistes » qui répudient toute mesure terroriste et anarchiste, — ces éléments bigarrés, qui sont la négation l’un de l’autre, se sont, paraît-il, groupés… en un « parti » ! Disparité idéale, s’il en fut !
Voilà bien un monde où l’on ne s’ennuiera pas ! Ils se trompent, les organisateurs qui affirment que pour grouper des hommes en un parti, la communauté des principes est nécessaire !
Ce n’est pas sur la communauté des principes, nous dit la gent bigarrée, mais sur l’absence de principes que doit être fondé le « parti » ! Foin de la « théorie » et des principes, ces entraves serviles !
Plus vite nous nous en débarrasserons, et mieux cela vaudra, déclare philosophiquement la gent bigarrée. Et en effet, à peine s’étaient-ils débarrassés des principes qu’ils ont, en un tournemain, bâti… un château de cartes, — pardon, le « parti des social-fédéralistes géorgiens ».
A ce qu’il paraît, il suffit de « quatre hommes et un caporal » pour fonder à tout moment un « parti », s’ils se trouvent réunis.
Comment ne pas rire en voyant philosopher ces ignares, ces « officiers » sans armée : le Parti ouvrier social-démocrate de Russie « est un parti antisocialiste, réactionnaire », etc… ; les social-démocrates russes sont des « chauvins » ; l’Union du Caucase de notre parti obéit « servilement » au Comité central du parti*, etc… (Voir les résolutions de la première conférence des révolutionnaires géorgiens). Mais pouvait-on attendre davantage de ces débris archéologiques du temps de Bakounine ? Tel arbre, tel fruit ; telle fabrique, telle marchandise. (J.S.)
*A noter que certains « individus » anormaux ont cru voir dans l’action concertée des différents éléments de notre parti une « soumission servile ». Faiblesse des nerfs, affirmeront les médecins. (J.S. )