Staline : Discours prononcé au premier congrès des kolkhoziens – oudarniks de l’U.R.S.S.

LE 19 FEVRIER 1933

Camarades kolkhoziens et kolkhoziennes, je ne pensais pas prendre la parole à votre congrès. Car les orateurs qui m’ont précédé ont déjà dit tout ce qu’il y avait à dire : ils l’ont dit et bien dit. Est-il besoin après cela de prendre la parole ? Mais puisque vous insistez, et que la force est dans vos mains (applaudissements prolongés) je dois me soumettre.

J’examinerai brièvement quelques questions :

LA VOIE DES KOLKHOZ EST LA SEULE JUSTE

Première question : La voie dans laquelle s’est engagée la paysannerie kolkhozienne, la voie des kolkhoz est-elle juste ? Ce n’est pas une question oiseuse. Vous, oudarniks des kolkhoz, ne doutez certainement pas que les kolkhoz soient dans la bonne voie.

Il se peut donc que cette question vous paraisse superflue. Mais tous les paysans ne pensent pas comme vous.

Nombreux sont encore ceux, parmi les paysans et aussi parmi les kolkhoziens, qui doutent de la justesse de la voie des kolkhoz.Il n’y a là rien d’étonnant. En effet, durant des siècles, les gens ont vécu à la mode ancienne, marchant dans le vieux chemin, courbant l’échiné devant le koulak et le grand propriétaire foncier, devant l’usurier et le spéculateur.

On ne saurait dire que ce vieux chemin, ce chemin capitaliste, ait rencontré l’approbation des paysans. Mais ce vieux chemin était un chemin battu, coutumier, et personne n’avait encore démontré en fait que l’on pouvait vivre autrement et mieux. D’autant plus que, dans tous les pays bourgeois, les hommes continuent à vivre à l’ancienne mode…

Et voilà que tout à coup les bolcheviks, telle une tempête, font irruption dans cette vie ancienne, croupissante, et proclament : il est temps d’abandonner le vieux chemin ; il est temps de commencer une nouvelle vie, la vie des kolkhoz ; il est temps de commencer à vivre, non pas comme tout le monde vit dans les pays bourgeois, mais sur un mode nouveau, en artels.

Mais qu’est-ce que cette vie nouvelle, qui le sait ? Et si elle allait être pire que la vie d’autrefois ? En tout cas, le nouveau chemin n’est pas un chemin coutumier, un chemin battu, et il n’est pas encore tout à fait exploré. Ne ferait-on pas mieux de s’en tenir au vieux chemin ? Ne ferait-on pas mieux d’attendre encore avant de s’engager dans la voie nouvelle, kolkhozienne ? Vaut-il la peine de courir ce risque ? Voilà les doutes qui travaillent aujourd’hui une partie de la paysannerie laborieuse.

Devons-nous dissiper ces doutes ? Devons-nous les étaler au grand jour et montrer ce qu’ils valent ? Evidemment oui.

C’est pourquoi la question que je viens de poser ne peut être appelée une question oiseuse. Ainsi, est-elle juste, la voie dans laquelle s’est engagée la paysannerie kolkhozienne ?

Certains camarades pensent que nous avons commencé à passer dans cette nouvelle voie, dans la voie des kolkhoz, il y a trois ans Cela n’est vrai qu’en partie. Certes, l’édification en masse des kolkhoz a commencé, chez nous, il y a trois ans.

On sait que ce passage fut marqué par l’écrasement des koulaks et la poussée de millions de paysans pauvres et moyens vers les kolkhoz.

Tout cela est exact. Mais pour pouvoir passer en masse aux kolkhoz, il fallait réunir certaines conditions préalables, sans lesquelles, d’une façon générale, un mouvement kolkhozien de masse ne saurait se concevoir.

Il fallait avant tout qu’existât le pouvoir des Soviets, qui a aidé et aide encore les paysans à s’engager dans la voie des kolkhoz. Il fallait, en second lieu, chasser les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, leur enlever les usines et les terres et les déclarer propriété du peuple. Il fallait, en troisième lieu, mater les koulaks et leur enlever machines et tracteurs.

Il fallait, en quatrième lieu, déclarer que seuls les paysans pauvres et moyens groupés dans les kolkhoz peuvent utiliser les machines et les tracteurs.

Il fallait enfin industrialiser le pays, monter une nouvelle industrie, l’industrie des tracteurs, construire de nouvelles usines de machines agricoles, pour fournir en abondance la paysannerie kolkhozienne en tracteurs et en machines.

Sans ces conditions préalables, il eût été inutile de songer à ce passage en masse dans la voie des kolkhoz, commencé il y a trois ans.

Par conséquent, pour s’engager dans la voie des kolkhoz, il fallait avant tout faire la Révolution d’Octobre, renverser les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, leur enlever la terre et les usines et monter une nouvelle industrie.

C’est avec la Révolution d’Octobre que commença le passage sur la nouvelle voie, sur la voie des kolkhoz. Si ce mouvement n’a pris une force nouvelle qu’il y a trois ans, c’est parce que les résultats économiques de la Révolution d’Octobre ne se sont révélés dans toute leur ampleur qu’à cette époque ; c’est à cette époque seulement que l’on a réussi à pousser en avant l’industrialisation du pays.

L’histoire des peuples connaît nombre de révolutions. Ce qui les distingue de la Révolution d’Octobre, c’est que toutes furent unilatérales.

Une forme d’exploitation des travailleurs remplaçait l’autre, mais l’exploitation elle-même demeurait.

Les exploiteurs et les oppresseurs étaient remplacés par d’autres exploiteurs et oppresseurs, mais exploiteurs et oppresseurs demeuraient. Seule la Révolution d’Octobre s’est donné comme but de supprimer toute exploitation et de faire disparaître les exploiteurs et les oppresseurs de tout ordre et de tout genre.

La révolution des esclaves fit disparaître les propriétaires d’esclaves ; elle abolit la forme esclavagiste d’exploitation des travailleurs. Mais elle mit à leur place les féodaux et le servage comme forme d’exploitation des travailleurs. Les exploiteurs furent remplacés par d’autres exploiteurs.

Au temps de l’esclavage, la «loi» autorisait les propriétaires à tuer leurs esclaves. Sous le régime du servage, la «loi» autorisait «seulement» les féodaux à vendre les serfs.

La révolution des paysans-serfs fit disparaître les féodaux et abolit le servage comme forme d’exploitation.

Mais elle mit à leur place les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, la forme d’exploitation des travailleurs par le capital et la grande propriété foncière. Les exploiteurs furent remplacés par d’autres exploiteurs.Sous le régime du servage, la «loi» autorisait la vente des serfs. En régime capitaliste, la «loi» autorise «seulement» à vouer les travailleurs au chômage et à l’appauvrissement, à la ruine et à la mort par inanition.

Seule notre révolution soviétique, seule notre Révolution d’Octobre a posé la question comme suit : ne pas remplacer les exploiteurs par d’autres exploiteurs, ne pas remplacer une forme d’exploitation par une autre, mais éliminer toute exploitation, éliminer les exploiteurs, les riches et les oppresseurs de toute sorte, anciens et nouveaux.

(Applaudissements prolongés.)

Voilà pourquoi la Révolution d’Octobre était la condition préalable, la prémisse nécessaire pour que les paysans passent dans la voie nouvelle, dans la voie des kolkhoz.

Les paysans ont-ils eu raison de soutenir la Révolution d’Octobre ? Oui. Ils ont eu raison puisque la Révolution d’Octobre les a aidés à se débarrasser des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, des usuriers et des koulaks, des marchands et des spéculateurs.

Mais ce n’est là qu’un côté de la question. Chasser les oppresseurs, chasser les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, mater les koulaks et les spéculateurs, c’est très bien.

Mais cela ne suffit pas. Pour se libérer définitivement des vieilles entraves, il ne suffit pas simplement d’écraser les exploiteurs. Il faut encore édifier une vie nouvelle, une vie qui permette au paysan travailleur d’améliorer sa situation matérielle et culturelle et de s’élever de jour en jour, d’année en année. Pour cela, il faut instituer un nouveau régime à la campagne, le régime des kolkhoz. C’est là l’autre côté de la question.

Qu’est-ce qui distingue le vieux régime du régime nouveau, de celui des kolkhoz ?Sous l’ancien régime, les paysans travaillaient séparément ; ils travaillaient suivant les vieux procédés ancestraux, avec les vieux instruments de travail ; ils besognaient pour les grands propriétaires fonciers et les capitalistes, les koulaks et les spéculateurs ; ils peinaient, souffrant la faim et enrichissant les autres.

Sous le régime nouveau, sous le régime des kolkhoz, les paysans travaillent en commun, par artel, en employant de nouveaux instruments, tracteurs et machines agricoles ; ils travaillent pour eux- mêmes et pour leurs kolkhoz ; ils vivent sans capitalistes ni grands propriétaires fonciers, sans koulaks ni spéculateurs ; ils travaillent pour améliorer tous les jours leur situation matérielle et culturelle.

Là, sous le vieux régime, le gouvernement est bourgeois, et il soutient les riches contre les paysans travailleurs.

Ici, sous le nouveau régime, le régime des kolkhoz, le gouvernement est ouvrier et paysan, et il soutient les ouvriers et les paysans contre les riches de tout genre. Le vieux régime mène au capitalisme. Le nouveau, au socialisme.

Voilà donc deux voies : la voie capitaliste et la voie socialiste ; celle qui mène en avant, vers le socialisme, et celle qui mène en arrière, vers le capitalisme.

Il y a des gens qui pensent que l’on pourrait s’engager dans une troisième voie. Ce sont ces camarades hésitants, encore insuffisamment convaincus de la justesse de la voie kolkhozienne, qui se saisissent avec un empressement particulier de cette troisième voie que personne ne connaît.

Ils veulent que nous revenions au vieux régime, que nous revenions à l’économie individuelle, mais où il n’y aurait ni capitalistes, ni grands propriétaires fonciers. Ils veulent, en outre, que nous admettions «seulement» les koulaks et autres petits capitalistes,comme un fait naturel dans notre régime économique. En réalité, ce n’est pas une troisième voie, c’est la deuxième, la voie conduisant au capitalisme.

En effet, que signifie revenir à l’économie individuelle et rétablir la classe des koulaks ? C’est rétablir le joug du koulak, c’est rétablir l’exploitation de la paysannerie par les koulaks, c’est donner le pouvoir à ces derniers.

Mais peut-on rétablir la classe des koulaks et conserver en même temps le pouvoir des Soviets ? Non. Le rétablissement de la classe des koulaks mènerait à la création d’un pouvoir koulak et à la destruction du pouvoir des Soviets. Par conséquent, il conduirait à la formation d’un gouvernement bourgeois.

Et la formation d’un gouvernement bourgeois, à son tour, conduirait au rétablissement des grands propriétaires fonciers et des capitalistes, au rétablissement du capitalisme. La prétendue troisième voie n’est en réalité que la seconde, la voie du retour au capitalisme.

Allez donc demander aux paysans s’ils veulent rétablir le joug des koulaks, revenir au capitalisme, détruire le pouvoir des Soviets et rétablir le pouvoir des grands propriétaires fonciers et des capitalistes.

Allez donc le leur demander, et vous saurez quelle est la voie que la majorité des paysans travailleurs considère comme la seule juste.

Par conséquent, il n’y a que deux voies : ou bien en avant, en montant la côte, vers le nouveau régime, le régime des kolkhoz ; ou bien en arrière en dévalant la côte, vers le vieux régime, le régime des capitalistes et des koulaks.

Il n’est point de troisième voie.

La paysannerie travailleuse a eu raison de repousser la voiecapitaliste et de s’engager dans la voie de l’édification des kolkhoz.

On dit que la voie des kolkhoz est une voie juste mais difficile. Ce n’est vrai qu’en partie. Certes, les difficultés existent sur cette voie.

Une bonne vie ne se fait pas toute seule.

Mais le fait est que les principales difficultés sont déjà surmontées ; et celles qui nous restent à vaincre, ne valent même pas la peine qu’on en parle sérieusement. En tout cas, comparées aux difficultés que les ouvriers ont eu à surmonter il y a dix, quinze ans, vos difficultés d’aujourd’hui, camarades kolkhoziens, semblent un jeu d’enfants. Vos orateurs, ici, dans leurs interventions, ont loué les ouvriers de Leningrad, de Moscou, de Kharkov, du bassin du Donetz.

Les ouvriers, disaient-ils, ont des réalisations à enregistrer tandis que vous, kolkhoziens, vous en avez beaucoup moins. Il me semble que vos orateurs dans leurs discours laissaient percer même une sorte de jalousie de camarade à camarade ; ils avaient l’air de dire : Comme ce serait bien si nous, paysans kolkhoziens, avions des réalisations pareilles aux vôtres, à celles des ouvriers de Leningrad, de Moscou, du bassin du Donetz, de Kharkov…

Tout cela est bien. Mais savez-vous ce que ces réalisations ont coûté aux ouvriers de Leningrad et de Moscou, quelles privations ils ont endurées pour obtenir enfin ces réalisations ?

Je pourrais vous rapporter quelques faits de la vie des ouvriers, en 1918 : pendant des semaines entières, on ne distribuait pas aux ouvriers le moindre morceau de pain, sans parler même de la viande et des autres produits alimentaires.

On considérait que les meilleurs jours étaient ceux où l’on pouvait distribuer aux ouvriers de Leningrad et de Moscou cinquante grammes de pain noir, et encore moitié mélangé de tourteaux.Et cela ne dura pas un mois, ni même six mois, ouais deux années entières.

Cependant les ouvriers souffraient sans se décourager, sachant que des temps meilleurs viendraient qui leur apporteraient des succès décisifs. Eh bien, vous voyez que les ouvriers ne s’étaient pas trompés.

Comparez un peu vos difficultés et privations à celles endurées par les ouvriers, et vous verrez qu’il ne vaut même pas la peine d’en parler sérieusement.

Que faut-il pour pousser en avant le mouvement kolkhozien et développer à fond l’édification des kolkhoz ?

Pour cela il faut avant tout que ces derniers disposent d’une terre cultivable et dont la jouissance leur soit pleinement assurée. L’avez-vous, cette terre ? Oui, vous l’avez. On sait que les meilleures terres ont été remises et solidement rattachées aux kolkhoz. Par conséquent, les kolkhoziens peuvent travailler et amender cette terre à volonté, sans crainte de la voir passer en d’autres mains.

Pour cela il faut en second lieu que les kolkhoziens puissent disposer de tracteurs et de machines. Les avez-vous ? Oui, vous les avez.

Tout le monde sait que nos usines de tracteurs et nos usines de machines agricoles travaillent avant tout et surtout pour les kolkhoz, auxquels elles fournissent tous les instruments modernes.

Pour cela il faut enfin que le gouvernement soutienne de toutes ses forces les paysans kolkhoziens, en leur fournissant hommes et moyens financiers, et qu’il empêche les résidus des classes ennemies de désagréger les kolkhoz.

Ce gouvernement, l’avez-vous ?

Oui, vous l’avez.Il s’appelle le gouvernement soviétique des ouvriers et des paysans.

Nommez-moi un pays où le gouvernement soutiendrait, non les capitalistes et les grands propriétaires fonciers, non les koulaks et autres riches, mais les paysans travailleurs.

Un tel pays n’a jamais existé et n’existe nulle part ailleurs.

Il n’y a que chez nous, au pays des Soviets, qu’existe un gouvernement dressé comme un rempart pour défendre les ouvriers et les paysans-kolkhoziens, pour défendre tous les travailleurs de la ville et de la campagne, contre tous les riches et tous les exploiteurs.

(Applaudissements prolongés.)

Par conséquent, vous avez tout ce qu’il faut pour développer l’édification des kolkhoz et vous libérer entièrement des vieilles entraves.

De votre part, il ne faut qu’une chose : travailler honnêtement, partager les revenus du kolkhoz selon le travail de chacun, veiller aux biens des kolkhoz, veiller aux tracteurs et aux machines, entretenir avec soin les chevaux, remplir vos obligations envers votre Etat ouvrier et paysan, fortifier les kolkhoz, en chasser les koulaks et leurs sous-ordres qui s’y sont faufilés.

Vous serez sans doute d’accord avec moi pour dire que vaincre ces difficultés, c’est-à-dire travailler honnêtement et veiller aux biens des kolkhoz, n’est pas si difficile.

D’autant plus que vous ne travaillez plus pour les riches, ni pour les exploiteurs, mais pour vous-mêmes, pour vos propres kolkhoz.

Vous voyez que la voie kolkhozienne, la voie du socialisme, est la seule juste pour les paysans travailleurs.

II ­ NOTRE TACHE IMMEDIATE EST
DE DONNER L’AISANCE A TOUS LES KOLKHOZIENS

Deuxième question : Qu’avons-nous obtenu sur cette voie nouvelle, sur notre voie kolkhozienne, et que pensons-nous obtenir dans les deux ou trois prochaines années ?

Le socialisme est une bonne chose. Une vie socialiste heureuse est une bonne chose sans contredit. Mais tout cela est une question d’avenir. La question principale, aujourd’hui, n’est pas ce que nous obtiendrons dans l’avenir.

La question principale est ce que nous avons obtenu dès à présent.

La paysannerie s’est engagée dans la voie des kolkhoz. C’est très bien. Mais qu’a-t-elle obtenu dans cette voie ? Qu’avons-nous obtenu de palpable, en suivant la voie des kolkhoz ?

Nous avons pu aider des millions de paysans pauvres à entrer dans les kolkhoz. Nous sommes arrivés à ceci que, une fois entrés dans les kolkhoz et y bénéficiant des meilleures terres et des meilleurs instruments de production, les millions de paysans pauvres se sont élevés au niveau des paysans moyens.

Nous sommes arrivés à ceci que les millions de paysans pauvres, qui autrefois ne mangeaient jamais à leur faim sont devenus, dans les kolkhoz, des paysans moyens, des hommes assurés du lendemain.

Nous avons mis un terme à la différenciation des paysans en paysans pauvres et koulaks ; nous avons battu les koulaks et aidé les paysans pauvres à devenir les maîtres de leur besogne, au sein des kolkhoz, à devenir des paysans moyens.

Quelle était la situation il y a quatre ans environ avant que se fût développée l’édification des kolkhoz ?

Les koulaks s’enrichissaient et prospéraient, les paysans pauvress’appauvrissaient et se ruinaient, devenant la proie des koulaks. Les

paysans moyens cherchaient à se hisser au niveau des koulaks, mais, à la grande joie de ces derniers, ils retombaient et venaient grossir les rangs des paysans pauvres.

Il n’est pas difficile de deviner que seuls les koulaks trouvaient leur compte à tout ce gâchis, et peut-être aussi quelques-uns des paysans aisés. Sur 100 foyers paysans, l’on pouvait compter 4 ou 5 foyers koulaks, 8 ou 10 foyers de paysans aisés, 45 à 50 foyers de paysans moyens et environ 35 foyers de paysans pauvres.

Par conséquent, les paysans pauvres, obligés de subir le joug koulak, formaient au moins 35 % de tous les foyers. Et je ne parle pas des catégories inférieures de la paysannerie moyenne dont elles formaient plus de la moitié, et qui, ayant une situation peu différente de celle des paysans pauvres, se trouvaient sous la dépendance directe des koulaks.

En développant l’édification des kolkhoz, nous avons réussi à faire disparaître ce gâchis et cette injustice ; nous avons brisé le joug des koulaks ; toute cette masse de paysans pauvres nous l’avons attirée dans les kolkhoz ; là, nous leur avons assuré l’existence et les avons élevés au niveau de paysans moyens profitant de la terre du kolkhoz, des avantages attachés à ce dernier, des tracteurs et des machines agricoles.

Qu’est-ce que cela signifie ? C’est qu’au moins vingt millions de population paysanne, au moins vingt millions de paysans pauvres ont été sauvés de la misère et de la ruine, sauvés de l’asservissement au koulak et, grâce aux kolkhoz, assurés du lendemain.

C’est un grand succès, camarades. Un succès comme n’en avait jamais encore connu le monde, et qu’aucun Etat n’avait jamais atteint.

Voilà donc les résultats pratiques, palpables de l’édification des kolkhoz, les résultats dus au fait que la paysannerie s’est engagée dans la voie kolkhozienne.

Mais ce n’est là que notre premier pas, que notre premier succès dans la voie de l’édification des kolkhoz.

Il serait faux de croire que nous dussions nous en tenir à ce premier pas, à ce premier succès. Non, camarades, nous ne pouvons pas nous en tenir à ce succès.

Pour marcher en avant, et consolider définitivement les kolkhoz, nous devons faire un deuxième pas, nous devons obtenir un nouveau succès. En quoi consiste ce deuxième pas ? Il consiste à élever encore plus haut les kolkhoziens, aussi bien les anciens paysans pauvres que les anciens paysans moyens.

Il consiste à donner l’aisance à tous les kolkhoziens. Oui, camarades, à leur donner l’aisance. (Applaudissements prolongés.) Nous avons réussi, grâce aux kolkhoz, à élever les paysans pauvres au niveau des paysans moyens. C’est très bien. Mais cela ne suffit pas. Nous devons maintenant faire encore un pas en avant, aider tous les kolkhoziens, anciens paysans pauvres et anciens paysans moyens, à s’élever au niveau des paysans aisés.

On peut arriver à cela, et nous devons y arriver coûte que coûte.

(Applaudissements prolongés.) Nous avons actuellement tout ce qu’il faut pour arriver à ce but.

Nos machines et nos tracteurs sont aujourd’hui mal utilisés. Notre terre est médiocrement travaillée. Il suffit d’utiliser mieux les machines et les tracteurs, il suffit de travailler mieux la terre et nous arriverons à doubler, à tripler la quantité de nos produits. Et cela suffit amplement pour faire de tous les membres des kolkhoz, des travailleurs aisés des champs kolkhoziens.

Comment les choses se présentaient-elles autrefois, à propos des paysans aisés ? Pour acquérir l’aisance, il fallait faire du tort à ses voisins, les exploiter, leur vendre le plus cher possible, leur acheter le meilleur marché possible, embaucher quelques salariés agricoles, les exploiter proprement, amasser un petit capital et, une fois d’aplomb, se faire koulak.

C’est ce qui explique en somme pourquoi les paysans aisés suscitaient autrefois, sous le régime de l’économie individuelle, la méfiance et la haine des paysans pauvres et moyens. Aujourd’hui il en va autrement. Aujourd’hui, les conditions mêmes sont autres.

Pour que les kolkhoziens acquièrent l’aisance point n’est besoin de faire du tort à ses voisins ou de les exploiter. D’ailleurs il ne serait pas facile, aujourd’hui, d’exploiter qui que ce soit, puisque la propriété privée et l’affermage de la terre n’existent plus chez nous, que les machines et tracteurs appartiennent à l’État ; quant aux possesseurs des capitaux, ils ne sont plus à la mode maintenant dans les kolkhoz.

Cette mode fut, mais elle a disparu à jamais. Aujourd’hui, pour que les kolkhoziens acquièrent l’aisance, une chose suffit : travailler honnêtement dans les kolkhoz, utiliser rationnellement tracteurs et machines, utiliser rationnellement les bêtes de travail, cultiver rationnellement la terre, être ménager de la propriété du kolkhoz.

On dit parfois : Puisqu’il y a socialisme, pourquoi travailler encore ? Nous travaillions autrefois, nous travaillons aujourd’hui, n’est-il pas temps de cesser de travailler ?

De tels propos sont foncièrement erronés, camarades. C’est une philosophie de fainéants et non d’honnêtes travailleurs. Le socialisme n’est pas du tout la négation du travail. Au contraire, le socialisme est basé sur le travail. Socialisme et travail sont inséparables. Lénine, notre grand maître, disait : «Qui ne travaille pas, ne mange pas.»

Qu’est-ce que cela signifie ? Contre qui sont dirigées ces paroles de Lénine ? Contre les exploiteurs, contre ceux qui ne travaillent pas eux-mêmes, mais qui font travailler les autres et s’enrichissent à leurs dépens.

Contre qui encore ? Contre ceux qui fainéantent et veulent profiter du travail des autres. Ce que le socialisme exige, ce n’est pas de la fainéantise, mais que tous travaillent honnêtement, qu’ils travaillent non pour les autres, non pour les riches et les exploiteurs, mais pour eux-mêmes, pour la société.

Et si nous travaillons honnêtement, si nous travaillons pour nous­ mêmes, pour nos kolkhoz, nous arriverons en deux ou trois années à élever tous les kolkhoziens, anciens paysans pauvres et anciens paysans moyens, au niveau de paysans aisés, au niveau d’hommes bénéficiant de l’abondance des produits et menant une vie parfaitement cultivée.

C’est là, maintenant, notre tâche immédiate. Nous pouvons arriver à cela et nous devons y arriver, coûte que coûte. (Applaudissements prolongés.)

III ­ QUELQUES REMARQUES

Et maintenant, permettez-moi de faire quelques remarques.

Tout d’abord en ce qui concerne nos membres du Parti à la campagne. Il y a parmi vous des membres du Parti, mais encore plus de sans-parti.

C’est très bien que les sans­parti, à ce congrès, soient plus nombreux que les communistes, parce que c’est précisément les sans­parti quenous devons avant tout faire participer à notre travail. Il y a des communistes qui se comportent en bolcheviks envers les kolkhoziens sans-parti.

Mais il y en a d’autres qui tirent vanité de leur qualité de communistes, et tiennent à distance les sans-parti. C’est mal, c’est nuisible. Ce qui fait la force des bolcheviks, la force des communistes, c’est qu’ils savent entourer notre Parti de millions de militants sans-parti.

Nous, bolcheviks, n’aurions pas remporté les succès que nous enregistrons aujourd’hui, si nous n’avions pas su gagner au Parti la confiance de millions de sans-parti, ouvriers et paysans. Et que faut-il pour cela ?

Il faut que les communistes, au lieu de dresser une barrière entre eux et les sans-parti, au lieu de se confiner dans leur coquille de membres du Parti, au lieu de tirer vanité de cette qualité, prêtent l’oreille à la voix des sans-parti, qu’ils ne se bornent pas à les instruire, mais s’instruisent eux­mêmes auprès d’eux.

Il ne faut pas oublier que les membres du Parti ne tombent pas du ciel. Il faut se rappeler que tous les membres du Parti furent autrefois des sans-parti. Aujourd’hui sans-parti, demain membre du Parti. Y a-t-il là en somme de quoi tirer vanité ? Parmi nous, vieux bolcheviks, on en trouvera bon nombre qui militent dans le Parti depuis vingt ou trente ans.

Et pourtant, nous aussi, nous étions autrefois des sans-parti. Que serait-il advenu de nous si, il y a une vingtaine ou une trentaine d’années, les membres du Parti, à cette époque, s’étaient mis à nous traiter par-dessous la jambe, et ne nous avaient pas laissés approcher du Parti ? Il est possible que nous en serions restés éloignés pendant des années. Et pourtant, nous autres vieux bolcheviks, nous ne sommes pas les derniers des hommes, camarades ! (Joyeuse animation, applaudissements prolongés.) Voilà pourquoi nos communistes, les nouveaux membres du Parti, qui parfois se donnent des airs devant les sans-parti, doivent se souvenir de tout cela, se souvenir que ce n’est pas la vanité, mais la modestie qui pare le bolchevik.

Quelques mots maintenant à propos des femmes, à propos des kolkhoziennes. La question des femmes dans les kolkhoz est une question d’importance, camarades.

Je sais que beaucoup d’entre vous sous-estiment le rôle des femmes et même se moquent un peu d’elles. Mais vous avez tort, camarades, grandement tort. Ce n’est pas seulement parce que les femmes représentent la moitié de la population. C’est surtout parce que le mouvement kolkhozien a porté aux postes de direction bon nombre de femmes remarquables, de femmes douées.

Considérez ce congrès, sa composition, et vous verrez que les femmes, d’arriérées qu’elles étaient, ont depuis longtemps rejoint l’avant-garde. Les femmes, dans les kolkhoz, constituent une force importante. Tenir cette force sous le boisseau, c’est commettre un crime. Notre devoir est de promouvoir les femmes, dans les kolkhoz, et de faire agir cette force.

Il est vrai que le pouvoir des Soviets a eu, dans un passé récent, un petit malentendu avec les kolkhoziennes. C’était à propos de leurs vaches. Mais maintenant la question des vaches est réglée, et le malentendu est dissipé. (Applaudissements prolongés.) Nous sommes arrivés à ceci que la plupart des kolkhoziens possèdent déjà une vache par foyer.

Une année, deux années passeront encore, et vous ne trouverez plus un seul kolkhozien qui n’ait pas sa vache. Soyez assurés que nous, bolcheviks, saurons faire en sorte que chaque kolkhozien ait savache. (Applaudissements prolongés.) Pour ce qui est des kolkhoziennes, elles ne doivent pas oublier le rôle et l’importance des kolkhoz pour la femme. Elles ne doivent pas oublier que c’est seulement dans les kolkhoz qu’elles peuvent se mettre sur un pied d’égalité avec l’homme.

En dehors des kolkhoz, c’est l’inégalité ; dans les kolkhoz, c’est l’égalité des droits. Que les camarades kolkhoziennes s’en souviennent, et qu’elles gardent le régime des kolkhoz comme la prunelle de leurs yeux. (Applaudissements prolongés.)

Deux mots sur les kolkhoziens et les kolkhoziennes, membres des Jeunesses communistes. Les jeunes, c’est notre avenir, notre espoir, camarades. Les jeunes doivent nous remplacer, nous, les vieux. Ils doivent porter notre drapeau jusqu’à la victoire finale.

Il y a parmi les paysans bon nombre de vieux, embarrassés du vieux fardeau, embarrassés des habitudes et des souvenirs de la vie d’autrefois. On conçoit donc qu’ils ne réussissent pas toujours à emboîter le pas au Parti, au pouvoir des Soviets.

Il en va autrement de nos jeunes. Ils sont libres du vieux fardeau, et ils s’assimilent avec plus de facilité les enseignements de Lénine.

Et précisément parce que les jeunes s’assimilent avec plus de facilité les enseignements de Lénine, précisément pour cette raison, ils sont appelés à entraîner les retardataires et les hésitants. Il est vrai qu’ils manquent de savoir. Mais le savoir est chose qui s’acquiert. Qui ne l’a pas aujourd’hui, l’aura demain. C’est pourquoi la tâche est d’étudier et d’étudier encore le léninisme.

Camarades des Jeunesses communistes !

Étudiez le bolchévisme et faites avancer ceux qui hésitent ! Bavardez moins, travaillez plus, et vous réussirez à coup sûr. (Applaudissements.)Quelques mots sur les paysans individuels.

On a peu parlé ici des paysans individuels. Mais cela ne signifie pas encore qu’il n’y en ait plus. Non, assurément. Les paysans individuels existent, et l’on ne peut pas ne pas en tenir compte, parce que ce sont nos kolkhoziens de demain. Je sais qu’une partie des paysans individuels s’est définitivement corrompue et se livre à la spéculation.

C’est sans doute ce qui explique que nos kolkhoziens ne les acceptent au kolkhoz qu’avec un grand discernement et, parfois même, ne les acceptent pas du tout.

Évidemment, c’est juste, et il ne saurait y avoir là d’objections. Mais il y a une autre partie, la plus grande, des paysans individuels, celle qui ne se livre pas à la spéculation, mais gagne son pain en travaillant honnêtement.

Ces paysans individuels ne seraient peut-être pas fâchés d’entrer au kolkhoz. Mais ce qui les en empêche, ce sont, d’une part, leurs doutes sur la justesse de la voie kolkhozienne, et, de l’autre, la rancune qui existe actuellement parmi les kolkhoziens contre les paysans individuels.

Certes, il faut comprendre les kolkhoziens et se mettre à leur place.

Toutes ces années, ils ont eu à endurer bien des offenses et moqueries de la part des paysans individuels. Mais offenses et moqueries ne doivent pas avoir ici une importance décisive.

C’est un mauvais dirigeant, celui qui ne sait pas oublier les offenses et qui fait passer ses sentiments avant les intérêts de l’oeuvre kolkhozienne. Si vous voulez être des dirigeants, vous devez savoir oublier les offenses que vous ont faites certains paysans individuels.

Il y a deux ans, je reçus de la région de la Volga une lettre d’une paysanne veuve. Elle se plaignait de se voir refuser l’accès du kolkhoz, et requérait mon aide. Je demandai des explications au kolkhoz. On me répondit qu’on ne pouvait l’accepter parce qu’elle avait outragé une réunion de kolkhoziens.

De quoi s’agissait-il ? Pendant une réunion de paysans où les kolkhoziens appelaient les paysans individuels à entrer au kolkhoz, cette veuve, en réponse à cet appel, avait, paraît-il, relevé sa jupe en disant : Tenez, je l’ai là, votre kolkhoz ! (Joyeuse animation.

Hilarité.) Il est évident qu’elle avait mal agi, qu’elle avait outragé la réunion.

Mais peut-on lui refuser l’accès du kolkhoz, si un an après elle s’est repentie sincèrement et a reconnu sa faute ? J’estime que non. C’est ce que j’ai écrit au kolkhoz. On accepta la veuve. Eh bien ? Elle travaille aujourd’hui au kolkhoz, non pas dans les derniers, mais dans les premiers rangs. (Applaudissements).

Voilà donc encore un exemple qui montre que les dirigeants, s’ils veulent rester de véritables dirigeants, doivent savoir oublier les offenses quand l’intérêt de la cause l’exige.

Il faut en dire autant des paysans individuels, en général. Je ne m’oppose pas à ce que l’on admette au kolkhoz avec discernement.

Mais je m’oppose à ce qu’on en ferme l’accès à tous les paysans individuels sans discernement.

Ce n’est pas notre politique, ce n’est pas la politique bolchevique.

Les kolkhoziens ne doivent pas oublier qu’eux­mêmes, il n’y a pas longtemps, étaient des paysans individuels.

Enfin, quelques mots sur la lettre des kolkhoziens de Bézentchouk.

Cette lettre a été publiée, et vous avez dû la lire. Sans nul doute, c’est une bonne lettre. Elle atteste qu’il y a parmi nos kolkhoziens bon nombre d’organisateurs et de propagandistes de l’œuvre kolkhozienne, expérimentés et conscients, et qui sont l’orgueil de notre pays.

Mais cette lettre contient un passage erroné, avec lequel il est absolument impossible d’être d’accord : les camarades de Bézentchouk considèrent leur travail au kolkhoz comme un travail modeste et presque insignifiant, et celui des orateurs et des chefs qui prononcent parfois des discours interminables, comme une œuvre importante et créatrice.

Peut-on être d’accord là-dessus ? Non, camarades, en aucune façon.

Ici, les camarades de Bézentchouk ont commis une erreur. Peut-être l’ont-il commise par modestie.

Mais l’erreur n’en reste pas moins une erreur. Les temps ne sont plus où les chefs étaient regardés comme les seuls créateurs de l’histoire, tandis que les ouvriers et les paysans ne comptaient pas. Ce ne sont plus seulement les chefs, mais d’abord et surtout les millions de travailleurs qui décident maintenant du sort des peuples et des Etats.

Les ouvriers et les paysans qui construisent, sans bruit ni fracas, usines et fabriques, mines et chemins de fer, kolkhoz et sovkhoz, qui créent tous les biens de la vie, qui nourrissent et habillent le monde entier, voilà les véritables héros et créateurs de la vie nouvelle.

C’est ce que nos camarades de Bézentchouk semblent avoir oublié. Quand les gens surestiment leurs forces et commencent à tirer vanité de leurs mérites, c’est mal. Cela mène à la vantardise ; or la vantardise est une mauvaise chose.

Mais c’est encore pis quand les gens commencent à sous­estimer leurs forces et ne voient pas que leur travail «modeste» et «obscur» est, en réalité, une grande œuvre créatrice, qui décide du sort de l’histoire.

Je voudrais que les camarades de Bézentchouk approuvent ma petite rectification à leur lettre. Si vous le voulez bien, camarades, nous en resterons là.

(Applaudissements prolongés qui tournent en ovation. L’assistance debout acclame le camarade Staline. Les hourras éclatent. On entend dans la salle : Vive le camarade Staline, hourra ! Vive le kolkhozien d’avant-garde ! Vive notre chef, le camarade Staline !)

=>Oeuvres de Staline