Extrait de l’entretien avec les étudiants de l’Institut des professeurs rouges, de l’Académie communiste et de l’Université Sverdlov, du 28 mai 1928.
Question. — Que faut-il considérer comme essentiel dans nos difficultés sur le front des céréales ? Comment sortir de ces difficultés ? Quelles conclusions imposent-elles en ce qui concerne le rythme de développement de notre industrie et notamment les rapports entre l’industrie légère et l’industrie lourde ?
Réponse. — On pourrait croire au premier abord que nos difficultés sur le front des céréales ne sont qu’accidentelles ; qu’elles proviennent d’un défaut d’élaboration des plans économiques, d’erreurs de balance économique.
Mais ce n’est là qu’une première impression. En réalité, les causes de ces difficultés sont beaucoup plus profondes. Il est hors de doute que les fautes qui ont été commises lors de l’établissement des plans et de la balance économique ont joué un rôle considérable.
Mais ce serait tomber dans une erreur très lourde que de vouloir tout expliquer par une mauvaise élaboration des plans et par des fautes accidentelles. Ce serait amoindrir le rôle et la valeur du système du plan.
Mais l’erreur serait plus grande encore si l’on se mettait à surestimer le rôle de principe d’un plan dans l’idée que nous avons atteint un degré de développement où nous pourrons régler toutes choses d’après un plan général.
Il ne faut pas oublier qu’à côté des éléments pouvant être assujettis à un plan, il en existe d’autres, dans notre économie nationale, qui, pour le moment, ne se laissent pas régler ; qu’il existe enfin des classes hostiles dont le système de notre Commission des plans ne saurait avoir raison. Voilà pourquoi j’estime qu’on ne doit pas tout ramener à un simple hasard, à des fautes dues à l’élaboration des plans, etc.
Donc, quelle est la cause essentielle de nos embarras sur le front des céréales ?
Elle réside en ce que la production des céréales pour le marché s’accroît plus lentement que la consommation des céréales. Nous assistons à la croissance de l’industrie, à celle du nombre des ouvriers. Des villes sont édifiées ainsi que des régions entières produisant des matières premières techniques (coton, lin, betteraves, etc.), où la demande en céréales est considérable.
Tout cela conduit à l’accroissement rapide de la consommation, de la demande de céréales au marché.
D’autre part, la production des céréales-marchandises suit une allure affreusement lente. Nous ne pouvons pas dire que, cette année, les approvisionnements en céréales réalisées par l’État soient inférieurs à ceux de l’année dernière ou de l’avant-dernière année.
Bien au contraire, cette année l’État a disposé d’une quantité de céréales de beaucoup plus considérable que les deux dernières années. Et cependant, nous éprouvons des difficultés.
Voici quelques données. En 1925-26, nous avons réussi, au 1er avril, à stocker 434 millions de pouds de blé, dont nous avons exporté à l’étranger 153 millions de pouds. Il restait donc dans le pays un stock de 311 millions de pouds.
En 1926-27, nous avions, au 1er avril, 596 millions de pouds de blé. Sur ce nombre nous avons exporté 153 millions, laissant ainsi au pays un stock de 443 millions de pouds.
En 1927-28, nous avions, au 1er avril, un stock de 576 millions de pouds dont nous avons exporté à l’étranger 27 millions de pouds, enlaissant au pays un stock de 549 millions de pouds.
En d’autres termes, nous avions, au 1er avril dernier, pour les besoins du pays, un stock de céréales supérieur de 100 millions de pouds à celui de l’année précédente, et de 230 millions de pouds plus fort que celui de l’avant-dernière année. Et pourtant nous éprouvons des embarras d’approvisionnement.
J’ai déjà signalé dans un de mes rapports que ces embarras ont été exploités par les éléments capitalistes ruraux et, avant tout, par les koulaks, afin de saboter la politique économique des Soviets.
Vous savez que ces derniers ont décrété une série de mesures tendant à liquider l’action antisoviétique des koulaks. C’est pourquoi je ne m’étendrai pas longuement là-dessus.
Ce qui m’occupe pour le moment, c’est une tout autre question : comment expliquer la croissance ralentie de la production des céréales pour le marché, la lenteur de cette croissance par rapport à l’accroissement des besoins en blé, cela bien que nous ayons déjà atteint la norme d’avant-guerre pour la superficie emblavée et la production globale de céréales.
En effet, il est établi que nous avons atteint la norme d’avant-guerre pour la surface emblavée. Il en est de même de la production globale de céréales qui, l’année dernière, égalait la norme d’avant-guerre, c’est-à-dire s’élevait à 5 milliards de pouds de blé. Comment se fait-il alors que, malgré cela, nous produisions pour le marché deux fois moins de céréales et exportions à l’étranger vingt fois moins de blé qu’avant la guerre ?
Cela s’explique surtout et avant tout par la modification survenue dans la structure de l’économie rurale, par suite de la révolution d’Octobre, par le passage de la grosse exploitation foncière et koulak qui donnait au marché le maximum de céréales, à la petite et moyenne exploitation paysanne qui lui en fournit le minimum.
Le fait seul qu’avant la guerre nous avions de 15 à 16 millions d’exploitations agricoles individuelles et qu’aujourd’hui nous en comptons de 24 à 25 millions prouve que notre économie rurale repose surtout sur la petite économie paysanne fournissant au marché le minimum de céréales.
Dans le domaine agricole, la grande exploitation, qu’elle soit celle des propriétaires fonciers, des koulaks ou collective, a ceci de supérieur qu’elle peut employer des machines, utiliser les acquisitions de la science, se servir d’engrais, intensifier le rendement du travail et fournir ainsi le maximum de blé au marché.
Par contre, ce qui infériorise la petite économie paysanne, c’est d’être privée ou presque de toutes ces possibilités et de travailler moitié pour sa propre consommation et moitié pour le marché. Prenons, à titre d’exemple, les collectivités agricoles et les fermes d’État.
Ces deux catégories d’exploitations fournissent au marché 47,2 % de l’ensemble de leur production. C’est dire qu’elles en fournissent au marché plus que les exploitations des propriétaires fonciers avant la guerre. Quant aux petites et moyennes exploitations paysannes, elles ne donnent au marché que 11,2 % de toute leur production. Comme vous le voyez, la différence ne laisse pas d’être éloquente.
Voici quelques chiffres illustrant la structure de la production des céréales, avant la guerre, et dans la période d’après Octobre. Ces chiffres m’ont été fournis par un membre du collège du Service central des statistiques, le camarade Niemtchinov. Ce dernier fait des réserves dans un mémoire explicatif au sujet de l’exactitude de ces chiffres, qui ne sont le résultat que de calculs approximatifs.
Mais ils suffisent largement pour donner une idée de la différence qui existe entre la période d’avant-guerre et celle d’après la révolution d’Octobre sous le rapport de la structure de la production des céréales, en général, et de la production de blé-marchandise, en particulier.Que faut-il déduire de ce tableau ?
D’abord, que la production de la plus grande partie des céréales est passée, des propriétaires fonciers et des koulaks aux petits et moyens paysans. Ce qui montre que ces derniers, totalement affranchis du joug des propriétaires fonciers et après avoir triomphé des koulaks, ont obtenu la possibilité d’améliorer leur situation matérielle d’une façon appréciable.
C’est là une acquisition de la révolution d’Octobre. C’est là le bénéfice considérable que le gros de la paysannerie a retiré de la révolution d’Octobre.
Il en résulte en deuxième lieu, que les principaux détenteurs de blé-marchandise sont chez nous, les paysans petits et surtout moyens.
C’est dire que, non seulement sous le rapport de la production globale des céréales, mais aussi sous celui de la production du blé-marchandise, l’U.R.S.S. est devenue, après la révolution d’Octobre, un pays de petite et moyenne agriculture et le paysan moyen, la « figure centrale » de l’agriculture.
En troisième lieu, que la liquidation de la grosse exploitation agricole (celle des propriétaires fonciers), la limitation de plus de trois fois de l’économie des koulaks et le passage à la petite exploitation paysanne qui ne fournit au marché que 11 % de sa production, la grosse production collective de céréales tant soit peu développée (fermes collectives et d’État) faisant défaut, tous ces facteurs devaient amener et ont réellement amené une diminution sensible de la production de céréales pour le marché en comparaison avec l’époque d’avant-guerre.
Il est établi que nous avons aujourd’hui une production de blé-marchandise deux fois moins forte qu’avant la guerre, encore que nous ayons atteint le niveau d’avant-guerre dans la production globale des céréales.
Telle est l’origine de nos embarras sur le front des céréales.
Voilà pourquoi on aurait tort d’attribuer au hasard nos difficultés d’approvisionnement.
Certes, un rôle négatif appartient, dans cet ordre d’idées à nos organisations commerciales qui s’étaient chargées à tort de la fourniture de céréales à bon nombre de villes, petites et moyennes.
Cette circonstance n’a pas pu ne pas diminuer dans une certaine mesure les stocks de céréales de l’État. Mais il n’est pas douteux que la source de nos difficultés d’approvisionnement en céréales n’est pas là ; elle provient de la lenteur de développement de la production agricole destinée au marché, alors que les besoins de la population sont en progression rapide.
Où chercher la solution ?
D’aucuns estiment que, pour sortir de cette situation, il faut revenir aux exploitations koulaks, les encourager et les développer. On n’ose conseiller le retour aux exploitations de propriétaires fonciers, se rendant visiblement compte qu’il est dangereux de bavarder, à notre époque, à ce sujet.
Mais on s’entend d’autant plus volontiers pour démontrer la nécessité d’encourager, dans la mesure du possible, les exploitations koulaks dans l’intérêt… du régime soviétique.
Ces gens s’imaginent que le gouvernement soviétique pourrait s’appuyer à la fois sur deux classes opposées, celle des koulaks, dont la base économique est l’exploitation de la classe ouvrière, et celle des ouvriers, dont le principe économique réside dans l’abolition de toute exploitation.
Seuls des réactionnaires seraient capables de conseiller une pareille combinaison. Inutile de démontrer que ces « plans » réactionnaires n’ont rien de commun avec les intérêts de la classe ouvrière, avec les principes du marxisme, avec les objectifs du léninisme.
Ceux qui disent que le koulak « n’est pas plus terrible » que le capitaliste de la ville, qu’il n’est pas plus dangereux que le nepman, que nous n’avons aujourd’hui rien à « redouter », de la part des koulaks, — ceux-là se livrent à un vain bavardage libéral, destiné à endormir la vigilance de la classe ouvrière et des masses fondamentales de la paysannerie.
Il ne faut pas oublier que si, dans l’industrie, nous pouvons opposer au petit capitaliste de la ville la grande industrie socialiste, qui fournit les neuf dixièmes de la masse des marchandises industrielles, nous ne pouvons, dans les campagnes, opposer à la grosse production des koulaks que les collectivités agricoles et fermes d’État, insuffisantes encore et produisant huit fois moins de céréales que les exploitations koulaks.
Ceux qui ne se rendent pas compte de ce que sont les grandes exploitations agricoles koulaks, ceux qui ne comprennent pas que le rôle de ces exploitations est cent fois plus considérable que celui des capitalistes dans l’industrie urbaine, sont des fous qui cherchent à rompre avec le léninisme, à passer au camp des ennemis de la classe ouvrière.
Donc, comment sortir de la situation ?
1. Il faut avant tout abandonner le système des petites exploitations paysannes,
éparpillées et retardataires, et former de grandes exploitations collectives unifiées, munies de machines, armées des progrès de la science et aptes à produire pour le marché le maximum de céréales.
La solution réside dans le passage de l’économie paysanne individuelle à l’économie collective, sociale.
Dès les premiers jours de la révolution d’Octobre, Lénine appela le Parti à créer des collectivités agricoles. Depuis, la propagande n’a pas cessé dans le Parti. Mais, ce n’est que tout dernièrement que l’appel pour la formation de collectivités agricoles a trouvé un écho dans les masses.
Cela s’explique avant tout par le vaste développement de l’action coopérative dans les campagnes, qui a déterminé parmi les paysans un changement de mentalité en faveur des exploitations collectives, ainsi que par le fonctionnement d’une série d’exploitations collectives donnant dès maintenant une récolte de 150 à 200 pouds par déciatine et fournissant au marché de 30 à 40 % de leur production. Ces exploitations collectives ont créé, chez les paysans pauvres et dans les couches inférieures de la paysannerie moyenne, un penchant sérieux à la collectivisation de leur économie.
A noter dans cet ordre d’idées un fait très important : ce n’est que depuis peu que l’État a la possibilité de financer sérieusement les collectivités agricoles. On sait que cette année l’État leur a accordé une aide financière deux fois plus forte que l’année précédente, (plus de 60 millions de roubles).
Le XVe congrès de notre parti avait parfaitement raison d’affirmer que les conditions nécessaires au vaste développement des exploitations collectives étaient déjà mûres, que l’augmentation de leur nombre était un des moyens les plus efficaces de renforcer la production de céréales-marchandises dans le pays.
D’après les données du Service de statistiques, les exploitationscollectives ont fourni en 1927, une production brute de 55 millions
de pouds de céréales au minimum, dont 30 % en moyenne, pour le marché. La formation d’un grand nombre de nouvelles collectivités agricoles et l’élargissement des vieilles, à laquelle nous assistons en ce début d’année, se traduiront en fin d’année, par un accroissement considérable de la production de céréales.
La tâche est de conserver le rythme actuel de développement des collectivités agricoles, de les agrandir, de fermer les collectivités fictives, de les remplacer par des collectivités réelles, d’établir en règle générale que les exploitations collectives livrent à l’État et aux coopératives toute leur production destinée au marché, sous la menace de se voir retirer les subsides et les crédits consentis par l’État. Je pense qu’en observant ces conditions, nous arriverons, d’ici 3 ou 4 ans, à nous faire livrer par les exploitations collectives 40 à 50 millions de pouds de blé-marchand.
On oppose quelquefois les collectivités agricoles aux coopératives, dans l’idée, sans doute, que les collectivités agricoles et les coopératives sont choses différentes. Cela est faux, bien entendu.
D’aucuns vont même jusqu’à opposer les collectivités agricoles au plan de coopération de Lénine.
Inutile de dire que cette opposition n’a rien de commun avec la vérité. Ce qui est certain, c’est que les collectivités agricoles sont une variété de coopératives, la variété la plus nettement caractérisée de la coopérative de production. Il existe des coopératives de vente, des coopératives d’achat, des coopératives de production.
Les collectivités agricoles sont partie intégrante de la coopération en général, du plan de coopération de Lénine en particulier.
Appliquer le plan de coopération de Lénine, c’est relever la coopération rurale, en la faisant passer de la coopération de vente et d’achat à celle de production, à la coopération, si l’on peut s’exprimer ainsi, des collectivités agricoles.C’est là la raison pour laquelle les collectivités agricoles n’ont pris naissance chez nous et n’ont commencé à se développer que du fait du développement et du renforcement de la coopération d’achat et de vente.
2. Il s’agit, en deuxième lieu, d’élargir et de consolider les vieilles fermes d’État, d’en créer de nouvelles. D’après les données du Service central de statistiques, la production globale de céréales, dans les fermes d’État actuelles, a atteint, en 1927, au moins 45 millions de pouds, dont 65 % pour le marché. Il est évident qu’un certain appui de l’État leur étant assuré les fermes d’État (sovkhoz) relèveront considérablement leur production de céréales. Mais notre tâche ne doit pas s’arrêter là.
Il est une décision du gouvernement soviétique tendant à créer, dans les régions où il n’y a pas de lots paysans, de nouvelles et puissantes fermes d’État (de 10 à 30 déciatines chacune), qui fourniront dans 5 ou 6 ans jusqu’à 100 millions de pouds de céréales pour le marché.
On s’occupe déjà de l’organisation de ces fermes. Il s’agit maintenant de mettre à exécution cette décision du gouvernement soviétique, coûte que coûte. Je crois que si nous nous acquittons de ces tâches nous pourrons, d’ici 3 ou 4 ans, tirer des fermes d’État, anciennes et nouvelles, de 80 à 100 millions de pouds de céréales pour le marché.
3. Il importe enfin de relever systématiquement le rendement des exploitations paysannes individuelles, petites et moyennes. Nous ne pouvons et ne devons soutenir les grandes exploitations individuelles des koulaks.
Par contre, nous pouvons et devons le faire pour l’économie paysanne individuelle, petite et moyenne, en en augmentant la récolte et en l’organisant sur la base coopérative.
C’est là un vieux principe proclamé chez nous avec une force particulière déjà en 1921, lors du remplacement de la réquisition par l’impôt alimentaire. Ce principe a été confirmé par notre parti au XIVe et XVe congrès.L’importance de ce principe est corroborée aujourd’hui par les difficultés que nous devons vaincre sur le front des céréales.
C’est pourquoi notre devoir est de nous acquitter de cette tâche avec la même persévérance que nous mettions à nous acquitter des deux premières, celle relative aux collectivités agricoles et celle de l’édification des fermes d’État.
Tout atteste qu’il sera possible, en quelques années, de relever de 15 à 20 % le rendement de l’économie paysanne. Aujourd’hui, nous avons en service au moins 5 millions de charrues ancien modèle. Il suffirait de les remplacer par des charrues modernes pour obtenir un accroissement appréciable de la production de céréales dans le pays.
De plus, on fournira aux paysans un certain minimum d’engrais, des semences sélectionnées, du petit outillage, etc.
Le contrat de consignation, suivant lequel des villages et des communes entières s’engagent à fournir telle quantité de céréales contre l’approvisionnement en semences, etc. par l’État, est le moyen le plus efficace de relever le rendement des exploitations rurales et de gagner les paysans à la coopération.
J’estime qu’en nous attelant sérieusement à cette besogne nous pourrions nous faire livrer, d’ici 3 ou 4 ans, au minimum, 100 millions de pouds de blé-marchand par les exploitations paysannes individuelles, petites et moyennes.
Ainsi donc, si nous remplissons toutes ces tâches, l’État aura à sa disposition, dans 3 ou 4 ans, de 200 à 250 millions de pouds de blé-marchand, qui nous permettraient, plus ou moins, de manœuvrer sur le marché intérieur et extérieur.
Telles sont, en substance, les mesures susceptibles de parer à nos embarras sur le front des céréales.
La tâche qui se pose à nous, en ce moment, est de relier ces mesures essentielles aux mesures courantes tendant à améliorer les plans d’approvisionnement de la campagne en marchandises et de libérer nos organisations commerciales de l’obligation d’approvisionner en céréales toute une catégorie de villes petites et moyennes.
A côté de ces mesures, ne faudrait-il pas en prendre d’autres par exemple en vue de ralentir le rythme de développement de notre industrie, dont l’augmentation provoque une demande sans cesse croissante en céréales, demande qui, pour le moment, dépasse la production des céréales destinées au marché ? Non, évidemment. En aucun cas.
Ralentir le rythme de développement de notre industrie, c’est affaiblir la classe ouvrière, car chaque pas fait en avant, dans le sens du développement de l’industrie, toute nouvelle usine, toute nouvelle fabrique sont, d’après un mot de Lénine, une « nouvelle forteresse » de la classe ouvrière, qui vient renforcer ses positions dans la lutte contre l’influence petite-bourgeoise, contre les éléments capitalistes de notre économie.
Bien au contraire : il est nécessaire de conserver le rythme actuel de développement de notre industrie ; de l’accentuer à la première occasion, afin d’inonder la campagne de marchandises et d’en tirer le plus de blé possible ; afin d’approvisionner l’agriculture et, en premier lieu, les fermes collectives et d’État en machines, d’industrialiser l’agriculture et de relever sa production marchande.
Peut-être, pour plus de «prudence», ferait-on bien d’arrêter le développement de la grosse industrie et de transformer l’industrie légère, qui travaille surtout pour le marché rural, en base de notre industrie ?
En aucun cas. Ce serait le suicide, la désorganisation de toute notre industrie, y compris l’industrie légère. Ce serait l’abandon du mot d’ordre de l’industrialisation de notre pays, la transformation de ce dernier en un appendice du système capitaliste de l’économie.
Nous nous inspirons, dans ce que nous venons de dire, des principes bien connus de Lénine, exposés au IVe congrès de l’Internationale communiste et absolument obligatoires pour l’ensemble de notre parti.Voici ce qu’a dit à ce sujet Lénine, au IVe congrès de l’Internationale communiste :
Nous savons que pour sauver la Russie il faut non seulement une bonne récolte dans l’économie paysanne — ce n’est pas encore assez, non seulement un bon état de l’industrie légère qui fournit les paysans en objets de consommation, cela non plus n’est pas assez — il nous faut aussi une industrie lourde.
Ou cet autre passage :
Nous économisons en toute chose, même sur les écoles. Pourquoi ? Parce que si nous ne sauvons pas la grande industrie, si nous ne travaillons pas à la rétablir, nous ne saurons mettre debout aucune industrie. Sans elle, nous périrons en général comme pays indépendant.
Ces indications de Lénine ne doivent pas être oubliées.
Quelle sera la forme de l’alliance des ouvriers et des paysans en liaison avec les mesures ci-dessus tracées ? Je pense que ces mesures ne feront que raffermir cette alliance. En effet, si les fermes collectives et d’État se développent sur un rythme accéléré ; si à la suite d’une aide directe aux petits et moyens paysans, le rendement de leur économie s’accentue et que la coopération englobe des masses paysannes de plus en plus larges ; si l’État reçoit de nouvelles centaines de millions de pouds de blé-marchand nécessaire pour manœuvrer sur le marché ; lorsque, à la suite de toutes ces mesures et d’autres analogues, la classe des koulaks sera peu à peu réduite à l’impuissance, — n’est-il pas évident que les contradictions existant dans l’alliance de la classe ouvrière et des paysans s’effaceront de plus en plus ; que la nécessité de recourir aux mesures extraordinaires d’approvisionnement en blé tombera d’elle-même ; que les larges masses paysannes se tourneront de plus en plus vers les formes collectives de l’agriculture, et que la lutte livrée aux éléments capitalistes de la campagne prendra un caractère de plus en plus universel et de plus en plus organisé ?
N’est-il pas évident que l’alliance des ouvriers et des paysans ne fera que gagner à ces mesures ?
Seulement, il ne faut pas perdre de vue qu’en régime de dictature du prolétariat l’alliance des ouvriers et des paysans n’est pas une simple alliance.
C’est une forme d’union de classe particulière entre la classe ouvrière et les masses paysannes laborieuses ; elle se propose de renforcer les positions de la classe ouvrière, de lui assurer un rôle dirigeant dans cette union, et d’abolir les classes et la société qui les comporte.
Toute autre façon de concevoir l’alliance de la classe ouvrière et des paysans est de l’opportunisme, du menchévisme, — tout ce que vous voudrez, sauf le marxisme, le léninisme.
Comment faire concorder l’idée de l’alliance de la classe ouvrière et des paysans avec la thèse connue de Lénine, d’après laquelle « les paysans sont la dernière classe capitaliste » ? N’y a-t-il pas là une contradiction ? Non, évidemment.
La contradiction n’y est qu’apparente, spécieuse. En réalité, elle est inexistante. Dans le même rapport, au IIe congrès de l’Internationale communiste où il définit les paysans comme la « dernière classe capitaliste », Lénine revient à plusieurs reprises sur la nécessité d’une alliance entre ouvriers et paysans, affirmant que « le principe suprême de la dictature consiste à soutenir l’alliance des ouvriers et des paysans afin que le prolétariat puisse maintenir son rôle dirigeant et le pouvoir ». Il est clair que Lénine n’y voyait aucune contradiction.
Comment faut-il entendre la thèse de Lénine d’après laquelle les paysans sont « la dernière classe capitaliste » ?
Est-ce à dire que la paysannerie se compose de capitalistes ? Nullement. Les paysans forment une classe à part ; celle-ci édifie son économie sur le principe de la propriété privée des instruments et moyens de production ; elle se distingue, par suite, de la classe des prolétaires dont l’économie est basée sur le principe de la propriété collective des instruments et moyens de production.
D’autre part, la classe paysanne fournit, engendre et alimente des éléments capitalistes, des koulaks et, en général, des exploiteurs de toute espèce.
Cette circonstance ne constitue-t-elle pas un obstacle insurmontable à l’organisation de l’alliance de la classe ouvrière et des paysans ? Non, évidemment.
En régime de dictature du prolétariat l’alliance des ouvriers et des paysans ne porte pas sur l’ensemble de la paysannerie. Elle ne s’étend qu’à la classe ouvrière et aux paysans laborieux.
On ne saurait réaliser cette alliance sans combattre les éléments capitalistes de la campagne, sans lutter contre les koulaks. Pour qu’elle soit solide, il est nécessaire d’organiser les paysans pauvres, soutien de la classe ouvrière dans les campagnes.
Aussi, l’alliance des ouvriers et des paysans ne saurait-elle, dans les conditions actuelles de la dictature du prolétariat, être réalisée que sous le mot d’ordre bien connu de Lénine : Appuyons-nous sur les paysans pauvres, passons une alliance solide avec les paysans moyens, ne cessons pas un seul instant de lutter contre les koulaks.
Ce n’est qu’en s’inspirant de ce mot d’ordre que l’on pourra intéresser les masses fondamentales de la paysannerie à l’édification socialiste.
Ainsi, vous voyez que la contradiction entre les deux formules de Lénine n’est qu’apparente. En réalité, elle est inexistante.