Très concrètement, chez Paul Boccara, il n’y a aucune originalité. On est dans le vargisme le plus strict : il n’y aurait pas de connexion organique entre l’État et les monopoles ; la stratégie anti-monopoliste d’unité – y compris de la bourgeoisie non monopoliste – serait en mesure de décrocher l’État du capital monopoliste.
Bien entendu, on a toujours cette apparence radicale puisque cette approche dénonce la soumission de l’État aux monopoles, mais pas dans le sens d’une critique léniniste : dans le sens d’une théorie de conquête de l’État « neutre ».
Pourquoi alors cette théorie de la suraccumulation – dévalorisation ? Pour deux raisons : la première est qu’il s’agit simplement de la focalisation de Paul Boccara sur le thème, et donc d’une idée théorique produit abstraitement. La seconde est que cela sert fondamentalement les intérêts du PCF, de la CGT et de l’URSS.
La théorie de la suraccumulation – dévalorisation sous-tend en effet un « urgentisme » très important. Le capitalisme était présenté comme en phase terminale.
Déformant la théorie léniniste de l’impérialisme, Paul Boccara fait du surplus de capital une sorte de monstre défigurant l’économie, comme si le capitalisme s’était survécu à lui-même.
Ce qui est cocasse, c’est que Paul Boccara passa donc cinquante ans de sa vie à expliquer, à courts intervalles, que l’on rentrait dans la phase absolument finale de l’effondrement du capitalisme !
Vu ainsi, c’est ridicule. Mais à chaque fois, politiquement, cela permit un positionnement très particulier, justifié par cette prétendue urgence. C’était très pratique pour le PCF et la CGT.
Dans cette optique, l’économie allait s’effondrer, car le capitalisme était bloqué ; la gestion devenait intenable, tout l’énergie allait dans la finance… il faudrait donc prendre les choses en main.
De plus, en prétendant s’appuyer sur quelque chose relevant du marxisme, Paul Boccara pouvait prétendre à une dimension révolutionnaire ; en expliquant en même temps que c’était un prolongement, que Karl Marx n’avait pas directement expliqué cela, il se donnait une marge de manœuvre totale dans l’interprétation.
On pouvait donc indéfiniment se tromper, repousser la crise au cycle suivant, etc. Et en fonction de cette « crise » perpétuelle (« systémique » est le terme ici employé) mais connaissant des « phases », on pouvait prôner telle ou telle mesure, telle ou telle intervention dans l’économie.
Il est évident ici que le boccarisme n’est donc rien d’autre que l’expression idéologique de l’aristocratie ouvrière.
En présentant comme incontournable la participation des couches « instruites », participatives, gestionnaires de la classe ouvrière, il faisait de l’aristocratie ouvrière un étendard et appelait à protéger ses intérêts.
On comprend donc le sens de la théorie de la suraccumulation – dévalorisation. Pour maintenir la « gestion » du capitalisme contre le capital « en trop », il faut une rationalité depuis l’intérieur de l’entreprise, par le syndicat, par le PCF qui est l’organisation politique de ce syndicat (dans la droite ligne du positionnement de Maurice Thorez).
Le capitalisme apparaît donc comme organisé, organisable, et par conséquent organisable dans un sens différent, si l’on s’approprie la gestion.
Paul Boccara n’hésita pas à faire une comparaison du capitalisme avec la vie :
« La théorie de la suraccumulation – dévalorisation du capital permet d’analyser la régulation spontanée, opérant à la façon de celle d’un organisme naturel, biologique, du capitalisme. »
Voici un autre exemple de parallèle « biologique », dans Études sur le capitalisme monopoliste d’État. Sa crise et son issue, en 1974 :
« La théorie de la suraccumulation / dévalorisation du capital permet d’analyser la régulation spontanée, opérant à la façon de celle d’un organisme naturel, biologique, du capitalisme.
Elle montre comment sur la base des rapports de production, de circulation, de répartition et de consommation capitaliste, c’est-à-dire de la structure économique de la société capitaliste, s’effectue cette régulation.
La régulation concerne l’incitation au progrès des forces productives matérielles (et de la productivité du travail), ainsi que la lutte contre les obstacles à ce progrès.
Elle concerne aussi le rétablissement de la cohérence normale du système, après le développement des discordances et le dérèglement formel que ce progrès engendre nécessairement.
Ce rétablissement s’effectue à travers les transformations qu’elles provoquent, y compris les transformations structurelles de l’organisme économique allant jusqu’à mettre en cause l’existence du capitalisme lui-même. »
La politique a ici disparu, c’est la « gestion » qui compte. Le boccarisme, c’est gestion contre gestion.