Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné – 5e partie : «l’âme extatique»

Le projet étant en échec, la perspective bloquée, Les Tragiques ne pouvaient exprimer le calvinisme français que par un ton chaotique, un fil décousu, une approche à la fois satirique et tragique, dans une impression de confusion générale.

Il s’agit d’une fuite en avant, propre par ailleurs à la faiblesse idéologique du calvinisme naissant.

Martin Luther, une fois qu’il aura soutenu la noblesse contre les paysans révoltés, se précipitera pareillement dans une fuite en avant dans une sorte d’anticapitalisme romantique avant l’heure, adoptant un ton forcené appelant au massacre des sorcières et des juifs, afin de trouver une « direction » à indiquer, une perspective communautaire donnant du sens en apparence.

C’est pourquoi Théodore Agrippa d’Aubigné appelle à accepter la défaite pour porter une forme de transcendance :

« A vous la vie, à vous qui pour Christ la perdez,

Et qui en la perdant très-sûre la rendez,

La mettez en lieu fort, imprenable, en bonn’ ombre,

N’attachant la victoire et le succès au nombre »

Il s’agit ici en effet d’une référence au psaume 91, dit psaume de la protection (« Celui qui demeure sous l’abri du Très-Haut Repose à l’ombre du Tout Puissant »). On est là dans un appel désespéré et voici justement comment se concluent les Tragiques :

« Chétif, je ne puis plus approcher de mon œil

L’œil du ciel; je ne puis supporter le soleil.

Encor tout ébloui, en raisons je me fonde

Pour de mon âme voir la grand’ âme du monde,

Savoir ce qu’on ne sait et qu’on ne peut savoir,

Ce que n’a ouï l’oreille et que l’œil n’a peu voir :

Mes sens n’ont plus de sens, l’esprit de moi s’envole,

Le cœur ravi se tait, ma bouche est sans parole :

Tout meurt, l’âme s’enfuit et, reprenant son lieu,

Extatique, se pâme au giron de son Dieu. »

On est là bien loin de tout rationalisme ; c’est ici une perspective mystique, propre à Saint Augustin (l’Église catholique romaine s’appuyant à la fois sur lui et sur Thomas d’Aquin, en un savant équilibre et un grand compromis).

C’est un mysticisme ainsi féodal et les commentateurs bourgeois n’ont pas perçu le caractère réel des Tragiques, l’œuvre n’ayant par ailleurs aucun impact historique, étant simplement redécouverte au XIXe siècle comme une sorte de curiosité baroque.

Il n’y a pourtant aucun rapport avec le baroque, cette forme culturelle agressive de catholicisme visant à la « reconquête » idéologique ; la base réelle, c’est la faiblesse de fond de la direction du calvinisme français, en raison de l’effondrement de l’aristocratie comme classe autonome par rapport à la monarchie, qui devient absolue.

Théodore Agrippa d’Aubigné témoigne, pour cette raison même, d’une incapacité à se concentrer sur un seul système de références, à se place dans une perspective cohérente.

Voici un exemple où il prend comme référence Skanderbeg (Georges Castriote) (1405-1468), qui enfant fut enlevé par l’Empire ottoman et devint un chef de guerre, avant de se retourner contre eux, devenant ainsi le héros national albanais et une figure de l’opposition aux conquêtes musulmanes en terres chrétiennes.

Skanderbeg, portrait gravé de 1660

Pourquoi Théodore Agrippa d’Aubigné est-il allé chercher une telle référence ? Quel rapport à la cause protestante ? Théodore Agrippa d’Aubigné est ici aveuglé par les images fortes ; de ce fait, il sort de la démarche culturelle française historiquement nationale.

« Ainsi de Scanderbeg l’enfance fut ravie

Sous de tels précepteurs, sa nature asservie

En un sérail coquin; de délices friand,

Il huma pour son lait la grandeur d’Orient;

Par la voix des muphtis on emplit ses oreilles

Des faits de Mahomet et miracles des vieilles;

Mais le bon sens vainquit l’illusion des sens,

Lui faisant méprisé tant d’arborer croissants

(Les armes qui faisaient courber toute la terre),

Pour au grand empereur oser faire la guerre

Par un petit troupeau ruiné et mal en point;

Se fit le chef de ceux qu’il ne connaissait point.

De là tant de combats, tant de faits, tant de gloire,

Que chacun les peut lire, et nul ne les peut croire. »

Voici un autre passage, tout à fait représentatif du flot de reproches et d’attaques, d’appels à Dieu et d’images tellement travaillées qu’on en perd le fil, de manière totalement à rebours tant de l’esprit français qui se forme et qui donnera le classicisme, que de la base rationaliste calviniste elle-même, qui a pourtant permis l’émergence du classicisme en tant que tel.

« Qui se cache ? qui fuit devant les yeux de Dieu ?
Vous, Caïns fugitifs, où trouverez-vous lieu ?

Quand vous auriez les vents collés sous vos aisselles
Ou quand l’aube du jour vous prêterait ses ailes,
Les monts vous ouvriraient le plus profond rocher,
Quand la nuit tâcherait en sa nuit vous cacher,
Vous enceindre la mer, vous enlever la nue,
Vous ne fuirez de Dieu ni le doigt ni la vue.

Or voici les lions de torches acculés,
Les ours à nez percés, les loups emmuselés :
Tout s’élève contre eux : les beautés de Nature,
Que leur rage troubla de venin et d’ordure,
Se confrontent en mire et se lèvent contre eux.

« Pourquoi, dira le Feu, avez-vous de mes feux,
Qui n’étaient ordonnés qu’à l’usage de vie,
Fait des bourreaux, valets de votre tyrannie ? »

L’air encore une fois contre eux se troublera,
Justice au juge saint, trouble, demandera,
Disant : « Pourquoi, tyrans et furieuses bestes,
M’empoisonnâtes-vous de charognes, de pestes,
Des corps de vos meurtris ? » – « Pourquoi, diront les eaux,
Changeâtes-vous en sang l’argent de nos ruisseaux ? »
Les monts, qui ont ridé le front à vos supplices :

« Pourquoi nous avez-vous rendu vos précipices ?
– Pourquoi nous avez-vous, diront les arbres, faits
D’arbres délicieux, exécrables gibets ? »

Nature, blanche, vive et belle de soi-même,
Présentera son front ridé, fâcheux et blême,
Aux peuples d’Italie et puis aux nations
Qui les ont enviés en leurs inventions,
Pour, de poison mêlé au milieu des viandes,
Tromper l’amère mort en ses liqueurs friandes,
Donner au meurtre faux le métier de nourrir,
Et sous les fleurs de vie embûcher le mourir. »

La forme même de l’œuvre était insupportable pour la culture française parvenant à une simplicité très élaborée ; la monarchie absolue l’emportait sur un calvinisme davantage décentralisateur qu’authentiquement capitaliste.

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Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné: des Misères au Jugement

Cette limitation historique du calvinisme en France qui s’exprime dans Les Tragiques se lit également dans la forme du recueil. L’œuvre est divisée en sept parties, appelées livres, avec chacune un titre : Misères, Princes, La chambre dorée, Les feux, Les fers, Vengeances, Jugement.

On peut y voir, dans sa structure, un parallèle avec les sept sceaux de l’Apocalypse de Jean ; on retrouve, pareillement, des descriptions de choses monstrueuses, avant que les justes soient sauvés.

Misères décrit la terrible situation d’alors, alors que Théodore Agrippa d’Aubigné se présente comme un nouveau Hannibal partant en guerre contre Rome.

Cela va naturellement de pair avec une obsession, propre aux monarchomaques : la dénonciation de Catherine de Médicis, considérée comme à l’origine de tous les maux, avec son activité d’empoisonneuse et de semeuses de troubles, elle qui est à l’origine du massacre de la Saint-Barthélémy.

Il y a ici une lecture bien trop unilatérale, témoignant d’un irrationnalisme qui coûta la victoire à la direction calviniste :

« En vain, Reine, tu as rempli une boutique
Des drogues du métier, et, ménage magique,
En vain fais-tu amas dans les tais des défunts
De poix noire, de camphre à faire tes parfums;

Tu y brûles en vain cyprès et mandragore,
La ciguë, la rue et le blanc hellébore,
La teste d’un chat roux, d’un céraste la peau,
De la chauve-souris le sang, et de la louve

Le lait chaudement pris sur le point qu’elle trouve
Sa tanière volée et son fruit emporté :

Le nombril frais-coupé à l’enfant avorté,
Le coeur d’un viel crapaud, le foie d’un dipsade,
Les yeux d’un basilic, la dent d’un chien malade
Et la bave qu’il rend en contemplant les flots;

La queue du poisson Ancre des matelots,
Contre lequel en vain vent et voile s’essaye;

Le vierge parchemin, le palais de fressaye [l’effraie, une chouette].
Tant d’étranges moyens tu recherches en vain,
Tu en as de plus prompts en ta fatale main :

Car, quand dans un corps mort un démon tu ingères,
Tu le vas menaçant d’un fouet de vipères »

Voici un autre passage, où Théodore Agrippa d’Aubigné décrit les punitions qu’ont connu ceux qui se sont mal comportés.

On est ici en plein mysticisme digne justement du catholicisme pourtant combattu et Théodore Agrippa d’Aubigné pensait même qu’on connaîtrait la fin des temps à court terme.

« Paul, pape incestueux, premier inquisiteur,

S’est vu mangé des vers, salle persécuteur.

Philippe, incestueux et meurtrier, cette peste

T’en veut, puis qu’elle en veut au parricide inceste.

Néron, tu mis en poudre et en cendre et en sang

Le vénérable front et la gloire et le flanc

De ton vieux précepteur, ta patrie et ta mère,

Trois que ton destin fit avorter en vipère,

Chasser le docte esprit par qui tu fus savant,

Mettre en cendre ta ville, et puis la cendre au vent;

Arracher la matrice à qui tu dois la vie.

Tu devais à ces trois la vie aux trois ravie,

Miroûer de cruauté, duquel l’infâme nom

Retentira cruel, quand on dira Néron.  »

Le second livre, Princes, dénonce Charles IX et Henri II (avec ses « mignons ») ainsi que les magistrats dans La chambre dorée, qui désigne en fait la grande chambre du Parlement de Paris, au Palais de Justice.

Voici un extrait de ce troisième livre du recueil :

« Encor fallut-il voir cette Chambre Dorée
De justice jadis, d’or maintenant parée
Par dons, non par raison : là se voit décider
La force et non le droit; là voit-on présider
Sur un trône élevé l’Injustice impudente.

Son parement était d’écarlate sanglante
Qui goutte sans repos; elle n’a plus aux yeux
Le bandeau des anciens, mais l’éclat furieux
Des regards fourvoyants; inconstamment se vire
En peine sur le bon, en loyer sur le pire;

Sa balance aux poids d’or trébuche faussement ;
Près d’elle sont assis au lit de jugement
Ceux qui peuvent monter par marchandise impure,
Qui peuvent commencer par notable parjure,
Qui d’âme et de salut ont quitté le souci. »

On trouve ensuite Les feux et Les fers, racontant comment les protestants furent brûlés, massacrés, mais triomphent dans les cieux ; voici un passage où Théodore Agrippa d’Aubigné mentionne le martyr de Jan Hus, à l’origine du hussitisme qui se prolongea en le taborisme, marquant l’émergence du protestantisme :

« Âmes dessous l’autel victimes des idoles,
Je prête à vos courroux le fiel de mes paroles,
En attendant le jour que l’ange délivrant
Vous aille les portaux du paradis ouvrant.
De qui puis-je choisir l’exemple et le courage ?

Tous courages de Dieu, j’honorerai votre âge,
Vieillard de qui le poil a donné lustre au sang,
Et de qui le sang fut décoré du poil blanc :

Hus, Jérôme de Prague, images bien connues
Des témoins que Sodome a traînés par les rues
Couronnées de papier, de gloire couronnés.

Par le siège qui a d’or mitrés et ornés
Ceux qui n’étaient pasteurs qu’en papier et en titres,
Et aux évêques d’or, fait de papier les mitres. »

L’œuvre se concluant par le livre militant Vengeances, où les méchants sont frappés par le courroux divin et enfin Jugement, racontant le rétablissement de la justice à la fin des temps.

Il s’agit d’un appel à « l’Eternel » à faire descendre ses « hauts cieux » :

« Dieu veut que son image en nos cœurs soit empreinte

Être craint par amour et non aimé par crainte ;

Il hait la pâle peur d’esclaves fugitifs,

Il aime ses enfants amoureux et craintifs. »

C’est, on le comprend, la clef de l’œuvre. Théodore Agrippa d’Aubigné appelle à croire en la victoire coûte que coûte ; il s’imagine représenter une victoire possible au-delà d’une défaite temporaire, alors qu’en réalité il exprime un effondrement général.

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Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné: défense de la royauté et charge anti-féodale

En tant que recueil poétique, Les Tragiques reflètent à la fois une démarche de rupture avec le féodalisme porté par le calvinisme, mais également l’échec du calvinisme français de par la base de sa direction largement soumise à des fractions aristocratiques.

C’est une œuvre significative de tout un processus historique ayant eu une importance capitale en France, puisque conditionnant les modalités de l’affirmation de la monarchie absolue.

Cela représente également la preuve que le calvinisme en français, dans sa charge anti-féodale, malgré sa correspondance aux attentes de la bourgeoisie et du capitalisme, a été porté, dans sa direction, par une partie de l’aristocratie.

Théodore Agrippa d’Aubigné lui-même est un aristocrate, dont l’histoire familiale témoigne de cette catastrophe que connut le calvinisme en France. Né en 1552, il a eu comme père un juge de la ville de Pons qui était de grande instruction humaniste ; sa mère mourut à sa naissance, ce qui lui valut son prénom, du latin aegre partus, accouchement difficile.

Pour l’anecdote, il est tout à fait possible, ce que les commentateurs bourgeois n’ont pas vu, que le nom fasse référence au Pons Agrippae, un pont à Rome en l’honneur de Marcus Agrippa – la famille d’Aubigné venant de Pons, dans le Sud-Ouest.

Théodore Agrippa d’Aubigné en 1622

Théodore Agrippa d’Aubigné apprit dès l’enfance le français, le latin, le grec, l’hébreu. S’il s’était converti tardivement au calvinisme, son père y prit part de manière décidée et fit jurer à son fils de venger les martyrs de la conjuration d’Amboise, alors que ceux-ci avaient leurs têtes coupées posées sur des pieux.

Mais cet engagement ne sera que l’épisode d’une génération. Son fils Constant sombra dans la décadence, devenant un débauché ayant tué sa première femme, sa petite-fille Françoise devint marquise de Maintenon, maîtresse de Louis XIV, avec qui elle finit par se marier secrètement à la fin de sa vie.

C’est tout à fait représentatif : la génération calviniste fut brillante, mais éphémère. Elle fut portée par l’humanisme et la bourgeoisie naissante, mais dominée par les fractions aristocratiques cherchant d’un côté à s’émanciper du clergé, de l’autre à refuser la centralisation inévitable du pays.

Théodore Agrippa d’Aubigné, dans Les Tragiques, oscille invariablement entre deux pôles. D’un côté, il développe une tonalité militante, de nature anti-féodale, de l’autre il bascule dans le pessimisme, la passivité, le chaos propre à une couche sociale en train de mourir.

La conséquence en est une œuvre donnant une terrible impression de fourre-tout, puisqu’on voit pas les contours, ni les lignes directrices. Le mélange des références à l’antiquité gréco-romaine et de celles à la Bible trouble, tout comme les constats d’échecs et d’impuissance accouplés à des appels à la révolte généralisée.

Cela produit une nostalgie absurde d’une royauté idéale, dans l’esprit des monarchomaques dénonçant le « tyran », sans voir que ce regard anti-féodal ne pouvait être porté que par la bourgeoisie, non pas par une aristocratie anti-centralisatrice.

Voici une dénonciation représentative de l’esprit de Théodore Agrippa d’Aubigné, que l’on trouve dans le troisième livre de son recueil :

« Jadis nos rois anciens, vrais pères et vrais rois,

Nourrissons de la France, en faisant quelquefois

Le tour de leur pays, en diverses contrées,

Faisaient par les cités de superbes entrées.

Chacun s’éjouissait : on savait bien pourquoi ;

Les enfants de quatre ans criaient : Vive le roi !

Les villes employaient mille et mille artifices

Pour faire comme font les Meilleures nourrices,

De qui le sein fécond se prodigue à s’ouvrir,

Veut montrer qu’il en a pour perdre et pour nourrir.

Il semble que le pis, quand il est ému, voie :

Il se jette en la main, dont ces mères de joie

Font rejaillir, aux yeux de leurs mignons enfants,

Du lait qui les regorge : à leurs Rois triomphants,

Triomphants par la paix, ces villes nourricières,

Prodiguaient leur substance, et, en toutes manières,

Montraient au ciel serein leurs trésors enfermés,

Et leur lait et leur joie à leurs Rois bien-aimés.

Nos tyrans aujourd’hui entrent d’une autre sorte ;

La ville qui les voit a visage de morte ;

Quand son prince la foule, il la voit de tels yeux

Que Néron voyait Rome en l’éclat de ses feux.

Quand le tyran s’égaie en la ville où il entre,

La ville est un corps mort, il passe sur son ventre,

Et ce n’est plus du lait qu’elle prodigue en l’air,

C’est du sang (…). »

Or, cette approche est contradictoire : soit le calvinisme veut aller de l’avant et donc dépasser le féodalisme – ce qu’il a fait par exemple aux Pays-Bas – soit il veut retourner vers une forme passée, mais cette forme était par définition liée à la féodalité.

Théodore Agrippa d’Aubigné exprime le point de vue des aristocrates refusant la centralisation et donc regardant en arrière, mais opposé au clergé et donc regardant en avant.

Mais le fait même de vouloir aller de l’avant annule la position aristocratique, tout comme le fait de vouloir retourner à une forme passée annule la charge anti-cléricale. La conséquence en est une incohérence qui a, davantage que la répression, fait s’effondrer le calvinisme français.

C’est la raison pour laquelle Les Tragiques n’eurent aucun écho historique, laissant seulement une trace.

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Les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné et le «Désert»

Les Tragiques sont ainsi une œuvre exprimant une défaite, et c’est cela qui fait son intérêt, Théodore Agrippa d’Aubigné étant une figure historique d’une grande importance pour la France du XVIe siècle.

Il fut, en effet, un des principaux activistes de la cause protestante en France, tant sur le plan militaire que sur le plan intellectuel.

C’est en ce sens qu’ont une valeur historique les écrits de Théodore Agrippa d’Aubigné synthétisant cet épisode historique que furent les guerres de religion : Les Tragiques, écrits en vers et publiés en 1616), l’Histoire Universelle, publiés dans la période 1616-1620, en prose et d’une approche plus formelle.

Théodore Agrippa d’Aubigné en 1622

Pour cette raison, conformément à son interprétation de la situation – celle du Désert, c’est-à-dire d’une période d’exil face à la menace –Théodore Agrippa d’Aubigné signera Les Tragiques d’un pseudonyme, LBDD (le bouc du désert).

Les calvinistes se considéraient, après la révocation de l’Édit de Nantes, en 1685 comme les Hébreux à la sortie d’Égypte (Exode, 14-17), dans le « Désert ».

Mais le principe remonte à plus loin : dans Les Tragiques, Théodore Agrippe d’Aubigné utilise déjà cette référence, qui est également présente dans l’apocalypse, une femme se réfugiant dans le désert pour éviter d’être noyé par l’eau sortant massivement d’un dragon.

Le désert est aride, mais protecteur et il ne dure qu’un temps, telle est la vision qu’a Théodore Agrippa d’Aubigné de la situation qu’il connaît :

« O Désert, promesse des cieux,
Infertile mais bienheureux !
Tu as une seule abondance,
Tu produis les célestes dons,
Et la fertilité de France
Ne gît qu’en épineux chardons.
Tu es circuit, non surpris,
Et menacé sans être pris.
Le dragon ne peut et s’essaie :
Il ne peut nuire que des yeux. »

Il s’agit de porter la vérité, qui ne peut naître que dans l’adversité :

« La vérité a coutume
D’accoucher en un lieu secret »

Il faut donc assumer le bannissement qui a été imposé à la vérité, pour la porter :

« Voilà comment de nous la vérité bannie,
Meurtrie et déchirée, est aux prisons, aux fers,
Ou égare ses pas parmi les lieux déserts »

Cela fait des calvinistes le David des temps modernes, défendant la vérité avec une fronde :

« Je commençais à arracher
Des cailloux polis d’un rocher,
Et elle [la Vérité] tordait une fronde ;
Puis nous jetions par l’univers,
En forme d’une pierre ronde
Ses belles plaintes et mes vers.

(…)

Vous bienheureux les malheureux !
Separant des fanges du monde
Votre chrétienne liberté,
Vous défendez à coups de fronde
Les logis de la vérité »

Or, il y a là une contradiction essentielle. La France a été un pays marqué à la fois par l’humanisme (du Nord et de l’Est de l’Europe) et par la Renaissance italienne, au point qu’aujourd’hui les commentateurs bourgeois sont incapables de distinguer les deux.

Mais Agrippa d’Aubigné aurait dû représenter le calvinisme, dans une démarche parallèle à celle de l’humanisme : pourquoi trouve-t-on alors des éléments de la Renaissance ? C’est que son calvinisme n’a pas atteint un niveau suffisant de maturité pour ne pas utiliser des valeurs de la Renaissance.

Cela tient bien entendu à la base aristocratique de Théodore Agrippa d’Aubigné et de ce qu’il représente.

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