CPM : Quelques notes méthodologiques sur le travail du collectif politique métropolitain

[Cinquième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]

5. Quelques notes méthodologiques sur le travail du collectif politique métropolitain

1) Le collectif ne se pose pas comme organisme dirigeant, mais comme noyau agent

Notre problème n’est pas de concurrencer les syndicats, partis, partis, groupes, pour « diriger les masses », mais d’exercer une action dialectique qui contribue à la croissance politique des masses, au développement de l’autonomie, à la transformation de luttes sociales spécifiques et sectorielles en lutte sociale généralisée.

Nous nous positionnons donc comme un outil théorico-pratique au sein du mouvement général du prolétariat qui – bien que sous des formes embryonnaires et encore très limitées – tend à une transformation globale de la société.

Le collectif n’est pas une association de groupes, mais est individuellement impliqué, en tant que militants.

Il ne s’agit donc pas d’« hégémoniser » ou de « capturer » des Cub, des groupes d’étude ou d’autres organismes de base, puis de les gérer au niveau général, mais de constituer un organisme politique, de militants actifs, s’engageant à effectuer un travail politiquement homogène au sein des situations sociales et dans le tissu métropolitain le plus général.

Militants actifs : nous ne sommes donc pas intéressés à organiser une adhésion passive, de spectateurs, d’individus qui délèguent à d’autres la responsabilité politique de leurs actions et de leurs pensées.

La mesure et la référence de nos actions doivent être recherchées dans la capacité à développer les contradictions antagonistes entre le mouvement général de masse et le système capitaliste, dans la capacité de frapper le système bourgeois.

2) Attaquer au point le plus élevé.

Parmi les différents problèmes que le travail politique nous a posés ces derniers mois, un est très important et peut être formulé en ces termes : dans une situation où différents niveaux de conscience sont présents, devons-nous attaquer le point le plus haut ou le point le plus bas?

Un exemple clarifiera le problème et la réponse.

Un militant révolutionnaire qui doit travailler dans un organisme de base politiquement hétérogène, une fois la gauche et la droite de cette situation identifiées, où commencera-t-il à développer son travail politique?

– S’il part de la « droite », c’est-à-dire du point le plus bas, il exclut la possibilité de développer une action émancipatrice, entraînante, révolutionnaire et en tout cas se posant à un niveau de problèmes déjà « escomptés »dans l’expérience globale du groupe.

C’est une position opportuniste qui permet de travailler avec des « ouvriers » ou des « étudiants », mais pas avec l’autonomie prolétarienne.

– S’il attaque à partir du plus haut point, c’est-à-dire de la gauche, il est en mesure de vérifier son discours et sa force réelle, permettant à l’autonomie une dialectique clarificatrice.

C’est la deuxième réponse qui doit aviser nos choix et notre travail.

3) Les militants ne participent pas au collectif, mais constituent le collectif.

En 1968-69 se sont constitués des organismes de base (Cubs, Gds, groupes de MS, etc.), placés politiquement, ainsi qu’organisationnellement, dans des situations spécifiques (usine, école, quartier, etc.), concevant aujourd’hui le collectif comme leur propre organisme de base.

Ce qui signifie:

a) Le point de référence de sa propre action politique n’est plus l’aire spécifique, mais devient l’aire générale métropolitaine.

Le dépassement d’organismes particuliers, sectoriels, se matérialise dans une nouvelle définition du militant qui assume de lui-même et dans sa propre action toute la complexité d’une intervention politique générale.

En fait, le militantisme révolutionnaire est général et global, ou n’est pas.

b) Les militants du collectif doivent identifier, au sein d’une analyse politique globale, les points nodaux de développement et les aires stratégiques d’intervention dans la métropole.

Il est nécessaire de déterminer, par points de force, le développement du travail politique du collectif au sein des structures productives et des ganglions fondamentaux de la vie sociale métropolitaine.

Agir pour les points de forces signifie aussi concentrer dans un mode articulé les petites forces dont on dispose pour les rendre incisives dans l’action politique. Concrètement: si un camarade, voulant mener une action révolutionnaire, se trouve isolé dans son aire spécifique, il est préférable de le mettre à disposition pour construire l’organisation générale du collectif et se concentrer sur d’autres domaines de travail politique plus productifs.

4) Lutte politique et révolution culturelle.

Le prolétariat occidental erre dans une Europe en quête de recomposition. Les instruments qu’il avait créés pour établir sa « dictature » lui font maintenant face, lui sont opposés, étrangers, et l’impliquent dans un processus dépourvu à la fois de raison et d’histoire.

De nouveau, la raison et l’histoire des classes dominantes se sont emparées de son cerveau. Le patron a tout pris, le présent et le passé, la tête et les couilles [sic] : une expropriation globale qui n’admet qu’une réponse globale.

C’est ainsi qu’une histoire honteuse comme celle de nos classes dominantes ne nourrit pas notre haine à leur égard. C’est ainsi qu’un présent intolérable, par rapport à nos possibilités, ne correspond pas à une conscience adéquate de son caractère intolérable.

Nous sommes profondément marqués par une vie sociale aliénée dans laquelle la « séparation » semble être la loi dominante : séparation entre public et privé, séparation entre l’être et la conscience, séparation entre la tête et les couilles [sic].

Le moi ultra-faible, névrosé, aliéné, égoïste, individualiste, manipulé, est une donnée dont il faut tenir compte : c’est une donnée de notre révolution.

La lutte pour un « nouveau monde » est aussi la lutte pour un « nouvel homme ». La révolution politique coïncide finalement avec un processus réel et profond de révolution sociale et culturelle.

La révolution issue de l’utopie devient actuelle en premier lieu dans la communauté révolutionnaire.

Cela passe à la fois « dans » et « en-dehors » de chacun de nous ; dans et hors de chaque communauté révolutionnaire, dans et hors de chaque groupe de travail.

Il faut une réelle contemporanéité entre la transformation de l’homme et la transformation de ses institutions, entre la transformation des besoins et la transformation de l’appareil de production et de consommation.

Dans la communauté révolutionnaire, le travail collectif est le premier moment de la réunification indispensable de la vie sociale avec sa conscience. Le travail collectif est une responsabilité collective, c’est un apport personnel des problèmes globaux de tous.

Deux éléments généraux soutiennent ce travail. Ce sont : la confiance et la disponibilité réciproque.

Confiance: Il ne s’agit pas d’une question psychologique, fondée sur le fait de « bien se connaître », sur les aspects vagues de la camaraderie, mais d’une confiance politique qui a été conquise à travers une pratique commune. Nous ne devons jamais oublier que nous vivons dans une société capitaliste qui aliène constamment les valeurs fondamentales des rapports publics et privés, dans une société capitaliste tardive qui produit un « moi » faible.

Nous ne sommes pas des bons sauvages dans une bonne société, mais « a priori » nous sommes des fils de pute dans une société malade. Un militant n’a pas le droit d’oublier cela, ni donner ni pour accorder une confiance les yeux fermés, qui peut mettre en péril le développement du travail politique organisé.

D’autre part, la méfiance illimitée – même celle prodiguée par des bases psychologiques – est paralysante et ne permet pas de développer le processus de collaboration.

Ainsi: nous construisons des structures de travail dans lesquelles nous pouvons progressivement traduire nos besoins en capacités, notre curiosité en connaissance, notre bonne volonté en participation effective.

Disponibilité réciproque : il y a une seule façon de se rendre mutuellement disponible : définir et accepter une discipline collective, offrir aux autres la garantie que vous êtes au poste où vous devriez être, que vous faites ce que vous vous êtes engagés à faire.

L’improvisation et l’indiscipline sont les caractéristiques organisationnelles du spontanéisme (et non de la spontanéité de la masse, capable d’un degré très élevé, bien que sporadique, de discipline collective).

Parlant de discipline, pour les échos désagréables que cela suscite, signifie se retrouver à faire face à l’objection : mais alors la liberté?

Une vieille réponse marxiste à une vieille question : la liberté bourgeoise est la liberté de l’individu isolé confronté à d’autres individus isolés, tous écrasés par une impitoyable machine de domination (quoique aujourd’hui maquillée et enjolivée).

Vouloir rappeler à la vie cette « liberté » illusoire dans la vie signifie abandonner la réalisation de la vraie liberté.

Cette forme de liberté (bien qu’encore imparfaite) qu’est la discipline militante exclut toute acceptation passive des ordres, mais elle est basée sur la participation constante et consciente de tous dans le travail collectif.

Ce sont les spectateurs, les passifs (ce qui ne veut pas dire que les camarades soient moins expérimentés ou moins capables) qui permettent la formation de hiérarchies bureaucratiques.

Janvier 1970

Collettivo Politico Metropolitano [Collectif Politique Métropolitain]

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CPM : Mouvement de masse et organisation révolutionnaire

[Quatrième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]

4. Mouvement de masse et organisation révolutionnaire

Le mouvement des masses en Europe et en Italie a atteint un tournant décisif. Son développement spontané et impétueux a été arrêté par la manœuvre en tenaille de répression policière et de répression syndicale-partidaire. Ce qui s’est passé en France, en Allemagne et en Italie, à différents moments et de différentes manières, n’est pas un « cas défavorable », mais est le résultat de la logique même de la lutte des classes.

Il est nécessaire de comprendre clairement les termes du problème :

– n’a pas été défait le mouvement autonome du prolétariat européen, qui repose sur la contradiction fondamentale entre le développement actuel des forces productives et les rapports de production existant dans le régime capitaliste tardif, mais simplement la spontanéité et l’impulsion du mouvement.

– Les forces conservatrices ont appris de la réalité avant nous. De la répression « spontanée » de la première phase (le simple patron, recteur, questeur qui s’arrangeait pour résoudre ses problèmes spécifiques), le système passa rapidement à une seconde étape, celle de la lutte continuelle, répressive, organisée au niveau national et international contre le mouvement autonome du prolétariat et contre toutes ses expressions directes et indirectes.

– L’autonomie prolétarienne n’a aujourd’hui plus qu’un moyen de se développer : s’organiser. Le saut du mouvement spontané au mouvement organisé n’implique pas l’abandon du contenu de l’autonomie prolétarienne, mais en constitue l’unique possibilité de développement.

– L’exigence d’organisation (perçu par tous) doit se trtaduire en une lutte pour l’organisation, qui doit se faire sur deux fronts : contre la répression globale du système, contre les tendances erronées au sein du mouvement.

– La lutte pour l’organisation doit être menée sur un nouveau terrain : celui de la lutte sociale globale. Le saut de qualité est double : du mouvement spontané au mouvement organisé, de la lutte à l’usine et à l’école à la lutte sociale globale.

L’autonomie prolétaire face au saut qualitatif

L’autonomie n’est pas un mot vide, une auréole sur la tête du prolétariat, un mythe à vendre au marché des idées. L’autonomie s’exprime sous une forme politique, dans une partie définie du prolétariat qui a pu affirmer, au-dessus des divisions syndicales et partisanes, l’intérêt réel de la classe exploitée.

Le mouvement ouvrier traditionnel, du moment qu’il s’est attaqué au noyau politique portant en avant la pratique autonome, a assumé la grave responsabilité historique de briser l’unité réelle du prolétariat (qui s’affirmait dans la lutte), lui substituant une unité fictive, relevant du simple slogan.

Tout en affirmant que « enfin la classe ouvrière est unie contre les patrons », il a tenté d’amputer la classe ouvrière de son d’avant-garde de lutte.

Avec le bâton de la répression et la carotte de la démocratie syndicale, avec les slogans de gauche et la pratique conservatrice, l’offensive syndicale a conduit à la scission entre la droite et la gauche ouvrière.

La gauche ouvrière a tardé à comprendre ce qui se passait, victime elle-même du contenu de « l’unité » qui n’avait pas été suffisamment approfondi sur le plan théorico-pratique. Les noyaux politiques (Cub, Gds, groupes d’étudiants, etc.) ont tenté de se reconnecter spontanément avec la classe ouvrière, mais ont fini par trouver devant eux la droite déployée et organisée.

Un droite qui n’a pas du tout le contrôle réel de la situation, mais qui a su exploiter au maximum le terrain de lutte favorable (la lutte contractuelle) et qui a cyniquement mis en avant son indifférence (sous-estimant les périls à long terme).

La gauche, quant à elle, a commis quelques erreurs : dans certaines situations, elle s’est repliée sur elle-même, renonçant à la lutte, dans d’autres elle a radicalisé le conflit sur des contenus syndicaux, s’auto-isolant, dans d’autres elle a cherché des relations ambiguës avec les syndicats.

Les choses allaient de manière diverse à l’université et dans les écoles. La faiblesse organisationnelle des partis révisionnistes a imposé ici une tactique plus subtile et indirecte, fondée principalement sur les contradictions internes du mouvement étudiant : les contradictions entre le caractère autonome du mouvement et le contrôle exercé sur lui par les groupes bureaucratiques, son « intellectualisme » verbeux et l’absence d’une élaboration théorique au niveau des problèmes actuels, ses victoires tactiques et de l’absence de perspectives stratégiques.

Le PCI et les organisations néo-révisionnistes ont proposé une organisation, une théorie et une stratégie toutes faites. Cela a amené une fracture qui tendra à s’approfondir de plus en plus.

D’une part, la droite du mouvement, qui cache derrière la phrase « révolutionnaire » l’opportunisme objectif de ceux qui acceptent les règles du jeu, se justifiant par le fait que… les masses ne soient pas mûres (les ouvriers parce qu’ils sont sous l’hégémonie des partis et des syndicats, les étudiants parce qu’ils n’ont pas encore acquis la conscience marxiste-léniniste); de l’autre, une gauche qui accepte le défi du système et tend à développer une lutte sociale globale qui a comme terme de référence l’autonomie prolétarienne.

La scission entre la droite et la gauche du prolétariat n’est pas un acte volontariste, qui ne concerne que quelques militants, mais reflète les niveaux non homogènes de la conscience des masses. La lutte décisive et implacable contre la droite prolétarienne est la condition de la conquête des masses à la lutte révolutionnaire.

Il est nécessaire de combattre l’« unitarisme » mal intentionné de ceux qui disent : nous sommes peu nombreux, nous sommes une minorité, alors ne vous battez pas entre vous ; nous acceptons les conditions du plus fort (la droite actuellement), et à l’avenir nous développerons les contradictions.

Dans le même temps, il est nécessaire que la lutte ne soit pas seulement idéologique, verbale ou menée au niveau des intrigues de corridors, mais qu’elle se développe au sein des luttes de masse, qu’elles soient un moment des luttes de masse.

L’extension de l’autonomie prolétarienne de l’usine et de l’école à la société n’est pas une opération quantitative, mais un saut politique fondamental.

La lutte continue contre la paix sociale, contre la légalité répressive, contre l’organisation du consensus, contre la dictature technopolitique social-capitaliste a un seul nom : la lutte révolutionnaire pour vaincre le pouvoir bourgeois.

Lutte révolutionnaire et « révolution »

Le mot même de « révolution » a aujourd’hui un destin particulier : d’une part, il est abusivement employé pour définir tout événement ou toute attitude qui ne se conforme pas aux normes de la le commune bourgeoise (par exemple chez les étudiants), d’autre part le terme même disparaît (par exemple dans la « vieille » classe ouvrière).

Définir a priori un processus révolutionnaire est impossible; en lui confluent tellement d’éléments que préfigurer en détail le développement signifie faire œuvre de mystification plutôt que du travail scientifique.

Mais qui se réclame du marxisme révolutionnaire ne peut pas renoncer à saisir les lignes du processus révolutionnaire dans lesquelles il s’implique, ne peut pas renoncer à tracer une ligne stratégique, à apporter sa contribution à la création d’une théorie révolutionnaire dans la métropole.

Note : au mot d’ordre « sans théorie, pas de révolution », il est nécessaire d’ajouter « sans théorie, pas d’organisation, ou plutôt pas d’organisation révolutionnaire ». Tout le monde est d’accord sur le principe, maiis en pratique aujourd’hui, il y a deux tendances à combattre:

1) La pratique spontanée, qui tend à confondre la théorie avec sa propre pratique politique. C’est ainsi qu’une volonté révolutionnaire subjective se transforme en opportunisme objectif : la mesure de sa propre action devient le succès, réalisé à n’importe quel prix et au prix de n’importe quel compromis.

La lutte, n’importe quelle lutte, est surestimée ; l’étiquette la plus utile s’applique à eux.

On passe ainsi de victoire en victoire, le patron subit des défaites continues, les syndicats et les partis sont maintenant réduits à rien, la révolution est à portée de main !

Mais il est alors découvert que tout cela était un rêve les yeux ouverts ! Alors la crise du désespoir, du pessimisme, du renoncement. D’où sort une nouvelle vague de succès, de victoires, et ainsi de suite.

De cette façon, il est vrai, « on ne s’enferme pas à la maison pour étudier », on n’élabore pas de « théorie sur une la table », mais on pense par lieu commun, on prend pour acquis de misérables parodies de « thèses politiques », on agit avec des yeux bandés terminant dans l’impasse de l’activisme. On finit par « faire de la politique » au lieu de « faire la révolution ».

2) L’idéologisme dogmatique. Cela fonctionne comme ça. La récitation de la litanie: « Marxisme, léninisme pensée de Mao Zedong, adapté aux conditions historiques particulières ».

Après cela, les alternatives sont au nombre de deux : : soit on met le ml-maoïsme dans le tiroir et on navigue dans les eaux les plus calmes de la politique de couloir; ou on adhère à un parti se proclamant le seul véritable héritier de Marx, de Lénine et de Mao, et on s’attend à ce que les masses en soient convaincues.

Ces deux attitudes «théoriques» erronées ont une origine pratique: elles sont à la fois la base du pouvoir de la direction bureaucratique et dirigiste établie de façon parasitaire dans le mouvement de masse.

La croissance pratique et théorique du mouvement, sa transformation en un mouvement révolutionnaire organisé constituerait la fin d’un privilège qui prend souvent la forme de l’exploitation politique.

Nous croyons que le front de la lutte théorique est fondamental pour le développement du mouvement prolétarien.

La lutte est à deux niveaux : pour l’élaboration d’une théorie révolutionnaire dans la métropole (qui n’existe pas actuellement, bien que de nombreuses indications fondamentales soient contenues dans le patrimoine théorique du marxisme révolutionnaire), pour la propagande militante des idées justes et leur application dans l’autogestion des luttes du prolétariat.

Il est nécessaire aujourd’hui de redéfinir le concept même de révolution, à la lumière des conditions objectives et du développement réel du mouvement autonome du prolétariat européen. Deux points semblent importants à souligner:

1) Processus révolutionnaire et non moment révolutionnaire.

Comme l’écrit le révolutionnaire brésilien Marcelo De Andrade : « Avant l’unification du capitalisme mondial par l’impérialisme yankee, le prolétariat avait l’occasion de s’armer par des moyens non armés, c’est-à-dire qu’il pouvait d’abord s’organiser politiquement et développer jusqu’à un certain point la lutte politique et la violence non armée, pour ensuite profiter de la défaite sociale, politique et militaire des classes dirigeantes de leurs pays respectifs, pour s’armer et prendre le pouvoir…

Aujourd’hui, puisque la possibilité d’une guerre inter-impérialiste est historiquement exclue, une alternative prolétarienne de pouvoir doit être, dès le début, politico-militaire, étant donné que la lutte armée est la voie principale de la lutte des classes. »

Il est nécessaire de comprendre de fond en comble cette thèse, car elle est à la base de tous les mouvements révolutionnaires opérant dans le monde.

Dans la conception courante aujourd’hui en Italie du rapport entre mouvement de masse et organisation révolutionnaire, il y a implicitement l’image d’un processus de ce genre : d’abord nous développons la lutte politique, conquérons les masses à la révolution, puis, quand les masses sont devenues révolutionnaires, nous faisons la révolution.

D’où : aujourd’hui, il n’y a pas de conditions révolutionnaires objectives ; il ne reste plus à faire que de la politique d’une manière plus ou moins traditionnelle. L’objectif intermédiaire : la construction du parti marxiste-léniniste.

Est également implicite que la révolution en Europe ne peut que coïncider avec un moment insurrectionnel qui amènera le prolétariat au pouvoir.

Après la prise du pouvoir, se transforme la société. Les révisionnistes objectent : l’insurrection générale est une utopie ; il ne reste alors qu’à s’insérer à l’intérieur des structures du pouvoir bourgeois et à les transformer de l’intérieur.

En effet, l’hypothèse d’une insurrection généralisée est aujourd’hui illusoire. Mais cela ne signifie pas renoncer en tant que tel à la tâche des révolutionnaires.

C’est la réalité même qui nous enlève toutes les suggestions d’une fausse alternative. La dimension sociale de la lutte, et le point le plus élevé de son développement : la lutte contre la répression généralisée, constitue déjà un moment révolutionnaire.

Le processus révolutionnaire tend à se développer dès le départ sur tous les plans: ce n’est pas un choix volontariste, mais une condition imposée par la réalité.

Quand on peut avoir quatre ans de prison pour ne pas avoir agressé un flic, un choix s’impose : soit on se réfugie dans le bourbier du réformisme renonciateur, soit on accepte le terrain révolutionnaire de l’affrontement.

La bourgeoisie a compris de bout en bout la situation et se comporte en conséquence. La bourgeoisie a déjà choisi l’illégalité. La longue marche révolutionnaire dans la métropole est l’unique riposte adéquate. Cela doit commencer aujourd’hui et ici.

2) Processus révolutionnaire métropolitain. Il n’a pas été encore suffisamment compris ce que cela signifie pour développer un processus révolutionnaire dans une aire métropolitaine de développement capitaliste tardif.

Les modèles révolutionnaires du passé ou les zones périphériques sont inapplicables. Notre problème est aujourd’hui de prendre acte de la réalité dans laquelle nous nous trouvons à opérer ; la difficulté de cette recherche ne doit pas nous conduire à faire semblant d’être en Russie en 1917 ou en Chine en 1927. Il semble nécessaire de travailler sur un mode théorico-pratique sur ces points :

a) Dans les aires métropolitaines nord-américaines et européennes, il existe déjà les conditions objectives pour la transition vers le communisme : la lutte est essentiellement la révolte pour créer les conditions subjectives.

Cela implique que le prolétariat doit porter en avant d’un mode direct sa révolution, et qu’on ne peut plus, comme cela est arrivé dans le passé, engager sa propre action sur des objectifs essentiellement bourgeois : la démocratie parlementaire, l’indépendance, l’unité nationale, le développement industriel, etc.

Les révisionnistes ont aujourd’hui assumé la défense de ces valeurs ; notre problème est d’attaquer par rapport un objectif directement révolutionnaire : renverser le système de pouvoir bourgeois et transformer l’essence même du pouvoir (autoritaire, centralisé, hiérarchique, répressif, manipulateur, etc.).

b) Le rapport muté (par rapport au capitalisme classique) entre la structure et la superstructure, qui tend de plus en plus à coïncider, fait que le processus révolutionnaire se présent aujourd’hui comme à la fois global, politique et « culturel ».

Ce qui signifie que mutent substantiellement les rapports entre le mouvement de masse et l’organisation révolutionnaire, et par conséquent viennent également à muter radicalement les principes d’organisation.

Note – S’impose sur ce point une critique au « parti marxiste-léniniste » tel qu’il est compris, ou mal compris.

Se réclamer du marxisme révolutionnaire signifie aujourd’hui développer le patrimoine théorique du mouvement ouvrier et le faire accomplir le saut dialectique que la réalité impose. Selon Marx, le parti politique du prolétariat coïncide avec l’ensemble du prolétariat (qu’il soit « révolutionnaire ou non »).

Cela n’empêcha pas Lénine de développer, en des temps et sous des conditions différentes, la théorie du parti bolchevik qui est l’avant-garde du prolétariat, ni Mao de promouvoir la révolution culturelle qui, dans son essence, est la proposition d’un une nouvelle forme d’organisation prolétarienne.

La tradition marxiste est pour nous un point de référence, un héritage à partir duquel puiser, mais elle ne doit en aucun cas nous paralyser face à nos tâches actuelles.

Pour en venir au spécifique. Les fondements du parti léniniste sont au nombre de trois :

1) distinction entre le moment économique et le moment politique ;

2) distinction entre les luttes de la classe ouvrière et la conscience socialiste dont les intellectuels sont les dépositaires ;

3) distinction entre l’avant-garde et les masses.

Aucun de ces trois éléments n’est présent dans la réalité actuelle de l’aire métropolitaine européenne.

Mais nous devons faire une déclaration claire : le dépassement du parti ne peut pas consister en le retour aux formes que le léninisme a surmontées : l’ouvriérisme, la spontanéité, l’économisme, le terrorisme.

Surmonter le parti n’est pas un travail fait sur le coin d’une table, qui peut être épuisé dans la recherche de formules, mais est une œuvre collective pour la recherche d’une nouvelle forme organisationnelle, le développement et le dépassement des formes organisationnelles embryonnaires actuelles assumées par l’autonomie prolétarienne.

c) Le terrain essentiellement urbain de la lutte. Une donnée objective : en 1961, 14 481 000 Italiens étaient concentrés dans huit zones urbaines ; on s’attend à ce que d’ici 2001 le chiffre soit de 29 153 000 personnes, soit la moitié de la population totale.

Ce chiffre statistique correspond à une donnée politique : la ville est aujourd’hui le cœur du système, le centre organisateur de l’exploitation économico-politique, la vitrine où est exposé le « plus haut point », le modèle qui devrait motiver l’intégration prolétarienne.

Mais c’est aussi le point le plus faible du système: là où les contradictions apparaissent plus aiguës, où le chaos organisé qui caractérise la société capitaliste tardive apparaît comme le plus évident, où les clivages politiques fendent verticalement tout le tissu social.

C’est sur ce terrain que le prolétariat moderne émerge le plus impétueusement, où il prend conscience de son unité.

C’est ici, dans son cœur, que le système est frappé.

La ville doit devenir pour l’adversaire, pour les hommes qui exercent aujourd’hui un pouvoir de plus en plus hostile et étranger aux intérêts des masses, un terrain dangereux : chacun de leur geste peut être contrôlé, tout point de vue dénoncé, toute collusion entre pouvoir économique et pouvoir politique mise à découvert.

« Agir dans les masses comme des poissons dans l’eau » signifie pour nous d’empêcher le pouvoir d’avoir une image précise de sa force, le chasser de sa tanière et se retourner contre lui et ses représentants (ou contre une personne qui assume sur un mode conscience ou inconscient sa défense, et se rend complice) de toute la violence qu’il crache de manière ininterrompue contre la grande majorité du peuple.

À la violence globale d’un système qui tend à contrôler les citadins dans chacun de ses actes publics et privés, il est nécessaire d’opposer l’engagement global du révolutionnaire, capable de transformer chacun de ses geste, chaque lieu de travail ou de résidence en un centre de lutte.

La révolution culturelle d’aujourd’hui fait corps avec la révolution politique : à cette opposition globale qui est capable de transformer en force son immense supériorité politique, culturelle et morale, le système ne peut seulement opposer que le poids de son oppression, de son chantage, de sa corruption.

Avec ces armes, aucun système n’a jamais réussi à survivre.

Le niveau d’organisation dans la situation actuelle

Les caractéristiques de la situation actuelle peuvent être résumées comme suit :

Les luttes particulières, spontanées ont épuisé leur fonction entraînante. La dimension réelle de l’affrontement est aujourd’hui sociale, globale ; son point culminant est la lutte contre la répression, qui est la lutte contre la violence globale du système, et donc déjà directement révolutionnaire.

Les organisations révisionnistes sont incapables de descendre sur ce terrain : l’appel en référence à la Résistance à la légalité constitutionnelle, la tactique défensive, dénonce en pratique la « voie italienne au socialisme » pour ce qu’elle est : une stratégie réformiste pour l’inclusion du prolétariat dans l’aire de l’hégémonie bourgeoisie économico-politique.

Pratiquement, cela signifie qu’à l’avenir, de plus en plus, les organisations syndicales et le parti « ouvrier » apparaîtront aux masses pour ce qu’ils sont et se révéleront incapables de faire face à l’offensive capitaliste.

D’autre part, les forces révolutionnaires subjectives se placent dans l’affrontement dans un état d’extrême faiblesse : cette faiblesse, théorique et pratique, s’exprime d’une manière éclatante sur le plan organisationnel.

L’« attente du Parti » paralysante et la pratique essentiellement spontanéiste constituent un cercle vicieux qui s’exprime dans la fausse alternative entre :

– La controverse institutionnalisée, c’est-à-dire les luttes particulières qui sollicitent des solutions particulières, les « révolutions culturelles » qui s’appuient sur la tolérance du système, les manifestations « ordonnées et pacifiques » derrière les slogans pseudo-révolutionnaires masquant le reddition au réformisme.

– L’extrémisme spontanéiste qui s’exprime par la radicalisation du contenu politique réformiste lui-même.

Ils demandent plus d’argent, plus de liberté à l’usine, plus d’énergie dans la lutte contre la répression, dans l’illusion de battre les syndicats et le parti dans cette « course aux surenchères ».

Ces positions sont justifiées par un seul argument : que les masses ne sont pas préparées à affronter le niveau de confrontation au niveau imposé par le capital.

Évaluation qui contient une double erreur : d’une part, une mythification des masses, les considérant capables de faire spontanément face (un jour ou l’autre) à la lutte révolutionnaire ; de l’autre, la sous-estimation des masses, les considérant incapables de comprendre les termes d’une lutte révolutionnaire, qui est la tâche à entreprendre par l’avant-garde.

Note – il est nécessaire de distinguer entre :

Masses : elles sont constituées par la soi-disant « majorité silencieuse » manipulée et manipulable, victimes d’une oppression qui les ramène au niveau de « l’opinion publique », principal champ d’intervention de l’organisation du consensus.

[Le socialiste Pietro] Nenni, par exemple, a justifié le centre-gauche avec un argument plus ou moins de ce genre : les masses d’aujourd’hui veulent atteindre un niveau de consommation plus élevé, et elles ont peur de changer radicalement la société ; moi-même, socialiste, qui suis toujours avec les masses, j’œuvre à créer la société du bien-être.

Mouvement de masse : c’est l’élément dynamique dans lequel la lutte de classe s’exprime immédiatement en termes de conflictualité entre la force de travail et les donneurs de travail, entre les classes dirigeantes et les subordonnés, entre les oppresseurs et les opprimés.

Par rapport au mouvement de masse, les attitudes peuvent être de deux types : ceux qui exploitent le mouvement, restant essentiellement à sa queue, ceux qui interprètent les besoins les plus profonds, encore latents et inexprimés, et œuvrent subjectivement à un débouché révolutionnaire de la lutte.

C’est la distinction, ancienne comme le mouvement ouvrier, entre réformistes et révolutionnaires. L’alibi des réformistes a toujours été : les masses ne sont pas mûres. En réalité, il est absurde de demander aux masses une maturité que la soi-disant « avant-garde » ne parvient pas à exprimer.

Organisation révolutionnaire : c’est l’organisme politique exprimé par les contenus le plus avancés du mouvement de masse, son plus haut degré de conscience collective.

Qu’il ne puisse pas et ne doive pas « se détacher des masses » est bien entendu évident ; mais il est également vrai que cette unité masse – organisation révolutionnaire est une unité dialectique, le fruit d’une lutte, non une donnée existant a priori amenant à manquer à celle-ci en restant stagnant.

Se soumettre à la spontanéité du mouvement, c’est rester en fait stagnant. Il peut être important de se rappeler que pendant la Révolution chinoise, l’ancienne incitation des officiers « Allez de l’avant », a été remplacée par la plus correcte « Venez en avant ».

Le corps politique qui n’est pas en mesure de se tourner vers les masses avec la devise « Venez de l’avant » est la parodie ridicule, verbalement révolutionnaire, des partis révisionnistes.

Nous devons poser le problème en des termes concrets.

Quel niveau d’organisation est aujourd’hui possible et nécessaire? Il est utile de comparer ce moment avec la phase initiale des luttes spontanées de 1968-1969.

Comme alors devaient « s’inventer » les voies et les outils organisationnels capables de contenir et d’exprimer le nouveau discours politique de l’autonomie, de sorte qu’aujourd’hui se réalise un saut qualitatif nécessaire dans le développement des structures organisationnelles, capable de correspondre à la nouvelle perspective de lutte : la lutte sociale généralisée contre la société capitaliste.

L’outil organisationnel, pour ne pas devenir un joug bureaucratique, doit toujours être fonctionnel par rapport au contenu et aux objectifs politiques que l’on veut poursuivre.

Les Cubs, les Gds, les mouvements d’étudiants de base, etc. avaient une fonction : être les instruments de la renaissance du mouvement autonome du prolétariat, à travers des luttes autodéterminées et auto-dirigées.

L’aire politique de cette lutte était essentiellement dans l’école et dans l’usine, c’est-à-dire dans les institutions. L’outil organisationnel ne pouvait donc pas être interne à cette aire.

Alors que les luttes se sont généralisées et que beaucoup de contenus politiques de l’autonomie ont été acquis (au point que les syndicats et les partis sont contraints de faire semblant), alors que les luttes n’ont plus comme point politique de référence politique seulement l’usine et l’école, les outils organisationnel internes, sectoriels, n’ont plus de véritable fonction politique et sont à juste titre dépassées par les luttes mêmes qu’ils ont générées.

Développer l’autonomie prolétarienne signifie aujourd’hui surmonter les luttes sectorielles et les organismes sectorielles.

Un tel dépassement ne peut se faire que par la lutte contre les tendances « conservatrices » présentes au sein du mouvement, qui confondent l’autonomie avec son premier niveau d’expression organisée : à savoir les Cubs, les Gds, le MS.

Quel est le véritable espace politique des organismes de base aujourd’hui?

L’expérience des luttes contractuelles et la paralysie du mouvement étudiant démontrent que l’espace politique au sein de la lutte revendicatrice s’est rétréci au point que si l’action des organismes sectoriels est fonctionnelle pour le développement de la lutte, elle l’est dans la même direction et vers les mêmes objectifs que les syndicats des partis.

En d’autres termes, avec ces structures organisationnelles sectorielles, nous finissons par renforcer la gestion syndicale-parlementaire des luttes prolétariennes.

La dimension sociale de la lutte requiert des organismes de base au niveau social.

En ce qui nous concerne, la principale unité de base de notre travail politique est la zone métropolitaine de Milan.

Il ne s’agit donc pas de faire un saut de’une organisation de base à une organisation supérieure, ni d’étendre quantitativement un réseau de liens en constituant une sorte de fédération de groupes de base, mais de construire des organismes politiquement homogènes pour intervenir dans la lutte sociale métropolitaine.

Le dépassement de l’ouvriérisme et de l’étudiantisme (les tendances conservatrices du mouvement) ne peut, à notre avis, se produire à travers l’union spontanée, sporadique et apolitique des ouvriers et des étudiants (ou la remise au mythique parti marxiste-léniniste), mais à travers le création de noyaux organisationnels qui se placent au niveau des problèmes sociaux globaux.

La confluence en eux des ouvriers, des étudiants et des techniciens n’est pas un fait mécanique, de type organisationnel étroit et mécanique, mais le fruit de la conscience des nouveaux contenus et des nouveaux objectifs qui s’imposent au mouvement.

>Sommaire du dossier

CPM : Des « luttes sociales » à la lutte sociale

[Troisième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]

3. Des « luttes sociales » à la lutte sociale

Les syndicats et les partis ont proclamé que c’est le moment des luttes sociales. Les poussées du mouvement de masse et la nécessité pour les organisations révisionnistes de passer à une étape supplémentaire de montée au pouvoir coïncident.

Cela ouvre un nouvel espace politique que les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier s’apprêtent à occuper dans leur intégralité, proposant un contenu très ouvert et ambigu : le logement, le coût de la vie, l’assistance médicale, la défense des garanties constitutionnelles, etc.

Les formes de lutte imposées sont celles qui garantissent le mieux le contrôle bureaucratique : la mobilisation générale comme coïncidence temporelle des luttes (lutter tous, partout dans la même journée), l’unité vue comme l’unité des sigles, même avec l’Action Catholique.

Le but est de susciter un mouvement d’opinion et un débat parlementaire qui mette en crise l’action du gouvernement et freine l’éventuelle involution vers la droite.

Le prolétariat se trouve devant un niveau supérieur de lutte : l’attaque contre les conditions d’exploitation générale dans la société.

L’adversaire n’est plus, si jamais celui semblait ainsi, le patron individuel, mais le système des patrons.

L’obstacle n’est plus le contrôle syndical des luttes, mais le système d’intégration complexe qui se présente sous l’aspect d’une nouvelle légalité (statut des travailleurs, etc.).

Les provocations répressives ne sont plus les griffes d’Agnelli et de Pirelli, mais un plan préétabli de la droite nationale et internationale.

C’est pourtant précisément par rapport à ce niveau de lutte supérieur que le moment spontané peut atteindre « la maturité d’un véritable mouvement révolutionnaire ».

C’est à la gauche prolétarienne, au noyaux d’avant-garde qu’elle a exprimés, de saisir la véritable dimension du conflit, de généraliser son contenu, de trouver dans la pratique la médiation capable de faire assumer à la lutte revendicative les traits de la lutte de classe.

La condition salariale, essence de la condition sociale

Nous arrivons donc au centre de nos problèmes, à savoir l’identification du contenu politique unificateur, capable de dénoncer l’exploitation telle qu’elle se manifeste tout au long de l’entière journée naturelle et pas seulement au moment fondamental de la journée de travail.

En ce sens devrait être repris l’indication stratégique de Marx : « Au lieu du mot d’ordre conservateur: « Un salaire équitable pour une journée de travail équitable », ils doivent inscrire sur leur drapeau le mot d’ordre révolutionnaire: « Abolition du salariat ». [Salaires, prix et profit] »

Il doit être repris en particulier parce que les conditions matérielles d’aujourd’hui existent pour sa réalisation. Dire que les conditions matérielles existent pour la disparition du travail salarié signifie:

1) que le niveau des forces productives matérielles est tel qu’il permet l’abolition, tandis que la structure politique et sociale (social-capitaliste-impérialiste) du système exige, pour sa propre survie, que les rapports de production restent tel qu’ils sont.

2) Que le niveau des forces productives réelles-révolutionnaires est en croissance progressive et exige, même si pour le moment sur un mode contradictoires et dispersé, que les rapports de production soient supprimés.

Le refus de la condition salariale (condition sociale et politique avant d’être économique), le refus de la contractualisation de cette condition, sont la base de notre discours révolutionnaire.

Une attaque mondiale contre la condition sociale est, en premier lieu, une attaque contre la structure politique des salaires et les mécanismes qui la lient tant à la productivité qu’à la consommation.

L’hypothèse sous-jacente est la suivante: l’élément objectif capable de définir le prolétariat à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine est la structure politique du salaire. La thèse selon laquelle le travailleur et le technicien sont le seulement dans l’usine et que hors d’elle ils deviennent des « citoyens ».

La socialisation des luttes se présente avec toute sa prégnance comme attaque contre l’organisation du travail et aux conditions salariales dans l’usine, à l’école et dans la société.

Même dans les luttes « sociales », l’autonomie prolétarienne trouve sur son chemin les tentations du syndicalisme ascendant, c’est-à-dire la proposition d’objectifs revendicatifs alternatifs à ceux mis en avant par le PCI et les syndicats. Tentations menant au désastre ; l’initiative ouvrière a déjà fait justice dans l’usine à cette fausse ligne politique, mais dans les luttes sociales, elle est à nouveau exposée avec ses pièges: des propositions démagogiques, humanitaires, mobilisatrices.

L’atteinte à la condition salariale se présente donc à l’autonomie prolétarienne comme contenu fondamental des luttes sociales, capable d’engager tous les contenus individuels de l’inconfort social, tous les moments individuels de l’exploitation globale.

L’atteinte à la structure politique des salaires dans sa double face salaire – productivité et salaire – consommation permet non seulement de lier l’exploitation dans l’usine à l’exploitation en dehors de l’usine, mais elle génère un processus de conscience qui, loin de s’arrêter à la contractualisation des problèmes individuels, met le prolétariat face à toute sa condition et impose le choix décisif : ou acceptation de l’exploitation ou rejet de la société capitaliste.

Afin de ne pas tomber dans une vision idéaliste, nous devons préciser que ce processus de conscience ne mûrit pas à travers des sermons, des débats, des discussions et des tracts, mais seulement à travers la lutte.

Le prolétariat, mobilisé pour résoudre ses problèmes dans l’usine, à l’école et dans la société, a la grande opportunité de prendre conscience que sa capacité à rejeter et à lutter n’est gagnante que si elle est générale, continue, organisée.

Cela signifie que l’autonomie est un enjeu que la classe ouvrière, les techniciens, les étudiants jouent dans ces années sur un mode peut-être définitif. Autrement dit, si nous ne sommes pas en mesure d’opérer le saut qualitatif allant de l’attaque aux conditions d’exploitation de la condition d’exploitation dans l’usine et dans l’école à l’attaque des conditions d’exploitation dans la société, dans la ville, nous marcherons à grands pas vers la cage que le capital a préparée.

Notre vrai problème n’est donc pas tant l’extension horizontale quantitative de la lutte (de la lutte d’usine pour un meilleur salaire à la lutte sociale pour la défense du salaire), mais un saut politique de la lutte, qui en même temps défend et étend le niveau d’autonomie durement conquis dans ces dernières années de lutte.

Étendre la lutte continue des centres productifs à la société, des manifestations de l’exploitation directe aux manifestations globales de l’exploitation, réaliser cette extension en en comprenant tous les termes, toutes les contraintes et tous les problèmes que la nouvelle aire sociale de la lutte pose à l’autonomie, est la condition pour que l’exigence exprimée par les luttes, l’exigence d’une organisation révolutionnaire, se traduisent en réalité opérante.

Paix sociale et répression

Il est de plus en plus souligné que le salaire est en premier lieu une variable politique : il rémunère, en fait, non seulement le travail humain dans sa forme immédiate ou « le temps de travail nécessaire », mais plutôt, à travers une série de médiations appropriées, une exigence essentielle du système: la paix sociale.

L’organisation d’un consensus de masse pour le système capitaliste est une exigence indispensable des patrons , et le syndicat, aujourd’hui plus que jamais, joue un rôle décisif dans cette direction.

La « paix sociale » est indispensable au système des patrons, outre que pour la raison évidente de préserver ainsi leur pouvoir, pour le niveau atteint par l’organisation technologique de la production, qui exige maintenant une programmation entrepreneuriale minutieuse du travail, pour le degré d’intégration des différents centres de production des entreprises multinationales (dont la programmation de la production est nécessairement rigide), pour les besoins du commerce extérieur dans un climat de forte compétitivité, etc.

La restructuration progressive du système capitaliste de production (concentration et centralisation monopolistique, haute intensité capitalistique, division internationale du travail) a comme présupposé fondamental une planification plus précise à long terme plus précise (2-5-10 ans), pour laquelle est indispensable que les variables en jeu soient le plus possible sous contrôle et prévisibles dans leurs changements.

La variable la plus difficile à contrôler et à prévoir est le comportement de la force de travail qui, dans les systèmes de production avancés, même si elle n’intervient plus en tant que composante principale de la production et du travail (transféré aux machines), reste toujours l’élément essentiel pour que les machines produisent.

Pour le système, donc, réaliser la « paix sociale » signifie en fait empêcher la « variable force de travail » ait à exprimer, par conséquent, un comportement politique autonome.

La paix sociale, des niveaux de consommation plus élevés, une croissance programmée du niveau salarial, ne sont pas des « victoires » du prolétariat, mais marquent le passage au cycle d’exploitation global (phase métropolitaine du développement du capital et phase de la dimension impérialiste-mondiale de l’exploitation).

Cette phase plus mûre de la capitale, qui se prépare avec le « bond technologique » de notre pays, a comme revers nécessaire le « bond répressif » qui, on le voit déjà, tend à fermer tout espace à l’action développée par l’autonomie ouvrière organisée.

Mais c’est précisément dans la comparaison-confrontation de la répression que le système rend plus évidentes les contradictions qui le lacèrent.

Aujourd’hui, deux formes de répression coexistent, qui jouent entre elles une macabre concurrence :

a) la répression de vieux type, punitive, fondée sur la violence ouverte, sur les charges policières, sur l’usage terroriste des escadres fascistes : elle est au service de la droite (de dla droite interne au pouvoir, solidement ancré dans les centres fondamentaux de la société et de l’État) et tend à directement impliquer les masses, dans une attaque qui affecte d’abord les noyaux autonomes, mais n’hésite pas à frapper les syndicats et les partis.

Ceux qui, d’ailleurs, sont victimes de leur propre logique parlementaire « pacifique », deviennent de plus en plus incapables de garantir aux masses au moins les garanties démocratiques formelles dont elles sont les plus fières.

Que 25 années depuis la libération, qu’après 25 années de « victoires » de la classe ouvrière (dont la dernière est la victoire contractuelle), soit encore possible une répression indiscriminée contre la classe ouvrière, confirme pleinement, s’il en était besoin, la non-consistance de la « voie italienne au socialisme ».

b) la répression active, légalitaire, technologiquement qualifiée. La pratique qui est la sienne est d’empêcher les actions réellement incisives du prolétariat, d’étouffer à sa naissance les initiatives au moyen des syndicats et du parti, et d’utiliser le bras armé seulement quand elles échouent dans leur démarche.

Même le bras armé de l’État bourgeois tend à assumer, lorsqu’il est contrôlé par la « gauche, des nouvelles caractéristiques et de nouvelles méthodes de travail : il tend à agir dans les limites de la loi en frappant les transgresseurs avec une combinaison de « gardiens de l’ordre » et système judiciaire.

Les applaudissements aux carabiniers lors des funérailles du policier Annarumma, mort lors des combats de Via Larga, sont la reconnaissance orchestrée d’une fonction des gardiens de l’ordre public et de la paix sociale, d’autres instruments organisant le consensus des masses populaires.

C’est la répression que le social-capitalisme tend à mettre en place.

Mais cette méthode entre en collision avec l’autre, plus grossière, provoquant des ruptures dans le système judiciaire, des forces d’ordre elles-mêmes, du maximum de législation de l’État.

La répression, et les organisations qui y sont préposées, n’apparaissent plus comme une fonction du système, et un de leur instrument, mais occupent une place centrale dans la vie politique italienne, constituant un moment organique.

Que l’actuelle vague de répression ait des caractéristiques complètement différentes des précédentes est admis par tous, même par les organisations révisionnistes.

Mais en quoi consiste cette diversité? Il nous semble que la répression actuelle est stratégique et non tactique.

Même la plus forte répression de l’après-guerre, celle liée au nom de [Mario] Scelba [ministre de l’intérieur de 1947 à 1955 élargissant et militarisant la police, instaurant des mesures violemment anti-communistes] n’était rien d’autre que l’instrument d’un système substantiellement solide pour défendre son équilibre interne de l’attaque de l’opposition.

La répression actuelle est plus directement liée à la contre-révolution mondiale, c’est-à-dire à la lutte armée du système capitaliste contre les mouvements de masse et les dangers d’une initiative révolutionnaire au niveau mondial.

Cela signifie que, bien que souvent se conserve le paravent de la démocratie parlementaire, le capital international a tendance à recourir à des formes dictatoriales de domination. Ainsi, la répression en Italie est objectivement une rupture de la légalité constitutionnelle même, promue par la droite qui passe à l’offensive.

Il s’agit en substance du déclenchement d’une guerre civile rampante, au cours de laquelle la lutte pour le pouvoir entre la « droite » et la « gauche » deviendra de plus en plus dure, même si elle tend à avoir lieu « sur la tête des masses », et avec la possibilité de compromis institutionnels (la république présidentielle, le gouvernement de l’ordre, les trêves syndicales ou politiques, etc.). C’est le dur terrain de lutte sur lequel que nous devrons nous mesurer.

Restriction de l’espace politique et ouverture de l’espace révolutionnaire

Les luttes sociales proposées par les syndicats et les partis révisionnistes partent de cette prémisse : que les masses présentent leurs problèmes devant l’opinion publique et le parlement, afin que les organisations de gauche puissent gérer la solution partielle et sectorielle. C’est la pratique réformiste classique.

Mais le développement de la répression déplace les termes du problème. Le processus d’unification du marché mondial, la coopération entre les États-Unis et l’URSS, l’attribution d’une fonction précise à l’espace européen, ont provoqué et aggraveront toujours plus la fracture radicale entre la droite et la gauche économico-politiques.

Il ne s’agit plus, pas même pour le mouvement ouvrier traditionnel, de faire face à des luttes particulières, justement des « luttes sociales », mais de faire face à une lutte globale, la lutte sociale.

C’est sur ce terrain que les médiations sont le moins possibles, la manipulation des masses le moins efficaces, que l’utopie social-capitaliste sociale révèle son caractère infondé.

La lutte sociale globale, qui, selon Marx, est la forme de la lutte propre au prolétariat, tend à se poser sur un mode toujours global, à se radicaliser : le terrain même sur lequel le PCI est le plus faible.

En fait, la stratégie togliattienne, qui aujourd’hui provient désormais avec cohérence de manière continue de la direction actuelle du PCI, a totalement exclu en tant que tel la globalité de l’affrontement (en acceptant comme donné le terrain de la démocratie bourgeoise) et sa radicalisation (conformément à la politique internationale de l’Union Soviétique).

L’appel à l’esprit de la Résistance est plus un signe de faiblesse réelle qu’une manœuvre pour l’usage et la consommation de l’opinion publique.

Il serait cependant absurde de ne pas tenir compte que les contradictions de classe passent par la violence au sein du mouvement ouvrier, et qu’au sein du PCI et du PSIUP, il existe de grandes forces prolétariennes disponibles pour faire face à la lutte sociale globale, c’est-à-dire révolutionnaire.

Cependant, il est également absurde de penser que le mouvement ouvrier traditionnel (c’est-à-dire une réalité historique avec son origine propre et avec un « destin » précis, si le matérialisme historique n’est pas une opinion) soit une sorte de réservoir vide à remplir avec différentes lignes politiques.

Le PCI n’a que deux alternatives : ou conclure la logique commencée en 1945 avec son insertion organique dans la gestion du pouvoir capitaliste, ou être balayé en tant qu’organisation politique dans une nouvelle situation historique, une lutte de classe dynamique qui rend impossible sa fonction d’ « exploiteur politique » de la classe ouvrière.

Les tâches des forces prolétariennes autonomes ne consistent pas à se poser en concurrence au PCI, dans la perspective d’une longue guerre de positions au cours de laquelle le « véritable » parti marxiste-léniniste devrait surgir, mais de lutter pour la fermeture de l’espace politique traditionnel coïncidant avec le l’ouverture de l’espace révolutionnaire.

Les résultats de l’automne chaud : le contrôle syndical des luttes contractuelles et le déclenchement d’une répression active, ne sont pas un accident à oublier le plus tôt possible, ni une défaite définitive qui justifierait le pire opportunisme, mais le point de départ d’un processus portant la gauche prolétarienne de la revendication générique (les revendications peuvent être de n’importe quel type, politique, économique, culturel, mais restent toujours internes au système) à la spécificité de la lutte révolutionnaire.

>Sommaire du dossier

CPM : Restructuration social-capitaliste et lutte de classe

[Deuxième partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]

2. Restructuration social-capitaliste et lutte de classe

Marx écrit dans Les luttes de classe en France de 1848 à 1850 : « A l’exception de quelques chapitres, chaque section importante des annales de la révolution de 1848 à 1849 porte le titre de : « « Défaite de la révolution ! »

Mais dans ces défaites, ce ne fut pas la révolution qui succomba. Ce furent les traditionnels appendices pré-révolutionnaires, résultats des rapports sociaux qui ne s’étaient pas encore aiguisés jusqu’à devenir des contradictions de classes violentes : personnes, illusions, idées, projets dont le parti révolutionnaire n’était pas dégagé avant la révolution de Février et dont il ne pouvait être affranchi par la victoire de Février, mais seulement par une suite de défaites.

En un mot : ce n’est point par ses conquêtes tragi-comiques directes que le progrès révolutionnaire s’est frayé la voie; au contraire, c’est seulement en faisant surgir une contre-révolution compacte, puissante, en se créant un adversaire et en le combattant que le parti de la subversion a pu enfin devenir un parti vraiment révolutionnaire. »

Syndicat et parti du front au mouvement autonome des masses

Le mouvement syndical s’est articulé – à partir de 1967, quand les premières luttes spontanées d’importance ont commencé – en trois moments:

– Au début, il y avait une tentative d’exploiter la nouvelle potentialité de lutte de la classe ouvrière afin de pouvoir obtenir une incidence organisationnelle majeure et un plus haut pouvoir contractuel. En général, les luttes spontanées ont été sous-estimées et attribuées aux déficiences syndicales locales.

C’est le moment où se tente l’intégration, au sein des syndicats et des partis, des éléments les plus « jeunes » et les plus combatifs.

– La seconde phase, caractérisée principalement par les grandes luttes chez Pirelli et à Porto Marghera, voit le syndicat s’engager dans une course derrière les comités de base, dans un positionnement purement défensif.

C’est le moment de la désorientation, où les militants syndicaux passent des tentations répressives aux fuites avant-gardistes et démagogiques. Dans les situations les plus arriérées, l’initiative autonome de la classe ouvrière et l’action syndicale se mélangent de manière ambiguë.

Par exemple, au cours de cette période, le groupe dirigeant FMI s’est consolidé au sein de la CISL, ce qui constitue un peu l’aile marchante pour une future récupération syndicale.

– C’est pendant la période contractuelle que les syndicats mettent tout leur poids organisationnel et politique dans la balance pour transformer une tactique défensive en une stratégie offensive.

Les éléments sur lesquels ils appuient sont essentiellement :

1) Unité syndicale : c’est la forme par laquelle l’unité à la base, le contenu essentiel du mouvement spontané des masses, est exploitée et combattue.

« C’est uni qu’on gagne » est un slogan qui interprète une profonde exigence de la classe ouvrière, mais en inversant le sens: l’unité se réalise à son point le plus bas, isolant les vraies avant-gardes, ciblant simultanément les illusions maximalistes des vieux militants du PCI et l’indifférence de la droite ouvrière.

Au nom de l’unité, la lutte est contrôlée et limitée, les manifestations extérieurs à l’usine sont affaiblis, souvent réduits à des processions vides, accusant les noyaux extra-syndicaux d’être « vendus » au patron, dénonçant toute action politiquement créative comme extrémiste.

2) La démocratie syndicale : c’est l’alternative arriérée, réformiste à la démocratie directe. De même que la démocratie directe est la forme qui assume l’autonomie ouvrière et qui tend à se transformer en démocratie révolutionnaire, la démocratie syndicale est la forme de contrôle, d’institutionnalisation et de cristallisation d’un pouvoir verticalisé et centralisé, l’étouffement de la démocratie ouvrière dans la spirale de la démocratie bourgeoise formelle.

Ce n’est pas par hasard qu’en même temps que le lancement des instruments de démocratie syndicale, les formes de répression les plus dures se développent contre les comités de base, les groupes extérieurs, les «Chinois ». Simultanément, la démocratie syndicale a alimenté l’illusion d’une utilisation ouvrière du syndicat.

La CGIL et la CISL se partagent les tâches : tandis que la première mène la ligne du « centralisme démocratique » qui semble la mise à jour de l’État corporatiste (une démocratie de type nouveau, dit [le haut responsable du PCI Pietro] Ingrao, qui se développe sur une ligne ininterrompue allant des délégués de chaîne jusqu’à la présidence de la république), la CISL récupère, dans ses points les plus avancés, les contenus autonomistes et anarcho-syndicaliste.

3) La socialisation des luttes : c’est la transposition de la tension ouvrière de l’intérieur des usines à l’environnement social, où l’autonomie et la démocratie directe semblent se trouver privées des outils adéquats.

Mais c’est aussi, et surtout, l’abandon d’un rôle radicalement nouveau du syndicat. Au-delà de la signification contingente de ces « luttes sociales », on suppose la construction d’une organisation de masse unitaire de la classe ouvrière (et encore « syndicale »). C’est une hypothèse qui donnerait un sens politique stratégique à cette réunification des gauches mise en avant par [le haut responsable du PCI Giorgio] Amendola et la droite du PCI.

Mais le terrain même de la socialisation peut être miné et très dangereux pour le projet politique, encore délimité de manière incertaine dans ses moments tactiques, de la classe réformiste au pouvoir. Parce que sa mise en œuvre entraîne une transformation radicale de toute la structure socio-politique italienne, provoquant ainsi des conflits de plus en plus vifs entre les forces (syndicat – partis – patronat – bureaucratie entrepreneuriale) qui sont impliquées.

C’est ainsi qu’apparaît superficiel le pessimisme de ces groupes extraparlementaires, qui il y a quelques mois à peine apparaissaient si optimistes quant à la fonction « révolutionnaire » des luttes contractuelles.

Les mots d’ordre triomphalistes sur la classe ouvrière qui devrait « balayer » les syndicats pour « attaquer jusqu’au bout » le système des patrons et donc « faire la révolution en 80 jours », se sont transformés – précisément à cause de l’incohérence de l’hypothèse et de la pratique de ces groupes – en une reddition politique imdans un rendement politique plein de démotivation.

Que le syndicat se soit renforcé numériquement, que la logique contractuelle a nécessairement abouti à la gestion syndicale du contrat, que le poids organisationnel des syndicats a bloqué l’initiative des Comités Unitaires de Base, des groupes d’étude et des groupes externes ne signifie pas que la lutte des classes ait reflué, mais seulement qu’elle a assumé et tendra toujours plus à assumer de nouvelles formes d’expression.

C’est justement au cours des contrats que les syndicats ont été soumis à des contradictions irréconciliables dans une logique interne: la contradiction entre la mobilisation de la droite ouvrière et la tentative de récupération de la gauche, entre la prétendue délimitation revendicative de la lutte et la proclamation de sa signification politique, entre la manipulation de la démocratie ouvrière et son véritable élan subversif, entre la nécessité de garantir au patronat des périodes de trêve syndicale et la « conquête » de la négociation articulée, etc.

Les contradictions conflictuels, entre les forces qui régissent le système, et les contradictions antagoniques, constituent aujourd’hui, dans le monde du travail, un enchevêtrement, la tâche de la gauche ouvrière organisée étant de le faire exploser.

Au cours des luttes contractuelles, le PCI a gardé le silence, se limitant à appuyer l’initiative syndicale, fournissant avec ses militants une aide massive à la répression dans l’usine, qualifiant l’Unità [l’organe du PCI] de journal syndical, se faisant porteur, dans les situations concrètes, d’une attitude substantiellement modérée.

Cette ligne a provoqué une certaine controverse à l’intérieur, surtout parmi les cadres intermédiaires et les dirigeants locaux, craignant que la prédominance des syndicats et des syndicalistes ait vidé la fonction du Parti et de son appareil.

À la base, le discours unifié rencontra la résistance amère des vieux staliniens, incompatible avec la collaboration avec les « traîtres » d’hier. Mais en cette période de faible initiative externe du parti, elle a consolidé l’unité interne en vue du cycle des luttes politiques qui l’attendent en vue de la nouvelle majorité et de l’opération complexe qui la sous-tend.

L’occasion a été principalement offerte par le débat sur la question du Manifesto, qui a eu lieu à tous les niveaux et dans toutes les instances. Ainsi, le groupe hégémonique du PCI a défini sa stratégie qui, si elle exclut la participation gouvernementale à court terme, pose la question d’une nouvelle majorité dans le cadre d’une restructuration du système qui devrait éviter des mésaventures comme celle qui arrive aux socialistes.

Le PCI est indisponible, c’est-à-dire indisponible pour une opération purement parlementaire mais déclare, dans cette position quasi unanime de manière interne, sa pleine disponibilité à un changement de régime qui devrait remplir certaines des exigences historiques du mouvement ouvrier italien et qui pourrait permettre au capital avancé de rapidement s’insérer dans le nouveau cadre économique international.

Se prépare ainsi le bloc entre exploitation économique et exploitation politique de la classe ouvrière, à l’intérieur d’un système qui, pour souligner les différences par rapport aux précédentes expériences social-démocrates classiques, pourrait être défini comme le social-capitalisme.

L’Italie et l’aire européenne

Ce serait une grave erreur de considérer les éléments fondamentaux de la stratégie syndicale: l’unité, la démocratie syndicale, la socialisation, comme de simples outils répressifs et défensifs.

Le mouvement spontané des masses qui monte impétueusement en puissance dans la zone européenne ces deux dernières années a forcé le système à accélérer le processus de restructuration économique, politique et culturelle que les parties les plus avisées du capitalisme international ont depuis longtemps jugé nécessaire et fonctionnel au développement des structures productives.

Comprendre les dimensions, la portée historique, les lignes de développement, et surtout les contradictions que ce processus est destiné à susciter, signifie sortir du remâchage générique des analyses « historiques » du mouvement ouvrier et de l’angoisse des évaluations strictement « nationales ».

La «symétrie sociale» de [Willy] Brandt [le chancelier allemand], la « société entreprise »» de [Woodrow] Wilson, les propositions gaullistes de gestion sociale et la « voie italienne au socialisme » de [Luigi] Longo sont les formes spécifiques et nationales de la restructuration générale de l’espace économico-politique européen.

Pour cela, sont appelés à collaborer les forces politiques hétérogènes qui, dans la lutte contre les mouvements de masse spontanés, ont proprement découvert de bout en bout l’affinité de leurs intérêts et la nécessité et la possibilité de converger pour un temps limité.

La partie la plus avancée du capital international et les organisations du mouvement ouvrier ont entamé un processus d’alliance objective qui a comme fait émergé une nouvelle assisse structurelle de la société et de l’État.

Un processus qui se développe à travers des contradictions sérieuses, qui déforment verticalement le corps social tout entier et qui tend à créer des tensions – pensez à toute « l’affaire » de la bombe de place Fontana [attentat fasciste faisant 16 morts et 88 blessés] – qui peut amener la société au bord de la guerre civile, et peut-être au-delà.

Ainsi un processus – imposé au capital par les lois objectives mêmes de son développement – visant à garantir la paix sociale par l’utilisation sociale des salaires et l’institutionnalisation de la lutte des classes tend à se renverser dialectiquement en son contraire : dans la crise des structures politiques de l’État, Énoncer, dans le déséquilibre des institutions, dans la conflictualité interne la plus radicale du haut jusqu’à la base du système.

Assumer aujourd’hui l’espace politique européen comme un espace politique unitaire ne signifie pas faire une abstraction idéologique, mais reconnaître la réalité d’une situation tendanciellement homogène, tant sur le plan du développement des forces productives que sur le plan général de la société politique.

Il y a, indubitablement, quelques différences importantes, mais elles semblent plutôt correspondre à différents stades de développement qu’à des lignes de tendance divergentes.

Sont connus les principes de la politique étrangère régissant l’administration Nixon : à la bipolarité militaire (États-Unis, URSS) correspond à la multipolarité politique, par laquelle relève de l’Europe de l’Ouest la gestion des rapports économiques et politiques avec l’Europe de l’Est et certains des pays africains.

Cela devrait permettre aux États-Unis et à l’Union soviétique d’établir une relation de coopération afin de garantir « l’ordre international ».

Ce qu’on entend par ordre international en ce sens est bien connu : unification du marché mondial, division contrôlée des zones d’exploitation, blocage de la tension révolutionnaire, programmation de la répression.

Dans le contexte de cette sainte-alliance États-Unis-URSS et de ses fonctions en Europe, quel est le poste confié à l’Italie?

Les dernières années ont accru la force politique du parti communiste : la mise en place de l’unité syndicale, la pression de l’autonomie ouvrière, la flexibilité tactique du parti, son enracinement dans les centres de pouvoir fondamentaux comme les autorités locales, la faiblesse de la classe politique directement liée à la bourgeoisie, le retard structurel même de l’Italie par rapport aux exigences du capitalisme avancé, posent de manière objective l’exigence d’une « nouvelle majorité » axée (avec participation directe ou l’appui extérieur diversement configuré) sur le PCI.

Cela pourrait servir de banc d’essai pour une coopération plus étroite entre les États-Unis et l’URSS, une expérience qui aurait beaucoup plus d’importance que la coopération finlandaise et qui contribuerait de manière décisive à la mise en œuvre du projet politique décrit ci-dessus.

Une fonction analogue, mais dans un mode et une époque différentes, peut avoir le rapprochement entre la République Fédérale Allemande et la République Démocratique Allemande, entre [le chancelier ouest-allemand Willy] Brandt et [le dirigeant est-allemand Walter] Ulbricht.

Mais c’est en Italie que les contradictions semblent exploser avec le plus de violence. L’effondrement de la droite politico-économique (de Costa au PSU) et de la gauche (d’Agnelli à Longo), ou plutôt aux tendances dont ils sont les représents, parce qu’il est clair que les camps sont loin d’être définis et irréversibles, étant violent et tendant à se radicaliser de plus en plus.

Une petite idée de la dureté de l’affrontement ont été les événements liés à la mort du policier Annarumma [mort parallèlement à une manifestation étudiante] dans la Via Larga et le déclenchement de la bombe à la Piazza Fontana. Les coups ne sont pas épargnés.

La vieille droite se déplace pour les funérailles des flics, tendant à créer un climat de lynchage des « extrémistes», mais visant principalement le Parti Communiste. La bombe a explosé et une incroyable chasse à l’homme a été faite, tandis qu’on reparler d’un coup d’État. Le PCI et ses alliés ont recours à un haut « esprit de la Résistance ».

Les voix partant du président de la république (article de l’Observer) commencent par des dénégations indignées, la même enquête sur l’attaque semble montrer l’incertitude, les fractures et les contradictions qui passent à l’intérieur des institutions étatiques.

Viennent ensuite les dénonciations des grévistes et des syndicalistes, qui à part leur aspect « spectaculaire », révèlent les tensions existantes et menacent de créer des tensions encore plus graves.

Ce sont les formes d’une guerre civile latente, implicite ; ce sont les aspects initiaux d’une période politique qui sera caractérisée, pas besoin d’être un prophète pour le prédire, d’un combat qui va investir l’ensemble de l’Europe, mais principalement l’Italie, entre une ligne de droite qui est inspirée des méthodes de la droite internationale (du coup des colonels grecs aux attentats contre Kennedy, aux solutions juridiques autoritaires) et une ligne « de gauche » engagée dans la restructuration social-capitaliste de la société.

Caractéristiques essentiels du projet social-capitaliste

Cette nouvelle phase de l’organisation sociale capitaliste tend à créer une vieille utopie de la bourgeoisie: la capacité de planifier le travail de la main-d’œuvre à l’intérieur et à l’extérieur de l’usine au moment de la production, de la consommation et de toutes les expressions de la vie sociale et les relations humaines.

Dans la phase actuelle du développement capitaliste, l’ancienne combinaison de réforme et de répression, composée au sein de la démocratie formelle bourgeoise, ne suffit plus.

Cette nouvelle phase de l’organisation sociale capitaliste tend à réaliser une vieille utopie de la bourgeoisie : la possibilité de planifier le comportement des prolétaires tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’usine, au moment de la production comme dans celui de la consommation et dans toutes les expressions de la vie sociale et des rapports humains.

Dans la phase actuelle de développement, la vieille combinaison de réforme et de répression, composée à l’intérieur de la démocratie formelle bourgeoise, ne suffit plus.

La centralisation du pouvoir nécessaire à la gestion du capitalisme avancé réduit toujours davantage les espaces de pouvoir réel à « concéder » aux cadres dirigeants subordonnés, le dynamisme vertical élimine les couches intermédiaires et le choc de classe tend à se produire sur un mode net et radical entre une bourgeoisie qui a épuisé toute possibilité d’expression sociale globale (c’est-à-dire ne plus plus se présenter comme « porteuse » des idéaux démocratiques, nationaux, de valeurs éthiques ou culturelles) et un prolétariat urbain qui s’étend à la majorité de la population active.

Sur ce point il est nécessaire pour le système que la contestation sociale soit organisée et canalisée, préparant une solution qui sauvegarde les présupposés non renonciables de la société de l’exploitation et accueille en même temps les exigences populaires de mutation du cadre institutionnel général.

Cela signifie d’un côté la reconnaissance ouverte de la dynamique de classe, et de l’autre l’institutionnalisation de la lutte de classe, la réduction des intérêts antagoniques dans le cadre d’une logique de conflictualité interne.

Le conflit est ensuite mené selon des règles précises (réglementation des grève, des manifestations, tolérance envers la contestation et à la dissidence) pour maintenir le conflit de classe dans les canaux de la contractualisation du prix économique, politique et culturel de la force de travail.

Au réformisme passif mis en place pour atténuer les contradictions lorsqu’elles se sont déjà transformés en lutte sociale, se substitut un réformisme actif qui favorise les luttes, sollicitant le développement en contrôlant son résultat.

Le réformisme ne se pose plus comme un résultat des luttes (plus ou moins possibles), mais en est la condition même.

Cela signifie que les luttes doivent avoir lieu (et ont déjà été partiellement réalisées pendant les luttes contractuelles) sur une scène [de théâtre] fixe avec des parties et des protagonistes fixes.

Cette restructuration globale de l’agencement sociopolitique capitaliste, qui a comme agent la dynamique contrôlable du réformisme actif, se manifeste comme une extension artificielle des limites de la « légalité » bourgeoise, jusqu’à la récupération formelle des instances produites par l’autonomie ouvrière.

En ce sens, le projet social-capitaliste coïncide avec la stratégie « révolutionnaire » du PCI : l’extension progressive des limites de la légalité jusqu’à l’imposition d’une utilisation sociale des structures capitalistes.

Alors le parti et le syndicat se préparent à mettre en place une série de luttes au niveau social, réformiste dans le contenu, radical dans la forme : lutte pour une politique des transports publics (nous ne payons pas le ticket sur le tram), lutter pour restructurer le système de sécurité sociale(nous ne payons pas le médecin) ou encore la grève des loyers pour obtenir le juste prix.

Il apparaît comme évident que de telles luttes, plutôt que d’affecter la substance des conditions d’exploitation des masses travailleuses, tendent à rendre adéquate la société du capitalisme tardif au développement des forces productives et à insérer de plus en plus les masses dans l’aire du consensus.

Le système peut en fait tranquillement décider aujourd’hui que le transport et l’assistance médicale soient gratuits, établir des prix équitables pour le logement ou pas d’inflation pour les prix : c’est le prix qui doit être payé pour garantir la paix sociale.

Ce qui ne peut absolument pas être toléré, c’est que la forme de la lutte se transforme en contenu (que l’attaque « violente » contre les briseurs de grève se transforme en attaque violente à la structure du pouvoir), car à ce stade, ce serait… la révolution.

L’attaque contre le réformisme est aujourd’hui la seule condition pour la défense et le développement de l’autonomie prolétarienne : quand le réformisme devient l’instrument principal (à côté de la répression) pour bloquer le développement de l’autonomie prolétarienne, cesse alors toute justification pour une stratégie tactiquement « réformiste ».

C’est ce que n’ont pas encore compris beaucoup de gens qui continuent à cultiver l’entrisme syndical (surtout dans la FIM-CISL, aile contestatrice des syndicats) mais aussi une partie de [l’organisation étudiante] Movimento Studentesco, qui derrière un langage marxiste-léniniste-maoïste cache une tendance opportuniste qui doit être combattue de la manière la plus radicale.

Ce qui assure au capitalisme la survivance de sa substance est, d’une part, une organisation plus capillaire du consensus, d’une part la centralisation du pouvoir qui s’exprime principalement par la répression globale.

Les vieilles formes d’organisation du consensus, de la publicité aux instruments de communication de masse, ne sont en soi plus suffisant plus pour un tel contrôle capillaire et direct de ce qui est requis par la phase capitaliste actuelle.

La centralisation extrême du pouvoir (pour laquelle la grande majorité des gens sont aliénés de toute possibilité réelle de décider de la vie individuelle et publique) risque d’isoler les gestionnaires et de créer un abîme que seule la révolution pourrait combler.

L’organisation du consensus doit donc résoudre ce problème, acquérant toujours davantage un caractère dynamique.

Il ne s’agit plus seulement d’assurer un consensus ou une acceptation passive à l’égard de l’organisation sociale existante, mais d’utiliser les instances de base pour mettre en œuvre les « réformes structurelles profondes » qui trouvent consentants et objectivement alliés le Parti Communiste, les syndicats, les classes entrepreneuriales progressistes, le capital financier international « avancé ».

Les objectifs fondamentaux sont de créer une fracture profonde entre le contenu politique propre à l’autonomie prolétarienne et le faux mirage de la société du bien-être, d’empêcher que la démocratie directe se développe vers des formes de démocratie révolutionnaire, en la manipulant dans des structures de démocratie formelle, de réaliser une alliance structurelle entre exploitation économique et exploitation politique, entre capital et réformisme.

La tendance est donc vers une société totalitaire où la centralisation du pouvoir, l’organisation du consensus, la rébellion institutionnalisée, la légalité répressive se combinent parfaitement en tant que parties d’une mosaïque.

Mais, comme on l’a déjà dit, il ne s’agit que d’une utopie grotesque.

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CPM : Le mouvement spontané des masses et l’autonomie prolétaire

[Première partie de Lutte sociale et organisation dans la métropole, 1970.]

La fin des luttes contractuelles, la crise du mouvement étudiant, le déchaînement de la répression ont provoqué le relâchement, la confusion, la fuite en avant ou le retrait. C’est la conséquence du refus de regarder en face la réalité, d’échapper à la fois à la stérilité d’un activisme de plus en plus contradictoire avec les objectifs qu’on se propose, et à la sclérose idéologique qui persiste à chercher (dans le passé ou dans des situations très différentes des nôtres) des schémas d’action que nous devons dériver de la réalité qui se trouve sous notre nez.

La discussion qui s’est développée au sein du Collectif politique métropolitain, qui est résumée ici dans ses lignes essentielles, avait comme thème central le problème de l’organisation dans la métropole.

Il semble clair maintenant que les diatribes théoriques et les initiatives pratiques sont mesurées dans les formes d’organisation et de lutte organisée qu’elles sont en mesure de produire. D’un autre côté, le soi-disant « problème de l’organisation » devient un jeu de formulation s’il ne repose pas sur l’évaluation du présent, de ses développements probables, des forces en jeu, des tâches auxquelles nous devons faire face.

Ce document représente le bilan d’une expérience politique concrète et la projection d’un travail futur. Nous avons jugé opportun de l’imprimer et de le diffuser en tant que contribution à un débat plus général désormais imposé aux forces de la gauche extraparlementaire italienne et européenne, et en tant que définition de notre position politique.

1. Le mouvement spontané des masses et l’autonomie prolétaire

Les données historiques concrètes à partir desquelles il faut partir sont les mouvements spontanés des masses qui se sont développés depuis 1968 en Europe, au cœur même de la capitale capitaliste entourée de l’immense «périphérie» de l’Afrique, de l’Asie et de l’Amérique latine.

Produit par le développement des forces productives matérielles, le mouvement exprime, sous une forme encore embryonnaire et partielle (spontanée, précisément), une contradiction antagoniste avec le système général d’exploitation économique, politique et culturelle.

Les données historiques concrètes à partir desquelles il faut partir, c’est le mouvement spontané des masses qui s’est développé depuis 1968 en Europe, au cœur même de la métropole du capitalisme tardif entourée de l’immense « périphérie » africaine, asiatique et latino-américaine.

Produit par le développement des forces productives matérielles, le mouvement exprime, sous une forme encore embryonnaire et partielle (spontanée, précisément), une contradiction antagoniste avec le système général d’exploitation économique, politique et culturelle.

Sa base sociale se compose principalement de la nouvelle main-d’œuvre: la classe ouvrière « jeune », les techniciens, les étudiants : le prolétariat européen moderne.

Les points culminants de son développement : les luttes étudiantes de 1968, le Mai français, les luttes ouvrières « sauvages » de Pirelli, Renault, Hoesch, FIAT, les luttes de techniciens, des chercheurs, des opérateurs culturels, etc.

Ses premières formes d’organisation: comités de base, groupes d’étude, comités d’action, mouvements étudiants, etc.

Coincées entre l’organisation capitaliste du travail et les organisations traditionnelles du mouvement ouvrier, entre les mythes de la société du bien-être et les idéologies rigides des appareils bureaucratiques, le mouvement connaît des moments explosifs où tout semble possible et des moments de reflux, où il semble disparaître.

C’est dans ce cadre général que s’insère notre lutte. De l’analyse de cette réalité historique, de la compréhension de ses raisons les plus profondes, on peut former une trace qui guide l’action future. C’est de l’insertion organique, interne, dans le mouvement que dérive la possibilité d’une initiative politique réelle.

Mouvement de masse et autonomie prolétaire

Les luttes de masse de 1968 et 1969 constituent un phénomène historique complexe qui, en tant que tel, ne se présente pas enveloppé d’une « pureté idéologique » qui plaît tant aux révolutionnaires de la bibliothèque.

Exprimant le niveau actuel de contradiction dans la zone capitaliste européenne, le mouvement de masse présente des caractéristiques contradictoires qui ne peuvent pas être enfermées dans une formule préfabriquée.

D’autre part, malgré l’absence de paramètres d’interprétation purs et parfaits, nous ne pouvons pas renoncer à discriminer, au sein de ces luttes, ce qui appartient au passé et ce qui tend vers le futur, ce qui est vivant de ce qui est mort.

En un mot: nous ne pouvons pas renoncer à distinguer les éléments faibles, velléitaires, facilement récupérables, des éléments qui tendent à se développer en direction de la lutte révolutionnaire.

Nous voyons dans l’autonomie prolétarienne le contenu unificateur des luttes des étudiants, des ouvriers et des techniciens qui ont permis le saut qualitatif de 1968-1969.

L’autonomie n’est pas un fantôme ou une formule vide à laquelle les nostalgiques des combats passés s’accrochent face à la contre-offensive du système aujourd’hui.

L’autonomie est le mouvement de libération du prolétariat de l’hégémonie générale de la bourgeoisie et coïncide avec le processus révolutionnaire.

En ce sens, l’autonomie n’est certainement pas une nouveauté, une invention de la dernière heure, mais une catégorie politique du marxisme révolutionnaire, à la lumière de laquelle on peut évaluer la consistance et la direction d’un mouvement de masse.

Autonomie par rapport à : les institutions politiques bourgeoises (Etat, partis, syndicats, instituts juridiques, etc.), les institutions économiques (tout l’appareil productif-distributif capitaliste), les institutions culturelles (l’idéologie dominante dans toutes ses articulations), les institutions normatives (les coutumes, la « morale » bourgeoise).

Autonomie pour: la réduction du système mondial d’exploitation et la construction d’une organisation sociale alternative.

Ce processus, bien sûr, n’apparaît pas sans ambiguïté, en même temps et avec la même intensité, mais est un processus qui se développe dans un temps historique déterminé et qui, sur un plan stratégique, peut connaître de sérieuses défaites tactiques.

Des manifestations d’autonomie furent, par exemple, les luttes de la social-démocratie allemande dans la seconde moitié du siècle dernier, l’action bolchevique dans la Russie révolutionnaire, la formation de partis communistes en Europe après la Première Guerre mondiale, la longue marche de la révolution chinoise, etc.

Et pour se rapprocher de nous, l’autonomie prolétarienne a pu s’exprimer, bien qu’épisodiquement, à différents moments de l’après-guerre : pour ne citer que la réaction populaire à l’attaque contree Togliatti et les manifestations de révolte contre le gouvernement Tambroni.

Il n’est même pas nouveau que le principal obstacle au développement de l’autonomie soit constitué par les organisations « traditionnelles » du mouvement ouvrier et par toutes les tendances opportunistes.

La lutte de Marx contre le « socialisme bourgeois », des bolcheviks contre les menchéviks, la révolution culturelle chinoise elle-même en sont les exemples historiques les plus flagrants.

Cependant, une fois explicitée ces éléments de continuité historique, il est nécessaire de se mesurer avec le présent, puis selon cela de définir son propre comportement politique.

Il est donc nécessaire de traiter des luttes de masse de 1968 et 1969 et comment s’est manifestée alors l’autonomie prolétarienne, dans cette période.

Les luttes de masse 1968-1969

Bien que de manière diverses dans ses modes et contradictoires dans ses contenus, les luttesd de masse qui se sont développés en Europe ces deux dernières années doivent être considérées comme un phénomène global, expression d’une réalité substantiellement homogène.

Le mouvement a commencé avec les luttes des étudiants, des luttes qui avaient une double fonction:

– elles ont réactivé au niveau de masse le mouvement autonome du prolétariat, démontrant pratiquement que le système d’exploitation économico-politique tout entier n’est plus en mesure de contenir et canaliser institutionnellement les contradictions produites par celui-ci.

Ce phénomène fait partie d’une rupture plus générale de l’équilibre mondial économico-politique, caractérisé par les luttes révolutionnaires du Tiers-Monde et le démasquage du révisionnisme ;

– elles ont démontré comment la physionomie du prolétariat a profondément changé au cours des dernières décennies.

Le mouvement étudiant n’a pas eu la fonction d’un « détonateur », d’un facilitateur, d’un précurseur et d’un allié de la classe ouvrière, mais il s’est révélé être un élément dynamique dans le processus de formation du prolétariat moderne dans le régime capitaliste tardif.

Les révisionnistes et leurs épigones ont tenté d’isoler le mouvement des étudiants dans l’aire de la contestation (et donc comme phénomène superstructurel) et de souligner le caractère d’« allié » de la classe ouvrière (représentée naturellement par les partis « historiques » et les syndicats), ce qui démontre seulement comment la lutte théorique contre les manipulations idéologiques constitue un front de lutte pour le mouvement autonome.

Cette partie du mouvement étudiant – et surtout les incrustations bureaucratiques et dirigistes qui se sont formées en son sein – continuent à se concevoir comme « classe moyenne », ce qui signifie seulement que la conscience de classe peut et doit se développer à travers une lutte acharnée entre le droite et la gauche du mouvement.

Les contenus généralisables (non spécifique ou épisodique) du mouvement étudiant : refus des aspects purement revendicatifs des luttes, redécouverte des méthodes illégales et violentes de lutte, dépassement des organisations traditionnelles, se sont étendus aux luttes ouvrières par le travail subjectif organisé organisé de groupes d’étudiants et d’ouvriers.

Il est inutile de rappeler les grandes luttes ouvrières qui eurent lieu dans toute la zone européenne au cours des années 1968 et 1969. Il s’agit plutôt de comprendre en quoi elles avaient quelque chose de nouveau, en quoi elles sortaient du conflit institutionnalisé et avaient tendance à être en antagonisme avec le système.

Le point de départ est la dénonciation des conditions de l’usine, généralement attaqué en termes de rejet.

La classe ouvrière se rend compte que l’exploitation de la journée de travail à l’usine n’est qu’un moment de l’exploitation plus générale à laquelle les travailleurs sont soumis.

Conscience qui se traduit pratiquement en ces termes:

– la nécessité de lier les aspects économiques et politiques de la lutte, en affirmant la priorité des seconds sur les premiers.

C’est le résultat d’une tendance objective du capitalisme tardif, dans lequel les aspects économiques et politiques sont non seulement interdépendants (constatation qui est à la base de la méthode marxiste) mais tendent à s’identifier.

Les choix du capital sont immédiatement économico-politiques à tous les niveaux, depuis ceux de la programmation nationale et internationale, jusqu’à ceux des unités de production individuelles.

La classe ouvrière italienne, du reste, a pleinement exploité cette expérience au cours des vingt dernières années, en réalisant que toute « victoire » économique s’est transformée en défaite politique, ce qui a permis au capital de récupérer ce qui avait été « accordé » et d’intensifier l’exploitation.

Au nom de la « reconstruction nationale » de mémoire togliattienne, la classe ouvrière avait renoncé à son pouvoir à l’usine, conquise pendant la résistance, devant ainsi subir la répression de ses avant-gardes.

Après cela, un syndicat affaibli et un parti évincé ont dû accepter les dures conditions du patronat. La tentative de briser cette mécanique est à la base des luttes autonomes au cours de ces deux dernières années;

– capacité à l’autogestion de la lutte. Les organismes de base n’émergent pas en concurrence avec les syndicats mais en tant qu’expression organisationnelle de nouveaux contenus, rejetant le rôle de médiation assumé par les organisations traditionnelles et se posant à la fois comme instrument et expression de la lutte.

Leur travail a contribué au formidable développement dans la classe ouvrière de l’exigence de l’autonomie, de démocratie directe, d’une lutte continue et globale qui attaque l’exploitation continue.

Comprendre, comme nous l’avons compris, que les comités de base et les groupes d’étude sont insuffisants pour aborder la dimension actuelle de la lutte et qu’un saut de qualité est nécessaire, ne signifie pas… faire deux pas en arrière, niant le contenu même des luttes autonomes.

C’est afin de développer ces contenus qu’apparaît comme nécessaire le saut politico-organisationnel.

Remarque. Face à la « récupération » syndicale et à la crise des organismes de base, certains « révolutionnaires » qui se disent marxistes-léninistes (sans ironie !) se sont empressés de se prosterner devant les syndicats et le PCI, reconnus comme étant actuellement les uniques organisations.

Naturellement, en attendant que tombe du ciel le vrai parti marxiste-léniniste, lequel va lui-même vaincre les révisionnistes et faire la révolution. Peut servir sur ce point une citation de Lénine :

« En réalité, la rapidité particulière et le caractère particulièrement odieux du développement de l’opportunisme ne sont nullement une garantie de sa victoire durable, de même que le prompt développement d’une tumeur maligne dans un organisme sain ne peut qu’accélérer la maturation et l’élimination de l’abcès et la guérison de l’organisme.

Les gens les plus dangereux à cet égard sont ceux qui ne veulent pas comprendre que, si elle n’est pas indissolublement liée à la lutte contre l’opportunisme, la lutte contre l’impérialisme est une phrase creuse et mensongère. » [L’impérialisme, stade suprême du capitalisme]

Les luttes des techniciens constituent, d’un certain point de vue, le phénomène le plus récent dans cette phase de luttes.

Ils ont contribué à rendre les caractéristiques de la métropole politiquement évidentes, qui tendent à « se modeler » sur le schéma de fonctionnement et de pouvoir des entreprises de haute technologie.

Plus précisément, ces luttes ont montré que l’automatisation des fonctions, c’est-à-dire le morcellement et la canonisation dans des schémas « scientifiques et rationnels », a déterminé la fin de la distinction entre travail manuel et intellectuel, et leur remplacement par une seule chaîne dans lequel il est impossible de distinguer les tâches manuelles des tâches intellectuelles.

En ce sens, il faut comprendre l’affirmation qui se produit souvent pendant les luttes des techniciens : le technicien travaillant dans une structure d’entreprise moderne n’est rien de plus qu’un ouvrier placé dans une entreprise de haute technologie.

Mais justement dans les luttes des techniciens se manifestent l’impuissance et la platitude du mouvement ouvrier « traditionnel ». En fait, à part la mode d’un moment et la sur-appréciation verbale des « luttes des techniciens », et l’abus du terme « prolétarisation », presque personne, ni les syndicats ni les partis, ni, sauf exception, le mouvement étudiant, n’a été en mesure d’établir une relation politiquement fondée avec les noyaux actifs (groupes d’étude, etc.) qui expriment le plus haut niveau de conscience et d’engagement de cette partie fondamentale du prolétariat moderne.

La référence à la catégorie décrépite des «classes moyennes» et le concept même de prolétarisation qui présume de manière statistiquement déterminée la physionomie du prolétariat (confondus avec la catégorie sociologique des ouvriers) empêchent également la détection théorique du problème.

Mais c’est sur le plan pratique que se cache l’idiotie.

L’impossibilité d’accepter l’originalité particulière des comités de base, et donc de réellement comprendre les racines socio-économiques du mouvement spontané des masses, pourrait apparemment être dépassée dans les rapports avec les noyaux ouvriers, tirant parti de l’inertie de la tradition.

Mais cela était impossible pour les groupes d’étude et les comités techniques : la nouveauté du phénomène, ses caractéristiques expérimentales, ses caractéristiques politiques fondamentales (crise de confiance dans le mécanisme de la délégation, unité immédiate des objectifs politiques et économiques, opposition générale au système) a empêché la récupération parasitaire ou l’instrumentalisation.

Et, d’un autre côté, tout travail politique qui, en Europe, empêche le mouvement des techniciens, se place automatiquement à la périphérie politique de la métropole.

Inversement, affronter de manière correcte le dépassement de la phase spontanée de l’autonomie prolétarienne et de ses composantes : ouvriers, étudiants, techniciens, signifie se placer au niveau réel des problèmes de l’initiative révolutionnaire métropolitaine.

La gauche italienne et les luttes de 1968-1969

Ceux qui veulent se lier aux luttes ou considérer leur expression doivent aujourd’hui être capables de saisir dans son ensemble ce qu’implique la manifestation de l’autonomie, du niveau le plus apparent aux significations les plus profondes et aux conséquences à long terme.

Cependant, les groupes de la gauche italienne issus des luttes récentes n’exploitent que des aspects partiels, limitant ainsi gravement l’efficacité de leur action.

Une première approche, élémentaire mais immédiate, d’être présent dans les luttes, réside dans le fait de courir après les explosions de lutte partout où elles apparaissent (universités, [la ville de] Battipaglia, Fiat, Pirelli, secteurs techniques, secteur bancaire, etc.), avec un seul but: produire une « radicalisation » de la lutte à travers l’exaltation des formes dans lesquelles elle se manifeste; les contenus de la lutte sont laissés en arrière-plan.

Cette pratique politique est basée sur la thèse spontanéiste que la lutte de classe n’est possible qu’en créant des luttes de masse, quels que soient les objectifs, à condition que de telles luttes soient menées sur un mode violent.

Une fois le mouvement généralisé, il sera possible de lui donner une dimension politique révolutionnaire et organisée. Dans une telle démarche, on fait précéder la lutte à l’action politique, la fracture entre elles se maintient, réitérant la vieille distinction entre lutte économiques et lutte politique.

Une seconde approche, plus politique et judicieuse, voit les formes de la lutte comme conditions de la lutte des classes, mais elle indique comme condition non moins importante les objectifs de la lutte, en particulier pour parvenir à l’unification et à la généralisation de l’affrontement.

Les objectifs doivent être non intégrables, contenir tous les antagonismes de classe possibles, et donc être en soi capables de mettre en crise l’équilibre économico-politique du système (par exemple 120 000 lires de salaire égal pour tous). Par les objectifs se généralisent la lutte : à la classe ouvrière revient la tâche de radicaliser et d’atteindre le plus haut niveau de confrontation.

Dans la lutte des classes, on distingue trois éléments: les objectifs, les formes de lutte, l’organisation. Il appartient à la classe ouvrière de radicaliser la lutte sur des objectifs unificateurs, mais l’organisation est le résultat des luttes.

Les organisations de base ne sont qu’un instrument fonctionnel et transitoire des luttes, mais la dimension politique est constituée à un premier stade par les objectifs et dans un second, plus important encore, par l’organisation générale.

La lutte vient donc à être considérée comme avancée ou arriérée dans la mesure où elle exprime des objectifs unificateurs et des formes radicales. L’organisation apparaît ensuite comme un besoin de « conserver » les résultats obtenus au cours de la lutte, au niveau de conscience et de combativité qui se sont produits. On parvient ainsi au renforcement du front ouvrier proportionné au renforcement du front patronal.

L’hypothèse est donc celle d’une longue « guerre de position », au cours de laquelle la classe ouvrière s’affermit dans la mesure où elle s’organise. Pour les deux positions analysées (à la première appartient, en ligne de maximisation, Lotta continua et les assemblées ouvriers-étudiants ; à la seconde Potere Operaio), l’autonomie est la condition préalable à la lutte elle-même.

L’indépendance est comprise comme « indépendance » du syndicat et du parti, et comme on sait que les syndicats et le parti n’ont pas été vaincus par les mouvements d’indépendance, les guerres d’indépendance se projettent (par l’organisation générale des luttes, la capacité de « conserver » l’autonomie dans toutes ses manifestations, même après le reflux des luttes).

Le développement de l’autonomie est donc compris comme un développement organisationnel pour contrer les organisations traditionnelles.

Nous considérons comme restrictive et superficielle cette conception de l’autonomie, qui en tant que tel ne devient qu’un instrument et une condition pour développer les luttes, sans en constituer aussi leur dimension politique d’opposition radicale et révolutionnaire au système.

Au moment où se clôt un cycle de luttes – et ne s’en rouvre pas un autre qui, à notre avis, des caractéristiques très différentes – il a semblé utile de faire un examen critique des luttes. Pour résumer, nous pouvons distinguer, au sein du mouvement ouvrier, deux attitudes fondamentales face aux luttes autonomes de masse de 1968-1969 :

– ceux qui ne saisissent pas l’aspect de rupture et tentent de récupérer et d’exploiter le potentiel d’une sorte de « restauration politique ».

La forme de cette restauration est variée : de celle révisionniste qui tend à transformer une défaite politique en une victoire organisationnelle (même au prix d’une renonciation définitive à une position de classe en tant que tel), à ​celle des groupes idéologiques minoritaires qui se sont empressés de proposer leurs vieux schémas, sans saisir que le mouvement autonome constitue en soi la critique pratique la plus radicale de masse de toutes les positions axées sur l’idéologie remâchée et sur la re-proposition de lignes perdantes du mouvement ouvrier.

Ces positions, bien que fortement concurrentes entre elles, s’accordent sur un point : la sous-estimation et le rejet du fruit politique le plus mûr des luttes : l’autonomie prolétarienne;

– ceux qui, en dépit d’être d’origines et de tendance différentes, ont compris que l’autonomie prolétarienne est le point nodal à partir duquel commencer le futur travail politique.

Il serait trop facile de se rappeler des erreurs, des adversités, des sectarismes, de la naïveté et même des méfaits qui endommagent, retardent et souvent dévient les groupes qui se rapportent à l’autonomie.

Cependant, dans ce contexte auquel nous nous rapportons, nous croyons que c’est la seule position fructueuse, la seule capable de développer la lutte révolutionnaire dans la métropole européenne.

Parce que c’est la question traitée. Pas tant pour gagner d’un coup et tout conquérir (les slogans faciles des apprentis manipulateurs), mais pour grandir dans une lutte de longue durée, en utilisant les obstacles puissants que le mouvement rencontre sur le chemin du mouvement de masse eux-mêmes, pour accomplir le saut du mouvement spontané de masse au mouvement révolutionnaire organisé.

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