De toutes les figures de l’histoire de France, Jean Calvin est celle dont l’impact culturel et idéologique a été le plus puissant. Pourtant, on pense plutôt à Maximilien Robespierre et Napoléon, ou encore Charles De Gaulle, quand on se réfère aux grandes figures de l’histoire de notre pays.
La figure de Jean Calvin reste obscure, voire inconnue ; dans la plupart des cas, si elle est un tant soit peu connue elle sera reliée au sectarisme, à un puritanisme fanatique, bref à une mort de la pensée et à des raisonnements opposés à la joie et aux sentiments.
Tout cela a une origine : le triomphe des forces féodales sur les forces progressistes portées par le protestantisme dont Jean Calvin a été le héraut, la figure la plus aboutie, la plus conséquente.
Jean Calvin a été une figure incontournable de la France pour toute une époque, et pourtant son histoire est niée. L’éditeur de ses œuvres en français, en 1842, peut constater de manière tout à fait juste :
« Le style de Calvin est un des plus grands styles du seizième siècle : simple, correct, élégant, clair, ingénieux, animé, varié de formes et de tons, il a commencé à fixer la langue française pour la prose, comme celui de Clément Marot l’avait fait pour les vers.
Ce style est moins savant, moins travaillé, moins ouvragé, pour ainsi dire, que le style de Rabelais; mais il est plus prompt, plus souple et plus habile à exprimer toutes les nuances de la pensée et du sentiment ; il est moins naïf, moins agréable et moins riche que celui d’Amyot , mais il est plus incisif, plus imposant et plus grammatical; il est moins capricieux, moins coloré et moins attachant que celui de Montaigne, mais il est plus concis, plus grave et plus français, si l’on peut reprocher à l’auteur des Essais d’écrire quelquefois à la gasconne.
Et pourtant il n’existe pas une seule édition des oeuvres françaises de Calvin, à l’exception du Recueil de ses Opuscules, publié par Théodore de Bèze, à Genève, en 1566, énorme volume in-folio de 2,000 pages, aujourd’hui fort rare, dans lequel on a confondu les traités écrits originairement en français par Calvin, avec ceux qui ont été traduits en cette langue d’après l’original latin, par ses secrétaires et ses amis; car la plupart de ces traités parurent également et presque à la fois dans les deux langues, soit que l’infatigable Calvin en rédigeât les deux versions, soit qu’il fit faire sous ses yeux celle qui ne devait être que la translation fidèle de l’ouvrage primitif, écrit en latin ou en français, suivant l’occasion.
Il est donc impossible de distinguer, dans le Recueil des Opuscules. les morceaux qui appartiennent réellement à la plume de Calvin.
On voit, par là, que l’éditeur, quoique habile écrivain lui-même, se préoccupait beaucoup moins de la lettre que de l’esprit dans les écrits du réformateur de Genève.
Enfin, comme si l’on eût voulu lui enlever ses titres de bon écrivain français, on imagina de n’insérer dans les éditions de ses œuvres que des textes latins, et de traduire même tout ce qui n’avait jamais été traduit dans cette langue, comme les sermons, les lettres, etc. Les trois éditions volumineuses qui ont été faites dans ce système anti-littéraire ne renferment pas une seule pièce qui témoigne au moins que Calvin savait écrire en français aussi facilement et aussi remarquablement qu’en latin. »
Il faut ici comprendre le contexte. Le protestantisme trouve ses prémices avec Jean Hus puis les hussites qui révolutionnant l’Est de l’Europe, il s’affirme avec Martin Luther, Thomas Müntzer et les guerres paysannes, mais c’est avec Jean Calvin qu’il devient un système unifié, systématisé, entièrement cohérent.
Là où le protestantisme fait parfois des compromis, des pas en arrière, lui fait face un calvinisme porté par le progrès, la nouvelle époque.
A l’Angleterre de la monarchie constitutionnelle capitaliste répond l’Amérique libérale capitaliste, à la France de la monarchie absolue répond la république de Genève, et dans ce contexte les Pays-Baslibérés de la tutelle espagnole et catholiques’affirment comme le principal vecteur du libéralisme et du capitalisme.
L’individu, figure au centre du libéralisme, est entièrement assumé comme figure politique comme protestantisme, par l’intermédiaire de Jésus-Christ, qui octroie à chaque individu la dignité, l’entendement, la possibilité d’avoir une reconnaissance en tant que telle, au-delà du système réactionnaire féodal.
Jean Calvin fut donc une arme idéologique et culturelle de premier plan. S’il échoua en France, c’est en raison du manque de maturité du développement historique de notre pays, ou plus exactement du développement inégal qui a existé entre les différentes régions.
Le protestantisme des villes, authentique, n’est pas le même que celui des campagnes où la petite aristocratie ainsi que l’aristocratie forte loin de Paris cherche surtout à affaiblir le pouvoir central et l’Église.
Le protestantisme de Jean Calvin fut ici récupéré pour une logique décentralisatrice qui possède une très forte tradition depuis, dans notre pays, comme en témoigne les multiples courants régionalistes, autogestionnaires, etc., dont la base idéologique relève directement du protestantisme français de l’époque de Jean Calvin.
Mais ce n’est qu’un aspect, et on voit très bien comment dans son épître à François Ier, Jean Calvin valorise le roi, le portant aux louanges, tout en le tutoyant et lui expliquant que s’il ne change pas son interprétation du protestantisme, s’il continue de l’interpréter comme une sédition qu’il faut écraser, alors l’histoire sera contre lui car il s’allie avec l’Antéchrist et Dieu rétablira un rapport de forces en faveur des vrais croyants.
C’est un nouveau système qui s’affirme ici, qui exige la fin de la féodalité, ou tout au moins sa transformation radicale dans son noyau, pour préparer l’avenir.