La révolution chinoise : la première victoire en 1945

Lorsque la victoire arriva en 1945, le pays avait payé un lourd tribut pour venir à bout de l’occupation japonaise. 3,22 millions de soldats et 8,4 millions de civils avaient perdu la vie, l’armée japonaise perdant quant à elle 1,1 million de soldats.

Ce fut une guerre cruelle, l’armée japonaise pratiquant, devant la résistance chinoise, la « politique des trois tout » (tout brûler, tout tuer, tout piller). Les crimes de guerre par l’armée japonaise furent immenses et rivalisent en perversité avec l’Allemagne nazie.

Lorsque l’armée japonaise prit notamment la ville de Nanjing (anciennement appelé Nankin en français), elle massacra 300 000 personnes pendant six semaines à partir de fin 1937, violant collectivement jusqu’à la mort 20 000 femmes et jeunes filles, avec toutes les perversités possibles : mutilations, personnes enterrées vivantes, etc.

C’est dans cette même ville que le représentant du Japon, Yasuji Okamura, signa la capitulation devant la Chine, après l’avoir fait devant les Etats-Unis.

Alors qu’il fut un haut dirigeant militaire japonais en Chine, devenant en novembre 1944 le chef de l’armée japonaise en Chine, et qu’il a à ce titre appliqué la « politique des trois tout », il ne fut finalement pas inquiété comme criminel de guerre sur demande exprès de Jiang Jieshi (Tchiang Kaï-Chek) qui en fit un conseiller.

Car la Chine n’en avait pas fini avec la guerre : le Kuomintang, avec l’appui américain, comptait affronter le Parti Communiste de Chine. Ce dernier avait progressé à grands pas, passant à 40 000 membres en 1937, 800 000 en 1940, 1 211 128 en avril 1945.

Cette situation fut présentée comme suit par Mao Zedong, dans le discours « Les deux destins de la Chine » ouvrant le 7e congrès du Parti Communiste de Chine, le 23 avril 1945.

« Camarades! Aujourd’hui s’ouvre le VIle Congrès du Parti communiste chinois. En quoi réside l’importance toute particulière de ce Congrès? C’est qu’il concerne, nous devons le dire, le sort de 450 millions de Chinois.

Deux destins s’offrent à la Chine: sur l’un d’eux, on a déjà écrit un livre [Jiang Jieshi, Le destin de la Chine, publié en 1943]; notre Congrès représente l’autre destin de la Chine, et nous aussi, nous écrirons un livre [il s’agira de Du gouvernement de coalition].

Notre Congrès veut le renversement de l’impérialisme japonais et la libération de tout le peuple chinois.

C’est un congrès pour la défaite de l’agresseur japonais et pour l’édification d’une Chine nouvelle, un congrès pour l’union de tout le peuple chinois et l’union avec tous les peuples du monde, en vue de la victoire finale.

Le moment nous est très favorable. En Europe, Hitler est sur le point d’être abattu.

Le théâtre principal de la guerre mondiale contre le fascisme se trouve en Occident, où l’heure de la victoire est proche grâce aux efforts de l’Armée rouge soviétique.

Déjà, on entend ses canons à Berlin, dont la chute est sans doute imminente. En Orient, la guerre pour écraser l’impérialisme japonais touche également à la victoire. Notre Congrès se réunit donc à la veille de la victoire finale dans la guerre contre le fascisme.

Deux voies s’ouvrent devant le peuple chinois — la voie de la lumière et la voie des ténèbres. Deux destins attendent la Chine — l’un radieux, l’autre sombre.

L’impérialisme japonais n’est pas encore battu. Mais même après sa défaite, ces deux perspectives d’avenir resteront ouvertes: ou bien une Chine indépendante, libre, démocratique, unifiée, forte et prospère, c’est-à-dire une Chine radieuse, la Chine nouvelle d’un peuple libéré, ou bien l’autre Chine, semi-coloniale et semi-féodale, divisée, faible et pauvre, c’est-à-dire l’ancienne Chine.

Une Chine nouvelle ou l’ancienne Chine, telles sont les deux perspectives qui s’offrent à notre peuple, au Parti communiste chinois et à notre Congrès.

Puisque le Japon n’est pas encore battu et que ces deux perspectives resteront ouvertes même après sa défaite, comment nous faut-il mener notre travail?

Quelle est notre tâche? Notre seule tâche est de mobiliser hardiment les masses, d’accroître la force du peuple, d’unir toutes les énergies de la nation qui peuvent être unies, en vue de la lutte menée sous la direction de notre Parti pour vaincre l’agresseur japonais, édifier une Chine nouvelle et radieuse, une Chine indépendante, libre, démocratique, unifiée, forte et prospère.

Nous devons lutter de toutes nos forces pour un avenir lumineux, un destin radieux, contre un avenir ténébreux, un sombre destin. Voilà notre seule et unique tâche! Voilà la tâche de notre Congrès, de tout notre Parti, de tout le peuple chinois! Nos espoirs peuvent-ils se réaliser? Nous le pensons. Cette possibilité existe parce que nous jouissons des quatre conditions suivantes:

1° Un puissant Parti communiste, riche en expérience et fort de 1.210.000 membres;

2° De puissantes régions libérées, avec une population de 95.500.000 habitants, une armée de 910.000 hommes et une milice populaire de 2.200.000 membres;

3° L’appui des masses de tout le pays;

4° Le soutien des peuples du monde entier et en particulier celui de l’Union soviétique.

Ces conditions étant réunies — un puissant Parti communiste, de puissantes régions libérées, l’appui du peuple tout entier et le soutien des peuples du monde —, nos espoirs pourront-ils se réaliser?

Nous le pensons. Dans le passé, la Chine n’avait jamais connu de telles conditions.

Certes, elles existent dans une certaine mesure depuis un bon nombre d’années, mais elles ne se sont jamais manifestées comme aujourd’hui dans toute leur plénitude.

Jamais le Parti communiste chinois n’a été aussi puissant, l’armée et la population des bases révolutionnaires aussi nombreuses; à aucun moment, le prestige du Parti communiste chinois auprès de la population des régions occupées par les Japonais et des régions dominées par le Kuomintang n’a été aussi grand, alors que les forces révolutionnaires représentées par l’Union soviétique et par les peuples des autres pays sont plus puissantes que jamais.

On peut donc affirmer qu’en bénéficiant de telles conditions il est tout à fait possible de vaincre l’agresseur et d’édifier une Chine nouvelle.

Nous devons avoir une politique juste, dont l’élément fondamental est de mobiliser hardiment les masses et d’en accroître la force, afin que, sous la direction de notre Parti, elles mettent en échec l’agresseur et édifient une Chine nouvelle.

Au cours de ses vingt-quatre années d’existence, c’est-à-dire depuis sa création en 1921, le Parti communiste chinois a traversé trois périodes historiques de luttes héroïques — l’Expédition du Nord, la Guerre révolutionnaire agraire et la Guerre de Résistance contre le Japon —et il a acquis une riche expérience.

Aujourd’hui, notre Parti est devenu le centre de gravité du peuple chinois en lutte contre l’agression japonaise et pour le salut de la patrie, son centre de gravité dans la lutte pour la libération, pour la victoire sur l’envahisseur et pour l’édification d’une Chine nouvelle.

Le centre de gravité de la Chine est ici même où nous sommes, et nulle part ailleurs.

Nous devons étre modestes et prudents, nous garder de toute présomption et de toute précipitation, servir le peuple chinois de tout notre coeur, afin de l’unir pour vaincre l’agresseur japonais dans le présent et pour édifier un Etat de démocratie nouvelle dans l’avenir. Si nous savons agir ainsi, si nous avons une politique juste, si nous conjuguons nos efforts, nous accomplirons notre tâche.

A bas l’impérialisme japonais!

Vive la libération du peuple chinois! Vive le Parti communiste chinois!

Vive le VIIe Congrès du Parti communiste chinois! »

>Sommaire du dossier

La révolution chinoise : les trois étapes de la guerre anti-japonaise

La guerre contre l’occupant japonais fut donc au cœur de l’action du Parti Communiste de Chine. L’une des batailles fameuses, où la guerre de partisans joua symboliquement un rôle majeur, fut celle de Pingxingguan, en septembre 1937.

À cette occasion, la 8e armée de route, nouvelle dénomination de l’armée rouge depuis l’accord du 15 juillet 1937 (avec trois divisions de deux brigades, avec elles-même deux régiments chacune), s’appropria un millier d’armes et une centaine de véhicules remplis de matériel.

Une autre bataille de grande importance fut celle de Taierzhuang, où l’armée nationale révolutionnaire chinoise battit les troupes japonaises pour la première fois, en mars-avril 1938, dans une bataille d’envergure où 20 000 soldats japonais perdirent la vie.

Un événement d’importance fut l’offensive dite des cent régiments mené par la 8e armée de route, permettant notamment de détruire des centaines de kilomètres de voies ferrées. 400 000 soldats y participèrent, participant à 1 824 batailles, tuant 20 645 soldats japonais et 5 155 soldats chinois des régimes fantoches pro-japonais.

Carte de l’armée américaine montrant la situation à la fin de la seconde guerre mondiale.
Les zones en rouge sont sous occupation japonaise,
celles hachurées sont des bases de l’Armée Populaire de Libération.

Voici comment Mao Zedong, en 1944, présente les étapes de cette guerre antijaponaise par rapport au Parti Communiste de Chine.

« On peut distinguer trois étapes dans le développement de notre Parti durant la Guerre de Résistance.

La première va de 1937 à 1940.

En 1937 et 1938, soit pendant les deux premières années de la guerre, les militaristes japonais prenaient au sérieux le Kuomintang et faisaient peu de cas du Parti communiste, aussi lancèrent-ils leurs forces principales contre le front du Kuomintang ; dans leur politique à l’égard de ce dernier, l’attaque militaire était l’élément principal, et l’action politique pour l’inciter à capituler, l’élément secondaire.

Quant aux bases antijaponaises dirigées par notre Parti, ils leur accordaient peu d’importance, croyant n’avoir à faire qu’à une poignée de communistes engagés dans des actions de partisans.

Mais, après avoir occupé Wouhan en octobre 1938, les impérialistes japonais se mirent à changer de politique, à prendre au sérieux le Parti communiste et à faire peu de cas du Kuomintang ; à l’égard de celui-ci, l’action politique pour l’inciter à capituler devint alors l’élément essentiel, et l’attaque militaire l’élément secondaire; en même temps, ils déplacèrent peu à peu leurs forces principales pour les lancer contre les communistes, s’étant alors rendu compte que ce n’était plus le Kuomintang mais le Parti communiste qu’il fallait redouter.

En 1937 et 1938, le Kuomintang se montrait encore plus ou moins actif dans la Guerre de Résistance, et ses relations avec notre Parti étaient encore relativement bonnes ; malgré de nombreuses restrictions, il laissait au mouvement populaire antijaponais une liberté d’action assez grande.

Mais après la chute de Wouhan, ses défaites dans la guerre et son hostilité croissante à l’égard du Parti communiste le poussèrent à devenir peu à peu plus réactionnaire, plus actif dans la lutte anticommuniste et plus passif dans la Guerre de Résistance.

A la suite des revers subis dans la guerre civile, le Parti communiste n’avait en 1937 qu’environ 40.000 membres bien organisés et une armée dépassant à peine 30.000 hommes; c’est pourquoi les militaristes japonais en faisaient peu de cas.

Mais en 1940, l’effectif du Parti avait atteint le chiffre de 800.000, notre armée comptait près de 500.000 hommes, et la population des bases d’appui atteignait un total d’environ 100 millions d’habitants, si l’on compte tous ceux qui nous payaient l’impôt en céréales, y compris ceux qui devaient en outre le payer aux autorités fantoches.

En quelques années, notre Parti a étendu à tel point le théâtre des opérations, formé par les régions libérées, que nous avons pu empêcher pendant cinq ans et demi toute offensive stratégique des forces principales de l’envahisseur japonais contre le front du Kuomintang, attirer ces forces autour de nous, sortir le Kuomintang de la situation critique qui régnait sur son propre théâtre d’opérations et soutenir une guerre de résistance prolongée.

Mais, durant la première étape, certains de nos camarades ont commis une erreur: ils ont sous-estimé l’impérialisme japonais (ainsi ont-ils méconnu le caractère prolongé et acharné de la guerre, préconisé la primauté de la guerre de mouvement menée avec de grosses formations et minimisé le rôle de la guerre de partisans), ils ont compté sur le Kuomintang et, faute de lucidité, ils n’ont pas su appliquer une politique indépendante (d’où leur esprit de capitulation devant le Kuomintang et leur hésitation à mobiliser hardiment les masses pour créer des bases démocratiques antijaponaises sur les arrières de l’ennemi et à augmenter largement les effectifs des forces armées dirigées par notre Parti).

D’autre part, les nouveaux membres que le Parti avait recrutés en grand nombre n’avaient pas d’expérience et nos bases d’appui nouvellement établies derrière les lignes ennemies n’étaient pas encore consolidées.

Durant cette étape, une certaine suffisance apparut dans nos rangs en raison du cours favorable des événements, de l’essor de notre Parti et de nos forces armées, et beaucoup de nos membres s’enflèrent d’orgueil.

Cependant, nous sommes venus à bout de la déviation de droite dans le Parti et nous avons appliqué une politique indépendante; nous n’avons pas seulement porté des coups à l’impérialisme japonais, créé des bases d’appui et développé la VIIIe Armée de Route et la Nouvelle IV Armée, nous avons aussi fait échec à la première campagne anticommuniste du Kuomintang.

Les années 1941 et 1942 constituent la deuxième étape.

Afin de préparer et d’entreprendre la guerre contre la Grande-Bretagne et les États-Unis, les impérialistes japonais intensifièrent encore l’application de la politique qu’ils avaient adoptée après la chute de Wouhan en faisant porter leurs attaques principales non plus sur le Kuomintang mais sur le Parti communiste; ils massèrent des effectifs encore plus importants de leurs forces principales autour de toutes les bases d’appui dirigées par le Parti communiste, firent se succéder leurs campagnes de « nettoyage » et appliquèrent leur politique brutale de « tout brûler, tout tuer, tout piller », concentrant leurs attaques contre notre Parti.

Aussi ce dernier se trouva-t-il, durant ces deux années, dans une situation extrêmement difficile. Nos bases d’appui se rétrécirent, la population tomba au-dessous de 50 millions d’habitants, la VIIIe Armée de Route fut réduite à quelque 300.000 hommes, nos pertes en cadres furent très lourdes, nos finances et notre économie durement touchées.

Pendant ce temps, le Kuomintang, se sentant les mains libres, combattait notre Parti par tous les moyens ; il déclencha sa deuxième campagne anticommuniste, conjuguant ses attaques avec celles des impérialistes japonais.

Mais cette situation difficile fut pleine d’enseignements pour nous, communistes, et nous apprit beaucoup de choses.

Nous avons appris à combattre les campagnes de « nettoyage » de l’ennemi, sa politique de « grignotage », sa campagne « pour le renforcement de la sécurité publique’, sa politique de « tout brûler, tout tuer, tout piller » et celle d’arracher aux nôtres des rétractations de leurs opinions politiques.

Nous avons appris ou commencé à apprendre comment appliquer le « système des trois tiers » dans les organes du pouvoir du front uni, comment mettre en pratique la politique agraire, comment entreprendre le mouvement de rectification des trois styles, style de notre étude, style du Parti dans ses relations intérieures et extérieures et style de nos écrits, comment appliquer la politique: « moins de troupes mais de meilleures et une administration simplifiée », ainsi que celle de l’unification de la direction, comment étendre le mouvement pour « le soutien au gouvernement et l’amour du peuple », et enfin comment développer la production; nous avons éliminé maints défauts, dont cette suffisance qui s’était manifestée chez nombre de nos camarades au cours de la première étape.

Bien que nous ayons subi de lourdes pertes durant cette deuxième étape, nous avons tenu bon; nous avons repoussé d’un côté les attaques de l’envahisseur japonais, et de l’autre la deuxième campagne anticommuniste du Kuomintang.

Les attaques du Kuomintang contre le Parti communiste et les luttes que nous avons dû soutenir pour notre légitime défense ont par ailleurs engendré dans le Parti une sorte de déviation gauchiste; ainsi, par exemple, croyant à une rupture prochaine de la coopération entre le Kuomintang et le Parti communiste, on s’est attaqué outre mesure aux propriétaires fonciers et on a négligé de rallier les non-communistes.

Mais là encore, nous sommes venus à bout de la déviation.

Dans notre lutte contre les « frictions » créées par le Kuomintang, nous avons affirmé le principe que nous devions avoir le bon droit de notre côté, nous assurer l’avantage et garder la mesure; dans notre travail du front uni, nous avons montré la nécessité de pratiquer « l’union et la lutte, l’union par la lutte », ce qui nous a permis de maintenir le front uni national antijaponais dans nos bases d’appui comme dans l’ensemble du pays.

La troisième étape va de 1943 à aujourd’hui.

Nos mesures politiques sont devenues plus efficaces; en particulier, le mouvement de rectification des trois styles et le développement de la production ont donné des résultats si décisifs que notre Parti s’est acquis sur le plan idéologique et matériel une position inexpugnable.

De plus, nous avons appris ou commencé d’apprendre, l’année dernière, à procéder à la vérification des cadres et à mener la lutte contre les agents secrets.

C’est dans ces circonstances que nos bases d’appui ont repris leur expansion, que leur population s’est élevée à plus de 80 millions d’habitants — si l’on compte tous ceux qui nous paient l’impôt en céréales, y compris ceux qui doivent en outre le payer aux autorités fantoches —, que notre armée à vu ses effectifs passer à 470.000 hommes et notre milice populaire à 2.270.000 hommes, que notre Parti a pu porter les siens à plus de 900.000 membres. »

>Sommaire du dossier

L’intervention japonaise en Chine

Cependant, un autre élément capital commença également à jouer un rôle : l’intervention japonaise en Chine se faisait toujours plus agressive et sanglante.

Prenant prétexte un attentat contre une voie ferrée appartenant à une entreprise chinoise, le 18 Septembre 1931 – attentat monté par les services secrets japonais – le Japon envahit la Mandchourie et créa en février 1932 l’État fantoche du Mandchoukouo.

L’État fantoche du Mandchoukouo

La république chinoise soviétique déclara ainsi en réponse la guerre au Japon, le 15 avril 1932.

Le Parti Communiste était ainsi capable de réaliser une véritable proposition stratégique. Le Parti lui-même avait une solide compréhension de la société chinoise, comme en témoigne son programme en dix points adopté au sixième congrès, en juillet 1928 :

1) renversement de la domination de l’impérialisme ;

2) confiscation des entreprises et des banques appartenant au capital étranger ;

3) unification de la Chine et reconnaissance aux minorités nationales du droit à l’autodétermination ;

4) renversement du gouvernement des seigneurs de guerre du Kuomintang ;

5) établissement du pouvoir des conseils des délégués des ouvriers, des paysans et des soldats ;

6) institution de la journée de huit heures, augmentation des salaires, secours aux chômeurs, assurances sociales, etc. ;

7) confiscation de toutes les terres des propriétaires fonciers et distribution des terres aux paysans ;

8) amélioration des conditions de vie des soldats, distribution à leurs familles des terres auxquelles ils ont droit et attribution de travail à leurs familles ;

9) abolition de toutes les taxes et autres contributions exorbitantes et adoption d’un impôt progressif unique ;

10) union avec le prolétariat mondial et avec l’U.R.S.S.

L’intervention japonaise demandait cependant un réajustement.

Mao Zedong pendant la guerre civile ; à gauche, Zhou Enlai

Mao Zedong analysa par conséquent les réactions à l’invasion japonaise dans les différentes couches sociales, dans La tactique de lutte contre l’envahisseur japonais, en 1935.

Et il formula les corrections à faire.

« Les ouvriers et les paysans réclament la résistance. La révolution de 1924-1927, la révolution agraire de 1927 à nos jours et la vague anti-japonaise qui déferle depuis l’Incident du 18 Septembre 1931 montrent que la classe ouvrière et la paysannerie sont les forces les plus résolues de la révolution chinoise.

La petite bourgeoisie réclame également la résistance. La jeunesse étudiante et la petite bourgeoisie urbaine n’ont-elles pas déjà déclenché un vaste mouvement antijaponais ?

Cette fraction de la petite bourgeoisie chinoise avait participé à la révolution de 1924-1927. Sa situation économique relève, comme celle des paysans, de la petite exploitation, et ses intérêts sont inconciliables avec ceux des impérialistes.

Ses membres ont cruellement souffert de l’impérialisme et de la contre-révolution chinoise, qui ont acculé nombre d’entre eux au chômage et à la ruine totale ou partielle.

Maintenant, sous la menace directe de se voir réduits à l’état d’esclaves coloniaux, ils n’ont plus d’autre issue que la résistance.

Mais comment la bourgeoisie nationale, la bourgeoisie compradore, la classe des propriétaires fonciers et le Kuomintang réagissent-ils devant cette question?

Les grands despotes locaux et mauvais hobereaux, les grands seigneurs de guerre, les gros bureaucrates et les gros compradores ont depuis longtemps pris parti.

Comme toujours, ils soutiennent qu’une révolution – quelle qu’elle soit – est pire que l’impérialisme.

Ils ont constitué le camp de la trahison ; pour eux la question de savoir s’ils seront ou non des esclaves coloniaux ne se pose pas, puisqu’ils ont perdu tout sentiment national et que leurs intérêts sont inséparables de ceux des impérialistes.

Leur champion est Tchiang Kaï-chek. Ce camp de la trahison est l’ennemi juré du peuple chinois.

Sans cette meute de traîtres, l’impérialisme japonais ne se serait jamais lancé dans cette agression avec autant de cynisme. Ils sont les valets de l’impérialisme.

La bourgeoisie nationale pose un problème complexe. Cette classe avait pris part à la révolution de 1924-1927, mais effrayée par le feu de la révolution, elle passa dans le camp de l’ennemi du peuple — la clique de Tchiang Kaï-chek.

Il s’agit de savoir s’il est possible que la bourgeoisie nationale modifie sa position dans les circonstances actuelles.

Nous estimons que cela est possible, car cette classe ne s’identifie pas avec celle des propriétaires fonciers ni avec la bourgeoisie compradore: entre elle et ces dernières, il existe une différence.

La bourgeoisie nationale n’a pas un caractère féodal aussi prononcé que la classe des propriétaires fonciers ni un caractère compradore aussi marqué que la bourgeoisie compradore.

Une fraction de la bourgeoisie nationale, son aile droite, a des liens assez étroits avec le capital étranger et les intérêts fonciers chinois et, pour le moment, nous ne spéculerons pas sur les chances d’un changement de position de sa part.

Le problème se pose pour les autres fractions de la bourgeoisie nationale, qui n’ont pas de liens de ce genre ou qui en ont peu. Nous croyons que, dans cette situation nouvelle, où la Chine se trouve en danger d’être réduite à l’état de colonie, un changement peut se produire dans leur attitude.

Le trait caractéristique de ce changement sera l’hésitation.

D’une part, elles détestent l’impérialisme, d’autre part, elles redoutent une révolution poussée jusqu’au bout: elles balancent entre les deux attitudes.

Cela explique pourquoi dans la période révolutionnaire de 1924-1927 la bourgeoisie nationale avait pris part à la révolution et pourquoi elle passa du côté de Tchiang Kaï-chek à la fin de cette période.

Quelle différence y a-t-il entre l’époque actuelle et celle de 1927, où Tchiang Kaï-chek trahit la révolution? La Chine n’était alors qu’une semi-colonie, elle est aujourd’hui en voie de devenir une colonie.

Au cours de ces neuf années, qu’est-ce que la bourgeoisie nationale a gagné à abandonner son alliée, la classe ouvrière, et à lier amitié avec les propriétaires fonciers et les compradores?

Rien du tout, sinon la ruine totale ou partielle de ses entreprises industrielles et commerciales.

C’est ce qui nous fait conclure à la possibilité d’un changement d’attitude de la bourgeoisie nationale dans les circonstances actuelles.

Quelle sera l’importance de ce changement? L’hésitation en sera la caractéristique générale. Néanmoins, à un certain stade de la lutte, il est possible que l’une des fractions de la bourgeoisie nationale, son aile gauche, participe à la lutte, et qu’une autre passe d’une attitude hésitante à la neutralité (…).

Si notre gouvernement a été fondé jusqu’à présent sur l’alliance des ouvriers, des paysans et de la petite-bourgeoisie urbaine, il nous faut dès maintenant le réorganiser de façon qu’il comprenne des membres de toutes les autres classes désireux de participer à la révolution nationale.

Pour le moment, un tel gouvernement aurait pour tâche essentielle de s’opposer à l’annexion de la Chine par l’impérialisme japonais (…).

Pourquoi transformer la république des ouvriers et des paysans en république populaire?

Notre gouvernement ne représente pas seulement les ouvriers et les paysans, mais toute la nation.

Cela était exprimé implicitement dans notre formule de république démocratique des ouvriers et des paysans, étant donné que les ouvriers et les paysans constituent les 80 à 90 pour cent de la population.

Le Programme en dix points, adopté par le VIe Congrès de notre Parti, exprime non seulement les intérêts des ouvriers et des paysans, mais aussi ceux de la nation tout entière.

La situation présente exige cependant que nous remplacions notre formule par celle de république populaire.

En effet, l’agression japonaise a modifié les rapports de classes en Chine et rendu possible la participation à la lutte antijaponaise de la petite bourgeoisie et même de la bourgeoisie nationale.

Il va de soi que la république populaire ne représentera point les intérêts des classes ennemies.

Au contraire, elle sera directement opposée aux despotes locaux, aux mauvais hobereaux et à la bourgeoisie compradore, laquais de l’impérialisme, et ne les considérera pas comme faisant partie du peuple, exactement comme, à l’inverse, le « Gouvernement national de la République chinoise » de Tchiang Kaï-chek représente seulement les ploutocrates et non les gens du peuple, qui, pour lui, ne font pas partie de la nation.

La population de la Chine étant constituée dans une proportion de 80 à 90 pour cent par les ouvriers et les paysans, la république populaire devra en premier lieu représenter leurs intérêts.

Cependant, en rejetant l’oppression impérialiste pour donner la liberté et l’indépendance à la Chine et en brisant le pouvoir d’oppression des propriétaires fonciers de façon à libérer la Chine du régime semi-féodal, la république populaire profitera non seulement aux ouvriers et aux paysans, mais également aux autres couches du peuple.

Les intérêts des ouvriers, des paysans et du reste du peuple représentent, dans leur totalité, les intérêts de la nation chinoise. La bourgeoisie compradore et la classe des propriétaires fonciers vivent sur le sol chinois, mais elles ne tiennent pas compte des intérêts de la nation, et leurs intérêts sont en conflit avec ceux de la majorité.

Comme nous ne rompons qu’avec cette petite minorité et n’entrons en lutte que contre elle, nous avons le droit de nous appeler les représentants de toute la nation.

Il y a, bien entendu, conflit d’intérêts entre classe ouvrière et bourgeoisie nationale. Il est impossible de développer avec succès la révolution nationale sans donner à son avant-garde, la classe ouvrière, les droits politiques et économiques ainsi que la possibilité de diriger ses forces contre l’impérialisme et ses valets, les traîtres à la nation.

Cependant, si la bourgeoisie nationale adhère au front uni anti-impérialiste, la classe ouvrière et la bourgeoisie nationale auront des intérêts communs.

Durant la période de la révolution démocratique bourgeoise, la république populaire n’abolira pas la propriété privée, à l’exception de celle revêtant un caractère impérialiste ou féodal, et, loin de confisquer les entreprises industrielles et commerciales de la bourgeoisie nationale, elle en encouragera le développement. Nous devons protéger tout capitaliste national qui n’accorde pas son soutien aux impérialistes ou aux traîtres à la nation. »

>Sommaire du dossier