La fondation du Parti bolchévik

La conséquence directe de l’interprétation léniniste de la Russie tsariste est la reconnaissance idéologique et politique de la classe ouvrière. Dès sa fondation, l’union à laquelle appartient Lénine mène une grande grève de 30.000 ouvriers du textile, des groupes essaimant en prenant l’union comme modèle.

Affiche présentant le lieu et les participants du premier congrès du POSDR, en 1898
Affiche présentant le lieu et les participants du premier congrès du POSDR, en 1898

Un grand pas est alors fait avec la formation du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (P.O.S.D.R.), regroupant les « Unions » de Saint-Pétersbourg, Moscou, Kiev, Iekaterinoslav, ainsi que le « Bund », structure regroupant des socialistes d’origine juive. Lénine est alors exilé et ne participe pas à cette fondation, mais son document de 1898 – « Les tâches des sociaux-démocrates russes » – montre son importance théorique et pratique.

Car le POSDR n’a ni programme, ni statuts ; il n’est pas une organisation de combat. La raison pour cela tient à une tendance erronée importante dans la social-démocratie, à l’époque. Si les populistes ne comprenaient pas le développement du capitalisme en Russie, il existait pour autant chez certains sociaux-démocrates une conception mécanique comme quoi puisque capitalisme y avait, alors le rôle dirigeant dans la lutte contre le tsarisme revenait naturellement à la bourgeoisie libérale.

Le prolétariat ne devait lutter que pour améliorer ses conditions de vie, et il ne pourrait mener une activité révolutionnaire sur le plan politique qu’une fois le capitalisme vraiment installé ; ce point de vue était mis en avant par les journaux « Rabotschaia Mysl » (la pensée ouvrière) en Russie même et du « Rabotcheio Diélo » (la cause ouvrière) en exil.

Lénine combat alors cet « économisme » qui a, de plus, comme conséquence de nier l’unité politique des révolutionnaires en une seule organisation, et il fonde le journal clandestin l’Iskra (l’Etincelle), avec comme sous-titre : « De l’étincelle viendra la flamme »). Il synthétise également sa conception de l’organisation politique dans un ouvrage publié en 1902 ayant un impact historique : « Que faire ? »

Le jeune Lénine

Lénine ne fait pas que rejeter la conception anti-organisation des économistes ; il y développe en pratique la démarche à suivre pour que l’organisation vive. Pour cela, il met en avant deux thèses principales.

La première est que l’organisation doit être composée de révolutionnaires professionnels ; la seconde est que l’organisation a un rôle d’avant-garde, c’est elle qui apporte la théorie révolutionnaire sans qui il n’y a pas de révolution possible.

Selon Lénine, l’organisation doit s’appuyer sur des cadres aguerris, assumant le plus haut niveau d’activité. Dans « Que faire ? », il explique ainsi :

« Or, j’affirme :

qu’il ne saurait y avoir de mouvement révolutionnaire solide sans une organisation de dirigeants stable et qui assure la continuité du travail;

que plus nombreuse est la masse entraînée spontanément dans la lutte, formant la base du mouvement et y participant et plus impérieuse est la nécessité d’avoir une telle organisation, plus cette organisation doit être solide (sinon, il sera plus facile aux démagogues d’entraîner les couches arriérées de la masse);

qu’ une telle organisation doit se composer principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire;

que, dans un pays autocratique, plus nous restreindrons l’effectif de cette organisation au point de n’y accepter que des révolutionnaires professionnels ayant fait l’apprentissage de la lutte contre la police politique, plus il sera difficile de “se saisir” d’une telle organisation; 

d’autant plus nombreux seront les ouvriers et les éléments des autres classes sociales qui pourront participer au mouvement et y militer de façon active. »

Lénine considère également que cette organisation militante ne doit pas être passive et simplement constater les luttes et les soutenir ; elle doit avoir une position d’avant-garde, fondée sur le marxisme en tant que science.

Dans « Que faire ? », il fait cette affirmation très connue :

« Sans théorie révolutionnaire, disait Lénine, pas de mouvement révolutionnaire… Seul un parti guidé par une théorie d’avant-garde peut remplir le rôle de combattant d’avant-garde. »

L’organisation militante a, par conséquent, une position dirigeante dans les luttes de classe. C’est elle qui doit conduire le mouvement, tout le reste étant soumission à l’état social existant.

Aux yeux de Lénine:

« Tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier, toute diminution du rôle de « l’élément conscient », du rôle de la social-démocratie signifie par là même — qu’on le veuille ou non, cela n’y fait absolument rien — un renforcement de l’influence de l’idéologie bourgeoise sur les ouvriers. »

C’est la grande thèse léniniste sur la question de l’idéologie révolutionnaire. Celle-ci ne se produit pas spontanément, elle est produite par l’avant-garde, qui l’apporte aux masses nécessairement réceptive puisque l’avant-garde est son propre fruit.

L’idéologie révolutionnaire correspond donc aux exigences d’une société dans une époque donnée ; toute la société est concernée par la portée de la question révolutionnaire.

C’est ce que Lénine explique : 

« La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la sphère économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons.

Le seul domaine où l’on pourrait puiser cette connaissance est celui du rapport de toutes les classes et catégories de la population avec l’État et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre elles. 

C’est pourquoi, à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ?- on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les praticiens, sans parler de ceux d’entre eux qui penchent vers l’économisme, à savoir : « aller aux ouvriers ».

Pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques, les social-démocrates doivent aller dans toutes les classes de la population, ils doivent envoyer dans toutes les directions des détachements de leur armée. »

La ligne de l’Iskra, celle de Lénine, va triompher dans le P.O.S.D.R., qui scissionne à son second congrès, en juillet 1903. La majorité (« bolchinstvo » en russe) suit Lénine, et ses partisans prennent le surnom de « majoritaires », de « bolcheviks » en russe.

Le premier numéro de l'Iskra
Le premier numéro de l’Iskra

Les « minoritaires » sont les « mencheviks » (de « menchinstvo », minorité en russe), qui étaient pour une organisation d’adhérents et non pas de cadres éprouvés. Ils n’acceptèrent pas leur défaite et, notamment avec à leur tête Julius Martov et Trotsky, menèrent une grande campagne contre les Bolcheviks.

Lénine a critiqué les positions Menchéviks dans un ouvrage également célèbre, Un pas en avant, deux pas en arrière, paru en mai 1904. Il y souligne la question de la nature d’avant-garde des révolutionnaires :

« Nous sommes le Parti de la classe, écrivait Lénine, et c’est pourquoi presque toute la classe (et en temps de guerre, à l’époque de la guerre civile, absolument toute la classe) doit agir sous la direction de notre Parti, doit se serrer le plus possible autour de lui.

Mais ce serait du manilovisme [Placidité, inertie, fantaisie oiseuse ; l’expression vient de Manilov, personnage des Ames mortes de Gogol] et du « suivisme » que de penser que sous le capitalisme presque toute la classe ou la classe entière sera un jour en état de s’élever au point d’acquérir le degré de conscience et d’activité de son détachement d’avant-garde, de son parti social-démocrate. »

Ce n’est nullement une simple question d’efficacité, cela réside dans la nature même de la classe ouvrière, qui doit ouvrir une nouvelle époque, porter une nouvelle société sur ses épaules. La classe se transcende justement par sa rationalité exprimée en termes d’organisation.

Lénine explique que :

« Le prolétariat n’a pas d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation.

Divisé par la concurrence anarchique qui règne dans le monde bourgeois, accablé sous un labeur servile pour le capital, rejeté constamment « dans les bas-fonds » de la misère noire, d’une sauvage inculture et de la dégénérescence, le prolétariat peut devenir – et deviendra inévitablement – une force invincible pour cette seule raison que son union idéologique sur les principes du marxisme est cimentée par l’unité matérielle de l’organisation qui groupe les millions de travailleurs en une armée de la classe ouvrière. 

A cette armée ne pourront résister ni le pouvoir décrépit de l’autocratie russe, ni le pouvoir en décrépitude du capital international. Cette armée resserrera ses rangs de plus en plus, en dépit de tous les zigzags et pas en arrière, malgré la phraséologie opportuniste des girondins de l’actuelle social-démocratie, en dépit des louanges, pleines de suffisance, prodiguées à l’esprit de cercle arriéré, en dépit du clinquant et du battage de l’anarchisme d’intellectuel. »

Lénine est, ainsi, impitoyable avec le refus de l’organisation, qui a nécessairement une base de classe. Il dit :

« Cet anarchisme de grand seigneur est particulièrement propre au nihiliste russe. L’organisation du Parti lui semble une monstrueuse « fabrique » ; la soumission de la minorité à la majorité lui apparaît comme un « asservissement »… la division du travail sous la direction d’un centre lui fait pousser des clameurs tragi-comiques contre la transformation des hommes en « rouages et ressorts » (et il voit une forme particulièrement intolérable de cette transformation dans la transformation des rédacteurs en collaborateurs), le seul rappel des statuts d’organisation du Parti provoque chez lui une grimace de mépris et la remarque dédaigneuse (à l’adresse des « formalistes ») que l’on pourrait se passer entièrement de statuts. »

Ce succès du bolchevisme permet de lancer le mouvement en Russie, arrachant par exemple en décembre 1904, au bout d’une grande grève à Bakou, la première convention collective en Russie, entre les ouvriers et les industriels du pétrole.

L’élan continua avec une grève éclatant en janvier 1905 dans la grande usine Poutilov de Saint-Pétersbourg. La manifestation de 140 000 personnes qui suivit fut réprimée dans le sang, avec un millier de morts et 2000 blessés. Le tsarisme réagissait d’autant plus violemment qu’il venait de voir sa marine écrasée par celle du Japon, dans le cadre de leur concurrence inter-impérialiste en Extrême-Orient.

Il s’ensuivit une grève de 440 000 travailleurs, puis une série de grèves politiques, voire insurrectionnelles, avec des affrontements armés. Un épisode très connu fut la mutinerie à bord du cuirassé Potemkine.

Manifestation du 17 octobre 1905, Ilia Répine, 1905

La révolution de 1905 n’avait, cependant, pas de direction assez solide pour aller au bout de son mouvement. Le Tsar lâche du lest en autorisant un parlement consultatif, que les Bolchéviks rejetèrent, à l’opposé des Menchéviks ; la scission était de toute manière consacrée en avril, lorsque les Bolchéviks tinrent leur congrès à Londres, les Menchéviks à Genève.

Lénine écrivit alors en juin-juillet 1905 une brochure intitulée « Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique ». Il y explique que la classe ouvrière doit prendre le commandement du renversement du tsarisme, et donc de la révolution démocratique.

La bourgeoisie libérale a trop besoin du tsarisme pour opprimer les ouvriers, aussi les ouvriers, et leurs alliés naturels en l’occurrence les paysans, doivent pousser la révolution démocratique.

Lénine explique cela ainsi :

« Il est avantageux pour la bourgeoisie de s’appuyer sur certains vestiges du passé contre le prolétariat, par exemple sur la monarchie, l’armée permanente, etc.

Il est avantageux pour la bourgeoisie que la révolution bourgeoise ne balaye pas trop résolument tous les vestiges du passé, qu’elle en laisse subsister quelques-uns, autrement dit que la révolution ne soit pas tout à fait conséquente et complète, ni résolue et implacable. (…)

Pour la bourgeoisie, il est plus avantageux que les transformations nécessaires dans le sens de la démocratie bourgeoise s’accomplissent plus lentement, plus graduellement, plus prudemment, moins résolument, par des réformes et non par une révolution… ; que ces transformations contribuent aussi peu que possible à développer l’initiative révolutionnaire et l’énergie de la plèbe, c’est-à-dire de la paysannerie et surtout des ouvriers.

Car autrement il serait d’autant plus facile aux ouvriers de « changer leur fusil d’épaule », comme disent les Français, c’est-à-dire de retourner contre la bourgeoisie elle-même les armes que la révolution bourgeoise leur aura fournies, les libertés qu’elle aura introduites, les institutions démocratiques qui auront surgi sur le terrain déblayé du servage.

Pour la classe ouvrière, au contraire, il est plus avantageux que les transformations nécessaires dans le sens de la démocratie bourgeoise soient acquises précisément par la voie révolutionnaire et non par celle des réformes, car la voie des réformes est celle des atermoiements, des tergiversations et de la mort lente et douloureuse des parties gangrenées de l’organisme national.

Les prolétaires et les paysans sont ceux qui souffrent les premiers et le plus de cette gangrène. La voie révolutionnaire est celle de l’opération chirurgicale la plus prompte et la moins douloureuse pour le prolétariat, celle qui consiste à amputer résolument les parties gangrenées, celle du minimum de concessions et de précautions à l’égard de la monarchie et de ses institutions infâmes et abjectes, où la gangrène s’est mise et dont la puanteur empoisonne l’atmosphère. »

C’est le paradoxe incompréhensible pour ceux qui rejettent le matérialisme dialectique. La classe ouvrière est le pendant de la bourgeoisie ; si celle-ci se renforce et joue son rôle historique, la classe ouvrière se renforce aussi.

Lénine rappelle cette thèse :

« Le marxisme nous enseigne qu’une société fondée sur la production marchande et pratiquant des échanges avec les nations capitalistes civilisées, doit inévitablement s’engager elle-même, à un certain stade de son développement, dans la voie du capitalisme.

Le marxisme a rompu sans retour avec les élucubrations des populistes et des anarchistes qui pensaient, par exemple, que la Russie pourrait éviter le développement capitaliste, sortir du capitalisme ou l’enjamber de quelque façon, autrement que par la lutte de classe, sur le terrain et dans les limites de ce même capitalisme.

Toutes ces thèses du marxisme ont été démontrées et ressassées dans leurs moindres détails, d’une façon générale et plus particulièrement en ce qui concerne la Russie. Ces thèses montrent que l’idée de chercher le salut de la classe ouvrière ailleurs que dans le développement du capitalisme est réactionnaire.

Dans des pays tels que la Russie, la classe ouvrière souffre moins du capitalisme que de l’insuffisance du développement du capitalisme.

La classe ouvrière est donc absolument intéressée au développement le plus large, le plus libre et le plus rapide du capitalisme.

Il lui est absolument avantageux d’éliminer tous les vestiges du passé qui s’opposent au développement large, libre et rapide du capitalisme (…).

Aussi la révolution bourgeoise présente-t-elle pour le prolétariat les plus grands avantages. La révolution bourgeoise est absolument indispensable dans l’intérêt du prolétariat.

Plus elle sera complète et décisive, plus elle sera conséquente, et plus assurées seront les possibilités de lutte du prolétariat pour le socialisme, contre la bourgeoisie. »

La classe ouvrière a intérêt à la révolution démocratique, le capitalisme la renforce en tant que classe, aussi doit-elle soutenir le mouvement, et même le diriger puisque la bourgeoisie est trop faible.

Ce qui signifie que :

« Les marxistes sont absolument convaincus du caractère bourgeois de la révolution russe.

Qu’est-ce à dire ? C’est que les transformations démocratiques du régime politique, et puis les transformations sociales et économiques dont la Russie éprouve la nécessité, loin d’impliquer par elles-mêmes l’ébranlement du capitalisme, l’ébranlement de la domination de la bourgeoisie, au contraire déblaieront véritablement, pour la première fois, la voie d’un développement large et rapide, européen et non asiatique, du capitalisme en Russie ; pour la première fois elles rendront possibles dans ce pays la domination de la bourgeoisie comme classe.

Les socialistes-révolutionnaires ne peuvent pas comprendre cette idée, par ce qu’ils ignorent l’abc des lois du développement de la production marchande et capitaliste, et ne voient pas que même le triomphe complet de l’insurrection paysanne, même une nouvelle répartition de toutes les terres conformément aux intérêts et selon les désirs de la paysannerie (le « partage noir » ou quelque chose d’analogue), loin de supprimer le capitalisme, donnerait au contraire une nouvelle impulsion à son développement et hâterait la différenciation de classes au sein de la paysannerie.

L’incompréhension de cette vérité fait des socialistes-révolutionnaires les idéologues inconscients de la petite bourgeoisie (…).

Mais il n’en découle nullement que la révolution démocratique (bourgeoise par son contenu économique et social) ne soit pas d’un immense intérêt pour le prolétariat. Il n’en découle nullement que la révolution démocratique ne puisse revêtir aussi bien des formes avantageuses surtout pour le gros capitaliste, le manitou de la finance, le propriétaire foncier « éclairé », que des formes avantageuses pour le paysan et pour l’ouvrier ».

Lénine explique donc que :

« l’issue de la révolution dépend de ceci : la classe ouvrière jouera-t-elle le rôle d’un auxiliaire de la bourgeoisie, puissant par l’assaut qu’il livre à l’autocratie, mais impuissant politiquement, ou jouera-t-elle le rôle de dirigeant de la révolution populaire ? (…)

Les mots d’ordre tactiques justes de la social-démocratie ont maintenant, pour la direction des masses, une importance particulière. Rien n’est plus dangereux que de vouloir amoindrir en temps de révolution la portée des mots d’ordre tactiques conformes aux principes. »

Par des mots d’ordre tactique corrects, la classe ouvrière pourra briser le type tsariste de domination du capitalisme arriéré, qui l’affaiblit et l’empêche de s’affirmer comme classe. C’est le grand paradoxe.

Et dans cette lutte, il peut compter sur la paysannerie, pour des raisons historiques :

« Seul le prolétariat, écrivait Lénine, peut combattre avec esprit de suite pour la démocratie. Mais il ne peut vaincre dans ce combat que si la masse paysanne se rallie à la lutte révolutionnaire  du prolétariat. (…)

La paysannerie renferme une masse d’éléments semi-prolétariens à côté de ses éléments petits-bourgeois. Ceci la rend instable, elle aussi, et oblige le prolétariat à se grouper en un parti de classe strictement défini.

Mais l’instabilité de la paysannerie diffère radicalement de l’instabilité de la bourgeoisie, car, à l’heure actuelle, la paysannerie est moins intéressée à la conservation absolue de la propriété privée qu’à la confiscation des terres seigneuriales, une des formes principales de cette propriété.

Sans devenir pour cela socialiste, sans cesser d’être petite-bourgeoise, la paysannerie est capable de devenir un partisan décidé, et des plus radicaux, de la révolution démocratique.

Elle le deviendra inévitablement si seulement le cours des événements révolutionnaires qui font son éducation, n’est pas interrompu trop tôt par la trahison de la bourgeoisie et la défaite du prolétariat.

A cette condition, la paysannerie deviendra inévitablement le rempart de la révolution et de la République, car seule une révolution entièrement victorieuse pourra tout lui donner dans le domaine des réformes agraires, tout ce que la paysannerie désire, ce à quoi elle rêve, ce qui lui est vraiment nécessaire. »

Aux yeux de Lénine, les mots d’ordre sont ainsi de pratiquer  « des grèves  politiques de masse, qui peuvent avoir une grande importance au début et au cours même de l’insurrection », de procéder à «l’application immédiate par la voie révolutionnaire de la journée de 8 heures et des autres revendications pressantes de la classe ouvrière », procéder à  « l’organisation immédiate de comités paysans révolutionnaires pour l’application » par la voie révolutionnaire « de toutes les transformations démocratiques », jusque et y compris la confiscation des terres seigneuriales et d’armer les ouvriers.

Miniature représentant le tsar Nicolas II, Maison russe Fabergé

Dans les mois qui suivirent, on put voir le caractère correct de cette analyse. Une grève dans l’imprimerie début octobre culmina en grève politique, désamorcée par un « manifeste du Tsar » promettant des droits bourgeois, puis un parlement législatif (mais non représentatif, puisque les femmes n’avaient pas le droit de vote, ni deux millions d’ouvriers).

Cela n’empêcha par conséquent pas la formation de Soviets ouvriers, avec une direction insurrectionnelle mise en avant systématiquement par les bolcheviks. Dans tout le pays, l’agitation était extrême, pourtant la révolution de décembre 1905 échoua en raison de l’organisation insuffisante et du rôle contre-révolutionnaire des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks, notamment sur le plan militaire.

Le Tsar avait par la suite les coudées franches, le parlement législatif étant lui-même abandonné quelques mois plus tard. Mais 1905 formait une première grande répétition.

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La Russie tsariste et le développement capitaliste

La Russie n’a pas toujours été un vaste territoire. Elle naît comme dans un processus de conquête, à partir de Moscou, contre les Tataro-mongols et leur royaume appelé la « Horde d’or ». Entre 1300 et 1796 se forme la Russie par la conquête féodale, avec l’appui de l’Église orthodoxe.

L'expansion russe depuis Moscou, 1300 - 1796
L’expansion russe depuis Moscou, 1300 – 1796

On assiste, ainsi, à la formation très tardive d’un royaume, formation permettant un élan féodal. Cela explique que, alors qu’en Europe occidentale il est procédé à des débuts de réforme agraire, en Russie le phénomène inverse se déroule : en 1649, le servage est instauré, liant le paysan et ses descendants à une terre et son propriétaire féodal.

L’aristocratie va alors être particulièrement moderne, tournée vers l’Europe occidentale et les Lumières, en contraste absolu avec la situation en Russie même. Cela sera d’autant plus flagrant alors qu’avec l’échec napoléonien, la Russie commence à jouer un grand rôle en Europe, de par sa puissance.

Cette puissance était néanmoins très fragile, de par la base féodale.

Cavalier cosaque, par le Français Carle Vernet (1758-1836), vers 1820

L’aristocratie régnante a le plus souvent cherché à moderniser par le haut le pays, à l’instar de l’Autriche-Hongrie, mais en rencontrant le même phénomène de blocage : les propriétaires terriens et l’armée n’avaient aucun intérêt à la moindre évolution.

L’un des grands événements de cette contradiction sera l’insurrection échouée des « décabristes », consistant en une tentative de coup d’État militaire de jeunes officiers issus de l’aristocratie, cherchant à établir une monarchie constitutionnelle.

La monarchie continue, en effet, son élan par des conquêtes, tant la Pologne qu’en Asie, où elle se confronte à la Grande-Bretagne dans ce qui sera appelé « le grand jeu ».

Ce n’est que pour cette raison qu’elle décide de procéder à sa modernisation : la Russie a été défaite par la France, la Grande-Bretagne et l’Empire Ottoman lors de la guerre de Crimée, au milieu du XIXe siècle (de 1853 à 1856), et le Tsar décide d’accélérer la transformation de son empire de 12,5 millions de kilomètres carrés qui comptait alors 60 millions de personnes.

Le processus de révolution industrielle s’enclenche : entre 1865 et 1890 le nombre d’ouvriers en Russie occidentale, dans les grandes entreprises, les mines et le réseau ferroviaire double (passant de 706.000 à 1.433.000), chiffre qui ne cessera d’augmenter (2.792.000 à la fin des années 1890). De 1890 à 1900, plus de 21.000 kilomètres de lignes de chemin de fer sont construits.

Maison paysanne, vers 1860

Si les paysans restent en ces années la population majoritaire (les 5/6e), le poids politique de la classe ouvrière prend ainsi de plus en plus d’importance, de par les exigences démocratiques qu’elle affirme.

Ce n’était cependant pas évident à l’époque. La tendance idéologique dominante dans le camp d’opposition au Tsar voyait comme négative l’industrialisation par en haut et avait comme point de référence le « mir », la commune agricole. Le mouvement était porté par des groupes intellectuels, qui prirent pour cette raison le nom de « Narodniki », narod signifiant le peuple.

Ce mouvement « populiste » échoua néanmoins dans sa tentative de s’établir dans les campagnes, et ses membres passèrent dans le camp du terrorisme individuel, avec le groupe militaire, la « Narodnaja Volia » (la volonté populaire).

Cette organisation fut à l’origine de l’exécution du tsar Alexandre II en 1881, remplacé par Alexandre III sous lequel une répression féroce sera menée ; le frère même de Lénine sera exécuté pour participation à un attentat contre le nouveau tsar.

Un paysan russe

Lénine fut, lui, à l’origine de la critique du populisme, ce qui permit l’établissement du mouvement bolchevik.

Avant Lénine, le marxisme ne venait que d’arriver en Russie, sous l’impulsion du groupe « Libération du travail », fondé en 1883 par Georgi Plekhanov.

Ce dernier était un populiste acquis au marxisme lors de son exil hors de Russie, c’est alors que furent traduits et diffusés clandestinement de nombreux ouvrages de Karl Marx et Friedrich Engels (« Le manifeste du parti communiste », « Travail salarié et capital », « Socialisme utopique et socialisme scientifique »).

Parmi les ouvrages de Georgi Plékhanov, le plus important est « A propos de la question du développement de la vision moniste de l’histoire », écrit en 1895, livre « qui a éduqué toute une génération de marxistes russes » (Lénine).

C’est cependant Lénine qui a fait du marxisme une théorie vivante, dans le cadre des conditions russes. Né en 1870, il est d’abord un étudiant révolutionnaire confronté à la répression, parvenant ensuite à rassembler les marxistes de Saint-Pétersbourg en 1895 dans une « union de lutte pour la libération de la classe ouvrière ».

Le jeune Lénine
Le jeune Lénine

Puis, il publie deux œuvres synthétisant l’analyse marxiste de la Russie, à contre-pied du populisme.

La première œuvre est « Pour caractériser le romantisme économique », écrit en 1897, la seconde est « Le développement du capitalisme en Russie », publié en 1899. Ces deux œuvres essentielles sont le direct prolongement d’un article de 1894, « Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates »

Dans cet article, Lénine expose sa défense du matérialisme dialectique contre les théories des populistes, qui tronquent le marxisme, le déforment.

« Pour éclairer ces questions, citons d’abord un autre passage de la préface au Capital, quelques lignes plus bas : « Ma conception, dit Marx, est que je vois dans le développement de la formation économique de la société un processus d’histoire naturelle. » (…)

Aujourd’hui – depuis la parution du Capital – la conception matérialiste de l’histoire n’est plus une hypothèse, mais une doctrine scientifiquement démontrée.

Et tant que nous n’enregistrerons pas une autre tentative d’expliquer scientifiquement le fonctionnement et l’évolution d’une formation sociale – d’une formation sociale précisément et non des coutumes et habitudes d’un pays ou d’un peuple, ou même d’une classe, etc. – tentative qui, tout comme le matérialisme, serait capable de mettre de l’ordre dans les « faits correspondants », de tracer un tableau vivant d’une formation, et d’en donner une explication strictement scientifique, – la conception matérialiste de l’histoire sera synonyme de science sociale. Le matérialisme n’est pas « une conception scientifique de l’histoire par excellence », comme le croit M. Mikhaïlovski, mais la seule conception scientifique de l’histoire. (…)

Si l’on pouvait parler de clans dans l’ancienne Russie, il ne fait pas de doute que déjà au moyen âge, à l’époque du tsarat de Moscovie, ces relations de clans n’existaient plus, c’est-à-dire que l’État se basait sur des associations locales, et non clanales : propriétaires terriens et monastères acceptaient les paysans venus des différentes localités, et les communautés ainsi formées étaient des associations purement territoriales.

Cependant, on pouvait à peine parler de liens nationaux au sens propre du mot à cette époque : l’État était divisé en « territoires » distincts, souvent même en principautés qui conservaient des traces vivantes d’ancienne autonomie, des particularités d’administration, parfois leurs propres troupes (les boyards locaux partaient en guerre à la tête de leurs propres régiments), des frontières douanières à elles, etc.

Seule la période moderne de l’histoire russe (depuis le XVIl° siècle à peu près) est marquée par la fusion effective de toutes ces régions, territoires et principautés, en un tout.

Cette fusion n’est pas due, très honorable M. Mikhaïlovski, à des relations de clans ni même à leur continuation et généralisation ; elle est due à l’échange accru entre régions, au développement graduel des échanges de marchandises et à la concentration des petits marchés locaux en un seul marché de toute la Russie.

Comme les dirigeants et les maîtres de ce processus étaient les gros marchands capitalistes, la création de ces liens nationaux n’était rien d’autre que la création de liens bourgeois. (…)

Nulle part aucun marxiste n’a jamais argumenté en ce sens qu’en Russie « il doit y avoir » le capitalisme, « parce que » il a existé en Occident, etc.

Aucun marxiste n’a jamais vu dans la théorie de Marx un schéma de la philosophie de l’histoire, obligatoire pour tous, quelque chose de plus que l’explication d’une certaine formation de l’économie sociale.

Seul un philosophe subjectif, M. Mikhaïlovski, a trouvé moyen de faire preuve d’une incompréhension de Marx au point de déceler chez lui une théorie philosophique générale, ce qui lui valut cette réponse explicite de Marx, qu’il s’était trompé d’adresse.

Jamais aucun marxiste n’a fondé ses conceptions social démocrates sur autre chose que leur conformité avec la réalité et l’histoire des rapports économiques et sociaux existants, c’est-à-dire russes ; au reste, il ne pouvait les fonder autrement, parce que cette exigence de la théorie a été formulée d’une façon absolument nette et précise, et placée comme clef de voûte de toute la doctrine par le fondateur même du « marxisme », Marx. »

Lénine, Ce que sont les « amis du peuple » et comment ils luttent contre les social-démocrates
Des paysannes russes
Des paysannes russes

Sur cette base, Lénine va critiquer les populistes ; dans « Pour caractériser le romantisme économique », il montre comment la « nostalgie » d’une période pré-capitaliste (ou soi-disant telle quelle) représente une vision erronée, appuyant la petite production capitaliste :

« L’idéalisation de la petite production nous révèle un autre trait spécifique de la critique romantique et populiste : son caractère petit-bourgeois. Nous avons vu que le romantique français comme le romantique russe font de la petite-production une « organisation sociale », une « forme de production », qu’ils opposent au capitalisme.

Nous avons vu aussi que cette opposition n’implique qu’une compréhension très superficielle, qu’elle isole artificiellement et à tort une forme de l’économie marchande (le grand capital industriel) et la condamne, tout en idéalisant utopiquement une autre forme de cette même économie marchande (la petite production).

Le malheur des romantiques européens du début du XIXe siècle, comme des romantiques russes de la fin du siècle, c’est qu’ils imaginent dans l’abstrait une petite exploitation en dehors des rapports sociaux de la production, et oublient un petit détail : à savoir que la petite exploitation, celle du continent européen de la période 1820-1830 comme celle du paysan russe de la période 1890-1900, est placée en réalité dans les conditions de la production marchande.

Le petit producteur, porté aux nues par les romantiques et les populistes, n’est donc en réalité qu’un petit-bourgeois placé dans les mêmes rapports contradictoires que tout autre membre de la société capitaliste, et menant comme lui, pour assurer son existence, une lutte qui, d’une part, produit constamment une minorité de gros bourgeois, et, d’autre part, rejette la majorité dans les rangs du prolétariat.

En réalité, comme chacun le voit et le sait, il n’y a pas de petits producteurs qui ne soient placés entre ces deux classes opposées ; et cette position intermédiaire détermine nécessairement le caractère spécifique de la petite bourgeoisie, sa dualité, sa duplicité, sa sympathie pour la minorité qui sort victorieuse de la lutte, son hostilité à l’égard des « malchanceux », c’est-à-dire la majorité.

Plus l’économie marchande se développe, plus ils devient clair que l’idéalisation de la petite production ne traduit qu’un point de vue réactionnaire, petit-bourgeois. »

Lénine, Pour caractériser le romantisme économique
Boîte à cigares, Maison russe Fabergé, entre 1896 et 1908

Lénine expose alors la nature sociale de la Russie, dans « Le développement du capitalisme en Russie » ; il présente tous les différents domaines sociaux et regarde le rapport au capitalisme. Dans sa conclusion, il explique :

« Pour conclure, il ne nous reste plus qu’à faire le bilan de ce que dans notre littérature économique on appelle la « mission » du capitalisme, c’est-à-dire du rôle historique de ce régime dans le développement économique de la Russie.

Ainsi que nous avons essayé de le montrer en détail tout au long de notre exposé, il n’y a absolument rien d’incompatible entre le fait d’admettre le caractère progressiste de ce rôle et la dénonciation de tous les côtés sombres et négatifs du capitalisme, de toutes les contradictions profondes et généralisées qui lui sont inhérentes et qui en révèlent le caractère historique transitoire.

Ce sont précisément les populistes qui s’efforcent par tous les moyens de faire croire que reconnaître le caractère historique progressiste de ce régime équivaut à en faire l’apologie, ce sont précisément eux qui commettent l’erreur de sous-estimer (et parfois même de passer sous silence) les profondes contradictions du capitalisme russe en essayant de dissimuler la décomposition de la paysannerie, le caractère capitaliste de l’évolution de notre agriculture, la formation d’une classe d’ouvriers industriels et agricoles salariés pourvus d’un lot de terre, en dissimulant le fait que les formes les plus inférieures et les plus mauvaises du capitalisme dominent absolument dans la fameuse industrie « artisanale ».

Le rôle historique progressiste du capitalisme peut être résumé en deux mots : développement des forces productives du travail social et collectivisation de ce travail. Mais selon les domaines de l’économie nationale auxquels on a affaire, ces deux phénomènes prennent des formes extrêmement variées.

Ce n’est qu’à l’époque de la grande industrie mécanique que le développement des forces productives du travail social se manifeste dans toute son ampleur. Jusqu’à ce stade supérieur du capitalisme, en effet, la production est basée sur le travail à la main et sur une technique primitive dont les progrès sont extrêmement lents et purement spontanés.

A cet égard, l’époque postérieure à l’abolition du servage se différencie radicalement des autres périodes de l’histoire russe. La Russie de l’araire et du fléau, du moulin à eau et du métier à bras a commencé à se transformer à un rythme rapide en un pays de charrues et de batteuses, de moulins à vapeur et de métiers mécaniques.

Et cette transformation complète de la technique a pu être observée dans toutes les branches de l’économie nationale, sans exception, soumises à la production capitaliste.

De par la nature même du capitalisme, ce processus de transformation comporte inévitablement toute une série d’inégalités et de disproportions : les périodes de prospérité sont suivies par des périodes de crise, le développement d’une branche industrielle aboutit à la décadence d’une autre, les progrès de l’agriculture touchent des aspects de l’économie rurale qui varient selon les régions, le développement du commerce et l’industrie devance celui de l’agriculture, etc.

Bon nombre des erreurs commises par les écrivains populistes viennent de ce que ces auteurs tentent de prouver que ce développement disproportionné, aléatoire, par bonds, n’est pas un développement.

Une autre particularité du développement capitaliste des forces productives sociales, c’est que, comme nous l’avons indiqué à plusieurs reprises, aussi bien pour l’agriculture que pour l’industrie, l’accroissement des moyens de production (de la consommation productive) est bien supérieur à celui de a consommation personnelle. Cette particularité est due aux lois générales qui régissent la réalisation du produit en société capitaliste et correspond en tous points à la nature antagonique de cette société.

Quant à la socialisation du travail provoquée par le capitalisme, elle se manifeste dans les processus suivants : Premièrement, le développement de la production marchande met fin au morcellement propre à l’économie naturelle des petites unités économiques et rassemble les petits marchés locaux en un grand marché national (puis mondial).

La production pour soi se transforme en production pour toute la société, et plus le capitalisme est développé, plus la contradiction entre le caractère collectif de la production et le caractère individuel de l’appropriation se renforce.

Deuxièmement, le capitalisme remplace l’ancien morcellement de la production par une concentration sans précédent et ce aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie. C’est là la manifestation la plus spectaculaire et la plus évidente de cette particularité du capitalisme, mais ce n’est nullement la seule.

Troisièmement, le capitalisme élimine les formes de dépendance personnelle inhérentes aux anciens systèmes économiques. A cet égard, son caractère progressiste ressort tout particulièrement en Russie où la dépendance personnelle du producteur existait non seulement dans l’agriculture (où elle continue à subsister partiellement), mais également dans l’industrie de transformation (les « fabriques » basées sur le travail servile), dans l’industrie minière, dans les pêcheries, etc.

Par rapport au travail du paysan dépendant ou asservi, il va de soi que pour toutes les branches de l’économie nationale le travail du salarié libre constitue un phénomène progressiste.

Quatrièmement, le capitalisme entraîne inévitablement une mobilité de la population dont les régimes économiques antérieurs n’avaient pas besoin et qui, sous ces régimes, ne pouvait pas exister sur une échelle un tant soit peu importante.

Cinquièmement, le capitalisme provoque une diminution constante de la part de la population qui travaille dans l’agriculture (où ce sont toujours les formes les plus retardataires de rapports économiques et sociaux qui prédominent) et un accroissement du nombre des grands centres industriels.

Sixièmement, la société capitaliste accroît le besoin d’unions et d’associations de la population et donne à ces associations un caractère particulier qui les différencie de celles de l’ancien temps. Tout en détruisant les étroites unions corporatives locales de la société moyenâgeuse, et en créant une concurrence acharnée, le capitalisme scinde l’ensemble de la société en vastes groupes de personnes qui se différencient par la position qu’elles occupent dans la production, et donne une vigoureuse impulsion à la constitution d’associations au sein de chacun de ces groupes.

Septièmement, toutes les transformations de l’ancien régime économique provoquées par le capitalisme que nous venons de signaler entraînent inévitablement une transformation morale de la population.

Le caractère saccadé du développement économique, la transformation rapide des modes de production, l’énorme concentration de celle-ci, la disparition de toutes les formes de dépendance personnelle et des rapports patriarcaux, la mobilité de la population, l’influence des grands centres industriels, etc., tout cela ne peut que modifier de façon profonde le caractère même des producteurs et nous avons déjà eu l’occasion de signaler les observations des enquêteurs russes dans ce sens.

Pour en revenir aux économistes populistes avec lesquels nous n’avons cessé de polémiquer, nous pouvons résumer les causes de nos désaccords de la façon suivante.

Nous sommes tout d’abord dans l’obligation de constater que la conception même que les populistes ont du développement capitaliste en Russie et du régime économique qui a précédé le capitalisme dans ce pays est, à notre point de vue, radicalement erronée.

De plus, leur ignorance des contradictions capitalistes existant aussi bien dans le régime de l’économie paysanne (qu’elle soit agricole ou industrielle) nous paraît particulièrement grave.

Enfin, pour ce qui concerne le problème de la lenteur ou de la rapidité du développement du capitalisme en Russie, tout dépend de ce que l’on prend comme point de comparaison. Si l’on compare l’époque précapitaliste de la Russie à son époque capitaliste (et c’est précisément cette comparaison qu’il faut faire si on veut résoudre le problème qui nous occupe), force nous est de reconnaître qu’en régime capitaliste, notre économie nationale se développe d’une façon extrêmement rapide.

Mais si on compare ce rythme de développement à celui qui serait possible étant donné le niveau actuel, de la technique et de la culture, on doit reconnaître qu’effectivement le développement du capitalisme en Russie est lent.

Et il ne peut en être autrement car aucun pays capitaliste n’a conservé une telle abondance d’institutions surannées, incompatibles avec le capitalisme dont elles freinent les progrès et qui aggravent considérablement la situation des producteurs « souffrant à la fois du capitalisme et de son développement insuffisant » (Karl Marx, Le Capital).

Enfin, la cause essentielle des divergences qui nous opposent aux populistes est peut-être la différence qui sépare nos conceptions fondamentales des processus économiques et sociaux.

Quand il étudie ces processus, le populiste en arrive généralement à des conclusions moralisatrices ; il ne considère pas les divers groupes participant à la production comme les créateurs de telle ou telle forme de vie ; il ne se propose pas de présenter l’ensemble des rapports économiques et sociaux comme le résultat des rapports existant entre ces groupes qui ont des intérêts et un rôle historique différents… »

Lénine, Le développement du capitalisme en Russie)

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La science de la logique de Hegel et ses errements

Hegel repart donc de là où il était arrivé, par impossibilité de se rapporter à la matière en tant que telle ; il passe des centaines de pages à formuler une sorte de subjectivisme affirmant saisir les modalités dialectiques de l’existence. Les errements dans La science de la logique rendent son étude fastidieuse, malgré les éléments essentiels qu’on y trouve.

Chez Hegel, la vie serait avant tout à considérer du point de vue de l’individu vivant. Hegel revendique l’individualité subjective capable de saisir, au moyen des concepts, des réalités dispersées, dont le fonctionnement répond somme toute à une sorte de mécanique opposition / sujet-objet :

Une telle unité d’essence et de forme, qui s’opposent comme forme et matière, est le fondement absolu, qui se détermine.

La vérité n’est plus le réel, mais le processus logique lui-même. Ce qui compte, ce ne sont pas les choses en tant que tel, mais leurs propriétés, dont l’agencement est compris par une analyse logique – ce qui est basculer dans la démarche analytique que Hegel réfute pourtant.

Tout cela parce que Hegel réduit la matière au matériau ; ici apparaît le principe de la phénoménologie, où des aspects des choses se présentent et établissent des rapports entre elles, dont la délimitation consiste en la philosophie (Husserl, Sartre, etc.).

Ce n’est pas la réalité qui porte le mouvement, mais le fait qu’il y ait mouvement qui amènerait la réalité :

L’identité abstraite avec soi n’est pas encore en soi le caractère d’être vivant, mais que le positif est en soi lui-même la négativité, c’est par là qu’il va en-dehors de lui et qu’il se place en transformation.

Quelque chose est ainsi vivant, seulement dans la mesure où il contient en lui la contradiction, et c’est là la force, de saisir et de maintenir la contradiction en soi.

C’est là le reflet de l’esprit bourgeois de l’entrepreneur, qui donne naissance dans la mesure où il parvient à donner vie à ce qu’il entreprend. C’est également la conception de l’individu dans le capitalisme, faisant des choix qui réussissent, qu’il « parvient » à faire réussir.

Hegel dresse une véritable théorie des « possibles », qui seraient « nécessaires » de par leur liaison dialectique, mais qui en définitive aboutit à une sorte de mysticisme de la logique dialectique, comme compréhension de l’établissement des choses :

La logique est par là à saisir comme le système de la raison pure, le royaume de la pensée pure.

Ce royaume est la vérité, lorsqu’elle est sans enveloppe et pour elle-même.

On peut pour cette raison exprimer le fait que ce contenu est la représentation de Dieu tel qu’il est dans son essence éternelle avant la création de la nature et d’un esprit fini.

Comprendre la logique dialectique serait saisir l’ordre des choses, et non plus les choses. La dialectique de Hegel est dégradée au culte de l’esprit se plaçant au-dessus des phénomènes, des choses, regardant de manière logique les processus. C’est Aristote placé dans le cadre de l’époque de la bourgeoisie, avec par conséquent l’introduction de la notion de mouvement à la place du système de raisonnement du type cause-conséquence.

Lénine, dans ses notes sur La science de la logique, résument de manière absolument impeccable cela, avec une précision impressionnante dans le choix des termes, dans la synthèse des errements de Hegel :

Le fleuve et les gouttes dans ce fleuve. La situation de chaque goutte, son rapport aux autres ; sa liaison avec les autres ; la direction de son mouvement ; la vitesse ; la ligne du mouvement — droite, courbe, circulaire, etc.— vers le haut, vers le bas. La somme du mouvement. Les concepts en tant qu’inventaires des aspects particuliers du mouvement, des gouttes particulières (= « les choses »), des « filets » particuliers, etc. Voilà à peu près le tableau de l’univers d’après la Logique de Hegel — naturellement moins le Bon Dieu et l’absolu.

Heureusement de ce fait, bien loin de cette mentalité où la logique est inventaire, le matérialisme dialectique sut préserver le noyau matérialiste et réaliser un saut qualitatif à l’hégélianisme, par le marxisme, puis le léninisme, puis le maoïsme.

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La science de la logique de Hegel et la dialectique de la nature

Au-delà de la critique des mathématiques pour sa nature formaliste – objectiviste et de la physique moderne pour ses conceptions idéalistes la bloquant dans son développement, Lénine puise également la dialectique de la nature dans Hegel, avec Hegel et contre Hegel.

Voici comment il définit la dialectique, reprenant Hegel mais en même temps en ayant conscience de la limite historique de celui-ci :

La dialectique est la théorie de la façon dont les contraires peuvent être et sont habituellement (dont ils deviennent) identiques — des conditions dans lesquelles ils sont identiques en se changeant l’un en l’autre — des raisons pour quoi l’esprit humain ne doit pas prendre ces contraires pour morts, figés, mais pour vivants, conditionnés, mobiles, se changeant l’un en l’autre. En lisant Hegel [en français]…

Lénine note également le passage suivant de Hegel :

148… « C’est la nature du fini lui-même de se dépasser, de nier sa négation, et de devenir infini »… Ce n’est pas une force (Gewalt) extérieure (fremde) (149) qui transforme le fini en infini, mais sa nature (seine Natur) (du fini).

Et à côté il écrit :

La dialectique des choses elles-mêmes, de la nature elle-même, de la marche même des événements .

Voici enfin comment dans ses notes, Lénine arrache les « éléments de la dialectique » à la logique dialectique de Hegel flottant au-dessus de la matière, exposant ce qui constitue une compréhension de celle-ci : « Peut-être est-il possible de présenter ces éléments ainsi, de façon plus détaillée :

  1. objectivité de l’examen (pas des exemples, pas des digressions, mais la chose en elle-même).
  2. tout l’ensemble des rapports multiples et divers de cette chose aux autres.
  3. le développement de cette chose (ou encore phénomène), son mouvement propre, sa vie propre.
  4. les tendances (et # aspects) intérieurement contradictoires dans cette chose.
  5. la chose (le phénomène, etc.) comme somme et unité des contraires.
  6. la lutte ou encore le déploiement de ces contraires, aspirations contradictoires, etc.
  7. union de l’analyse et de la synthèse, séparation des différentes parties et réunion, totalisation de ces parties ensemble.
  8. les rapports de chaque chose (phénomène, etc.) non seulement sont multiples et divers, mais universels. Chaque chose (phénomène, processus, etc.) est liée à chaque autre.
  9. non seulement l’unité des contraires, mais aussi les passages de chaque détermination, qualité, trait, aspect, propriété en chaque autre [en son contraire?]
  10. processus infini de mise à jour de nouveaux aspects, rapports, etc.
  11. processus infini d’approfondissement de la connaissance par l’homme des choses, phénomènes, processus, etc., allant des phénomènes à l’essence et d’une essence moins profonde à une essence plus profonde.
  12. de la coexistence à la causalité et d’une forme de liaison et d’interdépendance à une autre, plus profonde, plus générale.
  13. répétition à un stade supérieur de certains traits, propriétés, etc., du stade inférieur et
  14. retour apparent à l’ancien (négation de la négation)
  15. lutte du contenu avec la forme et inversement. Rejet de la forme, remaniement du contenu.
  16. passage de la quantité en qualité et vice versa, (15 et 16 sont des exemples du 9)
  17. On peut définir brièvement la dialectique comme la théorie de l’unité des contraires. Par là on saisira le noyau de la dialectique, mais cela exige des explications et un développement.

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La science de la logique de Hegel et la critique des mathématiques et de la physique moderne

On comprend la situation dans laquelle se sont retrouvées Karl Marx et Friedrich Engels. D’un côté, Hegel rejetait de manière adéquate les mathématiques comme forme figée, de l’autre Hegel basculait dans une logique des choses autonome des choses elles-mêmes.

La science de la logique accorde d’ailleurs une très grande place à l’étude des mathématiques en tant que tel, en rapport avec cette question de l’infini chez elles. Lénine constate à ce sujet, dans ses notes :

Analyse très détaillée du calcul différentiel et intégral avec des citations de Newton, Lagrange, Carnot, Euler, Leibniz, etc., etc., qui prouvent combien Hegel s’intéressait à cette « disparition » des infiniment petits, cet « état intermédiaire entre l’être et le non-être ». Tout cela est incompréhensible si on n’a pas étudié les mathématiques supérieures.

Karl Marx et Friedrich Engels s’intéresseront de manière approfondie à cette question du calcul différentiel et intégral, étant plus optimiste que Hegel dans le développement possible de mathématiques capables de modéliser le saut qualitatif.

En ce qui concerne cependant La science de la logique plus directement, dans son étude du rapport entre le fini et l’infini, dans sa critique des mathématiques comme approche de choses figées, mortes, et de l’autre côté son basculement dans une « logique » dialectique flottant au-dessus des choses, l’aspect principal fut bien pour Karl Marx et Friedrich Engels la critique du cantonnement dans les formes figées, l’affirmation du mouvement.

C’est cela qui permis à Friedrich Engels d’écrire l’Anti-Dühring et la dialectique de la nature, à Lénine décrire Matérialisme et empirio-criticisme, à Staline d’élever le matérialisme dialectique comme vision du monde du Communisme, à Mao Zedong de l’approfondir.

Lénine, dans ses notes sur La science de la logique, souligne comment la compréhension de Hegel remet en cause la physique moderne prisonnière de conceptions erronées, anti-dialectiques :

[Tout ceci est ténèbres et obscurité. Mais il y a visiblement une pensée vivante : le concept de loi est un des degrés de la connaissance par l’homme de l’ unité et de la liaison, de l’interdépendance et de la totalité du processus universel.

L’ « émondage » et le « démontage » des mots et des concepts auxquels se livre ici Hegel est une lutte contre l’absolutisation du concept de loi, contre sa simplification, sa fétichisation.

NB pour la physique moderne ! ! !]

Voici un autre passage, où Lénine aborde également cette question de la loi absolutisée par les sciences lors d’erreurs idéalistes :

« Cette identité, la base du phénomène qui constitue la loi, est son propre moment… La loi n’est donc pas au-delà du phénomène, mais au contraire elle lui est immédiatement présente, le royaume des lois est l’image calme (italique de Hegel) du monde existant ou apparaissant »…

C’est une définition remarquablement matérialiste et remarquablement juste (par le mot « ruhige » [calme]). La loi prend ce qui est calme — et par là la loi, toute loi, est étroite, incomplète, approchée.

On arrive ici à la question de la cosmologie, de la compréhension de la nature de l’univers lui-même. Lénine note par ailleurs :

L’absolu et le relatif, le fini et l’infini=parties, degrés d’un seul et même univers. So etwa ? [Quelque chose comme ça?]

Lénine fait ici une remarque importante, puisqu’elle sera assumée telle quelle par Mao Zedong. Lui et le physicien japonais Shoichi Sakata formeront la conception matérialiste dialectique d’un univers en oignon, avec différentes couches se superposant et se liant les unes aux autres.

Lénine note également le point suivant de Hegel :

158— 159 : … « L’unité du fini et de l’infini n’est pas un rapprochement extérieur de ceux-ci ni une réunion incongrue, qui contredirait à leur détermination, dans laquelle deux indépendants, deux étants en soi séparés et mutuellement opposés, partant incompatibles, seraient réunis ; au contraire chacun est à lui-même, cette unité et l’est seulement en tant qu’abrogé de soi-même, ce en quoi aucun n’a devant l’autre une prééminence de l’être en soi et de l’être-là affirmatif. Comme on l’a montré plus haut la finitude est seulement comme dépassement de soi, et par conséquent l’infinité, l’autre d’elle-même, est contenue en elle.

Et Lénine de noter à ce sujet :

Appliquer aux atomes versus les électrons. En général, l’infinité de la matière en profondeur…

On retrouve là la grande bataille menée par Mao Zedong durant la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne, afin d’affirmer que « rien n’est indivisible ».

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La science de la logique de Hegel et la logique dialectique séparée de la matière

L’approche de Hegel préfigure le matérialisme dialectique. Il dit ainsi, de manière juste :

C’est un préjugé de base de la logique jusqu’à présente et de la manière habituelle de voir les choses comme quoi la contradiction n’aurait pas une détermination essentielle et immanente comme l’identité.

Or, s’il faut parler de rang, et si on sépare les deux déterminations [qui sont en fait dialectiquement liées], alors la contradiction serait à considérer comme la plus profonde et la plus essentielle.

Car l’identité est face à la contradiction seulement la détermination de l’immédiat simple, de l’être mort ; elle est quant à elle la racine de tout mouvement et de tout caractère vivant ; c’est seulement dans la mesure où quelque chose a en soi une contradiction qu’il se meut, qu’il a de l’impulsion et de l’activité.

Le matérialisme dialectique est ici annoncé, voyant en la contradiction en toutes choses le principe même de l’existence du monde, par le mouvement lui-même. Pourtant Hegel n’y est pas parvenu, sa logique dialectique flotte au-dessus de la matière.

Lénine note bien l’absurdité de cela : qu’est-ce qui empêche ici cette réflexion de l’esprit de n’être qu’un reflet du processus matériel lui-même ? La position de Hegel est donc incohérente.

D’un côté, il y a au moins chez lui le principe de l’activité, de la transformation comme base de la valeur de la réalité ; il préfigure ici le matérialisme historique. Cependant, le sens de cette activité est non pas la réalité en elle-même, mais l’esprit agissant à travers la réalité au moyen de la compréhension de la nature logique, de type dialectique, des processus.

En fait, chez Hegel, qu’une chose soit et ne soit pas revient au même, tant que quelque chose n’a pas été mis en branle en lui, comme transformation, par l’esprit. La logique de Hegel est une logique opérative, elle est un mode de saisie de la réalité.

Pour le matérialisme dialectique, Hegel attribue à l’esprit quelque chose qui en réalité est la propriété de la matière ; son mode opératoire qu’il croit la voie juste de la pensée, de l’esprit, est en réalité le reflet inévitable de la matière.

Hegel est incapable d’appliquer la dialectique à sa propre logique, de voir plusieurs aspects dans sa logique. Il ne voit pas que l’apparence est en liaison dialectique avec le contenu.

C’est pour cette raison que Lénine corrige Hegel de la manière suivante :

« (1)

Die Objektivität [L’objectivité]

# (NB : Pas clair, y revenir !)

des Scheins [de l’apparence]

(2)

Die Notwendigkeit des Widerspruchs selbstbewegende Seele [La nécessité de la contradiction de l’âme auto-mue] , … (« la négativité interne »)… « le principe de toute vie naturelle et spirituelle».

#

N’est-ce pas l’idée que l’apparence aussi est objective, car il y a en elle un des aspects du monde objectif ? Non seulement le Wesen [l’essence], mais aussi le Schein [l’apparence] est objectif. La différence entre le subjectif et l’objectif existe, MAIS ELLE AUSSI A SES LIMITES. »

Il s’agit là de la critique faite à Hegel par Karl Marx et Friedrich Engels comme quoi il considère que la logique, la réflexion sur les choses, l’apparence des choses, tout cela flotterait comme libre en-dehors de la réalité dialectique, alors qu’il ne s’agit en réalité que du reflet du réel.

Chez Hegel, la logique de type dialectique est vrai en soi ; elle ne dépend pas du réel, elle existe parce qu’elle existe et que tout fonctionne de cette manière.

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La science de la logique de Hegel et le noyau matérialiste

Lénine a su retrouver dans La science de la logique le noyau matérialiste présentant le caractère dialectique du mouvement ; il a bataillé pour retrouver les éléments adéquats. Voici comment, dans ses notes, il exprime notamment sa joie lorsqu’il est en mesure de le faire :

Le mouvement et « l’automouvement » (ceci NB ! mouvement autonome (indépendant), spontané, intérieurement nécessaire), « le changement », « le mouvement et la vitalité », « le principe de tout automouvement », « la pulsion » (Trieb) vers le « mouvement » et « l’activité » — l’opposé à « l’être mort » — qui croirait que c’est là le fond de « l’hégélianisme », de cet abstrait et abstrus (lourd, absurde ?) hégélianisme ? ? Ce fond il fallait le découvrir, le comprendre, le hinüberretten [le sauver par le haut, comme malgré lui], le décortiquer, l’épurer, et c’est ce que Marx et Engels ont fait.

« Arracher » le noyau matérialiste est vraiment le terme, puisque Lénine, dont on voit bien qu’il ne connaît culturellement pas la démarche particulièrement tortueuse de Hegel, s’interloque à de nombreuses reprises devant les manières de présenter les choses, comme ici par exemple :

[Plus loin le passage de la quantité en qualité exposé de façon abstraitement théorique est si obscur qu’on n’y comprend rien. Y revenir ! ! ]

Le terme « obscur » revient donc forcément à plusieurs reprises, Lénine étant éberlué par la mauvaise présentation, les explications oiseuses, la tendance au scepticisme, la dérive mystique, etc. auxquelles il est confronté.

Ce qui n’empêche pas les moments clefs où justement Lénine constate que Hegel a de l’esprit, qu’il est pénétrant, qu’il expose des choses vraies. Voici par exemple ce qu’il écrit à un moment dans ses notes, pour résumer ce qu’il a compris :

Très important ! Voici ce que cela signifie à mon avis :

  1. Liaison nécessaire, liaison objective de tous les aspects, forces, tendances, etc., du domaine donné de phénomènes ;
  2. « la genèse immanente des différences », la logique interne objective de l’évolution et de la lutte des différences, de la polarité.

Il s’agit là de remarques importantes sur comment Lénine en arrive à une juste interprétation de ce qu’est la dialectique.

Et au sujet de l’introduction à la troisième partie, intitulée L’idée, de la seconde partie intitulée La logique subjective, Lénine affirme que, avec les paragraphes correspondants de L’Encyclopédie des sciences de Hegel, il est possible d’en dire que c’est « certainement la meilleure présentation de la dialectique. Ici est également présenté de manière merveilleusement géniale l’adéquation de fait, pour ainsi dire, de la logique et de la gnoséologie. »

Lorsque Hegel explique que l’identité et la différence sont des moments de la différence de la contradiction, les moments, en tant que reflet, de son unité, il expose également parfaitement les principes de la dialectique, valables pour le matérialisme dialectique.

De même lorsque Hegel affirme que :

Si l’on regarde de plus près les moments de l’opposition

[dialectique]

, alors ils sont en tant que tel le fait d’être placé dans l’existence ou la définition, se réfléchissant en soi. Le fait d’être placé dans l’existence est l’égalité et l’inégalité ; les deux, réfléchis en soi, font les déterminations de la contradiction.

C’est là l’expression du caractère interne de la contradiction. C’est évidemment et d’ailleurs ici la source de la considération de Hegel, selon laquelle les mathématiques ne peuvent atteindre le mouvement, le caractère interne des phénomènes, l’infini dans le fini.

Pareillement, Hegel explique que :

La différence en tant que telle est déjà la contradiction en soi ; il est de fait l’unité de choses qui ne sont que dans la mesure où elles ne sont pas un – et la séparation de choses qui ne sont que dans la mesure où elles sont séparées dans la même relation.

Le positif et le négatif, eux, sont la contradiction posée, parce qu’en tant qu’unités négatives ils se posent eux-mêmes et de là le dépassement de celle-ci et le fait de poser son contraire.

On a là une expression dialectique admirable, si ce n’était que le positif et le négatif se posent dans le processus, de manière logique, au lieu d’être le processus lui-même. Cette erreur de Hegel est d’autant plus frappante qu’en même temps, il pose une phrase censée représenter la vérité plus que les autres qu’il a données, expliquant que cela résume l’essence des choses :

Toutes les choses sont contradictoires en soi.

C’est là indéniablement une affirmation qui mène au matérialisme dialectique. Le fait que Hegel n’ait pas appliqué cette affirmation à sa propre théorie de la logique dialectique est dû à l’époque, à l’absence de prolétariat, de contradiction historique portant à un niveau supérieur la démarche. Mais le noyau dialectique était déjà présent, et une tendance à la compréhension dialectique du monde se formait nettement.

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La science de la logique de Hegel et le processus comme dynamique de l’analyse

La connaissance est donc un processus, mais quelle est la nature de ce processus dans son fondement même ?

Comment Hegel parvient-il à intégrer le mouvement, là où Aristote, Avicenne, Averroès, Spinoza, avaient besoin d’un Dieu moteur fusionnant avec ou étant le monde lui-même, ce qui condamnait le mouvement à n’exister qu’à partir d’un démarrage, sans disposer d’une nature autonome ?

Hegel avait deux possibilités :

  • s’il fixe le commencement, il perd la notion de mouvement autonome ;
  • s’il ne le fait pas, il n’a pas de réalité.

Hegel ne part en effet pas du point de vue d’un univers infini et éternel, comme le fait le matérialisme dialectique ; il voit seulement le mouvement dans la logique des choses, et donc pas dans les choses elle-même.

Il est donc obligé de basculer dans le mysticisme où le rien et le non-rien cohabitent :

Il n’est encore rien, et il doit devenir quelque chose. Le début n’est pas le rien pur, mais un rien, dont arriver quelque chose. L’être est ainsi également compris dans le début.

Le début comprend donc les deux, l’être et le rien, c’est l’unité de l’être et du rien, ou bien il est non-être, qui est en même temps être, et être, qui est en même non-être.

De plus : l’être et le rien sont au début disponibles de manière séparée, car ils indiquent quelque chose d’autre ; c’est un non-être, qui est lié à l’être de quelque chose d’autre. Ce qui débute n’est pas encore, il va seulement à l’être.

Le début contient donc l’être d’une telle manière que celui-ci s’éloigne ou dépasse le non-être, comme quelque chose lui étant opposé.

En outre : ce qui commence est déjà ; autant que, au contraire, il n’est pas encore. Les opposés, être et non-être, sont ainsi en lui comme unité immédiate, ou bien il s’agit de leur unité indifférenciée.

L’analyse du début donnerait par là le concept de l’unité de l’être et du non-être, ou bien, dans une forme réfléchie, l’unité de la différenciation et de la non-différenciation, ou l’identité de l’identité et de la non-identité.

Son but est de montrer qu’une chose ne peut être connue que lorsqu’elle est affirmée dans un processus. Or, reconnaître un début, ce serait montrer le contraire et dire comme le font les mathématiques que lorsqu’une chose est, alors elle est déjà là par définition, elle est posée, elle n’est pas dans un processus, on pourrait la prendre telle quelle.

Or, et c’est là son intérêt, Hegel veut à tout prix maintenir le principe du processus. Une chose ne peut chez Hegel émerger que comme mouvement, comme processus, où elle s’affirme, au sens où elle pose la négation de ce qu’elle n’est pas. Le début ne peut être donc que l’émergence d’une chose à partir de ce qu’elle n’est pas.

C’est là son apport historique. Hegel valorise le mouvement, en menant une réflexion profonde sur le rapport contradictoire entre fini et infini, qualité et quantité, continuité et discontinuité ; il expose ce qu’il appelle la science de la logique en confrontant la réalité, l’existence, l’être, à ce qui est protagoniste, agissant, ce qui amène à un rapport entre subjectivité et objectivité permettant la formation de concepts.

Ce qui est fini est en réalité infini, car le fini implique sa propre négation, et en fait son propre dépassement : c’est la base même du principe du mouvement.

On a déjà ici la base du matérialisme dialectique, si Hegel ne voyait pas en le processus de connaissance du processus une logique générale fonctionnant sans la chose elle-même, comme flottant dans l’air, alors qu’en réalité la connaissance n’est que le reflet de la matière en mouvement. Son approche est d’ailleurs souvent incohérente par rapport à son propre idéalisme et tend déjà au matérialisme dialectique, de manière déformée.

Lénine, en prenant des notes sur cet ouvrage, fait d’ailleurs à un moment la réflexion suivante, caractéristique de son attitude à la lecture de l’œuvre :

[Hegel :] « Elles [les choses] sont, mais en vérité leur être est leur fin.

Plein d’esprit et bien trouvé ! Les concepts qui apparaissent d’habitude comme morts, Hegel les analyse et montre qu’il y a du mouvement en eux.

Qui connaît une fin ? Cela signifie, qui est en mouvement vers sa fin !

Quelque chose ? Cela signifie : non pas ce qu’est quelque chose d’autre.

Être en général? Cela signifie une certaine non-détermination, que être = ne pas être.

L’élasticité multi-faces, universelle des concepts, l’élasticité qui va jusqu’à l’identité des contraires – c’est là l’essentiel.

Cette élasticité, employée subjectivement, = éclectisme et sophistique. Cette élasticité, employée objectivement, c’est-à-dire de telle manière à refléter le caractère multi-faces et général du processus matériel et de son unité, c’est la dialectique, c’est l’acte de réfléchir de manière juste l’éternel développement du monde. »

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La science de la logique de Hegel et la connaissance comme processus

La lettre de Spinoza est extrêmement intelligente et représente l’un des plus hauts points de la conscience matérialiste humaine, à l’époque déjà cela va de soi, mais y compris aujourd’hui. Elle pose la nature infinie de la réalité, qu’une approche en termes finis ne peut pas saisir.

Hegel prolonge cette affirmation de Spinoza et va souligner qu’il est nécessaire de voir sous quelle forme l’infini est présent dans le fini. Car ce qui est ne se résume pas à être, il y a des processus, qui produisent des choses. Le fini se mobilise, il s’arrache à lui-même. Il y a de l’infini dans le fini.

Karl Marx reprend directement cette perspective, avec Le capital, lorsqu’il dit qu’en apparence le travail est payé, mais qu’en réalité une partie n’est pas payée : il exprime cet infini dans le fini, qui est à la base du développement des forces productives dans le mode de production capitaliste.

C’est ce qui fait dire à Lénine, dans ses notes, de manière mi-amusée, mi-moqueuse :

Aphorisme : On ne peut pas comprendre totalement « le Capital » de Marx et en particulier son chapitre I sans avoir beaucoup étudié et sans avoir compris toute la Logique de Hegel. Donc pas un marxiste n’a compris Marx 1 ⁄ 2 siècle après lui !

Il mentionne cet ouvrage classique de Karl Marx également à une autre occasion. Il écrit une citation de Hegel, avec à côté la mention « cf. le Capital », puis la recopie une seconde fois, en ajoutant un commentaire :

Formule magnifique : « Pas seulement abstraitement un universel, mais l’universel qui englobe en soi la richesse du particulier, de l’individuel, du singulier » (toute la richesse du particulier et du singulier !) ! ! Très bien [en français].

En ce sens, Georg Wilhem Friedrich Hegel, avec La science de la logique publié au début du 19e siècle – l’ouvrage est paru à Nuremberg en deux tomes dans la période 1812-1816, avec trois livres (Théorie de l’être, Théorie de l’essence, Théorie du concept) – joue un rôle historique déterminant dans l’affirmation de la compréhension du mouvement, dans le cadre de l’infinité.

Hegel pose le problème de la manière suivante. Pour lui, un esprit est un esprit saisissant ; la pensée agrippe littéralement un raisonnement qui se fonde forcément sur quelque chose. Cela veut dire que les notions, les concepts, sont produits au cours même du processus de découverte, de compréhension d’une chose.

Hegel remet par conséquent en cause le principe d’une logique qui serait une méthode valable partout et tout le temps, coupée à la fois de la pensée et de la matière. Il n’y a pas de logique qui se balade littéralement au-dessus ou à côté du sujet pensant et de la chose étudiée. Il n’y a pas de méthode logico-mathématique fonctionnant toujours et partout.

De la même manière, si la chose, un phénomène, existe déjà en tant que tel, ce n’est pas le cas de la pensée y faisant face : la pensée connaît un processus où elle se forme comme compréhension, par rapport à la matière, un phénomène, qui sont déjà ce qu’ils sont.

Cette compréhension, si elle va jusqu’au bout, devient chez Hegel connaissance, avec l’utilisation deconcepts. Pour le matérialisme dialectique, cette compréhension devient un reflet adéquat, nullement parfait, mais correct de la matière, sur le plan scientifique.

En tant que tel, cela signifie que Hegel remet en cause non seulement les mathématiques comme méthode pseudo-objective de saisir la réalité, que le principe d’une pensée absolue capable de saisir, littéralement d’engloutir la réalité tout en étant séparée d’elle (comme l’univers-substance de Spinoza).

Il y a selon lui forcément un décalage, une dynamique entre le sujet et l’objet, dont le rapport est un processus. Cela ne veut pas dire pour autant que la vérité ne devient alors que relative, bien au contraire ; Hegel rejette formellement Emmanuel Kant pour qui on ne peut connaître dans les faits que certains aspects des choses, jamais les choses elles-mêmes.

Chez Hegel, la vérité n’est pas un point de vue, elle parvient à l’universel ; dans ses notes sur La science de la logique, Lénine note à de très nombreuses reprises le rejet par Hegel de la conception d’Emmanuel Kant d’une chose en soi et d’une chose pour soi, de la conception kantienne de l’impossibilité de connaître les choses telles qu’elles sont, mais seulement un rapport à elles.

Afin de parvenir à ce saut dans la connaissance, Hegel oppose la compréhension à une forme plus élevée de celle-ci, la raison. Ce niveau supprime la dimension éventuellement subjective, et a fortiori une réduction de la compréhension à une lecture subjectiviste, où chacun voit les choses à sa manière.

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Hegel et l’apport de l’espace au temps d’Emmanuel Kant

Hegel se situe dans le prolongement d’Emmanuel Kant ; son mérite historique, avec cette notion d’infini qu’il apporte, est d’affirmer l’espace, là où Emmanuel Kant avait déjà affirmé le temps.

Kant et Hegel permettent l’affirmation de l’espace-temps comme réalité concrète, base pour l’émergence du matérialisme dialectique ; il va de soi que cette affirmation et cette émergence ne sont que le reflet dans les sciencesdu processus historique où la bourgeoisie renverse la féodalité et établit déjà les bases pour l’existence du prolétariat.

Friedrich Engels avait salué l’immense mérite historique d’Emmanuel Kant, qui a valorisé le temps comme moment de transformation, rejetant le principe d’un monde fini qu’il suffirait d’étudier. Emmanuel Kant terminait le travail ouvert par Galilée et développé par Isaac Newton, même si en fait Kepler avait, sur le plan théorique, élaboré un travail d’une importance déjà fondamentale à ce sujet.

Cependant, cela avait comme prix chez Emmanuel Kant la survalorisation du temps, aux dépens de l’espace. Le temps se montrait lieu de la transformation, au lieu que cela soit l’espace lui-même. L’idéalisme était encore fort et le protagoniste de la connaissance était encore le référentiel, au lieu que cela soit l’objet de la connaissance lui-même.

Selon Emmanuel Kant :

Le temps est la condition formelle a priori de tous les phénomènes en général. L’espace, en tant que forme pure de l’intuition extérieure, est limité, comme condition a priori, simplement aux phénomènes externes.

Ou encore :

Dans l’espace, considéré en lui-même, il n’y a rien de mobile ; il faut donc que le mobile soit quelque chose qui n’est trouvé dans l’espace que par l’expérience, et par conséquent une donnée empirique.

L’espace ne se voit pas attribuer de valeur dynamique en soit. Cela allait de paire avec la conception d’une « chose en soi », c’est-à-dire l’impossibilité pour le chercheur de savoir ce qu’est la chose en elle-même. On ne pourrait connaître que la chose dans la mesure où il y a un rapport avec elle. Ce qu’elle est vraiment resterait un mystère.

C’est précisément cela que va révolutionner Hegel, en attribuant l’infini à l’espace lui-même, ou plus exactement en faisant de l’espace le lieu de l’infini.

Lénine, qui a pris de nombreuses notes sur La science de la logique, se focalise particulièrement sur le résultat de cette affirmation de l’infini, c’est-à-dire la remise en cause la chose en soi d’Emmanuel Kant.

Ces notes ont écrites durant les mois de septembre, octobre et décembre 1914 et consistent en trois cahiers (Hegel, Logique I, II et III). Elles furent publiées en 1929 en Union Soviétique, époque du début de la valorisation des œuvres de Lénine à ce sujet et de l’affirmation en tant que telle du matérialisme dialectique comme vision du monde du Communisme.

On y trouve des citations de Hegel, des très courts résumés synthétiques de certains de ses raisonnements, ainsi que des remarques qui montrent que Lénine n’analyse pas l’œuvre en soi, mais en arrache la « substance » ou de manière plus juste le noyau matérialiste, afin de parvenir à une maîtrise authentique du matérialisme dialectique.

Pour cette raison, il note surtout les très nombreuses critiques d’Emmanuel Kant que fait Hegel : cela se déroule dans le contexte de lutte menée par Lénine contre le néo-kantisme qui nie la possibilité de la science comme totalité et comme synthèse, au nom du caractère prétendument inaccessible de la véritable nature des choses.

De la même manière, Lénine porte toute son attention sur la question de la possibilité de la connaissance, lorsque Hegel parle de l’activité pratique. C’est pourquoi il écrit en note :

Le matérialisme historique comme une des applications et développements des idées géniales, des graines, qui sont disponibles chez Hegel à l’état de germination.

C’est que, au sujet de l’infini en tant que tel, Lénine profite déjà des analyses de Karl Marx et de Friedrich Engels sur Hegel, qu’il a déjà parfaitement saisi et sa perspective concrète alors n’est pas d’étudier le passage en soi de Hegel à Marx, par cette notion d’infini justement, lui-même l’ayant déjà saisi et mis en pratique dans sa démarche politique et dans sa compréhension des sciences.

Il fera cependant évidemment des remarques significatives à ce sujet.

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