La conséquence directe de l’interprétation léniniste de la Russie tsariste est la reconnaissance idéologique et politique de la classe ouvrière. Dès sa fondation, l’union à laquelle appartient Lénine mène une grande grève de 30.000 ouvriers du textile, des groupes essaimant en prenant l’union comme modèle.
Un grand pas est alors fait avec la formation du Parti Ouvrier Social-Démocrate de Russie (P.O.S.D.R.), regroupant les « Unions » de Saint-Pétersbourg, Moscou, Kiev, Iekaterinoslav, ainsi que le « Bund », structure regroupant des socialistes d’origine juive. Lénine est alors exilé et ne participe pas à cette fondation, mais son document de 1898 – « Les tâches des sociaux-démocrates russes » – montre son importance théorique et pratique.
Car le POSDR n’a ni programme, ni statuts ; il n’est pas une organisation de combat. La raison pour cela tient à une tendance erronée importante dans la social-démocratie, à l’époque. Si les populistes ne comprenaient pas le développement du capitalisme en Russie, il existait pour autant chez certains sociaux-démocrates une conception mécanique comme quoi puisque capitalisme y avait, alors le rôle dirigeant dans la lutte contre le tsarisme revenait naturellement à la bourgeoisie libérale.
Le prolétariat ne devait lutter que pour améliorer ses conditions de vie, et il ne pourrait mener une activité révolutionnaire sur le plan politique qu’une fois le capitalisme vraiment installé ; ce point de vue était mis en avant par les journaux « Rabotschaia Mysl » (la pensée ouvrière) en Russie même et du « Rabotcheio Diélo » (la cause ouvrière) en exil.
Lénine combat alors cet « économisme » qui a, de plus, comme conséquence de nier l’unité politique des révolutionnaires en une seule organisation, et il fonde le journal clandestin l’Iskra (l’Etincelle), avec comme sous-titre : « De l’étincelle viendra la flamme »). Il synthétise également sa conception de l’organisation politique dans un ouvrage publié en 1902 ayant un impact historique : « Que faire ? »
Lénine ne fait pas que rejeter la conception anti-organisation des économistes ; il y développe en pratique la démarche à suivre pour que l’organisation vive. Pour cela, il met en avant deux thèses principales.
La première est que l’organisation doit être composée de révolutionnaires professionnels ; la seconde est que l’organisation a un rôle d’avant-garde, c’est elle qui apporte la théorie révolutionnaire sans qui il n’y a pas de révolution possible.
Selon Lénine, l’organisation doit s’appuyer sur des cadres aguerris, assumant le plus haut niveau d’activité. Dans « Que faire ? », il explique ainsi :
« Or, j’affirme :
qu’il ne saurait y avoir de mouvement révolutionnaire solide sans une organisation de dirigeants stable et qui assure la continuité du travail;
que plus nombreuse est la masse entraînée spontanément dans la lutte, formant la base du mouvement et y participant et plus impérieuse est la nécessité d’avoir une telle organisation, plus cette organisation doit être solide (sinon, il sera plus facile aux démagogues d’entraîner les couches arriérées de la masse);
qu’ une telle organisation doit se composer principalement d’hommes ayant pour profession l’activité révolutionnaire;
que, dans un pays autocratique, plus nous restreindrons l’effectif de cette organisation au point de n’y accepter que des révolutionnaires professionnels ayant fait l’apprentissage de la lutte contre la police politique, plus il sera difficile de “se saisir” d’une telle organisation;
d’autant plus nombreux seront les ouvriers et les éléments des autres classes sociales qui pourront participer au mouvement et y militer de façon active. »
Lénine considère également que cette organisation militante ne doit pas être passive et simplement constater les luttes et les soutenir ; elle doit avoir une position d’avant-garde, fondée sur le marxisme en tant que science.
Dans « Que faire ? », il fait cette affirmation très connue :
« Sans théorie révolutionnaire, disait Lénine, pas de mouvement révolutionnaire… Seul un parti guidé par une théorie d’avant-garde peut remplir le rôle de combattant d’avant-garde. »
L’organisation militante a, par conséquent, une position dirigeante dans les luttes de classe. C’est elle qui doit conduire le mouvement, tout le reste étant soumission à l’état social existant.
Aux yeux de Lénine:
« Tout culte de la spontanéité du mouvement ouvrier, toute diminution du rôle de « l’élément conscient », du rôle de la social-démocratie signifie par là même — qu’on le veuille ou non, cela n’y fait absolument rien — un renforcement de l’influence de l’idéologie bourgeoise sur les ouvriers. »
C’est la grande thèse léniniste sur la question de l’idéologie révolutionnaire. Celle-ci ne se produit pas spontanément, elle est produite par l’avant-garde, qui l’apporte aux masses nécessairement réceptive puisque l’avant-garde est son propre fruit.
L’idéologie révolutionnaire correspond donc aux exigences d’une société dans une époque donnée ; toute la société est concernée par la portée de la question révolutionnaire.
C’est ce que Lénine explique :
« La conscience politique de classe ne peut être apportée à l’ouvrier que de l’extérieur, c’est-à-dire de l’extérieur de la sphère économique, de l’extérieur de la sphère des rapports entre ouvriers et patrons.
Le seul domaine où l’on pourrait puiser cette connaissance est celui du rapport de toutes les classes et catégories de la population avec l’État et le gouvernement, le domaine des rapports de toutes les classes entre elles.
C’est pourquoi, à la question : que faire pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques ?- on ne saurait donner simplement la réponse dont se contentent, la plupart du temps, les praticiens, sans parler de ceux d’entre eux qui penchent vers l’économisme, à savoir : « aller aux ouvriers ».
Pour apporter aux ouvriers les connaissances politiques, les social-démocrates doivent aller dans toutes les classes de la population, ils doivent envoyer dans toutes les directions des détachements de leur armée. »
La ligne de l’Iskra, celle de Lénine, va triompher dans le P.O.S.D.R., qui scissionne à son second congrès, en juillet 1903. La majorité (« bolchinstvo » en russe) suit Lénine, et ses partisans prennent le surnom de « majoritaires », de « bolcheviks » en russe.
Les « minoritaires » sont les « mencheviks » (de « menchinstvo », minorité en russe), qui étaient pour une organisation d’adhérents et non pas de cadres éprouvés. Ils n’acceptèrent pas leur défaite et, notamment avec à leur tête Julius Martov et Trotsky, menèrent une grande campagne contre les Bolcheviks.
Lénine a critiqué les positions Menchéviks dans un ouvrage également célèbre, Un pas en avant, deux pas en arrière, paru en mai 1904. Il y souligne la question de la nature d’avant-garde des révolutionnaires :
« Nous sommes le Parti de la classe, écrivait Lénine, et c’est pourquoi presque toute la classe (et en temps de guerre, à l’époque de la guerre civile, absolument toute la classe) doit agir sous la direction de notre Parti, doit se serrer le plus possible autour de lui.
Mais ce serait du manilovisme [Placidité, inertie, fantaisie oiseuse ; l’expression vient de Manilov, personnage des Ames mortes de Gogol] et du « suivisme » que de penser que sous le capitalisme presque toute la classe ou la classe entière sera un jour en état de s’élever au point d’acquérir le degré de conscience et d’activité de son détachement d’avant-garde, de son parti social-démocrate. »
Ce n’est nullement une simple question d’efficacité, cela réside dans la nature même de la classe ouvrière, qui doit ouvrir une nouvelle époque, porter une nouvelle société sur ses épaules. La classe se transcende justement par sa rationalité exprimée en termes d’organisation.
Lénine explique que :
« Le prolétariat n’a pas d’autre arme dans sa lutte pour le pouvoir que l’organisation.
Divisé par la concurrence anarchique qui règne dans le monde bourgeois, accablé sous un labeur servile pour le capital, rejeté constamment « dans les bas-fonds » de la misère noire, d’une sauvage inculture et de la dégénérescence, le prolétariat peut devenir – et deviendra inévitablement – une force invincible pour cette seule raison que son union idéologique sur les principes du marxisme est cimentée par l’unité matérielle de l’organisation qui groupe les millions de travailleurs en une armée de la classe ouvrière.
A cette armée ne pourront résister ni le pouvoir décrépit de l’autocratie russe, ni le pouvoir en décrépitude du capital international. Cette armée resserrera ses rangs de plus en plus, en dépit de tous les zigzags et pas en arrière, malgré la phraséologie opportuniste des girondins de l’actuelle social-démocratie, en dépit des louanges, pleines de suffisance, prodiguées à l’esprit de cercle arriéré, en dépit du clinquant et du battage de l’anarchisme d’intellectuel. »
Lénine est, ainsi, impitoyable avec le refus de l’organisation, qui a nécessairement une base de classe. Il dit :
« Cet anarchisme de grand seigneur est particulièrement propre au nihiliste russe. L’organisation du Parti lui semble une monstrueuse « fabrique » ; la soumission de la minorité à la majorité lui apparaît comme un « asservissement »… la division du travail sous la direction d’un centre lui fait pousser des clameurs tragi-comiques contre la transformation des hommes en « rouages et ressorts » (et il voit une forme particulièrement intolérable de cette transformation dans la transformation des rédacteurs en collaborateurs), le seul rappel des statuts d’organisation du Parti provoque chez lui une grimace de mépris et la remarque dédaigneuse (à l’adresse des « formalistes ») que l’on pourrait se passer entièrement de statuts. »
Ce succès du bolchevisme permet de lancer le mouvement en Russie, arrachant par exemple en décembre 1904, au bout d’une grande grève à Bakou, la première convention collective en Russie, entre les ouvriers et les industriels du pétrole.
L’élan continua avec une grève éclatant en janvier 1905 dans la grande usine Poutilov de Saint-Pétersbourg. La manifestation de 140 000 personnes qui suivit fut réprimée dans le sang, avec un millier de morts et 2000 blessés. Le tsarisme réagissait d’autant plus violemment qu’il venait de voir sa marine écrasée par celle du Japon, dans le cadre de leur concurrence inter-impérialiste en Extrême-Orient.
Il s’ensuivit une grève de 440 000 travailleurs, puis une série de grèves politiques, voire insurrectionnelles, avec des affrontements armés. Un épisode très connu fut la mutinerie à bord du cuirassé Potemkine.
La révolution de 1905 n’avait, cependant, pas de direction assez solide pour aller au bout de son mouvement. Le Tsar lâche du lest en autorisant un parlement consultatif, que les Bolchéviks rejetèrent, à l’opposé des Menchéviks ; la scission était de toute manière consacrée en avril, lorsque les Bolchéviks tinrent leur congrès à Londres, les Menchéviks à Genève.
Lénine écrivit alors en juin-juillet 1905 une brochure intitulée « Deux tactiques de la social-démocratie dans la révolution démocratique ». Il y explique que la classe ouvrière doit prendre le commandement du renversement du tsarisme, et donc de la révolution démocratique.
La bourgeoisie libérale a trop besoin du tsarisme pour opprimer les ouvriers, aussi les ouvriers, et leurs alliés naturels en l’occurrence les paysans, doivent pousser la révolution démocratique.
Lénine explique cela ainsi :
« Il est avantageux pour la bourgeoisie de s’appuyer sur certains vestiges du passé contre le prolétariat, par exemple sur la monarchie, l’armée permanente, etc.
Il est avantageux pour la bourgeoisie que la révolution bourgeoise ne balaye pas trop résolument tous les vestiges du passé, qu’elle en laisse subsister quelques-uns, autrement dit que la révolution ne soit pas tout à fait conséquente et complète, ni résolue et implacable. (…)
Pour la bourgeoisie, il est plus avantageux que les transformations nécessaires dans le sens de la démocratie bourgeoise s’accomplissent plus lentement, plus graduellement, plus prudemment, moins résolument, par des réformes et non par une révolution… ; que ces transformations contribuent aussi peu que possible à développer l’initiative révolutionnaire et l’énergie de la plèbe, c’est-à-dire de la paysannerie et surtout des ouvriers.
Car autrement il serait d’autant plus facile aux ouvriers de « changer leur fusil d’épaule », comme disent les Français, c’est-à-dire de retourner contre la bourgeoisie elle-même les armes que la révolution bourgeoise leur aura fournies, les libertés qu’elle aura introduites, les institutions démocratiques qui auront surgi sur le terrain déblayé du servage.
Pour la classe ouvrière, au contraire, il est plus avantageux que les transformations nécessaires dans le sens de la démocratie bourgeoise soient acquises précisément par la voie révolutionnaire et non par celle des réformes, car la voie des réformes est celle des atermoiements, des tergiversations et de la mort lente et douloureuse des parties gangrenées de l’organisme national.
Les prolétaires et les paysans sont ceux qui souffrent les premiers et le plus de cette gangrène. La voie révolutionnaire est celle de l’opération chirurgicale la plus prompte et la moins douloureuse pour le prolétariat, celle qui consiste à amputer résolument les parties gangrenées, celle du minimum de concessions et de précautions à l’égard de la monarchie et de ses institutions infâmes et abjectes, où la gangrène s’est mise et dont la puanteur empoisonne l’atmosphère. »
C’est le paradoxe incompréhensible pour ceux qui rejettent le matérialisme dialectique. La classe ouvrière est le pendant de la bourgeoisie ; si celle-ci se renforce et joue son rôle historique, la classe ouvrière se renforce aussi.
Lénine rappelle cette thèse :
« Le marxisme nous enseigne qu’une société fondée sur la production marchande et pratiquant des échanges avec les nations capitalistes civilisées, doit inévitablement s’engager elle-même, à un certain stade de son développement, dans la voie du capitalisme.
Le marxisme a rompu sans retour avec les élucubrations des populistes et des anarchistes qui pensaient, par exemple, que la Russie pourrait éviter le développement capitaliste, sortir du capitalisme ou l’enjamber de quelque façon, autrement que par la lutte de classe, sur le terrain et dans les limites de ce même capitalisme.
Toutes ces thèses du marxisme ont été démontrées et ressassées dans leurs moindres détails, d’une façon générale et plus particulièrement en ce qui concerne la Russie. Ces thèses montrent que l’idée de chercher le salut de la classe ouvrière ailleurs que dans le développement du capitalisme est réactionnaire.
Dans des pays tels que la Russie, la classe ouvrière souffre moins du capitalisme que de l’insuffisance du développement du capitalisme.
La classe ouvrière est donc absolument intéressée au développement le plus large, le plus libre et le plus rapide du capitalisme.
Il lui est absolument avantageux d’éliminer tous les vestiges du passé qui s’opposent au développement large, libre et rapide du capitalisme (…).
Aussi la révolution bourgeoise présente-t-elle pour le prolétariat les plus grands avantages. La révolution bourgeoise est absolument indispensable dans l’intérêt du prolétariat.
Plus elle sera complète et décisive, plus elle sera conséquente, et plus assurées seront les possibilités de lutte du prolétariat pour le socialisme, contre la bourgeoisie. »
La classe ouvrière a intérêt à la révolution démocratique, le capitalisme la renforce en tant que classe, aussi doit-elle soutenir le mouvement, et même le diriger puisque la bourgeoisie est trop faible.
Ce qui signifie que :
« Les marxistes sont absolument convaincus du caractère bourgeois de la révolution russe.
Qu’est-ce à dire ? C’est que les transformations démocratiques du régime politique, et puis les transformations sociales et économiques dont la Russie éprouve la nécessité, loin d’impliquer par elles-mêmes l’ébranlement du capitalisme, l’ébranlement de la domination de la bourgeoisie, au contraire déblaieront véritablement, pour la première fois, la voie d’un développement large et rapide, européen et non asiatique, du capitalisme en Russie ; pour la première fois elles rendront possibles dans ce pays la domination de la bourgeoisie comme classe.
Les socialistes-révolutionnaires ne peuvent pas comprendre cette idée, par ce qu’ils ignorent l’abc des lois du développement de la production marchande et capitaliste, et ne voient pas que même le triomphe complet de l’insurrection paysanne, même une nouvelle répartition de toutes les terres conformément aux intérêts et selon les désirs de la paysannerie (le « partage noir » ou quelque chose d’analogue), loin de supprimer le capitalisme, donnerait au contraire une nouvelle impulsion à son développement et hâterait la différenciation de classes au sein de la paysannerie.
L’incompréhension de cette vérité fait des socialistes-révolutionnaires les idéologues inconscients de la petite bourgeoisie (…).
Mais il n’en découle nullement que la révolution démocratique (bourgeoise par son contenu économique et social) ne soit pas d’un immense intérêt pour le prolétariat. Il n’en découle nullement que la révolution démocratique ne puisse revêtir aussi bien des formes avantageuses surtout pour le gros capitaliste, le manitou de la finance, le propriétaire foncier « éclairé », que des formes avantageuses pour le paysan et pour l’ouvrier ».
Lénine explique donc que :
« l’issue de la révolution dépend de ceci : la classe ouvrière jouera-t-elle le rôle d’un auxiliaire de la bourgeoisie, puissant par l’assaut qu’il livre à l’autocratie, mais impuissant politiquement, ou jouera-t-elle le rôle de dirigeant de la révolution populaire ? (…)
Les mots d’ordre tactiques justes de la social-démocratie ont maintenant, pour la direction des masses, une importance particulière. Rien n’est plus dangereux que de vouloir amoindrir en temps de révolution la portée des mots d’ordre tactiques conformes aux principes. »
Par des mots d’ordre tactique corrects, la classe ouvrière pourra briser le type tsariste de domination du capitalisme arriéré, qui l’affaiblit et l’empêche de s’affirmer comme classe. C’est le grand paradoxe.
Et dans cette lutte, il peut compter sur la paysannerie, pour des raisons historiques :
« Seul le prolétariat, écrivait Lénine, peut combattre avec esprit de suite pour la démocratie. Mais il ne peut vaincre dans ce combat que si la masse paysanne se rallie à la lutte révolutionnaire du prolétariat. (…)
La paysannerie renferme une masse d’éléments semi-prolétariens à côté de ses éléments petits-bourgeois. Ceci la rend instable, elle aussi, et oblige le prolétariat à se grouper en un parti de classe strictement défini.
Mais l’instabilité de la paysannerie diffère radicalement de l’instabilité de la bourgeoisie, car, à l’heure actuelle, la paysannerie est moins intéressée à la conservation absolue de la propriété privée qu’à la confiscation des terres seigneuriales, une des formes principales de cette propriété.
Sans devenir pour cela socialiste, sans cesser d’être petite-bourgeoise, la paysannerie est capable de devenir un partisan décidé, et des plus radicaux, de la révolution démocratique.
Elle le deviendra inévitablement si seulement le cours des événements révolutionnaires qui font son éducation, n’est pas interrompu trop tôt par la trahison de la bourgeoisie et la défaite du prolétariat.
A cette condition, la paysannerie deviendra inévitablement le rempart de la révolution et de la République, car seule une révolution entièrement victorieuse pourra tout lui donner dans le domaine des réformes agraires, tout ce que la paysannerie désire, ce à quoi elle rêve, ce qui lui est vraiment nécessaire. »
Aux yeux de Lénine, les mots d’ordre sont ainsi de pratiquer « des grèves politiques de masse, qui peuvent avoir une grande importance au début et au cours même de l’insurrection », de procéder à «l’application immédiate par la voie révolutionnaire de la journée de 8 heures et des autres revendications pressantes de la classe ouvrière », procéder à « l’organisation immédiate de comités paysans révolutionnaires pour l’application » par la voie révolutionnaire « de toutes les transformations démocratiques », jusque et y compris la confiscation des terres seigneuriales et d’armer les ouvriers.
Dans les mois qui suivirent, on put voir le caractère correct de cette analyse. Une grève dans l’imprimerie début octobre culmina en grève politique, désamorcée par un « manifeste du Tsar » promettant des droits bourgeois, puis un parlement législatif (mais non représentatif, puisque les femmes n’avaient pas le droit de vote, ni deux millions d’ouvriers).
Cela n’empêcha par conséquent pas la formation de Soviets ouvriers, avec une direction insurrectionnelle mise en avant systématiquement par les bolcheviks. Dans tout le pays, l’agitation était extrême, pourtant la révolution de décembre 1905 échoua en raison de l’organisation insuffisante et du rôle contre-révolutionnaire des socialistes-révolutionnaires et des menchéviks, notamment sur le plan militaire.
Le Tsar avait par la suite les coudées franches, le parlement législatif étant lui-même abandonné quelques mois plus tard. Mais 1905 formait une première grande répétition.