Comme l’art consiste en une représentation synthétique de la réalité, il n’est pas qu’un reflet de la vérité, il devient vérité lui-même car il la porte en elle. C’est ce qu’on appelle la culture, où tous les éléments matériels artistiques se reflètent, dans un long flux historique.
C’est pour cette raison que les œuvres de Lénine et de Mao Zedong sont parsemées de références littéraires. Leur nombre est important et la démarche systématique. Mao Zedong explique de nombreux faits et phénomènes au moyen de références littéraires classiques chinoises. Il les mentionne en considérant qu’il est impossible de ne pas les connaître, de ne pas les avoir assimilé.
Voici la liste des auteurs cités par Lénine, avec leurs occurrences, dans une statistique de 1934, alors que les 29 premiers volumes de ses œuvres complètes de Lénine étaient disponibles :
- Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine : 320 fois
- Nikolaï Gogol : 99 fois
- Ivan Krylov : 60 fois
- Ivan Tourgueniev : 46 fois
- Nikolaï Nekrassov : 26 fois
- Alexander Pouchkine : 19 fois
- Anton Tchekhov : 18 fois
- Alexander Ostrovsky : 17 fois
- Gleb Ouspensky : 16 fois
- Ivan Gontcharov : 11 fois
Il est d’autant plus marquant que Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine soit la référence la plus systématique, que son œuvre elle-même s’appuie sur la reconnaissances des figures typiques classiques et qu’il les prolonge.
Le grand écrivain russe Maxime Gorki, à l’origine avec Staline du concept de réalisme socialiste, constate ainsi dans son Histoire de la littérature russe la chose suivante au sujet du romancier le plus cité par Lénine dans ses œuvres :
« Prendre un héros de la littérature, un type littéraire du passé et le montrer dans la vie de tous les jours, c’est le procédé favori de Chtchedrine. Depuis 1870, ses héros sont les descendants de Khlestakov, Motchaline, Mitrophane, Prostakov, qui avaient conquis toute la société avec une force particulière après 1881. »
C’est que Lénine, Mao Zedong, Maxime Gorki voient le travail artistique comme une production, et non pas comme une « création » à partir de rien. Ils considèrent qu’il y a une continuité historique, un flux ininterrompu, non linéaire, de l’expression artistique, dans le cadre de la culture.
Mao Zedong, dans son Intervention aux causeries sur la littérature et l’art à Yenan en mai 1942, nous explique cela de la manière suivante :
« Quelle est en dernière analyse la source de tous les genres littéraires et artistiques ?
En tant que formes idéologiques, les œuvres littéraires et les œuvres d’art sont le produit du reflet, dans le cerveau de l’homme, d’une vie sociale donnée.
La littérature et l’art révolutionnaires sont donc le produit du reflet de la vie du peuple dans le cerveau de l’écrivain ou de l’artiste révolutionnaire. La vie du peuple est toujours une mine de matériaux pour la littérature et l’art, matériaux à l’état naturel, non travaillés, mais qui sont en revanche ce qu’il y a de plus vivant, de plus riche, d’essentiel.
Dans ce sens, elle fait pâlir n’importe quelle littérature, n’importe quel art, dont elle est d’ailleurs la source unique, inépuisable. Source unique, car c’est la seule possible ; il ne peut y en avoir d’autre.
Certains diront : Et la littérature et l’art dans les livres et les œuvres des temps anciens et des pays étrangers ? Ne sont-ils pas des sources aussi ?
A vrai dire, les œuvres du passé ne sont pas des sources, mais des cours d’eau ; elles ont été créées avec les matériaux que les auteurs anciens ou étrangers ont puisés dans la vie du peuple de leur temps et de leur pays.
Nous devons recueillir tout ce qu’il y a de bon dans l’héritage littéraire et artistique légué par le passé, assimiler d’un esprit critique ce qu’il contient d’utile et nous en servir comme d’un exemple, lorsque nous créons des œuvres en empruntant à la vie du peuple de notre temps et de notre pays les matériaux nécessaires. »
L’art relève de la culture et la culture est portée par le mouvement historique. L’art reflète ce mouvement, de là vient sa dignité, sa valeur et par conséquent son appréciation. Il n’existe pas d’œuvres d’art séparées du processus général de la société, du mouvement général de la matière.
Le plaisir artistique tient au reflet : en voyant le haut niveau de reflet de la réalité dans une œuvre d’art, on apprécie celle-ci, parce que toute conscience est elle-même reflet. L’œuvre d’art se présente ici comme un reflet à portée universelle d’une réalité particulière.